- Encore une confrontation Claude… Mais, M'sieur Pat n'avait pas déjà
écrit une chronique sur cette sombre histoire de Faust ?
- Notre ami Pat avait en effet consacré un billet sur la Damnation de
Faust de Berlioz Sonia… Un opéra, ici une symphonie à programme de
Liszt…
- Ah Liszt ! Mais ça me revient, on ne parlait pas déjà du docteur
diabolique dans sa sonate en si mineur, un de tes papiers cette fois-là
?
- Absolument Sonia, et il existe aussi une Méphisto-Valse pour piano ou
orchestre… Tu sais Sonia, le mythe de Faust, hormis Goethe, a inspiré
environ 170 musiques, ballets, etc.
- Ah ouiii ! Une mine d'or que ce trio Faust-Marguerite-Méphistophélès
pour les artistes dit-donc… Pourquoi deux interprétations ?
- Je n'ai pas réussi à faire un choix subjectif, et par ailleurs je n'ai
jamais parlé de Jascha Horenstein, un grand maestro parmi les grands, mais
à la discographie trop étique…
Liszt vers 1857 |
À mon âge avancé (non Pat, pas le 4ème tout de même), je partage
la tristesse du
Docteur Faust nostalgique de la
jeunesse qui s'évade, croyant avoir perdu toute séduction… (- Ô pas tant que ça pour toi, Claude…). Suicidaire face à ses échecs, il invoque le diable qui lui envoie l'un
de ses conseillers en damnation (l’un des sept princes de l'enfer),
Méphistophélès qui, en échange
de son âme permettra, à Faust de
jouir des plaisirs de la vie pendant des années. Toujours insatisfait,
conseillé par Méphistophélès, le savant en pince enfin pour la jolie, fraîche, pieuse et pure
Marguerite. Faust, l'alchimiste, a cherché en vain à fuir les déceptions et à défier la
mort. Marguerite répondra
favorablement à cet amour… Il y aura maintes péripéties dramatiques. Mais
comme écrivait Edgar Allan Poe dans l'une de ses
histoires extraordinaires, "il ne faut jamais parier sa tête avec le diable" ! Terence Tamp l'apprend à ses dépens dans un court métrage tourné
par Fellini en 1967 pour un film collégial consacré aux contes
de l'écrivain.
Les spécialistes de la légende et les professeurs de lettres spécialistes
de Goethe vont hurler face aux libertés prises dans mon résumé… Car,
oui l'affaire est compliquée et grave !
Faust devra payer sa dette à
Lucifer (le boss) et plonger en
Enfer, Marguerite (personnage apparue en 1550 dans la légende) monte aux cieux… Sa pureté et sa prière pourront-elle sauver
Faust des tourments éternels ?
On associe souvent la légende de Faust à Goethe. Le poète qui a
immortalisé le personnage s'inspire d'une légende datant du XVème
siècle, elle-même nourrie de la vie supposée d'un
nécromancien de la Renaissance,
Georgius Sabellicus Faustus Junior. Des érudits font remonter la genèse de la légende au XIIème
siècle et même à des poèmes de Rutebeuf (1230-1285), l'époque des
troubadours. Les variantes du récit défient l'imagination. Soyons clair,
Goethe a influencé tous les musiciens et littérateurs du romantisme
avide de métaphysique et de fantastique.
Hormis les deux célèbres pièces de Goethe écrites entre
1808 et 1832, le mythe de
Faust a conduit à
174 créations dans les domaines artistiques les plus variés !! Une
liste a été établie par Wikipédia et l'écriture d'un petit logiciel m'a
permis de calculer ce nombre.
(Clic )
Quarante pièces, romans, œuvres pour la jeunesse et traductions…
Quarante-deux opéras dont la
Damnation de Faust
de
Berlioz
commentée par Pat
(Clic)
ou encore le
Faust
de
Gounod
pour citer deux must francophones… Huit ouvrages symphoniques, dont
la
Faust symphonie
de
Franz Liszt
écoutée ce jour et la grandiose seconde partie en forme d'oratorio de la
8ème symphonie
de
Mahler. La
sonate
du même
Liszt
en porte les influences. Dix-sept chorégraphies,
vingt-trois films, des BD, des chansons et du Rock, et j'en oublie,
voir le site…
- Waouh Claude, tu es sûr de ce que tu avances, 174, ça me paraît
beaucoup, il faudrait recompter dirait l'ex président Trump…
- Silence Sonia, j'ai une conception personnelle de la symphonie de Liszt,
je ne veux que Liszt et moi dans cette chronique, tu bavardes tout le
temps, silence !!!
- Je sors, désolée… (Claude connaît par cœur la grande vadrouille, il se
l'approprie ; hihihi)…
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Jascha Horenstein |
1857
:
Liszt
a 46 ans. Il réfléchit à une composition autour de la
tragédie de Goethe depuis
1850, des esquisses en témoignent.
Liszt
est associé à l'essor de la musique pianistique dans la dimension la plus
virtuose et difficile à interpréter qui soit. C'est en tant que pianiste
d'exception qu'il a conquis l'Europe entre 1827 et 1839. Je
vous incite à découvrir cette première période de sa carrière dans l'article
sur les cycles dits
Les années de Pèlerinage, trois ensembles pianistiques de forme libre à la thématique imaginative
et poétique composés en Suisse puis en Italie lors de sa fuite avec
Marie d'Agout déjà épouse d'un comte français, un beau
scandale (Clic). Une histoire d'adultère un peu folle digne d'un roman de
Flaubert ou de Stendhal.
Liszt
a montré dans son œuvre pour piano son manque d'intérêt pour les structures
académiques en usage à l'époque tant pour les quatuors, les sonates que pour
les symphonies. L'incontournable carré de mouvements :
Rapide, lent, menuet ou scherzo animé, final…
Peu de compositeurs et d'œuvres semblent échapper à la règle : quelques
sonates et
quatuors de
Beethoven, la
symphonie
"Rhénane" de
Schumann, la
symphonie inachevée
de
Schubert
(sans doute volontairement – pourquoi quatre mouvements quand avec deux tout
est dit) ! Un programme conservé même par les plus novateurs jusque dans les
années du postromantisme à la fin des années 30 et même après ; voir la
Symphonie N°3
de 1943 de l'autrichien maudit
Marcel Tyberg
(Clic). L'unique sonate de
Liszt
(1848-1850) est caractéristique de cet esprit franc-tireur et épouse une
forme de continuité du discours
en 3 parties réunissant
11 sections et déjà la présence
de Faust et des interrogations philosophiques sous-jacentes.
L'intérêt de
Liszt
pour l'orchestre est donc tardif et influencé en grande partie par son
amitié avec
Berlioz
et
Wagner. Ce dernier projetait d'écrire un opéra mettant en scène
Faust ; seule l'ouverture verra le jour et figure en complément sur
le disque de
Horenstein. (Franchement pas indispensable.) Liszt
n'écrira jamais de symphonie de schéma classique, et encore moins de musique
"pure" (sans substrat poétique ou littéraire) comme
Brahms
ou
Bruckner. Il invente en 1848 le
poème symphonique, pièce symphonique de dix à trente minutes illustrant un poème ou un récit
épique, ou encore un concept philosophique, la vie vs la mort. Le premier
assez vaste s'intitule "Ce que l'on entend sur la montagne" d'après Victor Hugo
(Clic). Douze autres suivront d'un intérêt très inégal. Le populaire "Les préludes" (Lamartine) m'indiffère par sa grandiloquence et sa cymbale
assommante.
Plutôt qu'une symphonie à programme comme la
Symphonie fantastique
ou
Harold en Italie
de
Berlioz,
Liszt
choisit une forme originale : trois portraits psychologiques :
Faust, Marguerite (Gretchen), Méphistophélès. Attention, pas trois poèmes symphoniques successifs ! Le travail sur les
liens via la riche thématique assure une profonde cohésion à l'évocation de
ce trio : occultisme,
amour
et maléfice formant le ciment
musical unissant les personnages. Conçu initialement pour petit orchestre
puis transcrite pour piano, l'ouvrage symphonique majeur de
Liszt
sera orchestré et complété par un final choral en 1857.
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Leonard Bernstein |
Leonard Bernstein |
Le titre de ce papier est trompeur. Aucune compétition entre
Jascha Horenstein
et
Léonard Bernstein. J'ignore comment départager le dynamisme sardonique de
Bernstein
jeune de la folie pointilliste de
Horenstein, deux défenseurs assidus de la
Faust symphonie. Deux gravures qui dominent la discographie, j'y reviendrai…
Je ne présente plus
Lenny
alias
Leonard Bernstein
déjà à la une de huit articles du blog dans un registre très vaste allant de
Mahler
à
Schumann
en passant par
Bruckner
et
Milhaud… Pianiste, maestro, compositeur et pédagogue, un caractère un soupçon
hédoniste comme
Karajan, mais avouons-le, une légende de la musique symphonique du XXème
siècle.
(Index)
Né en 1898 à Kiev en Ukraine,
Jascha Horenstein
fait partie de ces grands artistes comme
Bruno Walter
ou
Otto Klemperer, tous d'origine juive, dont la carrière sera chaotique car ils devront
fuir la folie meurtrière nazie. Les deux autres chefs garderont une certaine
célébrité car soutenus par des grands labels discographiques comme
CBS pour l'un et EMI pour l'autre. Ce n'est pas le cas pour
Horenstein.
Pourtant dès 1920, le jeune
Jascha
devient l'assistant de
Wilhelm Furtwängler
à Berlin, une paille ! Le légendaire chef prendra en main la
philharmonie
en 1922.
Horenstein
devient un spécialiste des musiques qui déroutent encore le public comme
Mahler
ou
Bruckner. (Une chronique sur son interprétation de la
3ème symphonie
de
Mahler, sans doute la référence –
vous savez comme je suis avare pour utiliser cette expression péremptoire - est prévue en 2021.) En parallèle il défend âprement les créations
contemporaines. On lui doit la promotion de la musique sérielle de
Berg, dont la première de son opéra
Wozzeck
à Paris en 1950. C'est un ami du compositeur danois
Carl Nielsen
(Clic). Il en assure la création en Allemagne de la
5ème
symphonie, œuvre brutale et angoissée, augurant dès 1922, tout comme la
4ème
de
Vaughan Williams
la chute aux abimes de l'Europe 15 ans plus tard. Il gravera pour
EMI (rare enregistrement chez la firme) une belle version de cette
symphonie.
Pendant la période nazie, il navigue dès 1933 (35 ans c'est encore jeune) de la France vers l'Australie, le Mexique puis les USA où on ne lui propose pas un poste à plein temps, le chef assurant des piges à la tête de phalanges par forcément très prestigieuses. Il devient cependant citoyen américain en 1940. Après le conflit, il dirigera souvent aux Royaume-Unis : Le symphonique de Londres (Mahler), Le Philharmonia (Nielsen) et surtout l'orchestre de la BBC. C'est un peu grâce aux archives de la radio british que l'on peut savourer la souplesse raffinée et pourtant énergique de son style. Il nous a légué un fabuleux Chant de la Terre de Mahler (Clic). J'avais découvert la 8ème de Bruckner avec son enregistrement des années 50. Une vision sans outrance à la tête du symphonique de Vienne. Elle a été rééditée avec la Faust symphonie sous le label Vox (Vox, Unicorn, Turnbout, rien pour se maintenir facilement dans les discothèques). Continuant à diriger Mahler sans relâche malgré les avis contraires des médecins, Il meurt en 1973 d'une crise cardiaque.
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Faust, Marguerite, Méphistophélès Lithographie de Delacroix de 1825 |
L'orchestration reste caractéristique du romantisme germanique mais reflète
l'influence de l'imaginatif
Berlioz
: 1 piccolo, 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 3
trompettes, 3 trombones, tuba, timbales, cymbales*, triangle, harpe et
cordes. Un ténor soliste et un chœur d'hommes (deux parties de ténors et une
seule partie de basses) dans le final et un grand orgue (ou harmonium pour
les petits budgets paroissiaux).
(*) Dont
Liszt
n’abuse pas, ce que j’apprécie grandement. La plupart du temps en
"classique", cet instrument ne s'utilise que pour marquer avec une emphase
fracassante la conclusion d'un climax… Exception :
Chostakovitch. Laissons nos amis batteurs des groupes de Rock et de Jazz colorer leur
musique avec maestria 😊.
Le formalisme pur et dur de la forme sonate ne passionne pas
Liszt. Dans sa symphonie, de ce dogme cher au romantisme musical, il n'en
conserve qu'en partie l'organisation basée sur l'exposition et la
réexposition de thèmes, le développement et les reprises. Mais justement
question thèmes il va plutôt les concevoir comme des leitmotiv (il n'est pas
ami de
Berlioz
ou de
Wagner
pour rien) mais abandonne les règles de répartition comme ABCA'B'C.
Je rappelle le principe élémentaire de la forme sonate : 2 thèmes principaux pour les mouvements 1, 2 et le final, pour le 3ème mouvement (2 thèmes structurent le scherzo et sa reprise, et 2 autres le trio). Le temps passant, des aventuriers comme Bruckner en écriront trois au moins pou chaque mouvement. Ils seront très élaborés, ainsi le thème initial de la 7ème symphonie s'étirera sur 21 mesures et 1'05" (deux sections, chacune de deux motifs). On comprend ainsi qu'avec quatre idées originales, le travail contrapunctique atteint un degré de variété extrême dans des morceaux approchant la demi-heure, sans lasser l'auditoire "attentif"… Liszt vise dans chaque portrait cette durée mais utilise un autre stratagème avec pas moins de cinq thèmes courts dans Faust, des motifs de quelques mesures illustrant, comme dans les opéras wagnériens, un leitmotiv : soulignant un trait de caractère ou évoquant un sentiment plus poétique…
Dans Gretchen et
Méphistophélès Liszt
introduit quatre nouveaux thèmes. Un total de 9 motifs, soit rien d'innovant
diriez-vous. Sauf que le compositeur mixe furtivement et avec malice ces
leitmotive entre les trois parties, unissant par là-même ce que l'on peut
tout de même désigner comme un vaste et épique poème symphonique ; on
pourrait évoquer malgré un découpage très précis et les sous-titres
explicites une musique de scène. Cet omniprésent lyrisme peut expliquer
l'ajout ultérieur de la
coda avec ténor et chœur, un surprenant
4ème mouvement
qui ne dit pas son nom mais fait songer à la
9ème
de
Beethoven
et au chœur des anges concluant la
Dante Symphonie
(Magnificat) en gestation. La
partition
avec ses 300 pages déjoue toute tentative d'une analyse concise.
Attachons-nous à quelques passages clés. Une analyse très complète de la
plume de Dominique Sourisse est disponible en ligne
(Clic). Dominique Sourisse répartit la thématique sur 5 thèmes principaux et des
thèmes secondaires ; pas de polémiques, ces différences de vue analytique
démontrent à quel point Liszt s'éloigne de tout académisme.
La première playlist regroupe les trois mouvements et la coda chorale sous la baguette de Jascha Horenstein dirigeant l'orchestre de Baden-Baden. La seconde vidéo correspond à l'interprétation de Leonard Bernstein à New-York en 1960. Le minutage indiqué est celui de cette seconde vidéo…
Texte de la tragédie de Goethe en édition anglaise |
1 – Faust : surgit un sombre la ♭ aux altos et violoncelles s'étirant decrescendo ff > p ; les "trois coups annonçant le drame en une note". Et déjà le premier thème A survient sur deux mesures, chacune incluant deux motifs arpégés ascendants. Oppression et désenchantement ? Génie expressif du thème exprimant angoisse existentielle et lassitude précoce du quotidien de Faust, l'alchimiste encore jeune, déçu d'une vie cheminant inéluctablement vers… la vieillesse et le trépas. Dessein ontologique aberrant qui sera au centre des symphonies 6 à 10 de Mahler au début du XXème siècle. Oui, ontologique car pourquoi Faust servirait le très-haut alors que Satan pourrait proposer l'immortalité ? Liszt nous plonge dans le débat métaphysique de l'œuvre en quelques notes dans la tonalité des âmes tristes : Ut mineur. [0:21] Suit un long arpège ascensionnel aux seconds violons prolongeant magnifiquement l'exposé du thème B, un soupir de désarroi, l'un des leitmotive piliers de la symphonie.
Le récit mélodique qui suit, dérivé de ces premiers leitmotive se
métamorphosant sans cesse, se révèle très innovant pour l'époque en regard
de l'univers très (trop) ordonné des modes d'écriture classiques. On
discerne l'usage de la gamme chromatique dans son intégralité malgré le Ut
mineur.
Schoenberg
avant l'heure ? Non car, les douze tons ne suivent en rien une série
dodécaphonique stricte. Mais avouons que comme
Wagner,
Liszt
explore ainsi des timbres énigmatiques cause d'incertitude émotionnel chez
l'auditeur. Les deux hommes s'échappent d'un carcan normalisé en termes de
solfège et de tonalité. Ce transformisme thématique et ces sonorités
indécises reflètent à merveille le cyclothymisme de
Faust, chaos d'insatisfaction face à ses recherches infructueuses, de manque de
reconnaissance exacerbant son orgueil de séducteur vieillissant… Cordes
graves et bassons supportant ces sombres méditations… [0:59] & [2:19]
Deux solos ténébreux de basson en arpèges descendants et aux accents
désespérés précèdent une reprise pour l'un et le début de l'allegro porté
par le troisième thème principal pour l'autre.
Pour Leonard Bernstein, la tristesse domine cette introduction. Faust s'abandonne et s'apitoie. Les cordes fluides et soyeuses de New-York chantent sans vibrato, glaciales. L'arrogance du personnage n'apparaît pas encore… Avec un discours plus rythmé, des bois cantabiles, des pauses affichant un vestige de logique dans la pensée du nécromancien, Jascha Horenstein dépeint un Faust désenchanté, plus gagné par la nostalgie que par la dépression avérée comme dans la vision de son confrère. Le dynamisme, le staccato, les couleurs franches même si le jeu des instruments de Baden-Badenest moins virtuose ne sont pas étrangers à ma fascination pour cette gravure.
[2:36] Suivant les larmoiements du basson, un passage allegro impetuoso
agreste, richement instrumenté, se nourrit de dissonances,
d'appogiatures et de ruptures de rythme. Après l'introduction mélancolique, voici le
retour d'un
Liszt
friand d'élans orchestraux féroces, le
Liszt
aux orchestrations volcaniques mais ici sans les tendances à la vulgarité de
certains poèmes symphoniques. Des sous-thèmes apparaissent, annonçant le
thème de l'allegro central, pierre angulaire de l'œuvre.
Débauche et luxure |
[3:57] L'allegro noté agitato et appassionato s'élance à grand traits vindicatifs des cordes. Faust retrouve son énergie, son "éternel masculin", le désir charnel sans équivoque… Le riche thème C développé sur quatre mesures en deux motifs serpentant dans toute la symphonie de Faust à Méphistophélès en passant par Gretchen… Rien d'étonnant. Toute la tragédie se résume à cette décision énergique de l'alchimiste de recourir aux forces magiques et diaboliques pour trouver l'âme sœur, le bonheur et la sensualité, une revanche sur le destin imposé par le Divin. Premier motif frémissant des trémolos aux cordes basses : Faust vindicatif, ourdissant un plan pour assouvir son but sacrilège ; second motif vivace, le désir impérieux de la jeunesse éternelle. Le développement illustre avec force les épisodes à venir… Leonard Bernstein réfute par sa direction élégante un Faust définitivement avide de débauche et de luxure. Son Faust se veut Dandy comme Dorian Gray d'Oscar Wilde qui avait les mêmes troubles narcissiques, un parallèle qui n'engage que moi… Jascha Horenstein n'absout en rien Faust. Le phrasé abrupt reste cinglant et impétueux comme la sécheresse du cœur du héros. Les connaisseurs ne seront pas surpris que Horenstein soit plus soucieux que Bernstein du respect des tempos acérés voulus par Liszt. (1H11 pour Bernstein, 1H05 pour Horenstein, exceptionnellement fringant - moyenne chez les maestros : 1H15.)
Le flot musical se prolonge avec une élégiaque liberté comme à [6:13] où la
tempête symphonique laisse place à une mélopée amoureuse et son
groupe thématique D. [10:02] Cors et trompettes introduisent le
thème E, celui du
Faust glorieux qui devrait se
méfier des petits arrangements entre amis avec les sbires de Lucifer 😊.
2 – Gretchen
: Dans ses poèmes symphoniques,
Liszt
nous habituera aux contrastes entre quelques mesures poétiques et des
déferlements ffffff de cuivres et de percussions parfois jusqu'au
mauvais goût braillard ;
Héroïde funèbre
(assez proche de la
Symphonie funèbre et triomphale
de
Berlioz), ou
La bataille des Huns
(titre évocateur) côtoient l'insupportable 😆.
Liszt
reste avant tout avec
Chopin
lié au piano moderne, tant par la virtuosité exigée, la prolifique
production, l'évolution de la technique de l'instrument. Novateur acharné,
ami de
Wagner, il fera preuve d'un talent imaginatif dans l'univers symphonique mais pas
génial au sens d'un
Beethoven. Très inégaux, les poèmes symphoniques établissent surtout un pont
définitif entre l'orchestre et le romantisme littéraire ou philosophique.
La Faust symphonie
est son unique chef-d'œuvre, sa partition la plus indispensable. La
Dante symphonie
écoutée l'an passé, construite à l'identique en trois parties dont un chœur
féminin conclusif, souffre parfois des lourdeurs citées avant.
Tout cela pour affirmer que
Gretchen est sans nul doute
l'Andante le plus tendre, raffiné et équilibré de la main du compositeur.
Cette partie dure une vingtaine de minutes.
Marguerite au rouet - Ary Scheffer |
[27:28] Le portrait de la douce Marguerite, en dehors de tenir le rôle de mouvement lent de la symphonie, apparait comme l'antithèse de l'esprit de l'allegro peignant un Faust aigri et rancunier, démoniaque et vociférant. Une introduction fredonnée par le quatuor des flûtes et des clarinettes renvoie au tableau ci-contre : une jeune fille rêveuse, timide et les mains croisées suggérant un instant de méditation (prière ?).
La singularité songeuse de la couleur sonore découle de l'opposition entre La 𝄬 majeur vs Sol # mineur inscrites sur les portées de chaque vent, encore une audace tonale. [28:47] Le thème G, fluide, symbole d'une féminité d'apparence "fleur bleue" (J. Sourisse) est exposé en duo par le hautbois et un alto. Liszt note "avec douceur et simplicité". Non Sonia ! la pureté de Marguerite est sincère, elle n'est aucunement simplette. la ligne mélodique se déploie avec charme, mais sans fioritures maniérées démasquant une possible galante sournoise. On retrouvera ce thème dans Méphistophélès lors du départ de Marguerite pour les cieux.
Comme toute jeune femme, notre héroïne rêve à l'amour chevaleresque.
[29:33] Ce sentimentalisme se traduit par un léger changement d'atmosphère
et le déploiement du thème H, nouveau duo délicat, entre la
clarinette et les premiers violons cette fois-ci. Une entrée en matière
somme toute de forme sonate usuelle qui enchaîne sur un sublime
développement dans lequel, sans surcharges, les instruments chantent les
pensées sensuelles de la donzelle. L'orchestre gagnera en puissance,
entrecroisant divers leitmotive. [36:06] Des accords de cors introduisent le
développement central émaillé de motifs secondaires ; un enchantement :
arpège des harpes, solo sensuel du violoncelle… la passion dévorante. On
pense à
Tristan.
Le legato prononcé imposé par
Leonard Bernstein
joue la carte de l'affection teintée de volupté. La plastique sonore de
l'orchestre sonne comme en écho au Faust
initial (allegro). L'alchimiste est enfin un courtisan heureux, inconscient
de la dette qui l'attend.
Jascha Horenstein avec toujours une battue plus soutenue nous présente une jeune fille moins timorée, plus ardente. Le duo clarinette – alto affirme la certitude de rencontrer "mon doux prince" plutôt que l'espoir platonique d'une midinette. La direction du chef accentue l'opiniâtreté de l'héroïne que l'on retrouve ici moins lascive qu'avec Bernstein. Deux interprétations qui ne s'opposent pas, les deux maestros adjoignent les innombrables facettes romanesques de cet andante féerique. Bien que plus ancien, la prise de son à Baden-Baden magnifie l'orchestration ; on entend "pour une fois" les détails les plus subtils (coup de fouet ppp sur la cymbale).
Méphistophélès |
3 – Méphistophélès
: "Me voilààààà !!!!!" Ah oui, en effet Sonia, cette réplique jaillit dans la
Damnation de Faust
de
Berlioz, désolé. Un diable assistant débonnaire et rigolard (article de Pat). Si Berlioz ensorcelle la belle lors du menuet des Feux Follets, des esprits plus
taquins que malfaisants, Liszt sort le grand jeu des créatures infernales. [48:18] Farfadets et
autres follets se déchaînent dans une introduction notée allegro vivace
ironico… Des traits sataniques aux cordes basses entrecoupés d'accords
staccato réunissant bois, pizzicati, triangle et une pincée de cymbale.
Comique et inquiétant ce ballet de la garde rapprochée de
Méphistophélès. [48:43] le thème H de
Méphistophélès surgit de cette
bacchanale, prêtez l'oreille, seulement trois notes lors de la discrète
entrée des cors.
Musicalement le tumulte est cocasse, les créatures batifolent. Après tout
Faust recourt à
Méphistophélès en tant que
conseiller conjugal. Après diverses propositions d'expériences épicuriennes
vulgaires qui déçoivent Faust, le démoniaque manipulateur envoûte
Faust et
Marguerite à l'aide des follets
pour l'un et des sylphes pour émoustiller la seconde. La bagatelle sera au
rendez-vous…
En termes de composition, la construction de la troisième partie
complexifie avec gourmandise la structure musicale.
Méphistophélès n'est
qu'agitation, bravades, fantasmagories.
Liszt
conçoit une forme de scherzo sardonique. Les motifs de
Faust et de
Marguerite font leur retour mais
de manière grotesque car déformés par un
Méphistophélès satanique et
pervers. Oui, le flot musical est perverti jusqu'à l'absurde : ruptures de
rythme incessantes, l'anarchie des tonalités, férocité ludique de
l'orchestration.
Méphistophélès corrompt les âmes
et les mélodies en opposition au chant suave et raffiné de
Gretchen. On peut imaginer à juste titre que la découverte de la bestialité du
final de
La symphonie fantastique
de
Berlioz
a influencé l'écriture de
Liszt
grand admirateur de l'œuvre et du compositeur. Ce cyclone symphonique
hystérique ne pourrait que suggérer la victoire tant attendu de
Méphistophélès après que
Marguerite ait été séduite à son
grand désarroi… Elle a été trahie (voir le résumé de la pièce). [56:46] La
furie est interrompue par la mélopée des milles regrets jouée au hautbois
soutenu par les cors et des cordes. Le thème I de
Méphistophélès reprend, le démon
étant à la fois découragé et vengeur. La contrition de
Marguerite sauvera-t-elle
Faust de la damnation ? des
accents joyeux disséminés dans une fausse coda martiale suggère que oui…
[1:02:40] Flûte et harpe reprennent le thème serein de la rédemption.
L'orchestre énonce le thème de la conclusion ajoutée par
Liszt
ultérieurement, pas forcément de la dentelle. [1:04:14] Le chœur masculin
entonne le texte dit "de l'éternel féminin" repris par le ténor. Sympa, un rien précieux et le mugissement de l'orgue
n'allège guère cette coda à mon sens superflue…
Liszt
et sa petite manie d'un certain pompiérisme… Grandiose certes !
Leonard Bernstein
cabotine dans l'introduction, un joli sujet de ballet frénétique pour son
copain chorégraphe Jérôme Robbins. Le chef se domine en évitant son
travers habituel, à savoir adapter les tempos de manière hédoniste. Le drame
sulfureux ourdi par
Méphistophélès donne lieu à une
farouche et caricaturale orgie instrumentale. Le chef américain assure
jusqu'au point d'orgue l'ironico
imposé, une vision drolatique. Faire gueuler l'orgue à ce point dans les
ultimes mesures ne s'imposait pas, mais tolérons un peu de maniérisme de la
part de
Bernstein
à la fin de sa performance bien déjantée…
Quant à
Horenstein, l'humour est bien là mais avec l'hypocrisie du démon en plus. On gagne
encore en précision dans le discours, aucun instrument n'échappe à la
sagacité du maître dans cette orchestre luxuriant. On subit une marche vers
les flammes éternelles, implacablement. Les traits de cordes sont anguleux.
Son Méphistophélès se réjouit du
mal qu'il insuffle, démon facétieux peut-être, mais un monstre quand même.
Sans jeu de mots, le flot sonore est plus endiablé que celui de
Bernstein
sans pour autant que le maestro recourt à des accelerandos malvenus. Et puis
la notation mysterioso fréquente dans
les passages méditatifs est respectée à la lettre, y compris dans le chœur
aucunement emphatique, même l'orgue se fait discret. Hélas le son des voix
est aigrelet.
Texte chanté : (Faust II Acte V - Ravins, forêt, rochers, solitude)
Alles Vergängliche ist nur ein Gleichnis; |
Tout ce qui est passager n'est qu'image ; |
Deux interprétations inspirées, poétique et fougueuse chez
Bernstein, dantesque chez
Horenstein. Impossible à départager car dans les deux cas indispensables et
cultissimes.
Les noms des ténors solistes :
Ferdinand Koch
(1927-1990 & chef de chœur) avec
Horenstein
;
Charles Bressler
(1926-1996) avec
Bernstein.
- Une préférence personnelle Claude ?
- Difficile à dire Sonia ; Horenstein pour être sincère… Bernstein à
Boston pour la splendeur sonore quoique moins engagée qu'à New-York...
C'est une colle Sonia ? 😈
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~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Curieusement, beaucoup d'enregistrements disponibles mais peu de réussites
flagrantes. L'opulence de l'orchestration lisztienne et la force minérale
des mouvements extrêmes, opposées à la langueur innocente de Marguerite,
défient le talent des chefs et des orchestres, à l'évidence. Pas de
dénonciation, vous seriez surpris par la liste des maestros qui ont
trébuchés : trop long, discours brouillons, enchaînements désordonnés, etc.
Aux deux disques écoutés, j'en ajoute trois concurrents ou presque.
En 1972,
Horenstein, passionné par l'ouvrage, comme
Bernstein, dirige l'un des
orchestres de la BBC
dans une interprétation tout aussi passionnée qu'en 1957. La
particularité du chef est de favoriser la peinture psychologique des trois
protagonistes avant le brio de la partition ; sa marque de fabrique si je
puis me permettre (BBC – 5/6). Son live un peu étriquée certes…
Vingt ans après l'orgie newyorkaise,
Bernstein
se confronte à lui-même avec l'une des plus belles phalanges américaines :
le
symphonique de Boston. Le chef en fin de carrière ralentit tous les tempos dans ses gravures. La
rage sabbatique de 1960 fait place au romanesque, la diction sonore
manifeste un legato d'une précision horlogère et quelles couleurs… les cors
dans l'introduction, la finesse sans vibrato des violons… Deux références
pour le même maestro, c'est rare (DG – 6/6).
Aller, un petit joker ! La clarté énergique légendaire des orchestres
anglais et américains participent grandement à éclaircir le tissu orchestral
épais de
Liszt. Ou alors des orchestres germaniques rompus à la musique moderne comme le
SWR de Baden-Baden.
Riccardo Muti
en italien bouillant nous offre avec l'orchestre de Philadelphie, dressé à la minutie pendant cinquante ans par
Eugène Ormandy, une version d'un beau lyrisme ; on ne change pas un chef d'opéra de ce
niveau 😉 (EMI -5/6).
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