samedi 29 juin 2019

Frederick DELIUS – A Song of Summer & In a summer garden – John BARBIROLLI – par Claude Toon



- Tiens, Summer, l'été, c'est de circonstance M'sieur Claude… Et puis après Ignaz Moscheles le tchèque il y a quelques semaines, Frederick Delius !? C'est qui ?
- Delius est un compositeur anglais assez peu connu en France comme souvent hélas… Un ostracisme à rapprocher de celui envers Vaughan Williams ou Elgar…
- Ah oui, Vaughan Williams et ses symphonies ou son concerto pour tuba si rigolo écouté l'été dernier… C'est quel époque ce Sir Delius ?
- Delius est né en 1862 mais a composé tardivement, c'est donc un postromantique dans un sens, un admirateur de Wagner mais aussi de modernistes comme Debussy.
- Pour ce premier papier, deux œuvres en rapport avec l'été… Quel genre ? De la musique symphonique ou des pièces pour piano… Cela dit Barbirolli étant un maestro…
- Oui en fin de carrière John Barbirolli a gravé une belle anthologie orchestrale pour EMI. On peut parler de fantaisies pour orchestres, ou même de poèmes symphoniques.

Frederick Delius (1862-1934)
Frederick Delius voit le jour en 1862 à Bradford en Angleterre. Il est le second fils d'une fratrie de 14 enfants😧. Sa mère, Elise Pauline Delius, née Krönig (1838–1929 soit 91 ans !) aurait pu concourir pour le prix Cognacq Jay (nb enfants >=9). Blague à part, d'ascendance allemande et même un soupçon néerlandaise, la famille Delius est riche de son commerce de la laine très rémunérateur dans l'Empire britannique mis en coupe réglée par l'énergique reine Victoria. Les Delius sont des bourgeois cultivés et font apprendre le violon et le piano au jeune Fritz (prénom typiquement teuton que portera Frederick jusqu'à la quarantaine). Le business ne l'enthousiasme guère, le jeune homme étant plutôt enclin à se passionner pour la littérature et l'art, d'où des tensions entre le père et le fils. Ses parents l'envoient en Floride gérer une plantation d'orangers en 1884. La guerre de sécession n'a pas encore changé grandement le sort des afro-américains même si le statut d'esclave a été aboli…
Delius comme Bartók en Europe centrale ou encore Dvorak auprès des indiens du nord des USA se passionnera pour les chants traditionnels locaux. En l'occurrence celui des anciens esclaves noirs. Il n'a hélas guère de formation de compositeur et d'analyse mais bénéficie de quelques conseils d'un organiste à Jacksonville, Thomas Ward qui l'initie au contrepoint et à la composition. Après son retour en Europe en 1887, à Leipzig, il compose une suite symphonique aux accents descriptifs, ce qui sera l'une des constantes de son style, Florida suite, une musique élégante et sympathique dont la partition sera ressuscitée début des années 60 par Sir Thomas Beecham, le truculent chef d'orchestre british (Clic).
Depuis 1886, le père en a pris son parti et finance des études musicales solides pour Fritz au Conservatoire de Leipzig, précisément. Petite remarque personnel. Je suis stupéfait de lire l'article trèèèès imposant et en français sur Wikipédia sur ce compositeur dont un de mes compatriotes sur mille doit connaître le nom… Allez savoir, j'ai peut-être la dent dure…
Je ne vais pas concurrencer l'encyclopédie en ligne ou d'autres articles dans lesquels je puise mes infos les plus essentielles pour dresser le portrait de Delius. Un homme qui ne limitera pas son activité à la musique, un homme en avance pour son temps dans bien des domaines. Friand de peinture, il épousera ainsi l'artiste-peintre allemande Jelka Rosen rencontrée en 1897.
Portrait par Jelka Rosen
Sur le plan musical, il commence par appartenir au courant wagnérien dont il admire le récit musical en continu à l'opposé des formes de type sonate avec leurs thématiques et structures très cadrées.

Il s'enthousiasmera pour le chromatisme wagnérien puis, plus tardivement, pour les recherches tonales des précurseurs de la musique moderne comme Debussy. Il vivra un temps à Paris mais curieusement fréquentera peu de compositeurs français au bénéfice de liens d'amitié avec des personnalités des lettres et des arts comme August Strindberg, Edvard Munch et Paul Gauguin. La peinture, toujours omniprésente dans son existence s'insinue dans ses compositions soucieuses d'évocation et de description de paysages et de la mer ; une constante de la musique anglaise que l'on rencontre également chez Vaughan Williams. Deux autres influences notables : Richard Strauss et ses poèmes symphoniques. Tout comme Grieg, une autre référence pour lui, Delius allégera très sensiblement le discours et l'orchestration dans sa production. Il sera influencé par Maurice Ravel, lui aussi le maître de la couleur orchestrale chamarrée et de la limpidité.
Delius, un grand compositeur ? Sans doute pas, surtout avant 1895 où les spécialistes parlent "d'aimable fadeur" ! Ok, le mot est dit. On peut l'admettre, mais tout amateur de musique poétique trouvera son bonheur, d'où mon choix de deux pièces symphoniques élégiaques et ensoleillées. Delius reste un original. Ainsi, en 1897, la suite Appalachia fait appel à un chœur utilisé tel un instrument, un chant sans texte, un ouvrage qui occupe une grande partie du coffret de John Barbirolli. Son catalogue est assez varié mais sa reconnaissance reste tardive. On peut lister rapidement : une quinzaine de poèmes symphoniques, six opéras, quatre concertos, des œuvres pour chœur et orchestre (très anglais çà).
Les dernières années de Frederick Delius seront assombries par la syphilis contractée à la fin du XIXème siècle. Malgré la paralysie et la cécité, il continuera d'écrire et de peaufiner ses ouvrages antérieurs. Il meurt en France, le 10 juin 1934 à Grez-sur-Loing à l’âge de 72 ans
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In a summer garden (Jelka Rosen)
Pour le premier article consacré au cycle des symphonies de Gustav Mahler, j'avais retenu la 6ème symphonie dite "tragique" dans l'interprétation de John Barbirolli. Un choix parmi d'autres grandes versions dans une discographie pléthorique pour cette œuvre macabre et violente à la difficulté de mise en place bien connue, une terreur pour certains chefs, y compris des spécialistes comme Bruno Walter qui ne la jouait jamais…
J'avais dressé un portrait de ce maestro introverti, soulageant ses angoisses existentielles en se plongeant à la fois dans la musique au plus près des intentions des compositeurs et dans l'alcool. Il aura d'ailleurs une vie assez brève (1899-1970). (Clic)
Curieux personnage que ce fils d'une mère française et d'un père italien qui sauvera de la disparition l'orchestre Hallé de Manchester en le hissant pendant 27 ans à un niveau superlatif. Et soulignons une généalogie insolite pour un artiste qui deviendra l'un des défenseurs les plus assidus de la musique anglaise. Ce coffret de référence consacré à Delius en est un témoignage incontournable. Bien que les enregistrements datent des années 60, ils sont toujours inscrits au catalogue EMI à un prix très raisonnable (moins de 10 € pour deux CD). Une anthologie plus subtile que les gravures du toujours iconoclastes Beecham. Jeune, Barbirolli avait déjà dirigé Delius vers la fin des années 20 devant le compositeur conquis par la compréhension qu'avait le maestro de sa musique. La captation de la rhapsodie anglaise Brigg Fair eut lieu quelques jours avant la mort du chef.
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In a summer garden (1967)
Cette fantaisie composée en 1908 fut créée en 1911 par le compositeur lui-même. Le tableau de son épouse ci-contre fut-il une source d'inspiration ? Je l'ignore, mais les deux œuvres, picturale ou musicale, portent en elles une évidente volonté de mettre en scène un été bucolique, les couleurs et les senteurs estivales. On pensera au quatuor de Ravel (mouvement lent), ou encore à la pièce les parfums de la nuit dans Iberia de Debussy. Le compositeur accompagna sa composition de citations pour nous guider : l'une du poète et peintre anglais Dante Gabriel Rossetti : Toutes sont mes fleurs ; les douces fleurs de l'amour / Qu'à toi j'ai données alors que le Printemps et l'Été chantaient. L'autre, anonyme : Des roses, des lys, et cent fleurs parfumées. Des papillons éclatants, voletant de pétale en pétale. Sous l'ombre d'arbres vénérables, une paisible rivière couverte de nénuphars. Sur un bateau, presque cachées, deux personnes. Une grive chante dans le lointain.
L'orchestration est riche, sans les excès des confrères allemands : 3 flûtes, 2 hautbois + cor anglais, 2 clarinettes + clarinette basse, 3 bassons, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones ténor, 1 tuba, 3 timbales, glockenspiel, triangle, harpe et cordes. (Partition)
Quelques doux accords des bois pp se font entendre, les cordes leur succèdent, une brise d'où surgissent des petits motifs facétieux du cor anglais, des hautbois et des clarinettes. Une musique facile ? Oui et alors, abeilles et oiseaux volètent de fleurs en fleurs. (On dirait une rédaction de CM1 et c'est volontaire.) Je parlais plus haut de mélodie en continu sans motifs répétés respectant les règles de la forme sonate, nous l'entendons ici. Beaucoup de joie et de lumière dans cette peinture pastorale. On distingue une course poursuite ludique entre les différents pupitres, notamment les bois très sollicités. [5:14] Changement de décor, un longue phrase élégiaque aux cordes accompagne une rythmique cocasse des vents. Un léger crescendo agrémenté d'arpèges de la harpe conclut ce passage aux couleurs orchestrales très différentes de celles de l'introduction. Il serait tout à fait pertinent de chorégraphier cette partition. La musique gagne en épicurisme permettant aux percussions cristallines de s'imposer dans ce discours coloré et poétique digne d'une musique de film romantique. [10:11] Nouveau motif à l'alto repris par la flûte, une promenade à travers les champs scandée par un discret rythme obsédant des cors marque le début de la coda, elle aussi riche d'interventions malicieuses des bois. Un jardin bien agréable pour prendre le thé…
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Delius dans son jardin par Jelka Rosen (1900)
A Song of Summer (1970)
Ce poème symphonique de taille plus modeste que l'ouvrage précédent a été écrit en 1918, mais Delius avoua en 1921 à son ami le compositeur Peter Warlock* avoir égaré la partition. Quand on n'a pas d'ordre😀. En 1931, Delius est aveugle mais reprend le travail et dicte à son assistant, le compositeur Eric Fenby, la composition telle que nous l'écoutons ce jour. Fenby (1906-1997) en sera le dédicataire et gravera en 1981 sa propre interprétation, la création ayant été confiée à Sir Henry Joseph Wood, un maestro de la même génération que Delius. Dernier détail, Barbirolli dirige l'orchestre Hallé pour toutes ces gravures.
(*) Compositeur à découvrir mort mystérieusement en 1930 à 36 ans. Digne d'Agatha Christie…
L'orchestration se rapproche de l'orchestre romantique par son absence de percussions : 2 flûtes + piccolo, 2 hautbois + cor anglais, 3 clarinettes + clarinette basse, 3 bassons+ contrebasson, 4 cors, 3 trompettes, 2 trombones, 1 tuba, 3 timbales, harpe et cordes. (Partition)
Un thrène des violons souligné par des traits plus sombres des cordes graves nous plongent d'emblée dans une aube d'été déjà bien chaude. Flûtes gazouillantes, cors au lointain et hautbois chanteurs peignent la nature qui s'éveille. Une musique simple, douce et poétique même si totalement à contre-courant des modes d'écritures des années 20-30, notamment de la théorie sérielle. Par contre nous retrouvons le principe de la mélodie en continu très fluide, presque relaxante. [1:48] Une petite reprise des mesures initiales introduit un changement de climat plus lumineux : la flûte rejointe par les bois puis des petits arpèges agrestes de la harpe illuminent l'espace sonore. [2:38] Un solo de violon prend le relai. Aucune méditation métaphysique. Delius joue la carte du beau son, ce qu'il a toujours cherché dans ses orchestrations. Cette œuvre est une ballade à travers champs et forêts. Elle s'écoute avec plaisir sans prise de tête.
Dans la partie centrale, un crescendo apporte une variation notable dans la conception d'une pièce qui présente bien plus de fantaisie qu'il n'y paraît dans sa structure.
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Et pour être totalement exhaustif vis-à-vis de mes chers lecteurs, je signale que ce coffret comporte une troisième petite œuvre inspirée par l'été : Summer Night on the river. Un You tuber a créé une vidéo il y a peu, je l'ajoute.




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