- Tiens,
Summer, l'été, c'est de circonstance M'sieur Claude… Et puis après Ignaz
Moscheles le tchèque il y a quelques semaines, Frederick Delius !? C'est qui ?
- Delius est
un compositeur anglais assez peu connu en France comme souvent hélas… Un
ostracisme à rapprocher de celui envers Vaughan Williams ou Elgar…
- Ah oui, Vaughan
Williams et ses symphonies ou son concerto pour tuba si rigolo écouté l'été dernier…
C'est quel époque ce Sir Delius ?
- Delius est
né en 1862 mais a composé tardivement, c'est donc un postromantique dans un
sens, un admirateur de Wagner mais aussi de modernistes comme Debussy.
- Pour ce
premier papier, deux œuvres en rapport avec l'été… Quel genre ? De la musique
symphonique ou des pièces pour piano… Cela dit Barbirolli étant un maestro…
- Oui en fin
de carrière John Barbirolli a gravé une belle anthologie orchestrale pour EMI.
On peut parler de fantaisies pour orchestres, ou même de poèmes symphoniques.
Frederick Delius (1862-1934) |
Delius comme Bartók en Europe centrale ou encore Dvorak
auprès des indiens du nord des USA se passionnera pour les chants traditionnels locaux. En
l'occurrence celui des anciens esclaves noirs. Il n'a hélas guère de formation
de compositeur et d'analyse mais bénéficie de quelques conseils d'un organiste à
Jacksonville, Thomas Ward qui l'initie au
contrepoint et à la composition. Après son retour en Europe en 1887, à Leipzig, il compose une suite
symphonique aux accents descriptifs, ce qui sera l'une des constantes de son
style, Florida
suite, une musique élégante et sympathique dont la partition
sera ressuscitée début des années 60 par Sir
Thomas Beecham, le truculent chef
d'orchestre british (Clic).
Depuis 1886, le père en a pris son parti et finance
des études musicales solides pour Fritz au Conservatoire de Leipzig, précisément.
Petite remarque personnel. Je suis stupéfait de lire l'article trèèèès imposant
et en français sur Wikipédia sur ce compositeur dont un de mes compatriotes sur mille doit connaître le nom… Allez savoir, j'ai peut-être la dent dure…
Je ne vais pas concurrencer l'encyclopédie en ligne ou
d'autres articles dans lesquels je puise mes infos les plus essentielles pour
dresser le portrait de Delius.
Un homme qui ne limitera pas son activité à la musique, un homme en avance pour
son temps dans bien des domaines. Friand de peinture, il épousera ainsi l'artiste-peintre
allemande Jelka Rosen rencontrée en
1897.
Portrait par Jelka Rosen |
Il s'enthousiasmera pour le chromatisme wagnérien puis,
plus tardivement, pour les recherches tonales des précurseurs de la musique
moderne comme Debussy. Il vivra un temps à
Paris mais curieusement fréquentera peu de compositeurs français au bénéfice de
liens d'amitié avec des personnalités des lettres et des arts comme August Strindberg, Edvard Munch
et Paul Gauguin. La peinture,
toujours omniprésente dans son existence s'insinue dans ses compositions soucieuses
d'évocation et de description de paysages et de la mer ; une constante de la
musique anglaise que l'on rencontre également chez Vaughan
Williams. Deux autres influences notables : Richard
Strauss et ses poèmes symphoniques. Tout comme Grieg, une autre référence pour lui, Delius allégera très sensiblement le
discours et l'orchestration dans sa production. Il sera influencé par Maurice
Ravel, lui aussi le maître de la couleur orchestrale chamarrée
et de la limpidité.
Delius, un grand compositeur ? Sans doute pas, surtout avant
1895 où les spécialistes parlent "d'aimable fadeur" ! Ok, le mot est
dit. On peut l'admettre, mais tout amateur de musique poétique trouvera son
bonheur, d'où mon choix de deux pièces symphoniques élégiaques et ensoleillées.
Delius reste un original. Ainsi, en 1897, la suite Appalachia fait appel
à un chœur utilisé tel un instrument, un chant sans texte, un ouvrage qui
occupe une grande partie du coffret de John Barbirolli.
Son catalogue est assez varié mais sa reconnaissance reste tardive. On peut
lister rapidement : une quinzaine de poèmes symphoniques, six opéras,
quatre concertos,
des œuvres pour
chœur et orchestre (très anglais çà).
Les dernières années de Frederick
Delius seront assombries par la syphilis contractée à la fin du
XIXème siècle. Malgré la paralysie et la cécité, il continuera d'écrire et de
peaufiner ses ouvrages antérieurs. Il meurt en France, le 10 juin 1934 à
Grez-sur-Loing à l’âge de 72 ans
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
In a summer garden (Jelka Rosen) |
J'avais dressé un portrait de ce maestro introverti, soulageant
ses angoisses existentielles en se plongeant à la fois dans la musique au plus
près des intentions des compositeurs et dans l'alcool. Il aura d'ailleurs une vie
assez brève (1899-1970). (Clic)
Curieux personnage que ce fils d'une mère française et
d'un père italien qui sauvera de la disparition l'orchestre
Hallé de Manchester en le hissant pendant 27 ans à un niveau
superlatif. Et soulignons une généalogie insolite pour un artiste qui deviendra
l'un des défenseurs les plus assidus de la musique anglaise. Ce coffret de
référence consacré à Delius
en est un témoignage incontournable. Bien que les enregistrements datent des années
60, ils sont toujours inscrits au catalogue EMI à un prix très raisonnable
(moins de 10 € pour deux CD). Une anthologie plus subtile que les gravures du
toujours iconoclastes Beecham.
Jeune, Barbirolli avait déjà dirigé
Delius vers la fin des années 20 devant le
compositeur conquis par la compréhension qu'avait le maestro de sa musique. La captation
de la rhapsodie anglaise Brigg Fair
eut lieu quelques jours avant la mort du chef.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
In a summer garden (1967)
Cette fantaisie composée en 1908 fut créée en 1911 par
le compositeur lui-même. Le tableau de son épouse ci-contre fut-il une source
d'inspiration ? Je l'ignore, mais les deux œuvres, picturale ou musicale,
portent en elles une évidente volonté de mettre en scène un été bucolique, les
couleurs et les senteurs estivales. On pensera au quatuor de Ravel (mouvement lent), ou encore à la
pièce les parfums de la nuit dans Iberia de Debussy.
Le compositeur accompagna sa composition de citations pour nous guider : l'une du
poète et peintre anglais Dante Gabriel
Rossetti : Toutes
sont mes fleurs ; les douces fleurs de l'amour / Qu'à toi j'ai données alors
que le Printemps et l'Été chantaient. L'autre, anonyme : Des roses, des
lys, et cent fleurs parfumées. Des papillons éclatants, voletant de pétale en
pétale. Sous l'ombre d'arbres vénérables, une paisible rivière couverte de
nénuphars. Sur un bateau, presque cachées, deux personnes. Une grive chante
dans le lointain.
L'orchestration est riche, sans les excès des
confrères allemands : 3 flûtes, 2 hautbois + cor anglais, 2 clarinettes +
clarinette basse, 3 bassons, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones ténor, 1 tuba, 3
timbales, glockenspiel, triangle, harpe et cordes. (Partition)
Quelques doux accords des bois pp se font entendre,
les cordes leur succèdent, une brise d'où surgissent des petits
motifs facétieux du cor anglais, des hautbois et des clarinettes. Une musique facile ? Oui
et alors, abeilles et oiseaux volètent de fleurs en fleurs. (On dirait une
rédaction de CM1 et c'est volontaire.) Je parlais plus haut de mélodie en continu
sans motifs répétés respectant les règles de la forme sonate, nous l'entendons ici. Beaucoup
de joie et de lumière dans cette peinture pastorale. On distingue une
course poursuite ludique entre les différents pupitres, notamment les bois très
sollicités. [5:14] Changement de décor, un longue phrase élégiaque aux cordes
accompagne une rythmique cocasse des vents. Un léger crescendo agrémenté
d'arpèges de la harpe conclut ce passage aux couleurs orchestrales très
différentes de celles de l'introduction. Il serait tout à fait pertinent de chorégraphier
cette partition. La musique gagne en épicurisme permettant aux percussions cristallines
de s'imposer dans ce discours coloré et poétique digne d'une musique de film
romantique. [10:11] Nouveau motif à l'alto repris par la flûte, une promenade à
travers les champs scandée par un discret rythme obsédant des cors marque le début de la coda, elle aussi riche d'interventions malicieuses des
bois. Un jardin bien agréable pour prendre le thé…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Delius dans son jardin par Jelka Rosen (1900) |
A Song of Summer (1970)
Ce poème symphonique de taille plus modeste que
l'ouvrage précédent a été écrit en 1918, mais Delius
avoua en 1921 à son ami le compositeur Peter Warlock* avoir égaré la partition.
Quand on n'a pas d'ordre😀. En
1931, Delius est aveugle mais
reprend le travail et dicte à son assistant, le compositeur Eric Fenby,
la composition telle que nous l'écoutons ce jour. Fenby
(1906-1997) en sera le dédicataire et gravera en 1981 sa propre interprétation, la création ayant été confiée à Sir Henry Joseph Wood, un maestro de la
même génération que Delius. Dernier détail, Barbirolli dirige l'orchestre
Hallé pour toutes ces gravures.
(*) Compositeur à découvrir
mort mystérieusement en 1930 à 36 ans. Digne d'Agatha Christie…
L'orchestration se rapproche de l'orchestre romantique
par son absence de percussions : 2 flûtes + piccolo, 2 hautbois + cor anglais, 3
clarinettes + clarinette basse, 3 bassons+ contrebasson, 4 cors, 3 trompettes, 2
trombones, 1 tuba, 3 timbales, harpe et cordes. (Partition)
Un thrène des violons souligné par des traits plus
sombres des cordes graves nous plongent d'emblée dans une aube d'été déjà bien
chaude. Flûtes gazouillantes, cors au lointain et hautbois chanteurs peignent la
nature qui s'éveille. Une musique simple, douce et poétique même si totalement
à contre-courant des modes d'écritures des années 20-30, notamment de la
théorie sérielle. Par contre nous retrouvons le principe de la mélodie en
continu très fluide, presque relaxante. [1:48] Une petite reprise des mesures initiales
introduit un changement de climat plus lumineux : la flûte rejointe par les
bois puis des petits arpèges agrestes de la harpe illuminent l'espace sonore. [2:38]
Un solo de violon prend le relai. Aucune méditation métaphysique. Delius joue la carte du beau son, ce qu'il
a toujours cherché dans ses orchestrations. Cette œuvre est une ballade à
travers champs et forêts. Elle s'écoute avec plaisir sans prise de tête.
Dans la partie centrale, un crescendo apporte une
variation notable dans la conception d'une pièce qui présente bien plus de
fantaisie qu'il n'y paraît dans sa structure.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Et pour être totalement exhaustif vis-à-vis de mes
chers lecteurs, je signale que ce coffret comporte une troisième petite œuvre inspirée
par l'été : Summer Night on the river. Un You tuber a créé une vidéo il y a
peu, je l'ajoute.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire