mercredi 6 novembre 2019

ALICE COOPER " School's Out " (1972), by moi



     Vincent Furnier et sa bande, non contents d'avoir déjà réalisé deux très bons disques dans la même année, plutôt que se reposer un temps sur leurs lauriers, continuent sur leur extraordinaire lancée. Tout en poursuivant scrupuleusement leur conquête, qui ne va pas tarder à déborder sur le vieux continent, ils ne cessent de composer. Ainsi, quelques mois seulement après la sortie de "Killer", les loustics débordant d'énergie (sauf lorsqu'ils doivent écluser leurs excès en boissons alcoolisées de toutes sortes) retournent en studio.
Toujours assistés du magicien Bob Ezrin, presque un sixième membre, tant sa vision et ses conseils avisés, en sus de sa maîtrise de la production, apportent à la musique de l'Alice Cooper Band une dimension qui en fait un groupe singulier, à part. Un univers particulier qui va créer et ouvrir des portes jusqu'alors à peine envisageables.


    Même si l'on résumait ce " School's Out " en l'affublant de tous les superlatifs imaginables, cela resterait insuffisant. Voire grossier en regard de l'oeuvre réalisée. On pourrait aussi tout simplement mettre en avant le fait qu'il fait partie de ces disques incontournables - un must-have -, que l'on se doit d'avoir dans sa discothèque. Et plutôt deux fois qu'une...

Vincent Furnier, Glen Buxton, Michael Bruce, Dennis Dunaway et Neal Smith ont littéralement trimé pendant des années. Ils ont dû persévérer comme vents et marées, contre la faim, les moqueries et le doute. Mais ils ont tenu bons. Pas question de rentrer à la maison la queue entre les jambes. Ils ont remis leur ouvrage sans cesse sur le métier. Et cela a fini par payer. Il y a un monde entre "Pretties For You" et "School's Out". Et même depuis "Love it To Death" (enregistré en 1970 et sorti en 71).

   Bref, ils ont connu la faim et plutôt que de s'apitoyer sur leur sort, ils ont bossé dur et sont devenus de sacrés musiciens. Non pas des virtuoses, mais juste des musiciens capables de créer quelque chose, de donner vie à leur imagination créative. Des musiciens en osmose, soudés comme les doigts de la main. Même si on sait que Bob Ezrin a fait appel à Dick Wagner - par ailleurs, déjà une "vieille" connaissance de la troupe (la scène de Detroit) - pour assurer deux soli. Pour le côté virtuose ?

     L'album débute sur ce qui va longtemps rester un hymne pendant presque une décennie. Et qui reprendra vie en même temps que l'auteur des paroles. "School's Out", déjà sorti préalablement en 45 tours, surgit tel un diable de sa boîte, saisissant immédiatement, presque brutalement, l'auditeur avec un riff qui fut longtemps un passage obligé de tout apprenti guitariste (au même titre que ceux des "Whole Lotta Love", "Paranoid", "Smoke on the Water", "White Room"). C'est une explosion de joie juvénile, l'extase d'être libéré de toutes contraintes scolaires d'horaires, libre de pouvoir vaquer à l'envie, et éventuellement d'aller faire des conneries. Le riff simple, évident et terriblement efficace, marié au chant hargneux de Furnier et à la batterie mastodonte de Neal Smith, font de ce titre un des fleurons du Hard-rock 70's, immédiatement reconnaissable. Cependant, plutôt que se contenter de cogner comme des sourds, la troupe et Bob Ezrin, comme des gamins espiègles, s'emploient à surprendre. Probablement pour la première fois sur un disque de Rock, une chorale de minots s'époumone. Et ils y vont de bon cœur.

   Le single devient rapidement un hit, grimpant jusqu'à la septième place du Billboard US et à la première au Royaume-Uni. Un succès (en terme de single) qu'Alice ne retrouvera qu'en 1989, avec "Poison". Cette chanson fut évidemment reprise par une pléthore de groupes dont, pour les plus connus, Krokus, Foo Fighters, Megadeth, Rob Zombie (logique), les clowns pathétiques de Gwar (avec un clip débile, filmé avec les pieds). Avec quelques tristes détournements dont celui de Daphne & Celeste en mode Rap Beasty-Boy faisandé par une Pop mainstream gluante.


  - Interlude -   Petite anecdote : à l'époque Neal Smith était en concurrence avec son pote Keith Moon, pour la batterie la plus grande. Chacun rajoutant un fût ou une cymbale après l'autre. Neal avait une gigantesque Slingerland, et rien de son kit ne servait de décorum ; il utilisait chaque pièce, et comme dira de lui un des membres du groupe : "Lorsqu'il jouait, entre ses très longs cheveux et ses bras qui allaient dans tous les sens, on aurait dit une pieuvre".

   Après cette agression sonique, un strong-rock comme il fut parfois appelé, "Luney Tune" pourrait paraître incongru. Une mixture de Rock hargneux et irrévérencieux et d'acid-jazz, joué avec nonchalance et aplomb. Du Rock comme seul Alice Cooper, le groupe, était capable d'en jouer. Un savoureux contraste entre la basse souple et ronde, un clavecin électrique (un Moog), la guitare dégoulinante de fuzz (tenue par Rockin' Reggie Vincent, un ami de Buxton), et la batterie acrobatique de Neal Smith. Ezrin insère même un violon tzigane sur la dernière partie. On y décèle même une apparition furtive d'un dobro souffreteux. "Je nage dans le sang comme un rat sur le sol d'un égout ... Je ne suis plus fou, je fais seulement partie de ce rêve dément".

   Mais ce n'est que le début des surprises. Dennis Dunaway, bassiste injustement oublié, ouvre seul sur un thème d'abord maussade avant de s'envoler sur un tempo vif et sautillant. La Fender Jazz Bass reste le socle de "Gutter Cat Vs. The Jets" jusqu'à ce que le morceau dérape sur une espèce comédie musicale de freaks décadents qui va se fondre dans un des thèmes de "West Side Story" de Leornard Berstein, notamment celui de "Jet Song".
"Lorsque tu deviens un Jet, tu restes un Jet toute ta vie. De ta première cigarette jusqu'au jour de ta mort.... Tu fais partie de la famille. Les Jets arrivent. Ils sont toujours bien respectés"
On est en pleine comédie musicale trash, et de là au Rocky Horror Picture Show, il n'y a qu'un pas. Il est d'ailleurs fort probable que l'Alice Cooper Group ait servi d'inspiration à Richard O'Brien (en plus du Glam-rock en vigueur et des fils d'horreur de la Hammer).


   Après la baston entre les Jets et les Gutter Cat (l'interlude "Street Fight" avec miaulements de chats meurtris et sirènes de police, ou d'ambulance), la troupe repart avec une recette dont elle a le secret. Mais qu'est-ce vraiment ? De la Pop jazzy ? Du Rock guindé, ou du Blues mutant ? Non. Rien de tout ça, juste du Alice Cooper. Sur "Blue Turk", Furnier-Cooper change de personnalité pour adopter celle du crooner ; oui mais quelques mauvais penchants de fripouille transparaissent. Finalement bien moins Sinatra ou Bennett que Jim Morrison. Exercice inauguré sur la précédente galette ("Desperado") avec des affinités avec Morrison plus marquées (rappelons qu'ils s'étaient tous deux fréquentés, éclusant quelques verres ensembles). Un saxophone et un trombone s'incrustent , bavardent entre eux et occupent suffisamment d'espace pour planter un nouveau décor ; celui du Cotton Club ou du Birdland.


     La seconde face sur un air triomphant avec le piano d'Ezrin (une simple cascade de notes) toutefois, la bande ne tarde à souiller cette saine et rafraîchissante atmosphère. Smith envoie des roulements comme un autiste sourd, forçant alors le piano à lui emboîter le pas. Le Coop' n'a plus qu'à cracher sa morgue. Et "My Stars" partir vers un Rock faussement foutraque et paresseux qui, mine de rien, ondule comme une douce vague, avec ses creux et crêtes.
Pour l'occasion, c'est Dick Wagner, ancien guitariste de Frost et d'Ursa Major, et futur mercenaire d'Alice Cooper, qui vient remplacer Glen Buxton.

   L'excellent "Public Animal #9" est d'une essence purement Rock dur, ici agrémenté d'une forme de Heavy-soul avec un chanteur belliqueux et possédé contant ses mauvaises manières à l'école, et finissant par éructer des "Errrrrrghhh" de lycanthrope en pleine métamorphose. 
 "Moi et G.B. ne sommes jamais allé à confesse. On trichait pendant les interrogations de maths. Nous avons gravé des mots sales sur notre pupitre ... Je donnerais un mois entier de cigarettes en échange de mauvaises bières ou même d'une bouteille de vin bon marché"

   Changement de registre avec "Alma Mater" (1) qui contredit l'enthousiasme et l'assurance du premier titre en étalant sans pudeur une fragilité que l'on ne soupçonnait pas jusqu'alors. Sinon, celle de la folie. La chanson traite du regret de quitter le lycée. Avec la crainte de ne plus revoir les anciens potes et d'être oublié. C'est le jalon d'une époque révolue, la fin d'une certaine insouciance et d'un environnement sécurisé. "Mais tu sais, ça me brise le cœur de te quitter. Cortez, tu vas me manquer... Souvenez-vous du Coop' ... J'espère, j'espère que vous ne m'oublierez pas". Cortez est le nom de l'établissement dans lequel Vincent Furnier a fait ses classes, à Phoenix, dans l'Arizona. Drôle de nom pour une école. Et c'est dans cet état qu'il a découvert les réserves indiennes et leurs conditions déplorables ; révélation peu flatteuse d'une facette de l'Amérique. C'est dans Cortez High School que Vincent a rencontré Dennis et Glen, négligeant le sport pour fonder avec eux The Earwings, puis The Spider, vite rejoint par Michael Bruce.

   "Grande Finale" clôture en fanfare cette oeuvre singulière. Riche instrumental entre exubérance digne de Broadway et d'une fanfare de New-Orleans éméchée et sous psychotropes, où se croisent sans se télescoper soli de guitares copieusement arrosées de fuzz grasse et acide, de Moog sulfureux et de cuivres rebelles. Un instrumental qui s'est nourri de la substance des précédents morceaux, avec une progression s'intensifiant crescendo jusqu'à une brève extase, vite relayée par la reprise de West Side Story en guise de coda.
 
de G à D :Neal Smith, Glen Buxton, Vincent Furnier, Michael Bruce et Dennis Dunaway

   Outre les titres "School's Out" et "Public Animal #9", l'album n'a pas vraiment, à proprement parler, la fibre Hard-rock. Rien de vraiment particulièrement percutant. A ce titre, la musique d'Alice Cooper de l'époque était parfois désignée comme du Strong-rock. Même s'il y a ce chant particulier, à la fois hargneux et mordant, ces guitares dégoulinantes de fuzz, corrosives comme l'acide, cette batterie vorace et fracassante et cette basse alerte et assez pesante, la riche orchestration omniprésente de Bob Ezrin, appuyée par les claviers protéiformes et mutins de Michael Bruce, font de ce disque un OVNI. Une entité singulière née des délires savants d'un groupe de Hard-rock. Presque un concept album dont la trame floue survole les pérégrinations adolescentes d'une jeunesse qui se cherche, en manque de repères, et qui, à la fin avec "Alma Mater", commence déjà à regretter l'insouciance d'une adolescence révolue.


     Cet album est le premier grand succès de la troupe ; il caracole à la seconde place des charts aux USA, et à la première au Canada, mais surtout, il perce dans divers pays, de l'Europe à l'Australie. C'est l'album qui élève les musiciens, en particulier Vincent Furnier-Alice Cooper, au rang de Rock-star. Étonnant d'ailleurs que School's Out " n'est à ce jour, jamais fait l'objet d'une réédition en cd digne de ce nom. On reste sur l'édition de 1989 qui en dépit d'une production impeccable de Bob Ezrin, peine à reproduire l'ampleur de la basse de Dunaway et des fûts de Smith.  
      Bien que l'Alice Cooper Group soit l'instigateur du Shock-rock, les décors et les mises en scène n'ont jamais été un prétexte pour cacher des lacunes encombrantes, voire une certaine médiocrité. Au contraire de bien des formations. Toutefois, en raison de certains arrangements présents sur ce disque, "Grande Finale" et "Blue Turk" ne seront jamais joués en concert. Plus surprenant, "Alma Mater" n'a également jamais été repris.

   - Le contenant -     La pochette du vinyle a aussi son histoire. En effet, au verso des pieds de table se déplient pour la transformer en vieux pupitre d'écolier. Sur le dessus, les cinq belligérants ont gravé leur marque (ainsi que la Warner ... mais pas Bob), et lorsqu'on l'ouvre, de la même manière qu'un authentique pupitre, on découvre un fatras (dont lance-pierre, cran d'arrêt et bande dessinée, mais peu d'affaires nécessaires à tout élève studieux), et une photo du groupe en pochtrons. Evidemment, il y a le trente-trois tours ... soigneusement tenu au chaud par une petite culotte en papier. Par faute d'un décret prévenant de la dangerosité de sous-vêtements en papier, les nouvelles livraison sont bloquées. L'occasion d'un bref sujet pour les journaux, et par la même occasion, une bonne et - surtout - gratuite publicité. Enfin, presque, il y a le coût des petites culottes.



(1) Alma Mater, du latin signifiant "mère nourricière" et désignant l'université depuis Rabelais. Les Anglo-saxons l'emploient indifféremment pour un collège ou lycée. Les Américains reprennent ce terme pour désigner l'hymne d'une université.


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Autres articles / Alice Cooper (clic/lien) :
-  "Trash" (1989) + "Hey ! Stoopid" (1991)
-  "Brutal Planet" (2000)
-  "Killer" (1971)

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