MOONFLEET est tout à la fois. Un film d’aventures, de cape et d’épée, un conte initiatique, un drame gothique, de l'épouvante, si on se place à hauteur de jeunes spectateurs. Je ne saurais trop vous conseiller de montrer ce film à vos gamins, à partir de 10 ans ça devrait passer, mais ne dites surtout pas que c'est une vieillerie âgée de 70 ans !
C’est aussi le
premier film en cinémascope de Fritz Lang, qui n’aimait pas trop ce
format, question de génération, vraisemblablement imposé par la MGM. Le réalisateur garde un mauvais souvenir du tournage. Viré de la MGM 20 ans plus tôt, il y revient non sans amertume, avouant à propos du film : « J’ai signé un contrat, j’ai fait de
mon mieux ». Il se plaint de sa vedette, l'élégant Stewart Granger dans le rôle de Jeremy Fox, qui ne connaît pas
son texte et retarde le tournage, comme du jeune Jon Whiteley pas très juste dans son interprétation, ce qui n'est pas faux. Je trouve généralement les gamins assez mauvais dans les films hollywoodiens.
Et pourtant, MOONFLEET est une merveilleuse réussite, qui s’inscrit parfaitement dans le parcours du créateur de METROPOLIS, M. LE MAUDIT, MABUSE (il aimait la lettre M !) THE BIG HEAT ou LE TIGRE DU BENGALE. S’y confrontent deux sociétés verticalement opposées, les nantis et profiteurs en haut, le peuple et les esclaves en bas, ceux qui accumulent les richesses et en jouissent, et ceux qui en sont spoliés. Ici, la débauche des fêtes arrosées de Cognac chez Lord Ashwood (cette merveilleuse crapule de George Sanders) où Fox papillonne de femmes en femmes, et les contrebandiers menés à coup de trique dans les grottes et tunnels souterrains.
C’est un des films
qui exploitent au mieux le format scope. Fritz Lang ne filme quasiment qu’en
longs plans larges, ce qui laisse de l'espace aux comédiens, et permet de composer des cadres, au sens pictural. Après un générique grandiose de vagues qui se brisent sur les rochers, on suit un gamin, John Mohune, arpenter une lande hostile, de nuit, trouver
refuge dans une auberge peuplée d'ivrognes, demander après un certain Mister Fox. Bousculé, foutu à terre, le minot défie depuis le sol les mines patibulaires des adultes. Superbe plan en contre plongée sur les trognes vérolées qui emplissent l'écran. Lang adopte le point de vue de l"enfant.
Quand Jeremy Fox débarque, ça calme tout le monde. Regardez comment Lang exploite le format large. Sa caméra cadre l'entrée de Fox, théâtrale, puis recule en travelling arrière pour appréhender tout l’espace, fermé à droite par un Fox droit dans ses bottes, sapé comme un lord, et à l’opposé la dizaine de péquenauds dépenaillés transis de peur. Tout est dit du rapport de force entre ces gars-là, en un seul plan. Du grand art.
L’histoire est celle de John Mohune, orphelin de père, dont la mère sans ressource lui a confié une lettre à l’attention de Fox. « C’est mon fils, prends soin de lui ». Pour l’enfant, Fox fait figure de héros, de sauveur, de droiture. Il découvrira que Fox est le chef de contrebandiers pourchassés par le policier Maskew, qui lorsqu’il en attrape, les pend aux arbres pour l’exemple.
Voilà l’univers dans lequel Fritz Lang plonge son jeune héros, qui s'apparente à un cauchemar. Le film se déroule presque exclusivement de nuit, et à part la scène sur la plage, superbe, avec Mrs Minton et les soldats, tout les décors sont reconstitués en studio, ce qui renforce cet aspect surréel. On y voit des pendus aux arbres, des statues effrayantes d’anges maléfiques, des sculptures de bêtes, des cryptes sombres, des cimetières vandalisés par la tempête, l’ancienne propriété en ruine de la famille Mohune, bouffée par les ronces.
Le gamin, trop curieux, manque d’être trucidé toutes les cinq minutes, giflé, séquestré, enfermé vivant dans une crypte par des contrebandiers qui ignoraient sa présence, dans la célèbre scène finale, c’est à lui que revient de descendre au fond d’un puits pour y chercher le trésor de Barberousse, le Youkounkoun local, une légende qui finalement a sans doute un fond de vérité.
C’est cet aspect qui est épatant. En 1h23 top chrono, Lang brosse un film d’aventures dans la lignée de L’ÎLE AU TRÉSOR, tout n’est que mystère, poursuite, trahison, évasion. La filmographie de Lang est nourrie de ces romans-feuilletons à rebondissements, en 1919 - merde, y’a un siècle ! - il avait adapté son propre roman LES ARAIGNÉES, formidable récit feuilletonesque dans la veine des Fantômas.
Le rythme n’apparaît pas trépidant parce que les plans sont longs, donc peu de montage. Mais le récit multiplie les péripéties que Lang enchaîne sans temps mort ni scènes superflues. Il y a un combat extraordinaire entre Fox et un malfrat, l'un à l’épée, l’autre à la hallebarde, d’autant plus impressionnant que juste filmée en deux ou trois plans larges. Stewart Granger était le héros de SCARAMOUCHE (clic vers Scaramouche) la MGM exigeait donc des duels pour satisfaire le public, ce qui emmerdait Lang, mais un contrat et un contrat…
Le personnage de
Jeremy Fox est complexe. Violent, corrompu, autoritaire, mais ébranlé par l’apparition de l’enfant
dans sa vie, dont on se dit qu’il est le sien, bien que cela ne soit jamais
mentionné. Le film, autre qualité, garde ses zones d'ombres. De même cette Mrs Minton, qui
est-elle vraiment ? Fox est un homme d’affaires rigide, et un
charmeur impénitent. Lors d’une fête, après la danse débridée d’une gitane sulfureuse aux cuisses
lustrées, les convives jouent à colin-maillard, la femme de Lord Ashwood, les
yeux bandés, reconnaît Fox uniquement par le goût de ses lèvres… Hum… Récapitulons : la gitane, la Minton, la Ashwood, la Mohune... tout le casting féminin y passe, quel tempérament ce Fox !
Le film est raconté du point de vue de John Mohune (c’est pourquoi les jeunes spectateurs peuvent s’y reconnaître) qui s’émancipe, pauv’ gosse, dans un monde malfamé, violent, sombre, trompeur, lui qui voulait juste avoir la protection d’un ami. « Ami », est le dernier mot du film, en parlant de Fox, qui avait prévenu par cette réplique cinglante : « Le Diable et moi sommes devenus amis ».
LES CONTREBANDIERS DE MOONFLEET, mal-aimé de Fritz Lang, est pourtant un joyau maléfique et ambigu à souhait, doublé d’un formidable film d’aventures, que d’aucuns considèrent comme son chef d’œuvre américain.
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