samedi 17 juin 2017

Bohuslav MARTINŮ : Symphonie N°3 – Bryden THOMSON – par Claude Toon



- Et aller M'sieur Claude, encore un petit nouveau dans le blog… Surement un slave avec un ° sur le U. Je fais comment pour taper ça moi, pas sympa ?
- Houlà Sonia ! Dans l'ordre : Bohuslav Martinů est bien un compositeur tchèque de la première moitié du XXème siècle. Pour la typographie, je vais vous donner la recette…
- Ah, nous sommes donc dans la continuité de l'objectif "découvertes 2017". Il y a quelques semaines, c'était la Sinfonietta de Janáček, un autre tchèque, même style moderne ?
- Oui, Martinů a bousculé la musique de son temps mais avec un autre style que ses confrères. Curieusement ses symphonies ont été écrites à raison d'une par an dans les années 40 aux USA, sauf la 6ème
- Les USA ? Années 40 ? encore un homme qui a dû fuir les régimes totalitaires et abjects du milieu du siècle passé…
- Oui, et entre le nazisme et le stalinisme à Prague, ce compositeur ne reverra jamais sa patrie avant sa mort…

Bohuslav Martinů
XXX
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Avec ce billet, nous aurons enfin rencontré les trois mousquetaires de la musique tchèque des XIXème et XXème siècles : Dvořák, Janáček et Smetana (même si ce dernier est hélas connu surtout pour La Moldau). Mais, comme dans le roman de Dumas, ils sont quatre, et aujourd'hui, place à Bohuslav Martinů.
Bohuslav Martinů est né en bohème en 1890, à Polička pour être précis. Gamin, Bohuslav révèle ses dons exceptionnels pour le violon. Sa famille l'inscrit en classe de violon du Conservatoire de Prague. Deux ans plus tard, il en est exclu ! Têtu, il intègre la classe d'orgue. Au bout de deux ans, rebelote, on le vire. Manque d'assiduité ou indiscipline ? Sans doute un peu des deux pour un jeune homme qui doit mal s'adapter à une formation académique. Il va, dès ses vingt ans, se lancer dans la composition, une passion et un désir de nouveauté artistique qui le stimulent plus que les cours. Il parfait sa formation en autodidacte. Il survit comme second violon de l'orchestre philharmonique tchèque récemment créé, et gagne la sympathie du patron de l'orchestre, Václav Talich qui avait déjà soutenu Leos Janáček à ses débuts (voir l'article sur la SinfoniettaClic).
Dans les années 20, il gagne Paris et va rejoindre les mouvements novateurs français et se lier d'amitié avec Arthur Honegger et Albert Roussel. (Il est singulier d'écouter à la fois les symphonies 3 & 4 de Roussel et celles que Martinu écrira dans les années 40, on y retrouve le même goût pour une musique énergique et rythmée et le discours saccadé.)
Lors de l'annexion des sudètes par les nazis, suite aux accords de Munich, il se réfugie à Paris, En 1940, passage éclair en zone libre avant de partir comme tant de créateurs pour les USA. C'est au nouveau monde qu'il va composer la majeure partie de son œuvre symphonique grâce au soutien de chefs de renom comme Artur Rodzinski (Philharmonie de New York), George Szell (Orchestre de Cleveland) et Serge Koussevitzky et plus tard Charles Munch (Symphonique de Boston). Il leur offre des dizaines de compositions qui rencontrent un vif succès.
À partir de 1946, il souhaite retourner en Tchécoslovaquie, mais dans son pays désormais sous la botte stalinienne, il s'est fait un ennemi de taille : le critique Zdeněk Nejedlý, ministre de l'éducation et cacique du nouveau parti communiste. Ce stalinien pur jus reproche à Martinů d'avoir fui à l'ouest. Martinů revient en France, une seconde patrie pour lui, où il partage son temps entre Nice et l'Oise. Il meurt en 1953 d'une tumeur.
Son œuvre est immense : musique de chambre dont de nombreux quatuors, des sonates avec piano, etc. Quelques opéras. En tout : 387 ouvrages dont Harry Halbreich a établi le catalogue. Si Martinů reste apprécié dans le monde, ce n'est pas encore le cas en France. "Ben oui Pat, comme d'hab'." Martinů a composé un concerto pour violoncelle dédié à Pierre Fournier. J'ai entendu ce dernier le jouer en concert il y a… heu 40 ans. Magnifique !
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Bryden Thomson (1928-1991)
J'avais trouvé quelques vinyles des concertos de Martinů à Prague dans les années 70'. Des disques Supraphon au son médiocre. Les enregistrements des symphonies étaient rares. Depuis cette époque la donne a changé. La discographie est abondante. Pour les symphonies, j'en reparlerai. J'ai choisi ce jour une interprétation parue au sein d'une intégrale pour le label Chandos en 1991 due au chef anglais Bryden Thomson.
Bryden Thomson est un chef d'orchestre né en Écosse en 1928. Il est fauché par un cancer l'année de la publication de cette intégrale Martinů à seulement 63 ans. L'homme alliait à la fois un caractère impétueux et un humanisme envers ses musiciens. Les membres des orchestres apprécient souvent ce genre de personnalités, car même si les répétitions sont houleuses et exigeantes, la qualité du résultat en concert est là, et donc l'accueil enthousiaste du public se révèle une juste récompense.
Bryden Thomson a beaucoup défendu la musique méconnue des compositeurs anglais. Il a notamment gravé de très nombreuses galettes consacrées à Arnold Bax dont je parlerai un jour. Dans sa discographie existe aussi une intégrale sans concurrence de toute la musique concertante de Vaughan Williams. Le chef a aussi beaucoup servi les musiques scandinaves de Sibelius et Nielsen.
La symphonie de ce jour a été captée en 1989 avec l'Orchestre national royal d'Écosse dont Thomson avait pris les commandes en 1988, succédant à Neeme Järvi, un autre chef qui avait, lui aussi, enregistré une intégrale des symphonies de Martinů. Pas de mauvaise surprise à attendre d'une phalange ainsi rompue à l'exercice…
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La 3ème symphonie sera composée pendant le printemps 1944 et terminée pendant la semaine qui a suivi le débarquement des alliés en Normandie, détail ayant une certaine importance. Il ne s'agit pas d'une commande, mais Martinů la dédicacera à Serge Koussevitzky qui la créera à Boston en octobre 1945. Elle ne comporte que trois mouvements.
Son orchestration assez riche rappelle par l'utilisation d'un piano celle d'œuvres de Prokofiev ou de Chostakovitch de la même époque :
2 flûtes + piccolo, 2 hautbois, cor anglais, 3 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, tuba, timbales, cymbales, tam-tam, triangle, caisse claire et grosse caisse, harpe, piano et cordes.

Jacques Villon (frère de Marcel Duchamp) : Soldats en marche
1 – Allegro poco moderato : Un virulent accord de la harpe et du piano introduit une phrase sinueuse des cordes aux échos inquiétants. Les vents vont rejoindre le développement. La scansion mélodique typique du style de Martinů donne au discours une vitalité presque mécanique, celle d'un pas guerrier, ce qui n'a rien d'étonnant en cette année 1944 où le monde se déchire. Pourtant, on ne peut pas parler de dramatisme au sens premier. Le compositeur fait succéder divers passages tantôt agressifs, tantôt allègres. Ces contrastes sont rythmés par les notes de piano. On pourra penser à travers des reprises à une forme sonate classique de base. Le traitement des cordes avec ses traits désarticulés surprend également. Martinů aimait ce phrasé percutant, nous laissant maître de ressentir angoisse vs joie de vivre à travers une incessante transformation du flot orchestral. On pourra sans grand risque d'abus sémantique parler de concerto pour orchestre, d'autant que cette symphonie est contemporaine du concerto pour orchestre de Bartók. Martinů pensait-il à la 3ème symphonie de Beethoven avec le vent héroïque qui traverse le mouvement, les syncopes et les dissonances inquiétantes ? On peut se poser la question. Bryden Thomson recourt à une direction sèche et abrupte qui sied parfaitement à cette page où l'apaisement tente presque en vain de rompre les tensions internes et leurs rythmiques saccadées.

2 – Largo : Le mouvement central relativement bref s'articule autour de deux séquences. L'étrangeté de la transition au milieu du largo met en évidence l'esthétique sauvage qui s'insinue dans le mouvement, dans la continuité de l'esprit tragicomique de l'allegro. [9:29] Des thrènes angoissées aux cordes se prolongent par des motifs barbares aux timbales opposés à des traits cinglants des contrebasses. [10:54] Un solo de flûte insiste sur la volonté de Martinů de décrire un monde en effervescence mais où l'espoir est permis. [11:41] La transition choque par l'introduction d'une marche énergique et grimaçante. [13:09] Elle sera rejouée deux fois, à ce stade avec encore plus de violence, on touche ici à l'effroi. [14:42] Au début de la coda un hautbois solitaire chante une complainte, apaisée mais attristée [14:42]. Le maestro impose un tempo sans concession au mouvement qui ne trouvera jamais une minute de sérénité. La marche sert de thème conclusif.

3 – Allegro - Andante : [16:30] Sans doute galvanisé par l'annonce du débarquement, Martinů compose en peu de temps un final explosif et rayonnant, d'une écriture homérique. Entre les climax, le compositeur intercale des intermèdes aux bois, poussant l'exploitation de leurs tessitures vers les extrémités. La seconde partie de ce final apparait comme un andante, l'expression d'un apaisement, d'un soulagement, peut-être l'espoir de revoir sa bohème natale après des années de violence planétaire. Hélas cet espoir sera déçu. [22:51] La conclusion se présente dans un premier temps comme une péroraison colorée et dansante. [24:25] La coda est un hymne déjanté. (Partition)
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Deux autres intégrales de grande qualité s'imposent dans la discographie. Celle de Václav Neumann avec la Philharmonie tchèque de la grande époque dans les années 70' (Supraphon – 6/6) et celle à prix dérisoire de Neeme Järvi avec l'orchestre de Bamberg (Brillant classic – 5/6).
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