jeudi 27 juin 2019

LE SPECIALISTE , film de Sergio CORBUCCI (1969)

Ce western  "spaghetti" (une coproduction française/allemande/italienne) sorti en 1969 n'a pas marqué le genre, on peut même dire que c'est un film mineur, mais je vais vous en dire 2 mots pour plusieurs raisons : d'abord parce qu’après visionnage récent je l'aime bien, ensuite  pour une curiosité puisque dans le rôle principal on trouve un certain Johnny Hallyday, enfin il est tout de même signé Sergio Corbucci, un des maîtres du genre ("Django", "La grand silence", "Far west story" "Companeros").
Quand Johnny tourne ce film il a 26 ans, il a déjà apparu dans plusieurs films comme "les parisiennes", "cherchez l'idole" , "d'où viens tu Johnny", des films à la Elvis , semis musicaux, prétexte à pousser quelques chansons. Aprés ce western il retrouvera épisodiquement les plateaux, sous les ordres de réalisateurs de premier plan, Hossein ("Point de chute" 1974), Lelouch ("l'aventure c'est l'aventure" 1970) , Godard ("Detective" 1984), Costa Gavras ("Conseil de famille" 1985).
avec Luccini  dans Jean Philippe

Mais c'est la soixantaine passée qu'il aura sans doute fait ses apparitions sur toile les plus marquantes avec 'L'homme du train ", "Wanted" ou "Jean-Philippe" où il campe un Jean-Philippe Smet qui dans un monde parallèle ne serait jamais devenu "Johnny". Notons aussi "Salaud on t'aime " de Lelouch en 2014, en compagnie de son compère Eddy Mitchell, un Eddy qui en comparaison aura eu une carrière cinématographique bien plus marquante ("Coup de torchon", "A mort l'arbitre", "Le bonheur est dans le pré"," la totale" , "Ronde de nuit", "Attention, une femme peut en cacher une autre"...).

Au générique de cette production destinée principalement au marché français on trouve aussi Françoise Fabian qui "explosera" cette même année avec "Ma nuit chez Maud" d'Eric Rohmer, Syvie Fennec et Serge Marquand ; quant au chef des bandits de service "El diablo" il est incarné par l'acteur suisse-allemand Mario Adorf, apparu dans prés de 200 films de 1954 à 2016. Le film marchera bien en France dépassant le million d'entrées, mais passera plus inaperçu en Italie ou Johnny est peu connu.

Pour Corbucci, ce tournage intervient entre 2 westerns d'essence "zappatiste" (ayant pour cadre la révolution mexicaine), "El mercenario" (1968, avec Franco Nero et Jack Palance) et "Companeros" (1970, Nero, Palance et Thomas Milian). Le film se tourne à Rome et pour les extérieurs dans le superbe massif des Dolomites, Sylvie est avec Johnny et l'ambiance est camp de vacances...
Le tournage  est aussi très rock'n'roll avec beaucoup pas mal impro, ainsi par exemple un beau matin Corbucci demande à Françoise Fabian de tourner une scène imprévue de viol dénudée et celle ci l'envoie paître...

Comment Johnny s'est il retrouvé là dedans, tout simplement qu'à cette période le western européen était en plein boum et que les producteurs ont voulu surfer sur une double vague, celle du western et celle de l'idole des jeunes. Johnny avait aussi envie de tourner un western et de jouer au cowboy, je le sais d'une connaissance qui lui avait soumis un autre scénario mais il s'était déjà engagé avec Corbucci. Peu d'autres acteurs français se sont essayé au western, citons Trintignant ("Le grand silence"), Robert Hossein qui réalise et joue "Une corde, un colt", Brigitte Bardot dans "les pétroleuses" (même si c'est plus une comédie franchouillarde qu'un western), Marc Mazza (c'est lui qui prend des baffes de Terence Hill dans la scène culte de" Mon nom est personne" ou... Gainsbourg qui apparaît dans 3 péplums début des 60's.

Johnny  incarne ici Hud, un pistolero rapide et implacable, craint dans tout l'Ouest, d'où son surnom de spécialiste (du dessoudage); celui ci débarque dans la petite ville de Blackstone pour trouver les coupables du lynchage de son frère par les habitants de la ville , ceux ci l'accusant du braquage de la banque, même si le magot n'a jamais été retrouvé. Mais El Diablo et sa bande sont aussi sur la piste du trésor, et il y aura pas mal de rebondissements et de méchants refroidis...
Le personnage de Hud est clairement inspiré de l'homme sans nom, l'étranger des films de Léone joué par Clint Eastwood. Cette "trilogie des dollars" et son  pistolero énigmatique auront décidément influé bien des acteurs et réalisateurs!  L'ironie de l'histoire est que Eastwood reprendra  les grandes lignes du scénario à son compte en 72 dans "l'homme des hautes plaines".
Le film n'est pas  mauvais mais là ou le bat blesse c'est que Johnny n'est pas crédible une seconde dans ce personnage,  trop jeune, trop beau gosse, manque d'épaisseur. Cela dit j'ai lu des critiques qui disaient  que son cheval jouait mieux que Johnny, c'est exagéré (même si le cheval est trés bon) , il ne faut pas oublier que notre perception est faussée car on voit a l'écran LE Johnny vedette yéyé, et pas un acteur. Le même film avec en vedette un acteur du charisme de Franco Nero ou Eastwood aurait surement eu un autre retentissement.

Au delà de l'intrigue de vengeance relativement convenue, que faut il retenir de  tout ça? Déjà que c'est du Corbucci, coté mise en scène c'est pas si mal, de bons plans aussi et une certaine créativité, avec quelques plans à la limite du fantastique (cf "Django") et d'autres plus délirants, n'oublions pas  que Corbucci était marqué par la comedia del arte.
L’élément le plus bizarre c'est la présence d'une bande de jeunes hippies évadés de Woodstock, vêtus de peau de bête et colliers à fleurs, qui fument des joints et pratiquent l'amour libre, la partouze même. Woodstock c'est la même année donc on nage dans l'air du temps... En même temps ces gugusses n'ont rien de sympathiques et sont mêmes inquiétants et libidineux. Voir la scène surréaliste où ils rassemblent  les villageois et les obligent à se mettre à poil et à ramper dans la boue, du grand délire sans doute inspiré par certaines expériences photographiques de l'époque avec des foules nues.
Bizarre aussi, Johnny/Hud porte un gilet pare balles, une cote de maille en fait, et les balles rebondissent sur lui alors qu'on le flingue dans le final. Pourtant il est salement amoché mais "ressuscite" pour faire justice, un peu comme Django. Deux autres scènes cocasses celle du "combat de toros" dans lequel les deux adversaires ont les mains bandés dans le dos et se filent des coups de boule comme des bovidés. Enfin la scène finale où le héros retrouve le magot - qui bien sur n'avait pas été dérobé par son frangin - et le fait brûler sous les yeux des villageois horrifiés, provoquant des scènes d'hystérie.  Il faut voir dans cette allégorie de l'argent brûlé une critique de la société de consommation, encore un thème très "flower power" ...
Une oeuvre mineure comme je le disais en intro, mais pas à négliger pour autant pour les amateurs du genre, et puis voir Johnny jouer du colt  ça vaut le détour...

ROCKIN "Gringo" -JL

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