mercredi 28 août 2019

DIRTY DEEP " Tillandsia " (2018), by Bruno



     On était passé à côté - on est un peu éreinté aussi, et toujours pas de subventions du ministère de la Culture ou de radio fune -, mais le trio Alsacien a sorti à la fin de l'été 2018 un nouveau disque qui rue dans les brancards.

     Il aura fallu deux bonnes années pour que le "Old little Band from Alsace" retrouve les chemins des studios. S'il reste fidèle à sa direction "Blues roots", fait d'os et de rouille, un Blues mutant du Delta suffisamment chargé de testostérone pour parfois l'amener à prendre une teinte Punk-rock (Blunk), ce nouvel essai ne se prive pas pour autant d'explorer quelques chemins de traverse. Choix judicieux tant les quelques surprises se révèlent savoureuses.

Ainsi, DIRTY DEEP dévoile une nouvelle facette qui non seulement lui va comme un gant, mais qui élargit ses frontières.
Certes, il s'extirpe du bayou mais sans se renier, ni vraiment se détourner de ses premiers amours. Une action qui devrait logiquement le pérenniser.

     Si l'attente a pu paraître longue, Dirty Deep la comble par une copieuse galette de treize morceaux. Et pour être sûr de ne pas être à côté de la plaque dans sa quête d'une sainte et naturelle saturation et d'un son profondément roots et robuste (1), il a demandé l'aide d'un autre apôtre du Blues-garage, Jim Jones. Celui de Thee Hypnotics, de The Jim Jones Revue, de Black Moses et de The Righteous Mind. Bref, un gars qui peut aisément les comprendre, et qui ne va pas leur imposer sa propre vision. Probablement qu'un lien s'est forgé lorsque les Strasbourgeois ont ouvert pour les Thee Hypnotics en 2017. Néanmoins, Rémi Gettliffe, le producteur du précédent opus, "What's Flowin' In My Veins", n'a pas été écarté. Il reste dans la famille. En sus d'une production en binôme,  il a la  main-mise sur le mixage (2).
 
   Dirty Deep nous met au parfum dès son introduction à travers le court gospel, sobre mais enjoué, "Road Dawgs". Enfin ... au parfum ... de suite après ces loubards envoie les watts avec un "Sunday Church", un Heavy-blues contaminé par un Stoner enfumé et aux réminiscences psychés, qui nous ramène au bon souvenir de Buffalo (3). Et encore, là ça essaye de bien se tenir, mais le bien nommé "Shake It !", après un premier mouvement qui trompe son monde par quelques effluves jazzy, excité par un harmonica démoniaque, se déchaîne comme s'il avait attrapé la danse de Saint-Guy.

Heureusement, avant que l'un des belligérants se déboîte un membre, "Strawberry Lips" déroule un tapis de velours pour un Country-Blues feutré ; certes, taquiné par un harmonica mutin et une basse (une contre-basse ?) plus urbaine ; un poil jazzy, un soupçon boogie.
Difficile de restreindre des hyper-actifs. Il est nécessaire de lâcher un peu les rênes avant qu'ils ne se mutinent et ne mordent. "Wild Animal" !  Ha, ben ouais, "Wild animal". M'enfin, avec cette pièce, le trio coiffe The Hives, The Vines et autres Strokes sur leur propre terrain. Victor donne même une leçon de cri d'électrocuté à Howlin' Pelle Almqvist.

"You've Got To Learn", un petit joyau de (deep) Southern Soul, tout en retenue et en sobriété, bercé par la voix éraillée et meurtrie de Victor et un Wurlitzer. Le slow de l'été ? Ho ho, non, sûrement pas. Il ne faut pas rêver au pays mettant toute son énergie "culturelle" à promouvoir de la variété mollassonne, et, éventuellement, un ou deux rockers mainstream. 
   Après un instrumental furieux mettant à l'honneur l'harmonica (c'est en tombant en pâmoison devant le son du ruine babine que Victor c'est ouvert au Blues, en commençant par Sonny Boy Williamson II), "Hangin' On an Oak Tree" s'acoquine avec le Stoner, créant une symbiose d'un Rock écumeux avec un psychédélisme poisseux. C'est le morceau où l'on retrouve le mot "tillandsia" qui assimile la plante accrochée aux branches d'arbres du bayous au souvenir, marqué à jamais dans la flore de la Louisiane, d'une pauvre jeune fille qui au lieu de rencontrer l'amour, allait perdre la vie ... et ses cheveux ("How could she know that over sea she had soon be on sacred land of Cherokee ... In Louisiana, he would take her heart, to brand a new home where they would a new start ... but it wasn't long before things turn bad, caught by the arrows up against the trees ... But they took  his life and they took her hair").

Le "Confessional Hole", badin et rural, épouse le Country-blues des Mississippi John Hurt et Sleepy John Estes
"I Want to Miss You"se pare de percussions vaudoues et explore les marécages de la petite ville de Marais, en passant par le sombre local de madame Xanadu, la cartomancienne. Tandis que dans les proches marécages, la nouvelle incarnation d'Alec, amas humanoïde de plantes vertes spongieuses et de racines, veille; ses yeux rouges, tels deux tisons ardents, perçant l'obscurité ...

   On reste en Louisiane avec "By The River" ; mais en des lieux plus cléments, à la Nouvelle-Orléans, où a été convié une fanfare enjouée, un peu déjantée même, pour coller une ambiance festive, type soirée conviviale et arrosée. La basse d'Adam Lanfrey y est aussi groovy que celle de George Porter Jr., et Geoffroy Sourp se cramponne à un pattern échevelé où il semble à deux doigts de se lancer dans un solo. Sur la fin, les cuivres trahissent un abus de Nola Brewing (ou bien de Fischer ? Ou de Schutzenberger ?)
("Just let go down by the river and let your pain flow away")

Geoffroy crée une brume de cymbales tout en assénant un pattern lourd et appuyé. Solide roc sur lequel s'appuie ses collègues pour développer leur Blues cradingue ; "Bottletree" est un Blues sale et entêtant, s'insinuant comme l'alcool troublant les sens, addictif poison protoplasmique inhibant la raison. 

   Comme au début de l'aventure où Dirty Deep se résumait à sa seule personne, Victor se produit sans filet, juste armé de sa guitare et de son harmonica, et chante le Blues. Comme un chant d'adieu - ou bien serait-ce une supplique ? -, "Last Call To Heaven" résonne comme l'écho d'une déchirure que l'on tenterait d'atténuer par la musique 
("So long brother, stop caring the world. Forever be love in our heart and soul, but it's the last call to heaven. Lord's calling back his best son, he'll be lightning rhe sky, even more that the Sun").

     Victor Sbrovazzo et ses fidèles acolytes ne se reposent pas sur leurs lauriers ; ils ne cessent de s'améliorer tout en continuant à travailler leur mariage d'un Delta Blues au rock le plus cru et hargneux, en incluant désormais des ingrédients de Gospel et de Soul. (Et ce, sans passer par des substances douteuses du Dr Woodrue ou d'Alec Holland) 
Depuis ses débuts, à l'époque où il était un "one-man-band" (un homme orchestre), Victor Sbrovazzo n'a jamais cessé d'aller de l'avant. Sans compromission. Avec "Tillandsia", ils ouvrent de nouvelles portes qui augurent une pérennisation du trio.
Un enregistrement 100% à l'ancienne, ensemble dans la même pièce et captation sur bandes magnétiques. Un incontournable du "Rock made in France" de l'année.

     Une mention spéciale pour la présentation soignée dont l'image nous invite déjà dans le bayou. Tout comme le titre, "Tillandsia", qui est le nom d'un genre de plante endémique au continent Américain (d'Amérique-du-Sud au Sud des USA), ayant la particularité de s'accrocher un peu partout, des branches d'arbres jusqu'aux câbles de communication. D'où l'appellation "fille de l'air". Elles sont florissantes en Floride et dans les bayous.

(1) Rémi Gettliffe est également le producteur attitré des jeunots de Last Train et de Kamarad.
(2) Le coin matos : Ibanez AK95 amputée d'une corde (façon Keith Richards),  Epiphone Sheraton II, De Armond M75, et une récente Explorer (Gibson pou Epiphone ?). Pour Adam, une superbe basse Duesenberg Fullerton et Epiphone Jack Cassidy (ooohhh...). Avec vraisemblablement une contrebasse. (batterie Ludwig)
(3) Groupe australien de Heavy-rock souvent considéré comme un précurseur du Stoner ⇒ lien


🎼🎶♬
Le disque précédent (lien ↦) : "What's Flowin' In My Veins" (2016)

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