vendredi 28 juin 2019

L'ANNEE DU DRAGON de Michael Cimino (1985) par Luc B.


Nous avons déjà évoqué Michael Cimino avec LE CANARDEUR (1974, premier film) et LA PORTE DU PARADIS (1980), sans doute son chef d’œuvre, incompris et mutilé par les producteurs, qui ont mis fin à une trajectoire jusqu'ici sans faute. Bon, faut dire que Cimino avait à lui seul vidé les caisses de United Artists, qui a déposé le bilan ! Jamais Cimino ne retrouvera sa liberté d’artiste, il paiera pour l’ensemble des metteurs en scène dits du Nouvel Hollywood (de Palma, Coppola, Hooper) qui avaient cru pouvoir s’affranchir des normes commerciales dictées par les Studios. Après plusieurs projets avortés, il revient cinq ans plus tard, ultime sursaut avant une série de métrages nettement moins emballants.

Si HEAT de Michael Mann est sans doute le grand polar des 90's, L’ANNÉE DU DRAGON est celui des 80's. (POLICE FÉDÉRAL LOS ANGELES de Friedkin tient la corde...)
On a dit du CANARDEUR qu’il était homophobe, de VOYAGE AU BOUT DE L'ENFER qu'il était nationaliste, de LA PORTE DU PARADIS qu’il était communiste et négationniste, on dira de L’ANNEE DU DRAGON qu’il est raciste. Le pauvre Cimino est passé de sale coco à sale facho en deux films ! C’est sûr que le personnage de Stanley White (donc : Stanley Blanc) à la réplique et la dent dure envers la communauté chinoise. Il est vétéran et flic à Chinatown et pour lui tout ce qui a les yeux bridés s’apparentent aux Niakoués qu’il avait combattus au Vietman. Lecture simpliste, quand on veut se donner la peine de vraiment regarder le film, ce que le public américain n’a visiblement pas fait. Nommé aux Razzie Awards comme plus mauvais scénar, film et réalisateur ! Bingo ! Chez nous, il a eu le César pour le meilleur film étranger de l’année.
Pour éviter les problèmes, et sans doute bien tenu en laisse, Michael Cimino écrit (avec Oliver Stone) et réalise un film de facture plus commerciale, un polar, de deux heures et quelques, avec ce qu’il faut d’action et de romance. L’intrigue est conventionnelle : un flic de Chinatown déclare la guerre aux trafiquants de drogue, bien décidé à mettre à genou les triades locales, un flic border-line, cousin éloigné d’Harry Callahan. Et quand on sait que c’est Clint Eastwood qui lui a mis le pied à l’étrier…
Sa principale cible est Joey Tai (joué par John Lone qu’on reverra dans LE DERNIER EMPEREUR de Bertolucci), jeune caïd arriviste, qui ne supporte plus la vieille garde des mafieux, qui se la joue, se la pète, oubliant que dans ce genre d’affaires, la dope, il vaut mieux se faire discret. Joey Tai pêche par orgueil, sûr de son pouvoir, n’imaginant pas qu’un flic newyorkais puisse s’affranchir de la loi pour le combattre. Avec Stanley White, il est mal tombé. Pourtant, Tai et White vont discuter, et annoncer une trêve dans la guerre des gangs, après un règlement de compte particulièrement sanglant. Une scène de fusillade dans un restau, hallucinante, une des plus spectaculaires vues sur un écran.
Mais le conflit entre le truand et le flic est aussi personnel. White est atteint dans son intimité, les deux femmes qu’il aime deviennent des cibles à abattre. Son épouse Connie et sa maitresse Tracy, une journaliste qui couvre les évènements pour la télé ATTENTION SPOILER qui sera violée en guise d’avertissement. La scène où sa femme se fait égorger est juste d’une violence folle, inattendue, parce que Cimino avait pris soin de montrer leurs relations, leurs sentiments. La longue scène aux funérailles où White s’effondre en sanglots est bouleversante, d’autant qu’il accepte les condoléances des anciens mafieux, qui se désolidarisent des méthodes abjectes de Joey Tai. ... FIN Je pense que Mickey Rourke trouve ici son plus grand rôle, silhouette à la Bogart, imper et chapeau mou, clope au bec, tignasse argentée, insolent. Il faut l’entendre jurer comme un charretier devant les deux bonne-sœurs qui lui servent de traductrices !
Raciste, Stanley White ? Émigrant polonais lui-même, il est le premier à se traiter de « sale polack ». Une constance dans le cinéma de Cimino. De quoi l’Amérique est faite. D’émigrés, de cultures diverses, de peuples arrivés de partout, irlandais, italiens, russes, chinois… Quand Herbert Kwong, indic infiltré dans les triades, en a marre d’entendre ses diatribes sur les races, il lui lâche à la gueule que « la Chine c’est 5000 ans d’Histoire, de culture, de philosophie, d’inventions techniques », au contraire des Etats Unis. Mais Stanley White lui-même s’emporte quand l’Histoire américaine oublie pudiquement que le chemin de fer a été construit par les chinois, au prix de milliers de morts. Ou le voir ému aux larmes quand Kwong paie le prix fort de son infiltration.
Cimino entame son film par une longue scène de procession, il prend le temps de montrer les us et coutumes de la communauté chinoise, même s’il en souligne aussi les travers. Le film est moins manichéen qu’on le croit. Et à noter que le réalisateur a exigé que les chinois du film parlent chinois, donc sous-titré, ce qui se fait rarement dans le cinéma américain où toutes les nationalités parlent anglais !  
L’ANNÉE DU DRAGON est aussi une formidable plongée dans New York, Chinatown et ses ruelles, ses trafics, bouges clandestins, mais aussi Brooklyn, l’appartement de Tracy Tzu donne sur un panorama de rêve, la skyline, et Cimino filme des images formidables de la ville, comme les tours du World Trade Center dans l’alignement d’une avenue, ou le Chrysler building (photo ci contre). C’est aussi un polar tendu, une enquête difficile, violente, Cimino démontre quel immense metteur en scène il est, dans les scènes intimes (White avec sa femme, son ami Louis Bukowski) comme dans les scènes d’actions. Lorsque White poursuit Joey Tai dans son restaurant, lui massacre la gueule, puis pris pour cible par deux tueuses, poursuite et coups de pétards en pleine rue. Admirable.
La dernière séquence dans le port est particulièrement réussie, ultime face à face, toi et moi, yeux dans les yeux et flingue en pogne, alors que Stanley White s’est fait retirer son badge de flic depuis un bon moment par une hiérarchie ulcérée de ses écarts de conduite, et de langage. White est un flic entier, intègre, violent, mais c’est un homme dans toutes ses contradictions. Mickey Rourke lui prête sa prestance, son charme venimeux, son insolence. Il est parfait, comme l’ensemble de la distribution.       
L’ANNÉE DU DRAGON n’a sans doute pas la beauté dramatique de VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER (1978) ni l’intensité lyrique de LA PORTE DE PARADIS, mais c’est un film dense, superbement réalisé, ambitieux visuellement, très loin des polars lambda des 80’s (mais parfois divertissants) qui misaient beaucoup sur la frime et le clinquant. Certes, on aurait pu se passer du happy end sentimental, mais on aura compris que Michael Cimino avait intérêt à faire profil bas s’il voulait un jour retoucher une caméra.

Liens vers les articles : Michael Cimino RIP , LE CANARDEUR et LA PORTE DU PARADIS


couleur  -  2h15  -  format scope

3 commentaires:

  1. Tout d’abord, en effet, y'a bataille quant au meilleur polar avec To Live and Die in L.A. J'en profite pour fustiger (je suis poli, non?) Amazon qui a sucré tous mes com' dont Police Fédérale L A, même pas de copie, du vent, s'en batte les coui...
    Bon c'est pas tout, l'année du Dragon, c'est un monument!
    Parce que Cimino, évidemment, qui resserre l'histoire, pas comme dans La porte du Paradis. Il s'étonnait se vautrer avec 3 ou 4 plombes à dézinguer ses compatriotes? Les gens ils finissaient leur pop corn et leur coca à même pas la moitié du film, ben après ils se cassaient...
    Parce que Mickey Rourke, son meilleur rôle comme tu dis, pas difficile, à part Barfly, Rusty James ou Sin City, il a fait que des merdes.
    On peut trouver des similitudes entre Joey Tai dans le film et Koji Sato dans Black Rain de Ridley Scott quant au mépris des traditions. Et Michael Douglas n'est pas en reste question racisme latent...
    Grand film, ouais, bravo!

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  2. Ah oui, Black Rain, je l'avais zappé celui-ci, c'est pas mal dans mon souvenir...

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  3. Quel film ! A l'époque, pour beaucoup, ce fut une claque (modèle XXL)
    Il a relancé le genre, et il y eut un avant et un après "L'Année du Dragon".
    (ouaip, effectivement, quelques similitudes avec Dirty Harry)

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