Chaotique
est le terme ad hoc pour qualifier le début de carrière solo de Lou Reed, après le Velvet Underground. Il y
a le meilleur, TRANSFORMER (1972), BERLIN (1973), le live incendiaire ROCK’N’ROLL
ANIMAL l’année suivante, et paf, le SALLY CAN’T DANCE (1975), succès inattendu
mais grosse déception pour son auteur, pas trop impliqué dans l'affaire, qui lui permet d'engranger les dollars mais plonge de plus en
plus dans la provoc’, la dope, surjoue la décadence pour bien ancrer son statut
de parrain du punk. Sa maison de disques veut un autre succès, rapidement. Lou
Reed obtempère. Enfin... à sa façon. Son esprit tourmenté accouche de METAL MACHINE MUSIQUE
(1975), quatre pièces instrumentales de 15
minutes constituées de boucles électro, feedback de guitare. Comment décrire la chose... un concours de dérapage de locomotives Pacific dont on n'aurait pas graissé les bielles et les essieux depuis 1923. Ils ont adoré chez
RCA ! Provoc' à deux balles, pétage de plombs, ou chef d'oeuvre avant-gardiste ?! (Claude, tu peux nous en faire 2000 mots pour samedi prochain ?)
Bob Kulick |
Et
à peine 6 mois plus tard, il revient
avec CONEY ISLAND BABY. D’une élégance
rare. Dès l’intro de « Crazy feeling », c’est la classe, les petits
licks de slide de Bob Kulick (guitarsite passé par le groupe KISS) finis les
errements bruitistes, le glam, le hard rock. Plusieurs fois dans cet album on
pensera au futur Dire Straits, si si, dans la voix de Lou Reed, son chant
presque parlé, l’orchestration laid back. Mark Knopffler a forcément entendu ça !
Une version alternative de « Crazy feeling » est présente dans les
bonus, une rythmique à l’acoustique en renfort.
Délicieux aussi le « Charley’s
girl » avec sa cloche jouée sur le temps, on y décèle des effluves de « Walk
on the wild side » dans le chant. « She’s my best friend » a été
récupérée chez le Velvet, 6 minutes au départ nonchalantes, et cette intensité
dans la voix tendue du refrain. La guitare se fait plus incisive, la batterie
frappe davantage, double, le morceau monte vers un long chorus de guitare. Avec
une version alternative aussi, carrément plus rock, ample, le piano en prime de Mikhael Fonfara, une version qui ne détonnerait pas sur le DARKNESS de Springsteen (qui participera à l’album
STREET HASSLE en 78, justement).
Autre
titre de 6 minutes, l’étonnant « Kicks » : la cymbale ride sur l’intro,
juste le charley au pied, petite guitare
intrusive, derrière. Lou Reed parsème sa chanson d'effets sonores, qui s’apparentent à des
interférences radios, surprenant au départ, dérangeant, limite flippant. « Kicks »
donne l’effet d’un morceau paranoïaque tendance SM (« I need some kicks »),
qui s’emballe avec la batterie et l’urgence dans le chant.
Avec
« A gift » on revient au format court, le premier Dire Straits nous vient encore
à l’esprit, le titre semble plus ironique, à l'image de la très belle photo de pochette et le vers « I'm just a gift for the women
of this world », repris par les chœurs susurrés. J’aime beaucoup le « Ooohh
baby », qui donne dans le petit country-rock minimaliste, avec son refrain
accrocheur. On reste dans la veine country avec « Nobody’s business »
et cette cymbale jouée aux maillets, qui frémit et enfle régulièrement, le petit chorus de gratte qui
envoie la rythmique boogie pour conclure. « Coney Island baby » est
juste magnifique, 6’40, long texte chanté, parlé, derrière il y a les chœurs
qui font juste ouhhhhh, et c’est juste beau ! Sur la fin, le tempo monte,
la guitare prend plus de place, Lou Reed déclame « Glory of love, give it
to me now » sur ce ton grave caractéristique, le trémolo tout juste retenu.
Trois
bonus, dont le doux, inquiétant et limite pervers « Downtown dirt »,
le rock « Nowhere at all », et le méchamment répétitif « Leave
me alone » basé sur un seul accord, un motif d’une mesure qui tourne sur 5’30.
La
suite ce sera ROCK’N’ROLL HEART en 1976, qui prend encore à contrepied la vague
punk qui l’idolâtre, STREET HASSLE en 78 sur lit de violoncelle, jusqu’au
terrifiant TAKE NO PRISONERS, la même année, un live qualifié de culte, mais
quasiment inécoutable, Lou Reed y insulte copieusement tout le monde pendant une heure au
lieu de chanter !!
Entre deux rasades d’amphétamines noyées dans le bourbon, guitares déchirées et extrémisme bruitiste, Lou Reed a sorti ce CONEY ISLAND BABY d’une élégante sobriété, un petit bijou, à l’âme toujours aussi tourmentée.
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Peut-être bien l'album idéal pour découvrir un Lou Reed presque apaisé ! Ça n'a dû lui arriver qu'une seule fois au cours de la décennies 70, et ça donne en effet ce merveilleux disque : musicalement, c'est parmi ce qu'il a fait de mieux, et les textes sont également très bons. Avec Berlin, et pour de toutes autres raisons, mon disque préféré de Lou Reed.
RépondreSupprimerLa version de Coney Island Baby sur "Take no prisoners" est absolument poignate, de même que celle de la chanson Berlin. Pour ma part, j'aime beaucoup ce live, mais il n'est pas facile d'accès, je le concède volontiers !
Je me limite aux deux live, d'ailleurs issus du même concert. Le reste, bof. A l'époque, j'avais aussi acheté Take no prisoners, je crois que ça m'a dégoûté à vie.
RépondreSupprimerPourquoi ? Parce que sur "Walk on the wild side" il dit au public tout le bien qu'il pense de Springsteen ?!!!
RépondreSupprimerJe l'avais acheté parce que dans un article de presse, Mick Jagger estimait que "Take no prisoners" était le plus grand disque live du rock. Waouh, de la part du type qui chante sur "Get yer ya ya's out", c'était un argument de poids. J'ai vite déchanté !
C'est un peu mou, non ? On dirait de la musique chewing-gum.
RépondreSupprimerOuais ... Y'a pour moi comme qui dirait un gros coup de moins bien entre les deux live de 74 et New York (88 ou quelque chose comme ça).
RépondreSupprimerEt pour beaucoup de gens aussi d'ailleurs.
Les Lou Reed addicts essayent d'en sauver quelques uns de cette période. Coney, Street Hassle, Blue Mask, voire le very special Metal Machin (inaudible). Bof ...