- Il y a des soldes
ou des promos sur la musique anglaise M'sieur Claude ? Les variations Enigma
d'Elgar par M'sieur Diablotin il y a peu, Vaughan-Williams aujourd'hui…
- Des soldes
! Enfin Sonia, je préfère comme notre ami parler de promotion de la musique
anglaise si mal connue en France, doux euphémisme…
- Ah, ça fait
un bail que vous nous avez proposé une symphonie de ce compositeur M'sieur
Claude, en 2017, la 4ème. Il y en a combien ?
- Neuf, le
fameux nombre fatidique qui terrorisait Mahler. Les symphonies N°3 à 6 sont les
plus passionnantes à mon sens…
- Ô çà, il va
falloir le justifier… Comme M'sieur Diablotin à propos d'Elgar vous semblez
apprécier Sir Adrian Boult, souvent cité dans les billets classiques…
- Ce chef à
la longévité désarmante a été un grand serviteur de la musique anglaise ; il
fut d'ailleurs le créateur ce cette œuvre en 1948… La discographie est
pléthorique !
Ralph Vaughan Williams âgé |
Dans l'index, vous trouverez des liens vers des
chroniques parlant de concertos, de jolies pièces de genre
comme The
Lark ascending (L'envol de l'alouette pour violon et cordes) et
des symphonies
3 &
4,
deux chefs-d'œuvre du XXème siècle. Pourquoi l'homme ne s'impose pas
? Sans doute parce qu'il n'appartient à aucune courant officiel comme l'École
de Vienne. Ô, et puis jusqu'en 1945,
on ne joue pas de la musique anglaise, l'ennemi héréditaire, alors en France,
avec un intérêt en berne pour l'innovation musicale, vous pensez… Et après le
Brexit, là c'est la mort assurée pour la nuit des temps… Et oui, je râle, je râle…
La biographie détaillée et sans polémique (c'est la mode) est à lire dans le
billet sur la 3ème
symphonie. (Clic)
Passons aux symphonies. Contrairement à Brahms,
Sibelius ou Bruckner, le parcours est hétérogène. La 1ère symphonie sous-titrée
"Sea
symphony" se présente comme un oratorio longuet avec chœur,
style dont raffolent nos amis british. La 2ème sous-titrée "London"
ne brille pas par des thèmes attachants. Encore un sous—titre que n'aurait pas
choisi son auteur ; une manie fréquente des éditeurs.
Londres fracassés par la Luftwafe |
Férocité, pressentiment, tissu mélodique apocalyptique
forment la quintessence de la 4ème symphonie (Clic). D'un style apocalyptique en opposition
totale avec la 3ème,
cette partition rageuse de 1931
traduit l'angoisse prémonitoire du compositeur persuadé qu'en ce début de crise
économique mondiale, le slogan "la der des ders" à propos de la guerre de
14-18 n'était qu'une utopie. Certains musicologues considèrent cette œuvre glaçante
comme l'une des symphonies les plus réussies depuis celles de Beethoven ! Quant à la 5ème,
composée entre 1938 et 1943, elle opère un retour musical à la
quiétude de la 3ème,
sans titre, elle suggère une intense et énigmatique réflexion intérieure,
peut-être un message de paix alors que l'Europe et le monde se déchirent dans un
nouveau bain de sang. Chronique à venir…
Et nous voici en 1944-1947.
L'Europe est un champ de ruines, nazis et japonais ont anéantis des populations
entières dans leurs camps d'extermination et, à Hiroshima, l'atome a enclenché
une nouvelle terreur absolue, celle de l'extinction de l'humanité. Vaughan-Williams s'est défendu d'avoir
écrit sa symphonie violente et cynique comme un avertissement explicite. Les
critiques cherchent souvent des repères concrets pour influencer le public. La 8ème
symphonie de Chostakovitch, contemporaine, s'était vue affublée du sous-titre "Stalingrad" par les
autorités à des fins patriotiques alors que, comme cette 6ème de Vaughan Williams, la volonté de railler
par l’abstraction l'absurdité d'un monde barbare sans recours à des effets musicaux
descriptifs est évidente. Je ne sais si les deux compositeurs se connaissaient,
mais la similitude dans l'expression du désarroi face à la chute en enfer de
l'humanité est manifeste. Personne n'attendait de la part du compositeur âgé de
75 ans un ouvrage aussi aride et pamphlétaire. Créée en avril 1948 par Adrian
Boult, la symphonie rencontre un grand succès. Avant la fin de
l'année Serge Koussevitzky fera
découvrir l'œuvre à Boston, Pittsburgh et Chicago ! Leopold
Stokowski dirige le premier enregistrement en 1949 à New-York pour CBS.
Le cycle des quatre symphonies marquantes de Vaughan Williams se termine ici, même si
l'homme a encore 11 ans à vivre. La 7ème logiquement nommée
"Antartica"
est la compilation instrumentale d'une musique de film dédiée à illustrer L'Épopée du capitaine Scott. Ô ça jette,
mais bon… Les 8ème
et 9ème,
ouvrages tardifs sont plus anecdotiques dans le sens où on discerne surtout un
compositeur octogénaire toujours épicurien qui s'amuse avec des formes et des orchestrations
très farfelues. Je ne pense pas que ces symphonies aient été jouées en France ?
Du moins, je ne trouve aucune trace, dommage car Vaughan-Williams avait perfectionné son sens de l'orchestration auprès
de… Maurice Ravel !!! Quelques hits pour
compléter des programmes de concert, rien de plus… Tiens, en 2017, Sofi Jeannin,
mezzo et cheffe de chœur suédoise a dirigé avec la Maîtrise
de Radio France Folksongs of the Four Seasons de Vaughan-Williams et la peu connue Messe en ré
majeur de Dvorak.
Merci Madame 😊.
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Depuis 1922,
Adrian Boult est l'un des créateurs fidèles
des symphonies
de Vaughan-Williams (1922 pour la 3ème, 1935 pour la 4ème, mais
c'est le compositeur qui assurera lui-même la première exécution de sa 5ème
symphonie en 1943. Mais
voici de nouveau Adrian Boult en avril 1948 à la tête de l'orchestre de la BBC pour créer la nouvelle
symphonie, nouvelle dans tous les sens du terme.
La longue carrière de ce maestro disparu à 92 ans
se termine juste après la décision de ne plus diriger… Son répertoire était très large,
même si il s'attache à promouvoir la musique de ses compatriotes : Walton, Elgar,
Bax… Sa biographie est à lire dans
l'article présentant le concerto pour violoncelle de Dvorak interprété pour EMI par Mstislav Rostropovitch (Clic).
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2 flûtes + piccolo, 2 hautbois + cor anglais, 2 clarinettes,
saxophone ténor, clarinette basse, 2 bassons, contrebasson, 4 cors, 3 trompettes,
3 trombones, tuba, timbales, caisse claire, triangle, grosse caisse, cymbales,
xylophone, harpe (voire 2), cordes. En un mot, l'orchestre de Prokofiev ou de Chostakovitch.
1 - Allegro : Les premières mesures de
l'allegro, d'une puissance minérale presque barbare, suggèrent deux allégories :
la chute de l'humanité dans l'abîme de l'autodestruction
ou encore le mythe de Sisyphe, personnage mythologique grec condamné à
hisser une lourde pierre en haut d'un sommet, pierre retombant éternellement
dans le gouffre, etc. Parmi plusieurs interprétations, j'y vois le symbole affligeant
d'une humanité qui semble ne jamais vouloir apprendre de la tragédie précédente
; dans le contexte : la tuerie des tranchées puis, un quart de siècle plus
tard, nouveaux carnages et génocides planétaires se terminant dans l'effroi à
Hiroshima et Nagasaki. Certains musicologues associent cette terreur atomique ultime
à la genèse de la symphonie, principalement par la violence de son
introduction. Vaughan-Williams s'en
défendait et je partage sa vision plus générique même si l'apocalypse nucléaire
était un choc (Plutonium
symphony de Glass).
Le compositeur se défendait de tout raccourci : "Il me semble que les gens n'imaginent jamais
que l'on veuille juste écrire un morceau de musique". Donc, pas
d'illustration objective de la folie guerrière, plutôt l'expression d'une
angoisse existentielle face à l'absurdité de la vie, idée développée par Camus, précisément dans le Mythe de Sisyphe.
Il est fréquent que les critiques et éditeurs essayent en toute bonne foi
d'aiguiller le mélomane sur une piste descriptive. Exemple connu : La 8ème
de Chostakovitch sous-titré "Stalingrad", soi-disant pour honorer
la victoire soviétique alors que l'œuvre est un pamphlet douloureux en hommage
aux soldats martyrs de l'armée rouge trahis par des dirigeants incompétents.
mythe de Sisyphe |
L'humour anglais connaît ici ses limites dans la
facétie. La partition propose un tissu mélodique très mouvant, Maggy pense à
une musique de film dramatique, ça se défend. Vaughan-Williams
va jouer dans tout le mouvement sur les ambiguïtés, le mélomane est soumis à un
effort intense de mémorisation pour suivre ce ballet mortifère et ironique. Même Chostakovitch n'ira pas aussi loin dans la
pitrerie, il ne pouvait guère se le permettre face à la dictature stalinienne, exception la 9ème. [6:24]
Surprise de taille pour la conclusion, quasiment sans transition le compositeur
nous entraîne dans un tableau pastoral pour le moins inattendu ; le
souvenir des temps heureux à déguster jour après jour tant que cela se pourra.
L'espoir sera-t-il déçu ? On y songera lors de la coda : [7:53] une reptation
alanguie et lugubre de l'effrayant motif initial.
2 - Moderato : [V2 – en réalité, tous les mouvements sont
enchaînés] Pour la traditionnelle sérénité fréquente dans un mouvement lent, il
faudra attendre. Nous écoutons plutôt une marche funèbre rythmée par un motif
obsédant et syncopé de trois notes (2 doubles croches et une croche) joué aux
cordes ou à la caisse claire. Le moderato exclut la thématique, place à une
nostalgique mélopée qui exploite ce motif de trois notes qui sera le leitmotiv à partir duquel Vaughan-Williams construira un de
profundis. Là encore, il recourt à un chromatisme élaboré qui ne détermine aucune émotion précise autre qu'une complainte évoluant inexorablement vers un crescendo
désespéré ponctué par un climax tragique. Peut-on parler de colère ? Le calme revenu, les
larmes du cor anglais concluent le moderato.
William Turner : squelette chutant d'un cheval |
4 - Epilogue
(moderato) : [V4] Peu de commentaire sur l'un des finales les
plus étranges de l'histoire de la symphonie. Une litanie s'étire paisiblement, essentiellement
aux cordes. Là encore pas de motif, pas de continuité logique et structurée
avec rigueur. A chacun sa propre perception en écoutant ce mouvement lent, sans variation de tempo,
d'inflexion ou de nuance sonore, le ton restant imperturbablement pianissimo. Vaughan-Williams libère nos sentiments de toute
influence. La mort ? Le rêve ? Mystère ? Hermétique à coup sûr
mais envoutant. Les solos diaphanes des flûtes et picolo [V4-2:45], puis des cors suivis des clarinettes [V4-3:09], etc. et les frémissements des cordes ne peuvent qu'émouvoir…
Beaucoup considèrent la 6ème symphonie
du maître comme son chef-d'œuvre symphonique, et même l'un des modèles du genre
au XXème siècle. Vous connaissez ma prudence face à ces étiquettes.
La plus moderniste sur le fond et la forme de Vaughan-Williams, à coup sûr. Quoique plus farouche dans l'écriture, la
mélancolie qu'elle porte dans son discours sépulcral est à rapprocher du climat
étouffant et onirique de la 15ème symphonie de Chostakovitch de 1971 ; c'est tout dire…
(Partition)
(Partition)
L'interprétation de Adrian Boult et pour une écoute de meilleure qualité sonore, celle de Bryden Thomson :
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La discographie est abondante et dominée par les
gravures d'Adrian Boult, notamment
celle écoutée ce jour à l'époque où le maestro dirigeait la Philharmonie de Londres, ne serait-ce que
par sa qualité sonore. L'enregistrement de Leopold Stokowski
de 1949 à New-York
est à connaître pour sa clarté, son articulation épique, une bacchanale bien
dans le style extravagant du chef. (Sony – 6/6). J'admire la probité de Boult, mais j'adore la dérision agreste de Stokowski. Les ingénieurs du son ont fait des merveilles pour cette gravure monophonique ancienne. En complément, la 4ème symphonie dirigée par Dimitri Mitropoulos tout aussi habitée.(Clic)
Une évidence : des enregistrements rivaux nous
viennent des chefs anglais spécialistes de cette musique. En premier lieu,
celle de Bryden Thomson (Clic)
avec l'orchestre symphonique de Londres dont la prise de son est époustouflante
de clarté. Une conception moins rigoureuse que celle de Boult,
on ne peut pas tout avoir (Chandos –
5/6). Même orchestre, même label, autre chef de grand talent et mal connu dans
l'hexagone, Richard Hickox, (Chandos – 5/6). Bien entendu, toujours
le même problème avec le label anglais, des merveilles, mais une durée de vie
bien courte au catalogue et des tarifs assez dissuasifs. Plus abordable
question prix, on termine sur une belle réalisation d'Andrew
Davis avec l'orchestre de la
BBC, énergique quoique parfois chaotique mais là encore une
prise de son moderne (Warner – 5/6)
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