vendredi 26 juin 2020

SCARAMOUCHE de George Sidney (1952) par Luc B.


SCARAMOUCHE serait le plus beau film de cape et d’épée jamais réalisé. Rien que ça. En y regardant d’un peu plus près, effectivement…

La même année, le même acteur Stewart Granger** tournait LE PRISONNIER DE ZENDA (Richard Thorpe) qui n’est pas mal non plus. Et puis du même réalisateur George Sidney, quatre ans plus tôt, il y avait eu LES TROIS MOUSQUETAIRES. Le film avait cartonné. La bonne idée avait été de confier cette adaptation d’Alexandre Dumas au réalisateur George Sidney, jusque-là aimable tâcheron spécialisé dans la comédie musicale, car son d’Artagnan était interprété par Gene Kelly, qui y chorégraphiait les combats. La meilleure version cinématographique du roman. Du jour au lendemain Sidney se voit coiffé de la casquette de réalisateur d’aventures, et la MGM met à son service toute son armada de techniciens, décorateurs, directeurs artistiques, dialoguistes, pour produire, donc, le plus grand film de cape et d’épée de tous les temps.
Il y a bien un record battu dans SCARAMOUCHE : le duel final. Le plus long jamais tourné : 6 minutes et 25 secondes, 115 plans, où Stewart Granger et Mel Ferrer ferraillent comme des diables dans le théâtre du château de Versailles : de la scène au balcon, en équilibre au-dessus des spectateurs médusés, puis dans les couloirs, les escaliers, dans la salle puis dans les coulisses. Ce morceau de bravoure ne doit pourtant pas occulter les autres qualités du film. Et en premier lieu, son scénario.
SCARAMOUCHE ressemble à une bluette mais son intrigue est beaucoup plus complexe et riche qu’on ne le pense. Le film s’ouvre avec le méchant : le marquis Noël de Maynes, joué par le distingué Mel Ferrer, aussi danseur, la démarche féline. Odieux personnage, la meilleure lame du pays, à qui Marie Antoinette confie la mission d’éliminer l’auteur de pamphlets politiques qui agit sous le pseudo de Marcus Brutus. Qui s’appelle en réalité Philippe de Valmorin. Ce dernier se planque, aidé par son ami André Moreau***. Un malheureux hasard fait se croiser Valmorin et de Maynes, qui le provoque en duel et le tue. Moreau hurle au meurtre, et c’en est un, au sens où de Maynes est bien meilleur escrimeur, et provoque volontairement ses futures victimes. Il est aussi député, c’est ainsi qu’il se débarrasse de ses adversaires politiques, « rendez-vous demain à 6 heures derrière l’église, vous me rendrez raison… ». Un pur salaud j’vous dis. André Moreau jure de se venger…    
Ce n’est que le premier degré, car il y a aussi deux personnages féminins. Aline de Gavrillac qui est promise à de Maynes mais qui succombera aux charmes d’André Moreau. Qui pense qu’elle est sa sœur alors que non… Ce qui rend jaloux Léonore, une actrice fiancée à Moreau. Et Scaramouche ? C’est un personnage et acteur de la comedia del arte, qui joue masqué pour cacher sa laideur. André Moreau va intégrer clandestinement cette troupe de théâtre, reprendre le rôle de Scaramouche, une couverture qui va lui servir à planifier sa vengeance.
La MGM a mis les petits plats dans les grands. Tout est somptueux dans ce film. La première chevauchée filmée à toutes allures en voiture travelling dans la campagne brumeuse, la rencontre d’Aline de Gavrillac et Moreau, elle, lumineuse en robe mauve à frou-frou assise au pied d’un arbre alors que sa voiture est embourbée, lui au charme ravageur faisant mine de lui lire les lignes de la main. Aline est jouée par la divine Janet Leigh (célèbre pour une douche fatale dans PSYCHOSE). Elle irradie de beauté, un peu nunuche au départ, mais son personnage s’épaissit, c’est elle qui va trouver les moyens d’éloigner de Maynes de l’Assemblée Nationale l’empêchant de décimer les députés du Tiers-Etat.  
SCARAMOUCHE n’est pas une œuvre d’auteur (George Sidney n’était qu’un bon technicien) mais un divertissement de luxe comme Hollywood savait en trousser. Le bon dosage d’aventure, de romance, de drame et de comédie. Comédie, les relations tendues entre André et Léonore en témoignent, jusqu’à cette scène de ménage à coup de casseroles, puis les scènes de représentations au théâtre, les gags de la pantomime. Léonore est jouée par Eleanor Parker (une petite bombe qui a remplacé Ava Gardner prévue pour le rôle) toute en chevelure rousse flamboyante, à la Rita Hayworth. Petit détail, c’est en embrassant Scaramouche sur scène qu’elle reconnait André sous le masque. Quelle riche idée que ces deux personnages féminins, la douceur de l’une, le tempérament volcanique de l’autre, mais chacune bien déterminée à ne pas jouer les potiches.
Le film joue du début à la fin sur les faux semblants, identités secrètes, écrivains clandestins, déguisements, masques, tours de passe-passe (la trappe secrète sur la scène de théâtre) c’est en cela que le scénario est plein de richesses. Le marquis de Maynes est un homme charmant, affable, dévoué aux yeux d’Aline de Graville, mais un assassin hautain pour André Moreau. Lorsque de Maynes tombe sur le pamphlet intitulé Liberté, Egalité, Fraternité, il dit : « Egalité ? Ceux qui naissent dans le ruisseau méritent d’y rester », « Fraternité ? je suis le marquis de Maynes, je ne suis pas votre frère ».
Qui dit cape et épée, dit duel. Il y en a quatre dans le film. Par rapport aux films contemporains où les scènes d’action sont filmées très proches, multi-angles, ce qui permet de ne pas fatiguer l’acteur qui joue par petits morceaux et peut être doublé sans que cela ne se voie, SCARAMOUCHE privilégie au contraire les plans généraux. Ce que l’on voit à l’écran est réellement ce qui s’est joué en plateau, comme c’est le cas des comédies musicales. George Sidney adopte la même méthode. Il place souvent sa caméra en contre plongée, ça impressionne toujours, donne de l’espace, on voit les plafonds hauts richement ornés, on profite des décors chatoyants.
Idée géniale du scénario : s’il veut combattre de Maynes, André Moreau doit se perfectionner au combat. Il choisit comme maitre d’armes Doutreval, le professeur du marquis de Naynes. Quand celui-ci ne peut plus assurer les cours, Moreau lui demande le nom de celui qui l’a formé : « Quoi de plus concevable dans ce monde de fou que d’apprendre avec l’homme qui a appris à l’homme qui apprend à mon ennemi » 
SCARAMOUCHE est aussi l’histoire de France revue par Hollywood. On se pince pour y croire. S’il y a une Marie Antoinette, on ne voit pas de Louis XVI ni aucun personnages réels de l’époque, même pas mentionnés. Par rapport au roman, les évènements historiques sont gommés, la Révolution en marche n’est qu’un prétexte (les pamphlets Liberté, Egalité, Fraternité de Marcus Brutus) et cela culmine avec le dernier plan où on aperçoit furtivement le nouvel amant de Léonore : Napoléon. Mais l’image classique du Napoléon empereur, alors que Marie Antoinette est encore reine de France !
Le rythme échevelé de l’intrigue et les multiples rebondissements font de SCARAMOUCHE un classique étincelant. On ne s’y ennuie jamais. Ce n’est jamais niais. Jusque deux minutes avant la fin, il s’y passe encore des trucs, des surprises, dont cette question : pourquoi André Moreau épargne-t-il son ennemi juré, pourtant à portée de fleuret ? Un indice, les producteurs avaient un temps imaginé faire jouer Moreau et de Maynes par le même acteur. La dernière séquence tournée n’a finalement pas été incluse au montage : de Maynes lynché par la foule. Jugée trop dramatique, le film se clôt sur le ton de la comédie, avec le gag du bouquet de fleur, artifice théâtral intemporel.
Alors, le plus beau film de cape et d’épée du monde de l’univers ? Reste à connaitre les autres prétendants au titre. Ah bah zut, y'en a pas.

couleur  -  1h55  -  format 1:1.37
** Selon l'aveu de ma mère, Stewart Granger correspondait à l'homme idéal, elle m'a avoué avoir eu un faible pour ce beau brun ténébreux. Le gars avait, il est vrai, une certaine prestance.

*** Les noms des personnages et des lieux sont prononcés par les acteurs américains avec l’accent français, histoire de donner dans le pittoresque, c’est juste un régal !  Andwé Morôôôw…  

        

4 commentaires:

  1. On peut voir les mêmes falzars dans le Roméo & Juliette de Zeffirelli (un must soit dit en passant).
    Allez, quelques indices pour vendredi prochain?...

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  2. Je dirais... 1) Hollywood se regarde le nombril 2) Des acteurs du muet qui parlent 3) Une voix-off venue d'outre-tombe (fastoche...)

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  3. Non, pas Johnny Depp. Etait-il né d'ailleurs ? Après vérification, non.

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