mardi 29 janvier 2013

DJANGO (1966) de Sergio Corbucci, par ROCKIN "COLTS D'OR" -JL





- Bonjour Sonia, vous avez passé un bon weekend ?
- Oui M'sieur Rockin, même que j'ai été au ciné avec mon amoureux
- Ah ? Et qu'avez-vous été voir ?
- Le film de Tarantino dont Monsieur Luc a parlé Vendredi dernier
- "Django unchained", et ça vous a plu ?
- Oui, terrible, tout comme Monsieur Luc disait, c'est vrai qu'il y a un  western qui s'appelait aussi Django ? Vous connaissez M'sieur Rockin ?
- Ah vous tombez bien Sonia, vous savez  que je suis comme qui dirait un spécialiste de western italien, je donnais justement avant-hier une conférence sur ce sujet à la MJC de Bourg-Moilmou et…
- Dites siouplait M'sieur Rockin, vous pourriez nous en parler de ce "Django", siouplait
- Vous avez une heure devant vous ? Alors c'est parti…
- Pfff je sens qu'il va nous faire aussi long que Monsieur Luc sur "2001", quels bavards ceux là..

LE WESTERN ITALIEN
Django est sans doute - avec les Sergio Léone - le western italien le plus emblématique, le plus  plagié aussi. Tourné par Sergio Corbucci en 1966, année faste du genre, qui verra aussi la sortie du "Bon la brute et le truand" (Leone), "El Chuncho" (Damiano Damiani), "Arizona colt", "le temps du massacre", "Texas Adio" et de… 56 autres westerns sortis de Cinecitta (studios de Rome) et Almeria (ville espagnole proche du désert de Tabernas où furent tournés beaucoup de westerns européens). Le règne du western italien, disons plutôt européen, car co-produit par des capitaux espagnols, français ou allemands, aura duré environ  une décennie, du premier Leone ("Pour une poignée de dollars" 1964)  à  "Mon nom est personne" (Tonino Valerii 1973). Et qu'on se le dise, je déteste le terme péjoratif de "spaghetti". Le premier qui l'emploie aura affaire à moi, et je dégaine vite, rendez vous au vieux corral à l'aube... Ce genre aura donné le jour à des navets déplorables mais aussi à une poignée de chefs-d'œuvres (les Leone, "Django" et "Le grand silence" (Corbucci), "El chuncho" (Damiani), "Le dernier face à face" ou "Colorado" (Sollima). (Scoop, "Colorado" devrait être enfin édité en DVD par Wild Side en 2013! Yippee !!).


un tournage à Alméria

SERGIO CORBUCCI
Sergio Corbucci est l'un des "3 Sergio", les 3 réalisateurs majeurs du western italien, les 2 autres étant Leone et Sollima.
Corbucci (1927-1990) commence comme critique de cinéma puis assistant réalisateur, de Rossellini notamment, avant de faire son premier film en 1951. Il abordera aussi bien la comédie (avec le grand comique italien Toto), le péplum ("Romulus et Rémus"), les films sentimentaux ou musicaux, avant de tourner son premier western en 1963 "Massacre au grand canyon", suivis de "Minnesota Clay" (1964) "Johnny Oro" (1965) avant "Django" où il s'affranchit définitivement des codes du western hollywoodien. En 68 il signe "Le grand silence" dans lequel l'halluciné Klaus Kinski affronte Jean Louis Trintigant, pistolero muet, dans un délire de violence. Puis il détournera le western "Zapatiste" (autour de la révolution mexicaine) avec "El Mercenario" ou "Companeros" avant de tourner plusieurs films avec le duo à succés Terence Hill/ Bud Spencer ("Pair et impair" 1978 ; "Salut l'ami adieu le trésor" 1981).


FRANCO NERO
C'est Franco Nero qui décroche le rôle titre, préféré sur photo pour sa belle gueule par le producteur à l'américain Mark Damon et à l'italien Peter Martell. Nero a alors 25 ans et est un quasi inconnu. Pas pour longtemps car ce rôle de Django va le faire exploser au box office. Il apparaitra dans de nombreux autres westerns  comme "Texas, addio", "Le temps du massacre", "El mercenario", "Companeros", "Keoma" (1976, Enzo Castellari un des derniers grands westerns) mais il a  aussi tourné avec Bunuel, Fassbinder, Huston ou Chabrol, et dans des films de guerre ("L'ouragan vient de Navarone"), polars ("La mafia fait la loi"), péplum ("Les derniers jours de Pompéï), comédie musicale ("Camelot" 1967 sur le tournage duquel il rencontre sa future femme l'actrice anglaise Vanessa Redgrave) ou même "58 minutes pour vivre" avec Bruce Willis.

Mais la liste complète de ses apparitions au ciné et à la télé serait bien longue. En 2011 il joue dans un épisode de la série "New York unité spéciale" où il incarne une personnalité italienne dans une intrigue inspirée de l'affaire DSK (ci contre). Et enfin, Tarantino lui offre un rôle clin d'oeil dans son récent "Django unchained". Mais malgré tout, c'est Django qui lui colle aux basques, film objet d'un véritable culte dans beaucoup de pays. Ainsi quand il descend dans un hôtel au Japon, en Allemagne ou en Amérique du Sud, la réception l'inscrit encore sous le nom de "Django" jamais sous son vrai nom ! Avec une poignée d'autres (Clint Eastwood, Lee Van Cleef, Tomas Milian, Giuliano Gemma, Gian Maria Volonte, Klaus Kinski) il reste un des acteurs emblématiques de cette folle période du western européen.

- Euh M'sieur Rockin, c'est bien intéressant tout ça, mais le film, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ?
- J'y arrive mon chat, j'y arrive, installez vous, lumières s'il vous plait
- C'est chouette on se croirait à la dernière séance de Monsieur Eddy !

LE FILM
Un homme vu de dos traîne derrière lui un cercueil dans la boue, l'atmosphère est crépusculaire, le paysage désolé, on est loin des vertes vallées de John Ford et des héros tirés à 4 épingles. Qui est-il, que vient-il faire dans ce coin, que contient son cercueil ? Plus loin, il est témoin de la première scène de sadisme du film, des mexicains en train de fouetter une femme attachée à un pont. Pas le temps de dire ouf, que les basanés sont descendus par une bande de blancs. Viennent-ils sauver la femme ? Et bien non, puisqu'ils entreprennent de la bruler… puis interpellent  notre héros solitaire témoin de la scène. Premier gros plan sur le visage de beau ténébreux et les yeux bleus de Nero/ Django. Une petite anecdote à ce sujet : Corbucci très pince sans rire disait toujours à son chez opérateur "Fais attention je veux que les lumières éclairent bien les yeux bleus de Nero, car ces yeux vont me rendre très riche"… Bon les types patibulaires n'étaient que 5 et Django tel Lucky Luke les descend avant qu'ils aient comprit le film, et dit à la femme : "je m'appelle Django, et tant que tu seras avec moi personne ne te feras de mal".  Ouch, il sait parler aux femmes lui...(extrait en fin d'article).
Il arrive en ville traînant toujours son cercueil et la femme qu'il a sauvée..

Django et les mexicains, caramba!
Une ville fantôme dont subsiste juste un saloon/bordel où quelques prostituées attendent le client. On apprend que la région est le théâtre d'une  guerre entre la bande de mexicains révolutionnaires/pillards (récurrents dans le western italien) du général Rodriguez (José Bodalo) et les hommes du major Jackson (Eduardo Fajardo). Ex de l'armée sudiste, Jackson est un ignoble individu qui s'amuse à faire des lâchés de péons et à leur tirer dessus comme des lapins, et dont l'homme de main, Ringo, ressemble à… Ribéry ! Le décor est planté, je n'en dis pas plus, mais on aura aussi un trésor, des rebondissements, des trahisons et on apprendra par bribes, car il est peu loquace le Django, qu'il a fait la guerre du coté du Nord, et est venu venger sa femme trucidée par Jackson et ses sbires..
                                               
Ce qu'il faut savoir sur ce film, c'est qu'il a bien faillit ne jamais se faire. Le tournage fut arrêté au bout de 3 jours, avant que n'arrivent de salvateurs capitaux espagnols. Ensuite ce fut la grande improvisation, tournage au jour le jour. Corbucci arrivait et disait "bon, on tue combien de méchants aujourd'hui ? 5 ? 10 ? 20 ? Allez va pour 20"… Et tout à l'avenant.

Jackson et ses sbires
Si les hommes du major Jackson ont le visage couvert d'une cagoule rouge qui fait penser au Klu Klux Klan, c'est parce que les figurants trouvés étaient trop laids ! Hé oui, ça tournait beaucoup en Italie en ces années-là, et Corbucci a eu du second choix, d'où l'idée des cagoules, ce qui est bien vu, vu le racisme et la violence de Jackson. Si le décor est si boueux, c'est tout simplement que la tournage eut lieu en hiver et qu'il tombait des hallebardes, la météo devient actrice du film, comme la neige dans "Le grand silence" ou le vent dans "Et le vent apporta la violence" (de Margheriti, avec Kinski 1969). C'est là que Corbucci se distingue vraiment de Leone, très méticuleux et plus porté sur la technique et les détails. Corbucci, lui, invente le film à mesure, ce qui a pu donner des séquences assez faibles mais aussi des moments de pur délire créatif. Nero dira "Je ne crois pas qu'il y ait eu un film aussi improvisé et divertissant". L'idée du cercueil est né d'une BD que Corbucci lisait et où le héros tirait un cercueil. Par contre au début il ne savait pas ce qu'il pourrait bien contenir... Quant au personnage de Django il est clairement inspiré par celui de l'homme sans nom des Leone joué par Eastwood. Corbucci admirait beaucoup Leone - ainsi que John Ford et les films de samouraïs - et voulait aller encore plus loin que celui-ci, toujours plus loin dans la déconstruction du mythe du western américain et de ses codes, plus loin dans le baroque et les effets visuels. Un tel anti héros cynique était impossible à Hollywood, ainsi par exemple que l'utilisation blasphématoire du cercueil. Il remettra d'ailleurs le coup du cercueil dans "Les cruels". Autres scènes surréalistes, cette sordide bagarre de femmes dans la boue ou le duel final dans un cimetière.

je vous l'avais dit que ça allait barder!
La violence de plusieurs scènes lui vaudra d'être éreinté par la critique et d'être interdit pendant 20 ans en Grande Bretagne et charcuté par la censure, notamment celle où  Django est torturé, les mains fracassées à coups de crosse de fusil puis piétinées par les chevaux, une scène qui sera censurée dans de nombreux pays dont la France, ou celle où les mexicains chopent un espion de Jackson, lui coupent et lui font bouffer son oreille avant de le flinguer. Le coup de l'oreille sera repris par Tarantino dans "Reservoir dogs", ou encore la scène hallucinante du massacre  à la mitrailleuse, que Peckinpah fera sienne dans "La horde sauvage" (1969).
Tu es fait Luc B ! Poses tes colts, doooucement!
45 ans après le film garde toute la force qui en a fait un jalon du cinéma de genre. Cela par le charisme de Nero, les décors apocalyptiques digne d'un film gothique ou fantastique, l'ambiance surréaliste, la photo, les costumes. Le film  sera copié à maintes reprises, ainsi que les héros énigmatiques et ambigus sortis de nulle part. On notera aussi une flopée de films sortis ou ressortis avec Django dans leur titre alors qu'ils n'ont rien à voir, pour surfer sur le succès du film de Corbucci.
Une bonne trentaine  dont "Django, prépare ton exécution", "Django ne prie pas", "Django arrive, préparez vos cercueils", "Abattez Django le premier", "Django défie Sartana", "Django le proscrit", "Django le justicier", "Django le taciturne", "Django au Deblocnot", "Avec Django ça va saigner", "Django ne pardonne pas", "Django porte sa croix", "Django fait ses courses", "Django, prépare ton cercueil", "Django le batard" (titre original "La horde des salopards"), ce dernier sans doute le plus intéressant, signé Sergio Garrone  ("Tire encore si tu peux"). Nero tournera une suite, en 1987 "Le grand retour de Django" ou "Django II", à oublier...

Django Reinhardt
Ah j'allais oublier de vous parler de la musique, signée Luis Bacalov (qui signe la même année la BO "mexicano" du remarquable "El Chuncho"). On y retrouve outre la chanson titre, des ambiances mexicaines plus classiques, sombres, qui collent au film. Ce compositeur argentin apporte également une touche latine. Corbucci travaillera aussi avec Morricone pour "Le grand silence", "El mercenario", "Companeros", "Mais qu'est ce que je viens foutre au milieu de cette révolution ?".
Et puisqu'on parle musique, savez vous pourquoi Django s'appelle "Django" et pas Aldo, Pietro ou Alberto? Tout simplement parce que Corbucci adorait le jazz et notamment un certain …Django Reinhardt.





- Ron pssss Ron pssss
- SONIA ! Réveillez vous c'est fini…
- Oups pardon, je m'étais endormie à "Django est sans doute - avec les Sergio Léone - le western italien le plus emblématique"... Vous pouvez reprendre ?
- Argh, mon colt ! Qu'on me donne mon colt ! je vais la farcir de plomb !


- merci à Jean-François Giré pour sa  sa bible "Il était une fois le western européen"
-DVD chez Wild side (clic là dessus gringo)

5 commentaires:

  1. Oui, moi je n'ai rien contre le western-italien (un de mes oncles en était fan et m'avait fait découvrir deux ou trois films de Léone quand j'étais gosse).

    C’est plutôt après le western américain que j’en ai (car il servit d’outil négationniste aux gouvernements successifs américains afin de minimiser le génocide et les crimes contre l’humanité infligés aux premiers habitants de ces contrées : les indiens/amérindiens).

    Le western italien a heureusement su se libérer de ce modèle américain délétère afin de créer son propre genre qui n’appartient qu’à lui, avec des ambiances inédites réjouissantes : fantasmagoriques, gothiques, sexuelles, burlesques, gores-pour-de-rire, et un état d’esprit résolument européen.

    Rockin, je viens de répondre à ton message sur mon blog (sous mon article des « 20 meilleurs disques live de l’histoire du Rock »).

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  2. pat slade29/1/13 12:09

    j'aime bien cette chronique, ça fait penser au vieille salle de ciné des années 60 avec les sièges en skaï rouge, l'ouvreuse et ses esquimaux, le panneau de pub sur l'écran, Jean mineur publicité et les photos un peut passé sous les vitres à l'entrée !Ont arriveraient presque a imaginer Eddy Mitchell et sa dernière scéance raconter le film !

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  3. Rien à ajouter Rockin. C'est du beau commentaire pour l'un de mes films préféré.
    Marco.

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  4. Django Reinhardt... RhaaaAaaa ! ca c'est de la gratte !

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  5. Hello, gamin j'adorais les westerns américains. En vieillissant je me suis aperçu que les westerns italiens étaient bien plus réalistes. Les westerns zapatistes en particuliers.Bravo pour ton site :O)

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