Comme son ami d'enfance, Samuel Maghett, Morris Holt est né à Grenada, dans le Mississippi, et la même année que lui, en 1937 (le 7 août exactement).
Tous deux se
lancent dans l'apprentissage de la guitare, et partent ensemble en
1955 pour Chicago. Là-bas, Morris joue d'abord de la basse au
sein du groupe de son ami, alors rebaptisé Magic Sam. Ce
dernier lui donne le nom de scène de Magic Slim. Aujourd'hui
encore, (bien qu'il n'ait plus grand chose de « slim) il
est bien plus connu sous ce patronyme que sous son nom de naissance.
Holt joue aussi
pour Shakey Jake (l'oncle de Samuel).
Cependant,
peut-être par manque de travail et/ou une insuffisance de
revenus, il retourne dans le Mississippi. Il ne retrouve la Windy
City qu'en 1965.
En 1966, Il grave
un premier 45 tours, « Scufflin' », aux accents
Rock'n'Roll et aux chorus de guitares évoquant tant Freddy
King que Magic Sam (titre que l'on retrouve pile trente ans plus tard
sur le disque homonyme sorti sur le label Blind Pig). En 1970, il
fonde son groupe, The Teardrops, et son frère, Nick, le
rejoint pour y tenir la basse. Nick, en tant que compositeur, écrira
quelques belles pièces (1).
Magic Slim encore svelte (certainement aux débuts des 70's) |
Inlassablement,
ils tournent des années durant sans contrat d'enregistrement,
redescendant même dans le Sud, sautant sur la moindre
opportunité de jouer. Les frères Holt se retrouvent
parfois à jouer dans des juke-joints, des boui-boui, où
le groupe doit se serrer pour tenir ensemble sur une estrade exigüe
qui tient lieu de scène. Plus tard, les Teardrops deviennent
l'orchestre maison du Florence's. Les Teardrops ont la particularité
de reprendre à la demande un bon nombre de succès de la
musique afro-américaine ; toutefois, ils le font à leur
sauce, les transformant en Blues âpre, lourd et chaloupé.
Encore maintenant, Magic Slim agrémente ses disques de
reprises qu'il fait siennes.
Enfin, après
des années de galère, d'efforts, de ténacité
et de pugnacité, et grâce à l'intervention d'une
française éclairée, Marcelle Morgantini, Magic
Slim grave son premier opus, un album live, « Born Under a
Bad Sign » (où l'on retrouve les influences de
Muddy Waters et de Magic Sam). Ce disque obtenant un certain succès,
il enregistre rapidement l'année suivante un second opus dans
la foulée, pour le même label. En 1979, c'est Black and
Blue (2) qui l'enregistre.
En 1982, il
embauche John Primer, guitariste émérite, ce qui permet
d'apporter un peu plus de finesse à ce Blues moite, lourd et
rugueux. Au bout de treize années de bons et loyaux services,
Primer se lance dans une carrière solo. Il est remplacé
par un Jake Dawson (Eddie Shaw, Willie Kent) moins subtil.
Après un
passage à vide discographique de sept ans, il retrouve les
studios avec la signature chez Wolf en 1990.
En 1994, les
Teardrops émigre au Nebraska, à Lincoln, où ils
deviennent les piliers du « Zoo Bar ». De cette
période, le label Wolf en profite pour y capter de bonnes
prestations lives.
A partir de 1996,
Magic Slim se fait héberger par le Cochon Aveugle.
En 2002, un vieux
fan a le plaisir non feint de le produire et de jouer sur quelques
pièces. Il s'agit de Popa Chubby, dont la présence sur
« Blue Magic » a permis d'éveiller la
curiosité d'un public plus jeune.
En 2003, il
apparaît dans le film de Marc Levin, « Godfathers
and Sons », de la série « The Blues »
de Martin Scorsese (deux extraits de concert et une petite interview).
(Depuis quelques
années, son fils, Shawn « Lil' Slim »
Holt, l'accompagne assez souvent en tournée).
Il faut voir
comment ce gaillard électrise son public, en toute humilité,
juste par sa voix graveleuse et ses notes, crachées par un
ampli en souffrance, qui évoquent à elles-seules autant
la moiteur du Mississippi que les clubs enfumés de la Windy
City. Autant les marécages que l'huile de vidange. Toujours
avec bonne humeur et conviction. Rien de sombre ou de réellement
cafardeux. C'est un Blues salvateur, régénérateur,
capable de redonner du tonus même lors de longues nuits au
froid glacial et à l'humeur déprimante.
Avec son air
débonnaire, un peu paresseux, l'air de toujours de prendre son
temps sans se soucier le moins du monde de ce qui l'entoure (sûr
de l'impact de sa musique ?), on est toujours surpris de l'entendre
délivrer son Blues âpre, rustique, tribal et entraînant
avec une telle aisance. Un Blues qui n'a strictement rien
d'intellectuel, c'est rugueux, joué avec de grosses paluches,
et cela vient des tripes. Il émane de sa musique une puissance
qui trouble et hypnotise les sens. Sans jamais chercher à être
exubérant ou vindicatif, Magic Slim n'en est pas moins l'un
des derniers porteur de la flamme d'un Blues naturellement torride et
fiévreux (qui prend toute sa dimension en live). A l'aide de
son antique Fender Jazzmaster ou plus souvent maintenant de sa
récente LesPaul, il s'épanouit dans des climats
pesants, souvent empreints d'une essence Boogie, appuyés par
une section rythmique indéfectible et monolithique, en jouant
avec ses onglets des chorus et des riffs tranchants et autoritaires.
Il est particulièrement à l'aise sur les tempos lents.
Magic Slim, c'est
l'assurance d'un Blues authentique sans chi-chi et viril.
Morris Holt alias
Magic Slim a toujours produit des concerts sans faille (3). La raison
? Il ne triche pas, il s'offre sans ambages, tel qu'il est. Comme les
plus dignes représentants du Blues, il a une touche
personnelle reconnaissable dès les premières mesures.
Un gars
authentique qui n'a jamais été tenté de céder
aux modes, ne changeant pas d'un iota sa musique, imposant même
sa patte à des reprises (plutôt nombreuses) qu'il fait
siennes.
Les seules
nuances plus ou moins marquantes, que l'on puisse trouver au cours de
sa longue carrière, sont bien plus dues aux changement du
guitariste qui le seconde, qu'à une volonté propre du
gaillard.
Avec le Wolf,
c'est certainement celui qui a le plus su garder l'héritage du
Delta-Blues pour l'incorporer au Blues urbain de Chicago.
S'il est
généralement convenu que Magic Slim n'a pas réalisé
de mauvais disques, il semblerait bien, qu'à 75 ans, il ait
réalisé en toute modestie, et sans révolutionner
quoi que se soit, un de ses meilleurs opus. « Bad Boy »
est certainement celui qui retranscrit le mieux la chaleur de ses
prestations scéniques (alors que le précédent, "Raising the Bar" m'avait laissé sur ma faim).
Il y a la
production et le son bien sûr, qui paraît ne jamais avoir
encore été aussi bien restitués, mais il y a
également cette sensation d'écouter un groupe jouant
avec entrain, ferveur et un naturel inné.
A 75 ans, Magic
Slim prouve, si besoin en était, qu'il est toujours une valeur
sûre d'un Blues authentique. Un Blues est capable de faire
vibrer l'auditeur avec peu de notes. Un feeling.
Magic Slim &
The Teardrops ont remporté six fois un W.C. Handy Award pour
la catégorie « Blues band of the year ».
- Bad Boy 3:31 (Eddie Taylor)
- Someone Else is Steppin' in 3:44 (Denise LaSalle)
- I Got Money 3:23 (Detroit Emery Jr.Williams)
- Sunrise Blues 4:40
- Girl What You Want me to Do 3:41
- Hard Luck Blues 4:01 (Roy Brown)
- Gambling Blues 4:01
- Champagne and Reefer 3:40 (McKinley Morganfield)
- How Much More Long 3:08 (J.B. Lenoir)
- Matchbox Blues 3:54 (Albert King)
- Older Woman 4:50 (Lil' Ed Williams)
- Country Joyride 2:47
(1) Nick
Holt, né en 1940, est décédé d'un cancer
du cerveau le 22 juin 2009. En 1987, il avait eu un cancer du larynx.
Musicien apprécié, il fit des sessions studios pour,
entre autres, Vance Kelly, John Primer, Little Milton, Sunnyland
Slim. Il avait reçu un WC Handy en 1999 en tant que meilleur
Bassiste Blues. Il réalisa trois disques sous son nom.
(2) label
français qui a, à la fin des années 70, permis à
un grand nombre de bluesmen américain d'enregistrer un disque.
(3)
Malheureusement,
depuis un an ou deux, son âge lui impose de rester assis
pendant la majeure partie de son set.
AJOUT DU 21.02.2013
Magic Slim s'est éteint à 75 ans hier, quelques jours après la parution de cette chronique, cet album sera donc définitivement son dernier..
Tu étais vraiment "Magic" Morris, RIP
du bon, du cru, du direct, du rugueux, du rapeux, du graveleux, pas de l'musique de nénette quoi.
Oui il nous a quitté avant hier, hélas ...
RépondreSupprimerJ'adorais son son brut de décoffrage et sa personnalité.
Il va manquer ...
So long Magic ...