Quelque soit la musique, de la plus mainstream à la plus extrême, de la musique classique au folk en passant par le Rock, on a toujours recherché ses origines, et en conséquence les précurseurs de tel ou tel mouvement. C'est d'autant plus fort dans la musique populaire de la seconde moitié du vingtième siècle, car on a l'avantage de pouvoir retrouver des faits tangibles. Ce qui n'empêche pas les débats passionnés et les diverses conjectures.
Ainsi, ceux portant sur la genèse du Hard-rock et sur celle du Heavy-Metal - intimement liée - génèrent encore des coups de sang, des crêpages de chignon (ou de tignasse, voire aujourd'hui de barbe "hipster" entretenue à grand renfort de crème et de coups de ciseaux du barbier) et des prises de bec (de Beck ?).
Dans la continuité, il y a celle du Stoner, du Rock-stoner, généralement attribuée aux groupes de Desert-rock qui allaient faire cracher leurs amplis dans des no-man's land. Kyuss en étant certainement le meilleur représentant, même s'il est parfois plutot attribué à Soundgarden l'honneur d'avoir réalisé le premier disque de Stoner. L'origine de ce courant n'échappe pas à la règle : bien difficile d'en trouver la source. Qui se doit d'être multiple. Né d'une cohorte de chevelus visiblement férus de gros Heavy-rock qui tâche, gavé de fuzz baveuses, sensible aux premiers Black Sabbath, et rejetant les excès d'un Rock US terni par l'obsession de l'image et de la performance, ainsi que par les excès d'une production riche en cholestérol, le Stoner marque le retour - avant même l'explosion du grunge - à une musique robuste et ravageuse, sans fard et sans concession, qui semble puiser sa source à l'aube des années soixante-dix. Outre Black Sabbath, ce sont Blue Cheer, Sir Lord Baltimore et Leaf Hound qui sont le plus souvent mentionnés comme formations de proto-Stoner, ainsi que comme influences. Toutefois, en aparté, rien ne prouve que Kyuss, Soundgarden, Sleep, Fu Manchu, Clutch et autres Monster Magnet, aient volontairement suivi les traces laissées par ces groupes.
Cependant, dans les disques que l'on peut considérer comme étant du proto-Stoner, bien qu'il possède tous les attributs propres au genre, il y en a un qui est parfois injustement omis : il s'agit de "Volcanic Rock". Un titre on ne peut plus approprié.
Un disque de dingues ! Un acétate de lave en fusion ! Une déflagration de rage ! Un condensé âpre de colère et de frustration.
Putain de bordel à queue ! C'est du lourd ! Une œuvre de brutasses, sans foi ni loi ! Un objet de dépravation pour la jeunesse. Vade retro Satanas !!
Pourtant, à l'origine, rien ne prédestinait l'explosion de ce volcan. Tout démarre avec Dave Tice, un mono-sourcil, jeune émigré Anglais qui cherche à monter un groupe de musiciens avec d'autres garçons du foyer d'émigration. Suite à une annonce pour le poste de bassiste, un gars du coin, de Brisbane, rejoint le groupe en gestation de Tice. Un certain Peter Williams Wells. C'était en 1966 et la troupe se nommait The Odd Colours. Au fil et à mesure des changements de personnel, elle change de nom. Tice et Wells en restant le noyau dur et indissociable. Tous deux fondus de Blues, ils désespèrent de devoir se cantonner à jouer de la Pop, sous l'autorité d'une paire d'agents plus malfrats que professionnels. Ils quittent alors Brisbane pour Sydney, abandonnant leur dernier groupe, afin de repartir à zéro, avec d'autres musiciens, et, enfin, jouer du Blues. Le nouveau combo se nomme Head et le premier 45-tours réalisé, résonne pourtant encore très Pop. Même si c'est un peu plus rugueux. Jusqu'au jour où ils virent leur guitariste. Ils auditionnent un blondinet, John Baxter, qui va totalement modifier le son de la troupe. Suivant les dires de Tice, bizarrement alors que l'optique du duo Tice-Wells est de s'engager dans une forme de Blues électrique, Baxter n'y connaît rien en la matière. Il y serait insensible. Cependant, après réflexion, ils estiment qu'il se passe quelque chose d'intéressant et décident de tenter l'expérience avec ce gars.
Le quatuor est engagé par Vertigo, le célèbre label Anglais alors en pleine ascension et spécialisé dans le Rock Progressif - ce qui ne les a pas empêché de prendre Black Sabbath, Jucy Lucy et Status Quo en leur sein -. C'est leur première signature d'un groupe non-britannique.
Le changement de patronyme annonce une nouvelle direction musicale radicale. Désormais, Dave Tice et John Baxter (les principaux compositeurs) vont faire dans le lourd.
La formation se fixe autour de John Baxter, guitariste, Paul Balbi, batteur et Alan Milano, co-chanteur, en plus de Tice & Wells.
C'est sous cette mouture qu'un premier opus est réalisé en 1972. "Dead Foverer", fait déjà dans le lourd et n'a rien à envier à ses homologues du lointain continent américain. Il garde seulement encore quelques oripeaux de Blues et de Rock'n'Roll. L'album comporte justement une reprise de Chuck Berry, une de Terry Thompson (auteur pour Chess Records) pour Arthur Alexander - connu du public blanc par les versions de Johnny Kidd & The Pirates et des Beatles -, une de Blues Image (groupe de Mike Pinera) et une du premier lp de Free.
Un premier disque parfois considéré comme la meilleure réalisation du groupe. Cependant, ce premier jet se révèle quelque fois foutraque et artisanal. Le duo de chanteurs n'étant pas toujours du meilleur effet, et John Baxter s'apparente - dans les moments les moins glorieux - à un Mick Box du pauvre couplé à un Tommy Iommi .
Étonnamment, Vertigo ne distribue pas les disques de Buffalo dans le Royaume-Uni. Peut-être par crainte de faire de la concurrence à Black Sabbath. Le label ne soutient pas non plus la bande pour traverser l'océan. Même si les retombées des quelques concerts qu'elle a pu effectuer à New-York ont été bonnes.
"Volcanic Rock", sorti un an plus tard, va plus loin dans la débauche électrique. C'est une éruption magmatique de Rock, suivi d'une nuée (h)ardente constituée de riff primitifs incandescents et de chants démoniaques.
Le Blues et encore plus le Rock'n'Roll, ne sont plus que de lointains souvenirs, ne parvenant à extirper le bout de leur nez de ce magma sonique qu'en de très rares occasions. Il est bien plus question de Heavy-Metal (proto ou pas) que de Heavy-rock. Buffalo veut être le groupe le plus lourd du continent et y réussit haut-la-main en proposant une musique se situant quelque part entre Blue-Cheer, Black-Sabbath et Steppenwolf, avec une tonalité principalement dans les graves et les médiums. C'est un séisme en Australie ; même les fans du premier disque ont de quoi être ébranlés. Jamais jusqu'à présent, un groupe Aussie n'avait déployé une telle puissance frénétique en studio. Même Billy Thorpe et ses Aztecs n'étaient pas allés si loin dans la déflagration lors de leurs mémorables prestations live.
Paradoxalement, le second opus semble sonner plus artisanal ; ça crépite, ça sature, ça défouraille. Ça oscille comme si c'était au bord de la rupture. On peine à croire que l'Australie n'ait jamais voulu développer l'armement nucléaire tant cette galette et donc les énergumènes qui en ont creusé les sillons, semblent radioactifs.
Un nouveau batteur, Jimmy Economou (un patronyme aux antipodes de son jeu), a été embauché pour cogner plus fort. Le deuxième chanteur a plié bagage, laissant le champ libre à David Tice. C'est un chanteur puissant, un hurleur, à la voix « rongée et terreuse », ce qui pourrait évoquer la prestation habitée de Richie Havens à Woodstock. Ou simplement Peter French, que l'on retrouve sur "Grower of Mushrooms", unique galette de Leaf Hound (longtemps objet de collection inabordable), sité justement comme pro-Stoner, et plus tard du brûlant "Ot'n'Sweaty" de Cactus.
La guitare semble dégouliner, déborder, de cyclopéennes Fuzz grasses et lourdes. Aux propres dires du guitariste John Baxter, il n'utilisait sa Gibson SG que directement branchée dans un ampli de 200 watts de fabrication Australienne (les amplis Strauss, réputés comme les plus puissants du continent ; également utilisé par Wells pour sa basse). Le seul effet utilisé, en de rares occasions, étant une pédale Wah-wah. Tandis que la basse de Pete Wells, portée en avant, couvrant presque la batterie, apporte la seule touche groovy à cette musique sombre. Un groupe de dingues que rien n'effraie, même pas de piquer dans les célèbres "Paranoïd" et "Black-Sabbath" pour les restructurer dans "Shylock" en clôture.
Après un "Sunrise" relativement conventionnel, bien proche de Black Sabbath en un peu plus hargneux, à partir de "Freedom", le quatuor anticipe carrément le Stoner-rock plus de vingt ans à l'avance. Il développe non seulement bon nombre de codes mais carrément le son et le grain ! A la fois lourd, poisseux, rampant, torturé. Avec en sus, quelque chose d'hypnotique. Des rythmes qui prennent leur temps, qui ne se bousculent pas. Tel un guerrier barbare massif, forgé par maintes batailles, avançant d'un pas assuré, sans précipitation, sur sa prochaine victime. Comme si la mise à mort n'était qu'une formalité.
Samsara Blues Experiment n'a rien inventé, pas plus qu'Orange Globin.
L'instrumental "Intro : Pound of Flesh" est la complainte d'un cyclope ouranien désespéré de ne pouvoir briser ses chaînes pour sortir du Tartare et revoir le soleil.
Il y a de la colère dans l'intonation et la nature des chansons. Tice est autant inspiré par sa littérature de prédilection, l'Histoire et la Science-fiction (qui, parfois, peuvent être proches ...), que par l'actualité. Il s'insurge contre la guerre du Vietnam et est sensible à l'écologie (thèmes que l'on retrouve dans "Sunrise"), et il lui semble que - déjà - les libertés sont doucement, mais sûrement, érodées.
Ce "Volcanic Rock" est l'équivalent, sinon d'une nuée ardente, du moins d'une tempête de sable envahissant Sydney, envahissant les avenues et les ruelles, couvrant la ville d'un lourd manteau de sable chaud, s'insinuant dans les oreilles et les narines. Si cette galette était sortie un an plus tard, en 1974, on aurait pu l'accuser d'avoir déclencher le tristement célèbre et destructeur cyclone Tracy.
Pour couronner le tout, non content d'ébranler les bonnes moeurs de la jeunesse australienne par une démoniaque orgie sonique, ils osent une illustration de pochette des plus intriguantes et des plus controversées. Un géant blond asexué, perché sur un volcan en activité, brandit avec peine au-dessus de ses épaules un volumineux pénis (!). Shoking ! - alors que John Baxter souhaitait seulement que la créature brandisse une guitare enflammée au dessus de sa tête - Et lorsque que l'on déplie la pochette - gatefold - on découvre - ô surprise - que le volcan possède une belle paire de fesses. Shoking ! Mieux, la lave semble s'écouler de la face avant du volcan humanoïde, entre ses jambes ... Que fait donc la censure ? Au niveau marketing, si la pochette éveille la curiosité, elle freine aussi l'élan des vendeurs qui hésitent à l'exposer.
Si certains groupes des 70's, dont deux sont déjà nommés plus haut, préfiguraient le rock Stoner, Buffalo est peut-être LE premier groupe Stoner, et on peut légitimement se demander si Josh Homme ne s'en est pas inspiré pour ses premiers enregistrements.
Nul doute que les amateurs de Queens of the Stone Age, Sleep, Sasquatch, Orange Globin, et autres Kyuss apprécieront.
Si les disques suivants sont moins sauvages, les concerts eux le restent.
On raconte même que Black Sabbath aurait douté en jouant après ce quatuor, à Sydney, tant le public répondait favorablement à ses assauts répétés.
Lassé par le management et le label, qui ne cesseront jamais d'inciter le groupe à essayer d'être plus commercial, Pete Wells prend la résolution de quitter le navire, abandonnant son vieux compagnon de route Dave Tice. Un déchirement pour ce dernier qui le considère comme un grand frère.
Wells s'en va former un autre groupe de freaks, qui va également faire saigner l'Australie, Rose Tattoo (☜ lien)
Quant à Dave Tice, il considère que Buffalo a perdu son essence. D'abord avec le départ de Baxter, puis ensuite avec celui de Wells. Ce que confirme le dernier opus, "Average Rock'n'Roller", qu'il considère comme commercial et qui, effectivement, n'a plus grand chose à voir avec le Buffalo original. Il part retrouver l'Angleterre qu'il avait quittée à l'âge de treize ans et se joint, avec Paul Balbi (le premier batteur de Buffalo), aux Count Bishops.
En 2013, Dave Tice monte un groupe, Buffalo Revisited, pour ressusciter sur scène le répertoire de ce groupe qui avait tant compté pour lui. Principalement celui des trois premiers opus. Malheureusement, il est le seul membre d'origine.
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