mercredi 28 octobre 2020

VAN HALEN "Women and Children First" (1980), by Bruno



"Well, they say it's kinda frightnin'. How this younger generation swings ? ... At an early age, he hits in the street. Winds up tired with who he meets, and he's unemployed ! And The Cradle Wiiill RoooOock "

     C'est par un gros et puissant Heavy-rock, peinant à se mouvoir, encore plus à bondir, que débute cet album. Un exercice relativement sobre pour les quatre Californiens. Un Heavy-rock conventionnel auquel la troupe n'a pas pour habitude, pour l'instant, de s'y frotter  - à l'exception de l'exquis "Dance the Night Away" -. David Lee Roth pousse bien quelques cris d'orfraie (probablement secondé par Michael Anthony), et Edward Van Halen envoie, tranquillement, un magnifique solo en deux parties. Une première basée sur sa technique de tapping et la seconde plus classique, héritage direct du Hard-blues (pour mémoire, Eddie c'est fait les doigts sur l'intrégrale de Cream). Sans que personne n'en sache rien, Eddie emploie ici pour la première fois sur disque des claviers. Précisément sur un antique Wurtlizer branché dans un Marshall reconditionné par ses soins, pour jouer le riff (reproduit sur scène par Michael Anthony). Du costaud, de qualité certes, nanti d'une certaine classe avec un refrain accrocheur, cependant, le quatuor semble s'être assagi…  jusqu'à "Everybody Wants Some !!".  


   Une merveille. Alex Van Halen intronise le morceau sur un pattern absolument tribal, tandis que le blondinet de service, hypnotisé par le tempo "jungle" - ou un poil gai après s'être rincé le gosier avec quelques verres de Jack's -, se la joue un primate en rut avant de lancer carrément le cri emblématique de Tarzan. Ce qui aurait pu paraître saugrenu ou ridicule avec d'autres, passe néanmoins très bien avec l'énergumène chanteur. Ce singulier hurlement annonce l'arrivée de la guitare d'Eddie qui, jusqu'alors, n'avait jamais revêtu de teintes sombres et graves. Même si le refrain est festif, le groupe insuffle une pesante aura de menace. Cela bien que le sujet soit léger, évoquant l'irrésistible sex-appeal d'une damoiselle. Et peut-être aussi du simple désir de posséder. Un titre imprégné d'urgence et aussi d'une apparente et délicieuse improvisation marquée par l'interruption brutale du chanteur, lorsqu'il tente d'entamer son monologue sur le tapis tribal d'Alex, par un riff primaire généreusement épaissi par une distorsion gargantuesque, . 
"I like... " TaTaaammm "I like the way the line runs up the back of the stocking. " TaTaaammm " I've always liked those kind og high heels too know, I... No, no, no, no ! Don't take them off, don't take"

En concert, Alex rallonge l'intro sur un rythme échevelé, fusion de cadence latino et de vaudou, pendant que le blondinet, jamais fatigué d'attirer l'attention, exécute une danse improvisée, sous les spots de l'estrade soutenant l'imposant kit de batterie.

     L'introduction de "Fools" prend son temps, Eddie improvisant tranquillement quelques phrases aux consonances bluesy et Roth extrudant des râles comme un bluesman en souffrance. Un préambule brusquement désamorcé (décidément) par un gros solo éruptif, finissant dans un tapping à l'image d'une avalanche lumineuse (d'épaisses harmoniques martelées par les phalanges), qui intronise un Hard-boogie blues binaire, direct et rentre-dedans. Une pièce repéchée de leur prime répertoire, datant d'avant l'arrivée de Roth et d'Anthony Sobolewski, dépoussiérée pour l'occasion. Lustrée comme les chromes d'un hot-rod rutilant et affutée comme un coupe-choux. Roth clame pour la première fois, trois ans avant "Hot for Teacher", son aversion pour l'école et les études, revendiquant crânement son rôle de cancre. "Well, I ain't about to go to school and I'm sick and tired of golden rules. They say I'm crazy the wrong side of the tracks... My teachers all gave up on me. No matter what they say, I disagree and when I need something to soothe my soul, I listen too much Rock'n'Roll". 


  Avec "Romeo Delight", la troupe mue en arme de guerre. Un killdozer aveugle lancé à toute berzingue, broyant sans discernement toutes choses sur son passage. Les quelques mouvements calmes ponctuant cette course sanglante - avec la basse pulsant comme un cœur après un sprint - ne font qu'intensifier cette bourrasque de Metal. Jusqu'au dernier mouvement qui donne la sensation de recevoir en pleine poire une salve de copeaux de diverses matières, recrachés par la mâchoire grimaçante de la killing machineRoth en fait des tonnes, multipliant (tout au long de l'album), cris de berserker ou de damoiselle en détresse, rugissements animal, soupirs et râles en tout genre. Et pourtant ça passe. Bien que parfois proche de tomber dans la caricature et l'absurde, l'art extravagant du chanteur le garde de toute chute. En fait, ce n'est rien de plus que la subtile récupération et la combinaison de la folie de Nugent, de la rage de Gillan, de l'excentricité de Steven Tyler et de l'expressivité des shouters extravertis de Blues. Roth serait presque comme une espèce de Cab Calloway converti corps et âme au Hard-rock.

     La seconde face ne laisse pas reposer les esgourdes, déjà copieusement échauffées, de l'auditeur ; le groupe les malaxe (les oreilles, pas l'auditeur), les compresse dans une poigne de fer, avec méthode et sadisme.  Ainsi, d'entrée, "Tora ! Tora !", - court interlude généralement considéré comme une parodie de Black Sabbath (avec qui le groupe avait tourné et sympathisé, en dépit d'une rude concurrence qui donna la forte sensation aux brummies de n'être plus dans le coup) - avec ses cris de frappadingues, de psychopathes et de triomphantes sorcières ivres, plante un décor faisant passé l'asile d'Arkham pour un EHPAD. Moins d'une minute de folie pure servant d'introduction au surexcité et trépidant "Loss of Control". Un truc de dingue lancé à 200 à l'heure, avec double-blast du frérot et guitare-Saco M60 défouraillant à tout va. Sans distinction. Sur ce tempo effréné et sinoque, David attrape au vol cette machine de guerre, improvisant visiblement des paroles dans l'urgence (et qui tiennent - sans exagérer - sur un Post-it). Pour entrer dans le jeu et se fondre dans ce bref ouragan, il filtre sa voix par un effet de talkie-walkie, imitant ainsi la tonalité d'un pilote en mission commando. Les cris de déments, directement pompé sur Ian Gillan, renforcent cette sensation de groupe de calus. La petite bande, pas le moins du monde soucieuse des retombées commerciales - le morceau ne l'étant d'aucune manière -, réalise un clip artisanal initialement dédié à l'Europe, filmé dans une salle d'opération où les belligérants paraissent siphonnés. Avec notamment un Roth affublé d'un justaucorps de danse rose-fuchsia rayé de larges bandes noires verticales, et, des chevilles aux genoux, d'énormes guêtres en poils de lamas albinos (fallait oser), gesticulant comme une marionnette. Et un Alex Van Halen en sueur, l'œil hagard et la tête dans les fûts, qui a tout d'un autiste. Eddie, lui, se marre comme un diable.


   Une inespéré sérénité arrive enfin avec "Take Your Whiskey Home" qui utilise le terreau du blues ; du country-blues même, avec pour seuls compagnons, une six-cordes acoustique et la voix de David ici plus grippée que jamais. Mais là encore il ne s'agit que d'un savoureux hors-d'œuvre avant le plat de résistance : un solide et jubilatoire Heavy-rock, vaguement bluesy.  Le solo illumine le morceau comme le ferait une méga comète
 le ferait sur la Terre, en frôlant la "strato-sphère" un soir sans lune. En live, Eddie interprète cette pièce intégralement en électrique, habillant alors l'intro d'atours propre au James Gang de Joe Walsh. C'est une autre pièce tirée du vieux répertoire, dont on peut retrouver la démo de 1974, avec un Roth qui n'a alors pas encore trouver ses marques ni son style. A moins qu'il ne s'agisse d'Edward - l'enregistrement est de piètre qualité - sachant qu'avant le recrutement d'un quatrième larron pour chanteur, c'est lui-même qui assurait le chant. En tout cas, question guitare, il fait déjà preuve d'un indéniable talent.

   La troupe reste dans le Blues avec l'acoustique "Could This Be Magic", résonnant comme un folk-blues des familles, pour les soirs de fêtes, le sang réchauffé par le bon vin. Roth empoignant sa pelle folk pendant qu'Eddie l'accompagne à la slide. Edward invite la chanteuse Nicolette Larson, - présente dans les studios, où elle travaille sur son nouvel album -, à faire les harmonies. Un service pour un autre, puisqu'Eddie avait joué une partie de guitare sur son premier disque, en 1978. Contre l'avis de David. Une chanson souvent décriée par la presse et aussi nombre de fans pour qui Van Halen en acoustique est une hérésie.

Le titre de l'album provient de ce sympathique morceau qui se distingue de l'ensemble de l'album, non par une qualité exceptionnelle - qu'il ne possède pas - mais par sa sobriété et sa tonalité acoustique tranchant au milieu de cet éboulement de durs et ébouriffés riffs et de matraquage de fûts. Toutefois, cette chanson a la particularité de s'immiscer discrètement dans le ciboulot, même par une écoute distraite ; et l'on se surprend à siffloter l'air et fredonner quelques paroles. Etonnant non ?

Chant : "And I see ships upon the water" ; chœurs "Better save the women and children first" ; chant : "Sail away with someone's daughter" ; chœurs "Better save the women and children first."

   "In a Simple Rhythm" finit l'album en beauté avec alternance entre des espaces échevelés et éruptifs, zébrés de soli comme autant d'éclairs dans un orage, de délicats espaces bordés d'arpèges de chrome et de nickel brisés par de brusques chutes de toms d'Alex, et d'autres d'apparences féériques, presque éthérées. David met de la conviction dans ses paroles (autobiographiques ?) assez romantiques, où il oublie ses fanfaronnades et ses pensées lubriques pour laisser libre cours à une sensibilité inédite, par moment assez poétique. Ce que l'on n'aurait jamais cru capable de la part de cet égocentrique hyperactif et libidineux.

".Back in the past when I was treeated so coldy. My love life was a barn disgrace. Needed someone to love and hold me. That's one of the reasons that I was out of place. So this is love !! I was in love, but Cupid missed me. She up and leftr and I almost died. ..She made her mountains sing. Birds against an icy sky, and I heard an angel sigh, and she said : (choeurs d'Eddie et Michael) There'll be times, there will be times. You're gonna hear the angels singing"


   "Growth" ou "Tank", c'est selon, - piste non répertoriée - est le bref coda de l'album, brusquement arrêté après une vingtaine de secondes. Initialement, ce morceau devait être repris en ouverture du prochain album, créant ainsi une jonction, une indéfectible continuité. Il en sera autrement.

     Plus que jamais, la musique de Van Halen n'est en rien la simple manifestation festive d'une explosion générée par une bande de jeunes débordant de vitalité, abusant des décibels et de la magie de l'électricité, comme a voulu le résumer la presse (avant le succès interplanétaire à venir). Elle est terriblement structurée. A commencer par cette osmose fraternelle, entre une batterie vorace, ogresque, "où l'herbe ne repousse plus après son passage", (Alex a d'ailleurs un petit air de Hun), et la guitare funambule cumulant grosse distorsion des montagnes (du volcan Mammoth ?) et définition chirurgicale. Là dessus se greffe la basse d'Anthony, plus subtile qu'il n'y paraît, parvenant à tisser un filet d'acier permettant à Eddie de partir en sécurité dans des circonvolutions acrobatiques. Et puis il y a les chœurs, tantôt sauvages, tantôt naïfs, tantôt maniérés, tantôt un tantinet angélique (comme sur "In a Simple Rhythm" ), mais toujours en adéquation avec le sujet et dans le ton, cadrant l'autre agité nerveux, tout en donnant du corps à la chanson.  


     Il s'agit du premier disque exempte de reprise (en 1982, "Diver Down" va rattraper tout ça avec pas moins de cinq reprises), et alors que le "II" (1979) paraissait trahir un très relatif manque d'inspiration avec quelques redites (le groupe ayant été un peu précipitamment poussé dans les studios, entre deux tournées, pour capitaliser sur le succès persistant du premier album) "Women and Children First" franchit un nouveau palier, fourmillant de trouvailles, de couleurs, exsudant de fraîcheur et d'enthousiasme. Edward Van Halen, lui-même, d'apparence moins fougueux et acrobatique, a gagné en cohésion et en stabilité, permettant ainsi de rendre le groupe plus accessible ; touchant un public plus large, apte à séduire autant les fans de Police que de Heavy-metal. Relativement moins flashy, sa guitare n'en demeure pas moins de très haute volée, toujours identifiable entre mille. 

     Un disque dont l'écrin tranche avec les représentations tapageuses, naïves, agressives, parfois de mauvais goût, qui commencent à éclore en ce début de décennie dans la catégorie Rock lourd et autres phénomènes métalliques. Cette pochette se démarque donc catégoriquement de la majorité de celles des jeunes loups - les vieux briscards ayant encore droit à un peu plus de considération en terme d'esthétique ; et encore, pas tous -. Pourtant, engoncé dans ce large cadre couleur "bleue des mers profondes du Kamtchatka à l'aube de l'automne", il y a cette photographie réduite de quatre jeunots bien portants dont l'allure et la gestuelle n'augurent rien de placide ou de serein. A l'exception du bellâtre qui prend la pose d'une adolescente émoustillée par les nouvelles formes de son corps, les gars ont l'air de fieffés hellraisers. En particulier le guitariste dont l'angle donne à son visage un aspect d'animal fabuleux, entre loup-garou de la Hammer et la Bête du film de Cocteau (2) (non ! Morbleu ! Pas Disney !!! 😡). L'énergumène sur le côté qui empoigne la corne de la guitare comme s'il s'agissait d'un guidon d'une bécane, surpris par sa puissance, paraît ne pas être tout seul dans sa tête. Et puis la guitare... Non mais, il faut être vraiment tordu pour affliger de tels sévices à une gratte.

   Leur accoutrement dénote également, en étant bien éloigné des uniformes de cuirs, des ensembles de jeans ou encore des larges étoffes prisés par les progressistes et/ou néo-pyscho-hendrixien. Le guitariste opte même pour une confortable combinaison de mécanicien (l'exemple de Pete Townshend ?). Toutefois, à l'époque, en 1980, pour le néophyte les poses de David Lee Roth pouvaient prêter à confusion, et être rédhibitoires. C'est peut-être con mais ce fut un fait. Et si par malheur l'imprudent mettait la main à l'intérieur de la pochette, libérant malencontreusement un surprenant poster de David propre à émoustiller Albin Mougeotte, une chance sur deux qu'il prenne la poudre d'escampette sans demander son reste. Un poster signé Helmut Newton, mandaté sous l'insistance appuyée de Roth, contre l'avis des frères Van Halen. L'Américano-Allemand (de nationalité australienne), photographe de mode et provocateur, spécialisé dans l'érotisme chic et le noir et blanc, s'entiche de Roth, sur qui il focalise son appareil. Ce qui irrite évidemment le groupe, en particulier les Van Halen qui, bien que tous les morceaux portent la signature des quatre musiciens, demeurent les principaux compositeurs. Surtout Eddie qui s'isole pour composer, et progresser, pendant que les autres loustics font la fête jusqu'à tomber d'épuisement. Ces photos et ce partie pris de Newton nourrissent les prémices tangibles de l'opposition entre Roth et le groupe. Les photos de Newton sont écartées et une seconde séance photo est programmée avec un nouveau photographe. 

Halloween 1980

    L'album est court, très court, comme tous ceux de la première période avec David Lee Roth. En aparté, si l'on devait justement redéfinir la qualité des disques de Van Halen à un ratio combinant la durée du disque et les "bonne chansons", l'ordre de préférence des disques généralement édité par les diverses revues depuis des années, pourrait changer. Probablement sans inquiéter l'album éponyme. Mais la musique est aussi une affaire de subjectivité
   C'est à partir de "Women and Children First" que la planche à billets commence à carburer, permettant à ces galériens d'accéder enfin à des biens matériels inespérés. Les frères Van Halen mettent leurs parents à l'abri du besoin, et Edward s'offre d'antiques Gibson (dont certaines vont aussi subir quelques expérimentations à faire frémir d'effroi). 


(1) Ancienne choriste attitrée de Linda Ronstadt

(2) La source plonge dans le folklore européen (Français ou Italien). Il est possible que l'histoire se soit enrichi d'une histoire vraie, celle d'un Espagnol atteint d'hypertrichose offert au Roi de France, Henri II.


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