- Bonjour Sonia, vous
avez passé un bon weekend ?
- Oui M'sieur Rockin, même que j'ai été au ciné avec mon amoureux
- Ah ? Et qu'avez-vous
été voir ?
- Le film de Tarantino
dont Monsieur Luc a parlé Vendredi dernier
- "Django
unchained", et ça vous a plu ?
- Oui, terrible, tout
comme Monsieur Luc disait, c'est vrai qu'il y a un western qui s'appelait aussi Django ? Vous
connaissez M'sieur Rockin ?
- Ah vous tombez bien
Sonia, vous savez que je suis comme qui
dirait un spécialiste de western italien, je donnais justement avant-hier une
conférence sur ce sujet à la MJC de Bourg-Moilmou et…
- Dites siouplait
M'sieur Rockin, vous pourriez nous en parler de ce "Django",
siouplait
- Vous avez une heure
devant vous ? Alors c'est parti…
- Pfff je sens qu'il va
nous faire aussi long que Monsieur Luc sur "2001", quels bavards ceux là..
LE WESTERN ITALIEN
Django est sans doute - avec les Sergio Léone - le western
italien le plus emblématique, le plus plagié aussi. Tourné par
Sergio Corbucci en 1966, année faste du genre, qui verra aussi la sortie du "Bon
la brute et le truand" (Leone), "El Chuncho" (Damiano Damiani),
"Arizona colt", "le temps du massacre", "Texas
Adio" et de… 56 autres westerns sortis de Cinecitta (studios de Rome) et Almeria (ville espagnole proche du désert
de Tabernas où furent tournés beaucoup de westerns européens). Le règne du
western italien, disons plutôt européen, car co-produit par des capitaux espagnols, français ou allemands, aura
duré environ une décennie, du premier
Leone ("Pour une poignée de dollars" 1964) à
"Mon nom est personne" (Tonino Valerii 1973). Et qu'on se le dise, je déteste le terme péjoratif de "spaghetti". Le premier qui l'emploie aura affaire à moi, et je dégaine vite, rendez vous au
vieux corral à l'aube... Ce genre aura donné le
jour à des navets déplorables mais aussi à une poignée de chefs-d'œuvres (les
Leone, "Django" et "Le grand silence" (Corbucci), "El
chuncho" (Damiani), "Le dernier face à face" ou "Colorado"
(Sollima). (Scoop, "Colorado" devrait être enfin édité en DVD par
Wild Side en 2013! Yippee !!).
un tournage à Alméria |
SERGIO CORBUCCI
Sergio Corbucci est l'un des "3 Sergio", les 3
réalisateurs majeurs du western italien, les 2 autres étant Leone et Sollima.
Corbucci (1927-1990) commence comme critique de cinéma puis
assistant réalisateur, de Rossellini notamment, avant de faire son premier film
en 1951. Il abordera aussi bien la comédie (avec le grand comique italien
Toto), le péplum ("Romulus et Rémus"), les films sentimentaux ou
musicaux, avant de tourner son premier
western en 1963 "Massacre au grand canyon", suivis de
"Minnesota Clay" (1964) "Johnny Oro" (1965) avant
"Django" où il s'affranchit définitivement des codes du western
hollywoodien. En 68 il signe "Le grand silence" dans lequel l'halluciné
Klaus Kinski affronte Jean Louis Trintigant, pistolero muet, dans un délire de
violence. Puis il détournera le western
"Zapatiste" (autour de la révolution mexicaine) avec "El
Mercenario" ou "Companeros" avant de tourner plusieurs films
avec le duo à succés Terence Hill/ Bud Spencer ("Pair et impair"
1978 ; "Salut l'ami adieu le trésor" 1981).
FRANCO NERO
C'est Franco Nero qui décroche le rôle titre, préféré sur
photo pour sa belle gueule par le producteur à l'américain Mark Damon et à
l'italien Peter Martell. Nero a alors 25 ans et est un quasi inconnu. Pas pour
longtemps car ce rôle de Django va le faire exploser au box office. Il
apparaitra dans de nombreux autres westerns
comme "Texas, addio", "Le temps du massacre", "El
mercenario", "Companeros", "Keoma" (1976, Enzo
Castellari un des derniers grands westerns) mais il a aussi tourné avec Bunuel, Fassbinder, Huston
ou Chabrol, et dans des films de guerre ("L'ouragan vient de
Navarone"), polars ("La mafia fait la loi"), péplum ("Les
derniers jours de Pompéï), comédie musicale ("Camelot" 1967 sur le tournage duquel il rencontre sa future femme l'actrice anglaise Vanessa Redgrave) ou même "58 minutes pour vivre" avec Bruce
Willis.
Mais la liste complète de ses apparitions au ciné et à la télé serait
bien longue. En 2011 il joue dans un épisode de la série "New York unité
spéciale" où il incarne une personnalité italienne dans une intrigue
inspirée de l'affaire DSK (ci contre). Et enfin, Tarantino lui offre un rôle clin d'oeil dans
son récent "Django unchained". Mais malgré tout, c'est Django qui lui
colle aux basques, film objet d'un véritable culte dans beaucoup de pays. Ainsi
quand il descend dans un hôtel au Japon, en Allemagne ou en Amérique du Sud, la
réception l'inscrit encore sous le nom de "Django" jamais sous
son vrai nom ! Avec une poignée d'autres (Clint Eastwood, Lee Van Cleef, Tomas
Milian, Giuliano Gemma, Gian Maria Volonte, Klaus Kinski) il reste un des acteurs
emblématiques de cette folle période du western européen.
- Euh M'sieur Rockin,
c'est bien intéressant tout ça, mais le film, c'est pour aujourd'hui ou pour
demain ?
- J'y arrive mon chat,
j'y arrive, installez vous, lumières s'il vous plait
- C'est chouette on se
croirait à la dernière séance de Monsieur Eddy !
LE FILM
Un homme vu de dos traîne derrière lui un cercueil dans la
boue, l'atmosphère est crépusculaire, le paysage désolé, on est loin des vertes
vallées de John Ford et des héros tirés à 4 épingles. Qui est-il, que vient-il faire dans ce coin,
que contient son cercueil ? Plus loin, il est témoin de la première scène de
sadisme du film, des mexicains en train de fouetter une
femme attachée à un pont. Pas le temps de dire ouf, que les basanés sont
descendus par une bande de blancs. Viennent-ils sauver la femme ? Et bien non,
puisqu'ils entreprennent de la bruler… puis interpellent notre héros solitaire témoin de la scène.
Premier gros plan sur le visage de beau ténébreux et les yeux bleus de Nero/ Django. Une petite
anecdote à ce sujet : Corbucci très pince sans rire disait toujours à son chez
opérateur "Fais attention je veux que les lumières éclairent bien les yeux
bleus de Nero, car ces yeux vont me rendre très riche"… Bon les types
patibulaires n'étaient que 5 et Django tel Lucky Luke les descend avant qu'ils
aient comprit le film, et dit à la femme : "je m'appelle Django, et tant que tu seras avec moi
personne ne te feras de mal". Ouch, il sait parler aux femmes lui...(extrait en fin d'article).
Il arrive en ville traînant toujours son cercueil et la
femme qu'il a sauvée..
Django et les mexicains, caramba! |
Une ville fantôme dont subsiste juste un saloon/bordel où
quelques prostituées attendent le client. On apprend que la région est le théâtre
d'une guerre entre la bande de
mexicains révolutionnaires/pillards (récurrents dans le western italien) du général Rodriguez (José
Bodalo) et les hommes du major Jackson (Eduardo Fajardo). Ex de l'armée sudiste, Jackson est un ignoble individu qui s'amuse à faire des
lâchés de péons et à leur tirer dessus comme des lapins, et dont l'homme de main, Ringo,
ressemble à… Ribéry ! Le décor est planté, je n'en dis pas plus, mais on aura aussi
un trésor, des rebondissements, des trahisons et on apprendra par bribes, car il
est peu loquace le Django, qu'il a fait la guerre du coté du Nord, et est venu
venger sa femme trucidée par Jackson et ses sbires..
Ce qu'il faut savoir sur ce film, c'est qu'il a bien faillit
ne jamais se faire. Le tournage fut arrêté au bout de 3 jours, avant que
n'arrivent de salvateurs capitaux espagnols. Ensuite ce fut la grande
improvisation, tournage au jour le jour. Corbucci arrivait et disait "bon,
on tue combien de méchants aujourd'hui ? 5 ? 10 ? 20 ? Allez va pour 20"… Et
tout à l'avenant.
Jackson et ses sbires |
Si les hommes du major Jackson ont le visage couvert d'une
cagoule rouge qui fait penser au Klu Klux Klan, c'est parce que les figurants
trouvés étaient trop laids ! Hé oui, ça tournait beaucoup en Italie en ces années-là, et
Corbucci a eu du second choix, d'où l'idée des cagoules, ce qui est bien vu, vu
le racisme et la violence de Jackson. Si le décor
est si boueux, c'est tout simplement que la tournage eut lieu en hiver et qu'il
tombait des hallebardes, la météo devient actrice du film, comme la neige dans "Le grand silence" ou le vent dans "Et le vent apporta la violence" (de Margheriti, avec Kinski 1969). C'est là que Corbucci se
distingue vraiment de Leone, très méticuleux et plus porté sur la technique et
les détails. Corbucci, lui, invente le
film à mesure, ce qui a pu donner des séquences assez faibles mais aussi des
moments de pur délire créatif. Nero dira "Je ne crois pas qu'il y ait eu
un film aussi improvisé et divertissant". L'idée du cercueil est né d'une
BD que Corbucci lisait et où le héros tirait un cercueil. Par contre au début
il ne savait pas ce qu'il pourrait bien contenir... Quant au personnage de
Django il est clairement inspiré par celui de l'homme sans nom des Leone joué
par Eastwood. Corbucci admirait beaucoup Leone - ainsi que John Ford et les
films de samouraïs - et voulait aller encore plus loin que celui-ci, toujours
plus loin dans la déconstruction du mythe du western américain et de ses codes,
plus loin dans le baroque et les effets visuels. Un tel anti héros cynique
était impossible à Hollywood, ainsi par exemple que l'utilisation blasphématoire du cercueil. Il remettra d'ailleurs le coup du cercueil dans "Les
cruels". Autres scènes surréalistes, cette sordide bagarre de femmes dans la boue ou le duel final dans un cimetière.
je vous l'avais dit que ça allait barder! |
La violence de plusieurs scènes lui vaudra
d'être éreinté par la critique et d'être interdit pendant 20 ans en Grande
Bretagne et charcuté par la censure, notamment celle où Django
est torturé, les mains fracassées à
coups de crosse de fusil puis piétinées par
les chevaux, une scène qui sera censurée dans de nombreux pays dont la France, ou
celle où les mexicains chopent un espion
de Jackson, lui coupent et lui font bouffer son oreille avant de le
flinguer. Le coup de l'oreille sera repris par Tarantino dans "Reservoir
dogs", ou encore la scène hallucinante du massacre à la mitrailleuse, que Peckinpah fera sienne dans "La
horde sauvage" (1969).
Tu es fait Luc B ! Poses tes colts, doooucement! |
45 ans après le film garde toute
la force qui en a fait un jalon du cinéma de genre. Cela par le charisme de
Nero, les décors apocalyptiques digne d'un film gothique ou fantastique,
l'ambiance surréaliste, la photo, les costumes. Le film sera copié à maintes reprises, ainsi que les héros énigmatiques et ambigus
sortis de nulle part. On notera aussi une flopée de films sortis ou ressortis
avec Django dans leur titre alors qu'ils n'ont rien à voir, pour surfer
sur le succès du film de Corbucci.
Une bonne trentaine dont "Django,
prépare ton exécution", "Django ne prie pas", "Django arrive, préparez vos
cercueils", "Abattez Django le premier", "Django défie
Sartana", "Django le proscrit", "Django le justicier",
"Django le taciturne", "Django au Deblocnot", "Avec Django ça va saigner", "Django
ne pardonne pas", "Django porte sa croix", "Django fait ses
courses", "Django, prépare ton cercueil", "Django le
batard" (titre original "La horde des salopards"), ce dernier
sans doute le plus intéressant, signé Sergio Garrone ("Tire encore si tu peux"). Nero
tournera une suite, en 1987 "Le grand retour de Django" ou
"Django II", à oublier...
Django Reinhardt |
Ah j'allais oublier de vous parler de la musique, signée
Luis Bacalov (qui signe la même année la BO "mexicano" du remarquable
"El Chuncho"). On y retrouve outre la chanson titre, des ambiances
mexicaines plus classiques, sombres, qui collent au film. Ce compositeur argentin apporte également une
touche latine. Corbucci travaillera aussi avec Morricone pour
"Le grand silence", "El mercenario", "Companeros",
"Mais qu'est ce que je viens foutre au milieu de cette révolution ?".
Et puisqu'on parle musique, savez vous pourquoi Django
s'appelle "Django" et pas Aldo, Pietro ou Alberto? Tout simplement
parce que Corbucci adorait le jazz et notamment un certain …Django Reinhardt.
- Ron pssss Ron pssss
- SONIA ! Réveillez vous c'est fini…
- SONIA ! Réveillez vous c'est fini…
- Oups pardon, je
m'étais endormie à "Django est sans doute - avec les Sergio Léone - le western
italien le plus emblématique"... Vous pouvez reprendre ?
- Argh, mon colt ! Qu'on
me donne mon colt ! je vais la farcir de plomb !
- merci à Jean-François Giré pour sa sa bible "Il était une fois le western européen"
-DVD chez Wild side (clic là dessus gringo)
Oui, moi je n'ai rien contre le western-italien (un de mes oncles en était fan et m'avait fait découvrir deux ou trois films de Léone quand j'étais gosse).
RépondreSupprimerC’est plutôt après le western américain que j’en ai (car il servit d’outil négationniste aux gouvernements successifs américains afin de minimiser le génocide et les crimes contre l’humanité infligés aux premiers habitants de ces contrées : les indiens/amérindiens).
Le western italien a heureusement su se libérer de ce modèle américain délétère afin de créer son propre genre qui n’appartient qu’à lui, avec des ambiances inédites réjouissantes : fantasmagoriques, gothiques, sexuelles, burlesques, gores-pour-de-rire, et un état d’esprit résolument européen.
Rockin, je viens de répondre à ton message sur mon blog (sous mon article des « 20 meilleurs disques live de l’histoire du Rock »).
j'aime bien cette chronique, ça fait penser au vieille salle de ciné des années 60 avec les sièges en skaï rouge, l'ouvreuse et ses esquimaux, le panneau de pub sur l'écran, Jean mineur publicité et les photos un peut passé sous les vitres à l'entrée !Ont arriveraient presque a imaginer Eddy Mitchell et sa dernière scéance raconter le film !
RépondreSupprimerRien à ajouter Rockin. C'est du beau commentaire pour l'un de mes films préféré.
RépondreSupprimerMarco.
Django Reinhardt... RhaaaAaaa ! ca c'est de la gratte !
RépondreSupprimerHello, gamin j'adorais les westerns américains. En vieillissant je me suis aperçu que les westerns italiens étaient bien plus réalistes. Les westerns zapatistes en particuliers.Bravo pour ton site :O)
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