mercredi 14 octobre 2020

Edward "Eddie" VAN HALEN - 16.01.1955 - 06.10.2020 - R.I.P.


 Crénom ! [  censuré - censuré - encore censuré - Attention ! tilt ! ] La nouvelle est tombée comme un couperet : Edward Lodewijk Van Halen a rendu l'âme. Mister Edward Van Halen nous a quitté mardi matin, le 6 octobre 2020, à seulement 65 ans.

     C'est tout un pan de la musique moderne qui est en deuil. Foutrebleu, Van Halen… Lorsque le premier album éponyme de son groupe est tombé sans avertissement dans les bacs des disquaires, cela fit l'effet d'une météorite "king size" percutant la Terre (et non, pas encore de Brute Willis dans les parages), en changeant à jamais une partie de sa configuration. Sa guitare ouvrait des portes sur de nouvelles dimensions, jusqu'alors seulement timidement entrouvertes par quelques précurseurs. Et notamment au niveau du son. Le fameux "brown sound" ! Créé à partir de Marshalls boostés par des variateurs qui abaissaient le voltage en dessous des 110 (avec en conséquence des lampes qui claquaient prématurément, parfois en concert) et de humbuckers rembobinés, puis plongé dans la paraffine (celle habituellement utilisée pour les planches de surf). Une astuce de Wayne  Charvel. Un son souvent sculpté par une phaser MXR90 et un Echoplex Maestro trafiqué. 


   A la recherche d'un son particulier, afin d'être en osmose avec la puissante caisse claire du frangin, Eddie triture, bricole, vandalise ses guitares. C'est probablement la première célébrité à investir dans une Ibanez Destroyer 2459 (certainement une des premières importées aux USA - avec micro Maxon -), qu'il repeint en blanc avant de lui rectifier le portrait à coup de perceuse et de scie (la tronçonneuse est également mentionnée), la rebaptisant alors "Shark". Il découpe aussi en deux le vibrato Bigsby de sa Gibson 335, afin que l'accordage des cordes inférieures reste stable. Et puis, évidemment, il y a la fameuse "Frankenstrat". La guitare de forme stratoïde semble être le fruit d'un bricoleur névrosé et maladroit, avec notamment un Gibson PAF prélevé sur son infortunée 335 en position chevalet - nageant dans une défonce deux fois trop grande - et dont une des bobines a été rembobinée (par faute d'un court-circuit…) dans un nombre de tours aléatoire, mais salutaire. Il ne s'embarrasse pas des tonalités et du micro simple du milieu qui sont simplement supprimés. Tandis que le simple côté manche fini par se taire définitivement, par faute de branchements hasardeux.

     Sujet de bien des convoitises, comme si elle pouvait à elle seule détenir le secret du son et de la dextérité du phénomène. Le son est avant tout dans les doigts et c'est que confirmera plus tard Ted Nugent en personne qui, lors d'une tournée commune, essaya en catimini le matos d'Eddie afin de retrouver et de tâter du "brown sound". Or, il confessa que ce qu'il en avait ressorti n'était autre que du pur Nugent, probablement un poil boosté. Des soli en mode équilibriste, ou varappeur à la limite de dévisser.

     En 1978, avec le premier album éponyme, le monde non californien découvre donc ce son énorme, monstrueux et vorace, qui telle une tornade aveugle, dévaste tout sur son passage. Un son extra-terrestre (demandez à George Douglas McFly, il ne s'en est jamais remis). Une distorsion certes cyclopéenne mais précise, où toutes les nuances de jeu préservées. Du raclement de cordes généré par le tranchant de plectre, en passant par les notes sifflées et des harmoniques distendues au vibrato. Tout est retranscrit avec une rare précision, et… sans jamais sortir du temps. Même lors des soli les plus ébouriffés, parfois proches d'une échappée d'un saxophone de jazz. Des soli en mode équilibriste, ou varappeur à la limite de dévisser.


   Dès le premier morceau, "Run With the Devil", le riff et le solo sont plus mordants qu'un tyrannosaure après un régime végan. Mais surtout… il y a l'OVNI intergalactique : "Eruption". Véritable coup de massue pour tous les apprentis guitar-heroes qui ont désormais le choix entre fracasser leur guitare ou de se jeter par la fenêtre. En moins de deux minutes, le jeune Edward a traumatisé la quasi totalité des guitaristes de Hard-rock et consorts, et même plus. Pourtant, penaud, il raconta sans détour qu'il s'agissait en fait plus d'un exercice d'échauffement qu'il se plaisait à réaliser, sans jamais penser à en faire un morceau sinon pour quelques moments d'esbrouffe en concert. Il joue surtout avec le son énorme de sa Frankenstrat V1 qu'il module violement avec le vibrato, toutefois c'est principalement le passage au tapping qui éblouit alors les esgourdes. Le producteur, Ted Templeman, qui n'avait pas ses oreilles dans la poche, eut l'excellente idée de l'enregistrer à son insu, puis d'insister pour l'incorporer à l'album et d'avoir d'autres prises (il y en eut trois). Eddie le remerciera par la suite. 

     Comme pour Jimi Hendrix, il y a dix ans auparavant, nombre de guitaristes en place vont sérieusement se poser des questions après avoir vu cet énergumène, monté sur ressort et jouant avec une facilité déconcertante. Et son étonnante volubilité ne doit pas aveugler l'auditeur et lui cacher qu'il est également un excellent rythmicien. La mise en place de ses arpèges en palm-mute couplés à ses riff gras brisés par quelques méchants coups de vibrato assassin est de l'orfèvrerie. 

     Grâce notamment à la campagne de marketing de Warner Bros qui croie fortement en son nouveau poulain (doutant pourtant de sa pérennité), et qui investit en finançant trois clips (en faux live), dont la reprise survitaminée de "You Really Got Me" (des Kinks), l'album gravit les charts où il s'installe confortablement pendant trois années consécutives. Fait rare pour un premier album. Si évidemment tous les membres du quatuor sont talentueux et participent au succès du groupe, c'est surtout Eddie Van Halen qui marque à jamais les esprits (1). C'est aussi le principal compositeur (même si les royalties sont partagées à quatre parts égales), il est l'âme du groupe. Désormais, il y a un avant et un après "Van Halen" first album, même si ses effets ne vont pas se faire sentir de suite car il va falloir du temps pour que quelques uns parviennent à assimiler - ou qu'ils croient assimiler - son jeu pour injecter quelques bribes dans leur musique.


     Le côté négatif est que bon nombre de guitaristes vont se sentir obligés d'intégrer des plans de tapping et d'attaques de vibrato à leur jeu sans trop se soucier de la justesse ni de la concordance. Ce fameux tapping, technique à deux mains, qu'Eddie va déployer jusqu'à en faire une partie intégrante de son jeu. Une technique qu'il n'a nullement inventée mais qu'il contribue à populariser et à développer. Dans les années 80, on va plonger profondément dans la caricature, avec des guitaristes essayant bien maladroitement de récupérer ce qu'ils pensent être une recette. Cela en sera parfois risible, sinon attristant, avec trop souvent des soli et des attaques intempestives de vibrato défigurant littéralement le morceau. Ne parlant même pas des attitudes et des fringues.

     En plus de sa technique, de son caractère musical, Edward possède une qualité nécessaire aux personnes du spectacle : le charisme. Plutôt que d'afficher des grimaces de travailleur de force, il préfère présenter imperturbablement des sourires niais mais chaleureux. Il dégage si naturellement une aura de sympathie, et de sincérité, qu'on lui donnerait le bon dieu sans confession. Paradoxalement, derrière la rage et la puissance de sa guitare, se cache un gars plutôt timide, d'un naturel effacé.

     En outre, que cela soit travaillé ou pas, il a l'attitude du guitar-hero (selon les préceptes de Saint Jimi, Saint Ritchie, Saint Pete et Saint Ted), faisant corps avec son instrument et arpentant la scène comme si l'apesanteur y était moindre. Ou alors avaient-ils des ailes dans le dos, ou aux chevilles ? 

Ce qui ne gâche rien, en dépit d'un succès croissant, des flux intarissables de dollars et de groupies, il garde les pieds sur terre et une humilité qui fait malheureusement défaut à nombre de ses pairs. 

     Innocemment, il développe un signe distinctif : ses guitares bariolées. Après avoir repeint sa Destroyer, puis ensuite l'avoir vandalisée, il l'a repeint à nouveau en optant cette fois-ci pour le rouge, en l'ayant au préalable saucissonnée de ruban adhésif. Une fois la peinture sèche et les rubans retirés, la guitare se présente griffée de large bandes blanches sur fond rouge. Avec la "Shark", Eddie a créé l'archétype de la gratte "heavy-metal". Dans la forme comme dans la robe. Satisfait du résultat visuel, il va reprendre le même procédé pour d'autres guitares. Cet ensemble de bandes droites tranchant un fond rouge, bleu nuit, blanc ou jaune, devient une identité graphique qu'Eddie reprendra pour des vêtements, un pick-up Chevy C1500, la perceuse de "Poundcake" et une voiture de golf (pour faire la navette entre son studio et la maison). (La robe de la Frankenstrat V2 va profiter à divers accessoires, du briquet à la paire de Converse, jusqu'à quelques rares voitures de luxe ainsi relookées )


     Mais la singulière personnalité musicale d'Eddie ne s'est pas faite en un jour, ni même à partir de l'adolescence. Tout comme la majorité des grands musiciens, son parcours initiatique débute dès sa tendre enfance. Né le 16 janvier 1955 à Amsterdam (Pays-Bas) d'un père Hollandais qui lui donne comme deuxième prénom Lodewijk en hommage à Beethoven, et d'une mère Indonésienne (Java), il est très tôt confronté à la musique. Le paternel, lui-même musicien, jouant principalement du saxophone (en plus du piano et de la clarinette), et adorant se produire, quelle qu'en soit la raison (de la fanfare militaire au club enfumé), soumet ses enfants à la musique dès leur plus jeune âge. Et il n'aura de cesse de les encourager et de les soutenir, souhaitant qu'ils puissent devenir professionnels et en vivre ; au contraire de leur mère qui a souvent du mal à joindre les deux bouts. On lui inculque des leçons de piano classique, cependant, réfractaire au solfège, il s'évertue à tout apprendre par cœur, faisant mine de lire les partitions lors des concours qu'il remporte pendant trois années consécutives. "Croyez-vous que Beethoven et Bach se seraient emmerdés la vie, s'ils avaient possédé un 24 pistes ?

     La famille émigre en Californie, à Pasadena, en 1962. Il apprend quelques rudiments de violon avant que le Rock'n'roll ambiant ne s'empare de lui, et de son frère, Alex. Il opte pour la batterie et son frère pour la guitare, mais rapidement, ils échangent les rôles. Sa première pelle est une Teisco Del Rey WG-4L. Il se fait les doigts sur les disques de Cream, ralentissant la vitesse afin de déceler toutes les nuances du jeu de Clapton. Aux débuts des années 70, la fratrie monte un trio où Eddie assure aussi le chant. Eddie, et le groupe, se constitue un solide répertoire à base de reprises de Black Sabbath, de titres d'Aerosmith, de Deep Purple, de ZZ-Top, de Scorpions, de Budgie, et plus tard de Montrose. Toutefois, d'après ses dires, même s'il s'ingénie à les jouer à la note près, ces reprises sont immanquablement marquées de son sceau. Il est déjà dans une perpétuelle quête de sons, de techniques, d'astuces. Notamment parce qu'il n'a alors pas les moyens de s'offrir des pédales d'effets, ni de guitares onéreuses. D'où l'achat d'une Ibanez, nettement plus abordable qu'une Gibson, et ses expérimentations d'assemblage de divers éléments de pièces détachées de guitare (de Boogie Bodies, et plus tard de Charvel). L'argent a peine gagné, sert à enrichir son arsenal. On le voit avec une Gibson LesPaul Standard, une Gibson LesPaul Junior, et une Fender Stratocaster flanquée d'un humbucker. Tant dans la pratique de l'instrument, de son exploration, que dans ses expérimentations en trafiquant son matériel, il fait preuve d'une abnégation rare pour sa passion. C'est un véritable sacerdoce.

"On pense souvent que je suis ailleurs, mais en fait je me concentre sur la musique. Je ne pense qu'en termes de musique ; des riffs me trottent dans la tête"


   On raconte alors que, craignant de perdre le bénéfice de tout son travail, il joue parfois dos au public, afin de préserver ses plans du regard d'avides curieux (la scène Californienne est alors surchargée d'une pléthore de musiciens et de groupes de Hard-rock aux dents longues, dont les plus pugnaces et résistants vont avoir aussi leur petite heure de gloire à l'aube des années 80. Nombreux sont ceux qui ont blêmi d'envie lorsque Van Halen a été signé par une major et, à la suite du succès phénoménal et de l'exposition d'Eddie, ont dû revoir leur copie et travailler d'arrache pied).

   Cependant, même une fois son compte en banque lourdement chargé, à l'abri du besoin, il n'aura de cesse d'expérimenter. Ainsi, il y a la polémique du système de vibrato développé par Floyd Rose, dont Eddie aurait participé à son perfectionnement , sans jamais toucher le moindre cent sur les bénéfices découlant du brevet. Ce qui serait pour lui peu important, mais il aurait bien aimé être reconnu pour son travail d'amélioration (3) 

Preuve de son obsession de perfectionnement et d'exploration de nouveaux sons, en tournée, pendant que les autres font la fête, ou des conneries, il préfère la plupart du temps s'enfermer dans sa chambre avec une guitare, bossant quelque fois toute la nuit.

"Ce n'est pas vraiment du talent mais plutôt une obsession. Je ne suis pas meilleur mais différent. Je pense différemment, totalement obsédé par la musique. Je ne pense pas être stupide ou asocial, mais je n'ai pas tellement besoin des gens. J'ai ma femme, mon frère, mes parents"

     Les albums se suivent mais ne se ressemblent pas, et chaque sortie est un évènement. Il fut un temps (oublié) où des critiques avisés considéraient Van Halen comme le groupe d'un album.. le premier ; les suivants ne méritant guère l'attention 😁. Certes, l'album éponyme reste à jamais une référence indétrônable, une pierre angulaire du Hard-rock, du Heavy-metal et du Big-rock - comme le groupe va finir par appeler sa musique afin d'éviter toutes polémiques et compartimentations -, mais chacun parvient à offrir quelque chose de nouveau et de frais. Ainsi, "Van Halen II", relativement boudé à sa publication, guère plébiscité par la presse qui le relègue à une simple, voire une mauvaise copie, est depuis longtemps réhabilité grâce à quelques morceaux incontournables. Dont l'inoxydable "Dance The Night Away", formidable pièce de power-pop, composé dans le studio même. John McLauglin lui-même, est séduit par l'instrumental "Spanish Fly" et vante les mérites du jeune Eddie. Tout comme un peu plus tard Larry Coryell. Deux noms de poids qui apportent du crédit au talent d'Eddie. Sur "Women And Children First" (premier chapitre sans reprise), Eddie réussit encore à surprendre avec un jeu et un son plus maîtrisés, plus tranchant, mais non moins fou. Sur cette magistrale galette, rien ne semble hors de sa portée. A trois reprises, il sort sa guitare folk où il flirte avec désinvolture avec le Country-blues qu'il fusionne avec sa large culture Rock et Pop. Devant cette sublime déflagration défiant toutes comparaisons, nombreux sont ceux venant à considérer ce dernier essai comme le meilleur. Même la presse réticente commence à se poser des questions.


   Rebelote avec "Fair Warning", ou presque. En effet, car il marque le début des dissensions  avec David. Probablement autant fatigué par des années sur la route que par les excès de l'hyperactif et frimeur David, il est à deux doigts de quitter le groupe avant de rentrer en studio. Son groupe. Son frère le raisonne. Vivant une idylle avec l'actrice de télévision Valerie Bertinelli, qu'il épouse une fois les séances d'enregistrements finies, en avril 1981, 
il aspire désormais à une vie plus calme et posée. Un mariage qu'il failli manquer car, paniqué, il boit plus que de raison pour surmonter son anxiété. Copieusement imbibé, menaçant de perdre connaissance, il doit être soutenu par des amis et le frère de Valerie - un autre fêtard et fan de Van Halen - pour se présenter à l'autel. Avec cette union, Eddie quitte pour la première fois le foyer familial, et est intronisé dans la presse people qui va suivre pendant quelques années ce couple (la sage petite fille des sitcoms a épousé un musicien de Hard-rock. "Ho, pauvre fille inconsciente. C'est certainement un rustre"). Mais pour revenir à "Fair Warning", 
c'est aussi le disque qui marque les désaccords entre David et Eddie. Le premier cherchant à inclure du Funk aux effluves de disco, "Push Comes to Shove", et le second quelques lignes de claviers - le déroutant "Sunday Afternoon in the Park", mélasse de synthés -. Un album plus sombre dont la seconde face est souvent méprisée, si ce n'est pour se délecter de l'enivrant "Unchained". Des claviers qui vont progressivement s'incruster, franchissant un nouveau pas avec l'inégal "Diver Down" (4). Un disque qui paraît annoncer la fin prochaine de l'aventure. Même si la version classieuse, et sage, du "Oh Pretty Women" (de Roy Orbison) propulse le groupe sur les ondes. On comprend que ce soit l'album qu'Eddie aime le moins.

"On a échangé nos personnalités. Je suis un peu plus farfelue, et lui trouve reposant d'être sain d'esprit" Valerie Bertinelli.

     Malheureusement, il n'y a pas que les problèmes de compatibilité d'humeur avec Roth - et Templeman -, Eddie doit aussi se battre contre son alcoolisme. Sans parler d'un tabagisme forcené qui va bientôt lui occasionner de graves et irréversibles problèmes de santé. Deux vices qui auraient été bêtement encouragé par son père, le jour où, à douze ans, il lui aurait donné cigarette et verre d'alcool pour calmer une blessure. 

     En février 1983, sort le single "Beat It" de Michael Jackson (chanteur souvent honni par les harderoqueux fondamentaux), quatrième single de l'album "Thriller", rapidement suivit par la diffusion du clip par MTV. Ce clip, qui va faire date avec sa chorégraphie et ubambi jouant au dur, dévoile le guitariste qui joue sur cette chanson : Il s'agit d'Edward Van Halen qui, suivant sa volonté, n'avait été ni crédité ni payé. C'est un très gros succès, pour Jackson bien sûr, mais aussi, bien que dans une moindre mesure, pour Eddie. Tous deux ouvrent ainsi le monde du dancefloor au monde du Hard-rock (ce n'est toutefois pas le premier essai), et inversément. Ils effectuent un grand coup commercial en élargissant leur public ; ou l'éduquant, lui retirant, un instant, ses œillères. C'est le premier hit assimilé "Rock" du petit Michael.


     Alors que le groupe se fait discret, occulté même par la cohorte de barbares adeptes de Métôl déboulant de toutes parts, le 9 janvier 1984, une pochette présentant un blond chérubin clop en main s'impose fièrement dans les vitrines des disquaires. Il s'agit de "MCMLXXXIV" ou "1984". L'album triomphal. Une fois de plus, Eddie fait sa révolution. Il a réussi à s'imposer, à soumettre ses claviers. Sans pour autant - ouf - abandonner la guitare. Confiant, ou provocateur, il débute carrément l'album en l'inondant de synthé, de son Oberheim OB-Xa. Une fois de plus, contre vents et marées, il prouve qu'il est une sorte de génie. Et dire que le hit "Jump", qui va conquérir les charts de nombreux pays et faire connaître et établir Van Halen comme une référence définitive et planétaire, avait été rejeté par le groupe et le producteur lors du précédent album (!).  "I'll Wait", mielleux et baignant dans les synthés, séduit la masse, mais pas les vieux fans qui opèrent une levée de boucliers. Toutefois, pour sa défense,
 Eddie révèle que ce n'est pas d'hier qu'il compose parfois aux claviers, retranscrivant ensuite ses trouvailles à la guitare. Son intérêt pour les synthétiseurs n'est finalement qu'une conséquence logique de sa quête perpétuelle de nouvelles tonalités, de nouvelles couleurs. Toutefois, il ne lâche pas le Hard-rock explosif qui a fait sa réputation, et déjà des milliers de gratteux s'échinent à déchiffrer les parties de "Panama", de "Top Jimmy" et de "Hot For Teacher" (des chansons exposées à la population dans des clips délirants qui, eux aussi, vont faire date). Dubitatifs, voire désarçonnés, mais tout de même admiratifs, certains vont appeler l'ensemble du Heavy-progressif teinté de pop. 

     Désormais, il sera difficile de contredire Eddie, même si sans lui, les musiciens de Van Halen, aussi bons soient-ils, n'auraient probablement pas gagné cette exposition, cette notoriété. Ce qui ne semble pas être de l'avis de Roth qui quitte le groupe pour entamer une carrière solo, qu'il ne doute pas un seul instant couronnée de succès. Un départ qui va être le début d'une longue période où la grande gueule de David Lee Roth et les membres du Van Halen nouvelle formule vont s'entredéchirer par voie de presse interposée. Fait indigne d'adultes. Dans un moment de clarté, Eddie fait amende honorable en confessant qu'entre la fatigue et son état d'ébriété quasiment permanent, ses paroles ont dépassé sa pensée. Il loue les qualités de Roth, tout en déclarant qu'il est parfois difficile de travailler avec lui.  Cependant, Roth, de son côté, ne tarit pas de méchancetés gratuites envers son successeur.


   Eddie pense trouver son remplaçant avec Patty Smyth (Scandal) ou bien Jimmy Barnes  -qui vient de pondre deux formidables albums solo -, avant que Sammy Hagar se présente de lui-même. Ils s'étaient déjà côtoyés lorsque Van Halen, ou Mammoth, avait fait la première partie de Montrose. Une sincère amitié va les lier. Sammy lui offre une autre étendue de registres lui permettant d'explorer des voies plus mélodiques. Un reproche souvent formulé à l'encontre d'Hagar par une frange des fans, alors que ce dernier n'est nullement responsable de l'intégration des claviers. D'ailleurs, "5150" et les suivants ne sont pas plus porteurs de tonalités synthétiques que "1984". Plus que jamais Eddie a les coudées franches. En ayant son propre studio d'enregistrement, le "5150" situé dans sa propriété (mais déclaré en tant qu'un terrain de sport quelconque), travaillant à la maison avec Donn Landee, l'ingénieur du son toujours raccord, et rameutant quand lui chaut les copains pour finaliser ses compositions, plus grand chose ne vient entraver son chemin.

     Avec ce nouvel arrivant, Eddie a la possibilité d'être soutenu à la guitare sur scène. Il pousse même Sammy à prendre quelques soli, alors que ce dernier, conscient de la différence de niveau (et ne s'étant d'ailleurs jamais pris pour un cador en la matière) hésite déjà à simplement jouer de la rythmique aux côtés d'Eddie. Combatif, Hagar redouble d'efforts pour essayer d'être à la hauteur face à ce géant de la guitare, avouant avoir beaucoup appris. Si les concerts ont perdu une certaine fantaisie avec le départ de Roth, quelque chose même de purement animal, ils ont gagné en concision avec Hagar. Eddie a retrouvé son sourire. Et pour la première fois, ses disques dépassent allégrement les trente minutes, gagnant près de vingt minutes supplémentaires.

     En 1987, son père, Jan, succombe à soixante-dix ans, le corps épuisé par l'alcool. Il fait promettre à ses fils de ne pas commettre les mêmes erreurs que lui et donc de devenir sobre. Alex y parvient, mais Eddie non. Bien qu'il effectue de lui-même, et aussi pour préserver son couple, une cure de désintoxication dans un établissement spécialisé, il replonge immédiatement, en fêtant sa sortie par une cuite sévère. 

     Le public ne s'y trompe pas, et tous les albums de la période avec Hagar (aussi baptisée "Van Hagar"), étalés sur pratiquement dix années, sont numéro 1 aux USA. Toutefois, c'est plus le fruit des retombées d'une carrière, de l'accumulation de hits, que celui de la valeur de l'album. Si "5150" et "OU812" méritent largement ce triomphe, on peut en douter de "For Unlawful Carnal Knowledge" et surtout de "Balance". Ce dernier souffre de nouvelles dissensions - cette fois entre la fratrie et Sammy Hagar uni à Michael Anthony -, et reflète l'humeur d'un groupe qui a perdu sa cohésion. Eddie lui-même se perd dans des excès d'échos et de spatialisation. La production légèrement ampoulée de Bruce Fairbain étouffe la guitare d'Eddie par une batterie trop en avant ou le chant, quand ce ne sont les occasionnels claviers. C'est probablement la rançon d'une gloire désormais établie qui permet de rester abonné au succès en dépit d'albums moins bons.


    Aux débuts des années 90, Music Man lui propose une collaboration pour réaliser une guitare répondant totalement à ses aspirations. Il avait déjà auparavant collaborer avec Charvel et Kramer, mais ces entreprises se contentaient de reprendre dans les grandes lignes les caractéristiques de la Bumblebee et de la Frankestrat V1. Music Man - Ernie Ball élabore un luxueux instrument, réalisé avec soin, dont seulement une centaine est matérialisée annuellement. Une fusion de la Les Paul et de la Telecaster passée par le prisme du cerveau en ébullition d'Eddie. A l'aspect plus robuste que grâcieux, avec un corps en tilleul et une épaisse table en érable. Et bien sûr de solides et puissants humbuckers, et Floyd Rose apte à subir sans broncher toutes violences. L'engin est nommé Wolfgang, du prénom de son fils. Baptisé ainsi en hommage à Amadeus Mozart (tradition familiale). Parallèlement, il travaille avec Peavey, une vieille firme du Mississippi qui ferait progressivement surface depuis quelques années avec d'honnêtes amplis abordables réputés pour leur gain. Avec cette boîte, il confectionne la tête d'ampli 5150. Soutenu par une campagne de pub dans les journaux spécialisés, cette tête d'ampli est un franc succès. Le monde du Metal s'en empare et fait aujourd'hui encore, partie de l'arsenal de nombreux groupes du genre. Des plus extrêmes aux plus progressifs. Fort de son triomphe, il sera décliné en plusieurs versions évolutives, ainsi qu'en combo et qu'avec une baffle dédié, capable d'endosser les watts sans fléchir.  En 1996, Peavey reprend aussi la confection des guitares d'Eddie, gommant alors quelques subtiles imperfections. Dorénavant, la Peavey EVH Wolfgang fait l'unanimité. Avec cette nouvelle version, il déploie un son plus fenderien, entre la Telecaster et la Stratocaster, naturellement renforcé par des micros doubles au format simple. Par pleinement satisfait du suivit et de la disponibilité, le siècle suivant, il fonde sa propre entreprise de confection de guitares et d'amplis, EVH, où il reprend évidemment à son compte la réalisation des Wolgang, des 5150 et des 6505, mais récréant aussi, pour le plaisir de bien des amateurs et admirateurs, les fameuses Shark, Bumblebee et autres Frankestrat (V1 et V2). Celles qu'il nomme désormais les "striped" ("rayé").

     Le bref passage de Gary Cherone (Extreme) est un contresens. Il fallait quelqu'un qui ne s'apparente ni à Roth ni à Hagar, mais malgré son talent, Cherone ne parvient pas à se caler sur la guitare étincelante d'Eddie. Dans son acharnement pour y parvenir, il en fait trop. Eddie, désormais armé de ses Wolfgang, cultive des tonalités plus Metal que jamais. Mais le groupe semble sur le déclin, et Eddie paraît traîner une fatigue permanente. On lui décèle un cancer de la langue. Cancer généralement attribué au tabagisme et à l'alcoolisme, mais il est dans le déni et l'attribue à d'autres mauvaises habitudes. 

"J'utilisais des médiators en métal, bronze ou cuivre (5), que je tenais dans la bouche, à l'endroit où s'est déclaré mon cancer. De plus, je vis quasiment dans un studio d'enregistrement rempli d'énergie électro-magnétique… plus les décennies de tabagisme n'ont rien arrangé"


      En 2000, il part à New-York se faire soigner par des spécialistes, et se rétablit miraculeusement en quelques mois seulement. De son propre aveu, cette prompte guérison est hélas due à ses moyens financiers qui lui ont permit d'accéder à des soins qui ne sont pas remboursés et ainsi accessibles qu'à une minorité de personnes confortablement argentées. Ce qu'il dénonce dès que l'occasion se présente.

     Quelques années plus tard, la maladie revient, plus virulente, prenant progressivement le dessus jusqu'à ce jour fatidique. Mais le passage en ce monde de monsieur Edward Lodewijk Van Halen n'a pas été vain. Peu de guitariste auront autant marqué la musique que lui. Même s'il a eu ses détracteurs, ses censeurs, son nom est parvenu à s'incruster dans la mémoire collective des masses. D'autant plus étonnant pour un guitariste de Hard-rock ou de Heavy-metal. Au point où il semblerait que, pour une fois, pas un média n'ait omis de rendre un hommage à cet authentique, visionnaire, talentueux et sympathique guitar-hero. En dépit d'un jeu haut en couleurs, longtemps incompris au point où il était parfois assimilé à un exploit sportif, Edward Van Halen a réussi à s'imposer comme une référence. Aujourd'hui encore,  divers hommages ne cessent d'affluer de toutes parts.

(1) Cela pourrait paraître aujourd'hui étonnant, mais à leurs débuts, David Lee Roth n'était pas apprécié de tous. Certains lui reprochant d'en faire trop, notamment sur scène, quand d'autres le jugeaient trop efféminé. Michael Sobolewski (par encore Anthony) ne voulut pas de ce frimeur dans son propre groupe, et un peu plus tard, Eddie lui même ignora son audition. C'est Alex qui alla le repêcher. Et lors de la signature du contrat avec Warner Bros, la major essaya de négocier son remplacement. (Elle songeait à un certain Sammy Hagar). 

(2) Le premier patronyme du trio est "Rat Salad", du nom d'un instrumental tiré de "Paranoid" (également face B du 45 tours du même titre) ; il opte ensuite  pour Genesis (avant de découvrir par hasard en farfouillant chez un disquaire, que des Anglais s'étaient déjà ralliés sous ce nom), puis Mammoth, et enfin Van Halen. Une idée du nouveau chanteur, un blondinet extraverti. 

(3) Contrairement à ce qui a parfois été écrit, Eddie n'a jamais conçu ce système. Précisément, Floyd Rose, lui même guitariste (il parviendra presque à se mettre en orbite avec son groupe Q5, avant de se crasher), accroc au matraquage vibrato à la manière de Blackmore et d'Hendrix, désespérait de désaccorder ainsi sa guitare. Il révise ainsi tout le système, incorporant le fameux sillet bloque-cordes, puis rend le chevalet plus mobile que celui de Fender. Il est indéniablement l'inventeur de ce vibrato flottant dont il dépose le brevet en 1979. Il s'empresse de présenter lui-même son invention à divers guitaristes du coin, dont Van Halen. Ce dernier l'adopte aussitôt et le cale sur une Charvel. Néanmoins, ce nouveau système a un problème : une fois le sillet bloc-cordes serré, impossible de procéder à des ajustages d'accordage. C'est la prochaine évolution qui voit apparaître de petites molettes sur chaque pontet du chevalet-vibrato (les fine-tuners), permettant de parfaire, à l'harmonique près, l'accordage. Une innovation inspirée de celles que l'on trouve sur les violons. C'est de cela que Van Halen revendique la paternité. Ce que réfute Floyd, ne lui laissant que le mérite d'avoir participer à la rapidité de son succès.

(4) Disque où Jan van Halen, le père d'Edward et Alex, a été invité a joué de la clarinette sur "Big Bad Bill (is Sweet William Now)" ; une pièce de 1924.

(5) Le cuivre n'est pas cancérogène.

Les guitares présentées : Frankenstrat V2  / entête  Gibson Les Paul Standard / photo 1  ; Frankenstrat V1 / photo 2 ; Ibanez Destroyer "Shark" / photo 3 ; hybride ? avec manche Danelectro, sélecteur Telecaster et corps d'Ibanez Destroyer  ou de Charvel ? ; Bumblebee / photo 5 ; Gibson Les Paul / photo 6 ; Frankenstrat V2 / vidéo ; Kramer 5150 Baretta / photo 7 ; Peavey Wolfgang / photo 8 ; EVH Wolfgang Ivory  Edward Van Halen signature / photo 9.



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2 commentaires:

  1. pas un mot sur le dernier album "A different kind of truth" qui renoue pourtant avec le faste des premiers ("She's the woman", "As is", "China town") et qui voit revenir au bercail David Lee Roth ?

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