mercredi 10 mars 2021

ALICE COOPER "Detroit Stories" (2021), by Bruno


     Décidément, ce monsieur Furnier est vraiment un personnage, un type bien singulier. Voilà plus de cinquante ans qu'il arpente les scènes du monde entier et il est toujours debout, toujours prêt à assumer son hégémonie sur le Shock-rock. Même si forcément, cette longue carrière, entre sa durée et les addictions du monsieur, a été morcelée de quelques arrêts forcés, on ne peut que saluer ce qui se présente plus comme un sacerdoce qu'un métier. A 73 ans (depuis le 4 février dernier), mister Vincent Damon Furnier n'a pas encore dit son dernier mot. 


   Encouragé par le succès du Ep "Breadcrumbs" sorti en 2019, qui se voulait être une récréation tournée vers les années 70 autant qu'un chaleureux hommage à la ville de Detroit, il met les pieds dans le plat avec un album complet et bien fourni. Detroit, la ville qui espère toujours renaître de ses cendres, cette cité qui l'a vu naître et qui, la première, a apprécié ses singulières prestations, violentes, théâtrales et, alors, plutôt foutraques. Au contraire de Los Angeles qui avait déclaré l'Alice Cooper Group comme le pire groupe de Californie. L'Ep n'était qu'un sympathique essai, une mise en bouche ; l'album est une confirmation. Celle d'un inespéré retour aux sources. Plus que jamais, "Detroit Stories" redonne vie à des bourgeons que l'on croyait fossilisés ; deci delà fleurissent des chansons dégageant éclats et parfums de l'Alice Cooper Group, celui donc de l'époque héroïque. Mais aussi de quelques autres groupes essentiels et fondateurs du Rock tonitruant de la Motorcity. "Detroit était au centre du Heavy-rock. Tu ne pouvais être un groupe de Soft-rock, au risque de te faire botter le cul" - "A Detroit, si vous y alliez et déclariez que c'est une chanson sur l'amour et les roses, ils vous tuaient tout simplement. Ils voulaient du Hard-rock" dixit Alice Cooper.
L'album récupère le matériel de l'Ep, et le réenregistre pour une lecture plus élaborée, à l'exception de "Your Mama Won't Like Me" de Suzi Quatro, laissé sur le carreau.

     Un retour timidement amorcé avec l'album "Welcome to My Nightmare II" qui correspond aussi au retour du producteur, arrangeur et co-auteur Bob Ezrin. Le célèbre producteur créatif dont le travail pour Alice Cooper lui a valu louanges, approbations et célébrité.  Et sollicitations. Ce disque correspondant à la réconciliation, tant espérée, des anciens membres du groupe originel. Soit les survivants Michael Bruce, Dennis Dunaway et Neal Smith. Cependant, hélas, ils n'étaient présents que sur seulement trois morceaux. C'est également le retour de Steve Hunter, qui avait participé au premier cauchemar d'Alice (et qui va rester avec lui jusqu'en 1979). En 2017, "Paranormal" garde Ezrin qui co-signe encore la quasi totalité des chansons, et on retrouve encore les vieux collègues des années de galère et de succès, mais l'album paraît moins ambitieux.

     Après la parenthèse Hollywood Vampires, avec les copains Joe Perry et Johnny Depp, à l'âge où nombre de chanteurs profitent d'une retraite bien méritée, ou alors virent "crooner" (suivant les possibilités que leur permet une voix souvent défaillante), Vincent Furnier revient à l'attaque avec un vingt-huitième album (le trentième en comptant ceux d'Hollywood Vampires !), toujours dans la sphère d'un Shock-rock, Strong-rock ou autres Heavy-rock incisifs et copieusement arrosé de guitares brûlantes. Dire qu'à un moment, personne n'aurait osé parier qu'il parviendrait à survivre aux années 80. 


   En introduction, la chanson "Rock & Roll" de Lou Reed, puisée dans le "Rock'n'Roll Animal" plutôt que chez le Velvet Underground ; d'où la présence de Steve Hunter. Est-ce lui qui interprète ce premier solo qui est à s'y méprendre dans la lignée d'un chorus à la Leslie West ? Une entrée en matière qui a du sens puisqu'elle conte l'avènement du Rock'n'roll grâce à sa diffusion par les radios. Alice a juste pris soin de remplacer le "New-York station" original par "Detroit station", car pour le Coop', c'est là que ça se passe. Lou Reed n'étant plus, on ne connaîtra jamais son avis sur cette version concise, Rock, et enlevée. On retrouve aussi Joe Bonamassa pour un solo incendiaire et une étourdissante prestation de Bob Ezrin à la cowbell ("more cowbell"). La batterie de  Johnny "Bee" Badanjek, le batteur des Detroit Wheels de Mitch Ryder et fondateur de The Rockets (avec Jim McCarthy de Cactus) (1), est absolument fantastique, enivrante. On redécouvre d'ailleurs tout au long de l'album (13 chansons / 15), ce batteur oublié qui a un sacré sens du rythme et qui sait mettre en valeur une orchestration en variant sa frappe infaillible sans sortir du tempo.

  "Go Man Go" surgit comme un diable rieur de sa boîte ; cependant, ce spécimen est équipé d'un riot-gun. Véritable Heavy-punk-rock, entre le Rollins Band , The Replacements et Wayne Kramer, qui, justement, participe à l'écriture et à la réalisation de ce missile. Plus étonnant, Mark Farner, l'ex-Grand Funk Railroad, est venu renforcer ce commando de guitares. Du Punk furibard à Detroit ? Et bien oui, le Coop', Kramer et Tommy Henriksen remettent les pendules à l'heure : les premiers groupes à être assimilés au genre, ou considérés comme des précurseurs, mettaient le feu dans les salles de la cité industrielle, bien avant que New-York ne se réveille. Ce serait même le MC5 qui aurait eu droit le premier à l'épithète, issu de la plume fleurie de Lester Bangs. Ce bon vieux Kramer, 73 balais en avril prochain, dernier survivant avec Denis Thompson, du fameux MC5, sait aussi faire preuve de retenue. Comme avec le poppy et cynique "Our Love Will Change The World", reprise des Outrageous Cherry. Groupe de Detroit qui s'évertuait à entretenir la flamme d'une Pop millésimée 60's, parfois bariolée d'ondes psychédéliques. C'est la seule reprise de l'album à rester aussi fidèle à l'original. Probablement parce que l'on y retrouve cet esprit taquin cher à mister Furnier ; ici en l'occurrence, celui de coller des paroles un brin tordues sur une musique d'apparence saine, fraîche, ingénue et joviale. 


 "Social Debris" dégage quelques effluves de "Billion Dollar Babies" (l'album) et pour cause : Dennis Dunaway, Neal Smith (qui compose aussi) et Michael Bruce sont de retour. Ces trois mousquetaires remettent le couvert avec l'ironique " I Hate You" où chacun à son tour crache son venin sur l'un de ses camarades. Souvenirs du temps où, l'alcool aidant, ils s'invectivaient, jusqu'à finir par se mettre sur la gueule. Couplet à l'attention d'Alice : "Je te déteste ! Tes yeux d'araignée, une guillotine... Je déteste ton nez pointu et cassé. Ta grosse bouche grasse que tu ne fermes jamais". Seul Glen Buxton ne peut répondre (à tous) pour cause de décès précoce (il n'a pas atteint les 50 ans) : "Nous détestons ton ricanement, tes cigarettes, l'odeur de la bière, les côtelettes de mouton, le couteau suisse, ta vie sans complexe ! Mais surtout, cette place vide à la gauche de la scène nous remplit de rage ". Une façon d'exorciser cette douleur qui n'a jamais lâché cette bande de freaks longtemps unis dans la galère et la singularité. La douleur d'assister impuissant à la déchéance de leur ami, emporté par un alcoolisme (ce qui n'a pas servi de leçon à Furnier), un tabagisme forcené (il enchaîne clope sur clope au point d'incommoder même ses partenaires) et une descente dans les drogues dures, qui grèvent son talent et sa sa santé (il perd son pancréas à 25-26 ans). Puis celle de son décès, à 49 ans, emporté par une pneumonie qui a raison de son corps fatigué par des années d'excès. Du gâchis. 

   Hommage à la Motown avec "$1000 High Heel Shoes". Wayne Kramer s'engage dans ce chaleureux Funk cuivré mâtiné de Soul concupiscente. Alice assure avoir vu à l'époque, dans le public, des musiciens de la Motown assister aux concerts. Réciproquement, le public Rock était également fier du succès des artistes de l'entreprise de Berry Gordy Jr. Est-ce que Mark Farner aurait laissé tomber son Rock-chrétien pour venir se compromettre sur ce gentiment irrévérencieux "Hail Mary" ? Aux faux airs de générique de séries des 60's ("Batman" ralenti ?). Du coup, ravi de l'ambiance, lui qui n'a plus fréquenté les studios depuis des années, reste pour la version 2021 du "Detroit City" d'Alice. 


   Une fois n'est pas coutume, Alice sort l'harmonica de sa poche pour "Drunk and In Love", un blues lent et traînant, avec de nouveau Bonamassa (à qui on coupe le sifflet avec un fade-out hâtif). "Independence Dave" allie un Heavy-rock'n'roll bien trempé à des couplets scandés, comme un pont flottant entre le "High Time" du MC5, "The Eyes of Alice Cooper" et... Eminem ? 😱 ! Sur "Wonderful World", Alice joue avec la tonalité vocale de Jim Morrison, comme il l'avait déjà fait du temps de "Killers", en hommage à son défunt ami, alors décédé depuis peu.

   Avec la présence et de l'implication de Wayne Kramer, qui joue de la guitare et chante dans les chœurs sur bon nombre de morceaux, ainsi que sa participation à la composition d'une poignée de morceaux, il est juste qu'un album rendant hommage à la ville de Detroit reprenne une chanson d'un de ses plus beaux et turbulents rejetons (même si celui-ci est originaire d'Ann Arbor). "Sister Anne" est un excellent choix. Trépidant, galvanisant, électrisant, remuant, sismique, addictif, festif, Rock'n'roll !!! Le Coop' ressort son harmonica, et Wayne croise le fer avec Farner. Dantesque. C'est dans les vieux pots que l'on fait les meilleurs soupes (Confucius). "Une telle vérité, une telle beauté, une telle pureté. Elle porte un halo autour de sa tête. Elle a les dix commandements tatoués sur son bras. Si elle mourrait, elle ressusciterait d'entre les morts"

   "Hanging on  by a Thread (Don't Give Up)", sombre chanson appelant à lutter contre les pulsions suicidaires, pendu à un grunge froid, pataud et boueux. Autre invité, Larry Mulen Jr. qui avait déjà joué pratiquement l'intégralité des pistes de batteries sur "Paranormal". Le premier disque, le second étant réservé à l'Alice Cooper Band. Exalté, il castagne sans ménagement ses fûts sur ce petit missile débonnaire "Shut Up and Rock", l'amenant dans les eaux du "Devil's Playground" de l'éternel peroxydé. 

   Final sur le "East Side Story" de Bob Seger - autre figure incontournable et emblématique de la ville fondée par Sieur de Cadillac. Vieille pièce (1966) exhumée de la genèse de Bob, qui a sans vergogne pompé sur le "Gloria" des Them. Seger y injecte la gnaque d'un prolo qui n'a que la musique pour échapper à son quotidien, insérant des paroles nettement plus crues, directement inspirées de la rue. Il en fait, en 1966, un morceau proto-hard. Un hit local, probablement le premier de Seger.

     C'est amusant - façon de parler - mais la majorité des officiants sont à un âge où, généralement, on se tourne vers une musique plus posée. Or, Vincent et ses invités, - Wayne, Mark, Johnny, Dennis, Michael, Neal, Steve -, ont tous dépassé les soixante-dix ans. Le guitariste et compositeur Tommy Henricksen est un jeunot de 57 printemps. Quant à Paul V. Randolph, cet excellent bassiste fluide et groovy, autre célébrité de Detroit, issu du Jazz et du Funk, il n'a pas non plus l'air d'être né de la dernière pluie. Y'a plus de vieillesse.


(1) Il a aussi joué avec Alice Cooper et Bob Seger,


Photographies : 

  1. Alice Cooper-Vincent Furnier arborant fièrement un tee-shirt "Detroit" devant une de ses voitures, une Ford Mustang ("Bullitt" ?). Sa seconde passion, après la musique, les voitures. Avec ses premiers deniers acquis et scrupuleusement économisés avec les premiers concerts, à l'époque du lycée, il s'offre une Ford Shelby. Rien que ça.
  2. Retour de l'antique et original Alice Cooper Group avec, de gauche à droite, Dennis Dunaway, Neal Smith, Alice Cooper et Michael Bruce. Manque à l'appel Glen Buxton, décédé le 19 octobre 1997.
  3. Alice Cooper avec à sa droite Wayne Kramer. Ce dernier toujours avec sa Fender Stratocaster aux couleurs du drapeau américain. Histoire de bien faire comprendre que s'il critique ouvertement l'administration, le gouvernement, il n'en est pas moins un patriote. Il remplace le micro du milieu par un humbucker Gibson - afin de ne pas se faire écraser par le niveau sonore des guitares de Fred "Sonic" Smith -
  4. Alice avec Tommy Henriksen. Ce dernier, né le 21 février 1964 à Port Jefferson (un gamin autre...) commence à travailler pour Alice Cooper en 2011, avec l'album "Welcome to my Nightmare II". Depuis, il fait partie intégrante de l'équipe. C'est même un élément essentiel, jouant de la guitare, occasionnellement de la basse et des claviers, faisant les chœurs, composant et apportant éventuellement son aide à la production (sur "Paranormal"). Il fait aussi partie des Hollywood Vampires. Il a travaillé aussi pour divers artistes (de la composition à la production) et pas nécessairement là où on l'attend ; ainsi, il a vendu ses services à Kesha, à Lady Gaga et à quelques concurrents remarqués de l'émission télévisée "American Idol". Sinon, dans les années 80, il a assuré la basse pour le groupe Allemand Warlock, puis pour sa chanteuse, Doro.




🐍🦇🕷

Autres articles / Alice Cooper (clic/lien) :
-  "Trash" (1989) + "Hey ! Stoopid" (1991)
-  "Brutal Planet" (2000)
-  "Killer" (1971)

2 commentaires:

  1. Je ne peux que m'incliner devant tous ces rockers qui ont atteint depuis belle lurette l'âge de prendre une retraite bien méritée et qui continuent de sortir de très bons albums qui peuvent en remontrer à des jeunots un peu trop arrivistes. En plus de Alice Cooper, je pense notamment à Bruce, Paul Mc Cartney, Iggy, Neil Young, John Mayall, Bob Dylan, et j'en passe. Y a pas en dire, le rock conserve!

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    1. Et dire qu'à une certaine époque, il était généralement admis que, du moins dans le milieu "hard-rock", on y laissait forcément des plumes, avec pour conséquence une retraite anticipée dépassée la quarantaine. Même Nugent, lui-même pourtant peu porté sur les substances illicites, l'admettait.
      Probablement que les conditions du métier se sont améliorées. Notamment celui du cycle infernal "tournées - séances studio - tournées". On alors ce sont les docteurs qui se sont adaptés à de nouvelles exigences. :-)

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