mercredi 5 décembre 2018

"LA MAISON DU DIABLE" (The HAUTING) - de Robert Wise - 1963



     Il fut un temps, où les films de genre reposaient sur une histoire. Une lapalissade ? Peut-être, mais, aujourd'hui, les films que l'on peut qualifier de genre (1) sont généralement obnubilés par la surenchère des effets spéciaux, tandis que le synopsis tient en deux ou trois lignes et se fout des incohérences.

  Alors que la puissance de l'informatique aurait dû permettre l'ouverture vers de nouvels horizons défiant les rêves les plus fous, on s'égare dans la facilité et le grand "n'importe quoi".
A l'époque où il n'avait pas d'autre alternative pour rivaliser d'imagination, d'astuce, d'espiègleries afin de donner un semblant fantasque ou d'inquiétant à la pellicule, il était préférable de s'armer d'un casting fort, d'un bon jeu d'acteur et d'une histoire qui tenait à peu près debout.
Et ne parlons même pas de quelque chose d'original.



   Le meilleur exemple de cette dérive étant le remake de ce superbe film, "La Maison du Diable", rebaptisé  pour l'occasion "Hantise", par Jan de Bont avec la tête d'affiche Liam Neeson, Lili Taylor et Catherine Zeta-Jones, coulé par un déballage vulgaire d'effets coûteux qui l'entraîne dans une parodie navrante. Une purge. Une impardonnable insulte à l'original de 1963, véritable pièce maîtresse, réalisé par Robert Wise.


     Si ce nom peut étonnament ne plus rien évoquer aujourd'hui, il convient de rappeler qu'il a été oscarisé, la première fois en 1956, avec "Marqué par la Haine" ("Somebody Up There Likes Me") avec Paul Newman. Cependant, il s'était déjà fait remarquer en officiant au montage du "Citizen Kane" d'Orson Welles. Puis, en 1944, avec un premier long-métrage fantastique "La Malédiction des Hommes-Chats" (The Curse of the Cat People😼  (2). On y découvre un souci du cadrage et de la lumière exacerbant les atmosphères et les émotions. Sur la lancée suit le "Récupérateur de Cadavres" ("The Body Snatcher"), adaptation de la nouvelle de Robert Louis Stevenson, prétexte pour une rencontre au sommet de Boris Karloff et de Bela Lugosi.

En 1951, il réalise ce qui doit probablement être l'un des premiers films de science-fiction sérieux et d'envergure avec "Le Jour où la Terre s'arrêtera" (3). A la fois naïf et ambitieux, au-delà du simple divertissement, l'oeuvre se veut être matière à réflexion sur les hommes, leurs craintes, leurs certitudes et leur ignorance, les amenant à toujours répondre par la violence.
Robert Wise

     Désormais lancé, plus rien n'arrête le cinéaste qui s'attaque à tout les genres, du policier au western, en passant par le drame et la comédie.  En 1959, son film "Je Veux Vivre !", un biopic, permet à l'actrice principal de remporter une statuette.
   En 1962, il se frotte à la comédie musicale en reprenant un succès de Broadway. "West Side Story" (⇰ article) est un nouveau succès qui lui vaut un nouvel Oscar (4). Avec un peu moins de bonheur, il réitère la comédie musicale à succès en 1966 avec "La Mélodie du Bonheur" avec Julie Andrews. Et un nouvel Oscar (5).

     Par la suite, Robert Wise commence à ralentir le rythme mais va encore réaliser trois classiques, chacun d'un genre différent. "La Canonnière du Yang-Tse", avec Steve McQueen, "Le Mystère Andromède" (6) et "Audrey Rose". En 1979,  il réalise son dernier film de s-f : le premier "Star Trek". Si l'accueil fut modéré à sa sortie, il a néanmoins généré de nombreuses suites et de multiples critiques le considèrent comme l'un des meilleurs de la patente.


     Bref, le réalisateur Robert Wise est un cador du cinéma hollywoodien, et c'est donc sans surprise que "The Haunting / La Maison du Diable" est un authentique chef d'oeuvre qui, aujourd'hui encore, résonne comme une référence incontournable des films de "maisons hantées". Un long métrage qui depuis des décennies est pillé sans vergogne. Au mieux, des références, des clins-d'oeil en hommage, sont incrustés dans des films. Même Sam Raimi n'a pas manqué d'en inclure plusieurs dans ses deux premiers "Evil Dead" (⇨ article) (même les effets sur le court générique de "Evil Dead II" semble être un hommage appuyé). Et dans le troisième volet, une référence à "Le Jour où la Terre s'arrêtera". Le revers de la médaille, c'est qu'il pourrait paraître classique, relativement convenu, alors qu'il est créatif. Nombre de ses trouvailles ont été exploitées jusqu'à en devenir des codes. Ce doit probablement être le premier film a offrir quelques séquences où la caméra est libre et agile, comme tenue à bout de bras, procurant fébrilité et instabilité. Encore un exercice exploité par Sam Raimi.

     Cependant, il fait toujours la différence avec les films actuels. Plus que jamais même. Ne serait-ce que par un jeu d'acteur crédible ; à la fois sobre et impliqué, habité. Ensuite, comme déjà abordé plus haut, un vrai scénario, une histoire qui n'a nul besoin d'effets spéciaux - à l'exception de trois modestes scènes - pour tenir en haleine. Tout est dans la suggestion, la photographie et la performance des acteurs. Cela paraît simple, et pourtant il est bien difficile de trouver un film qui ne se perd pas dans la démesure avec des jets d'hémoglobine et des images de monstres ou d'autres revenants de plus en plus grotesques.

 
Hill House

   Robert Wise
se contente, pour ainsi dire, de jouer avec la caméra. Avec ses nombreux plans volontairement bancals, en équilibre précaire - dont certains semblent puiser leur inspiration dans quelques films d'Hitchcock - entre lumières tamisées et "éclairage lunaire", en relevant divers aspects et détails de l'ameublement et de l'étrange décoration, il donne vie au manoir ; vie à "Hill House". L'application, ou plutôt l'exacerbation de techniques qui avaient déjà été utilisées en 1944 pour 
"La Malédiction des Hommes-Chats". La vie oui, mais sous un aspect malsain, menaçant même. Toutefois, plutôt que de vouloir effrayer, elle semble avant tout vouloir se repaître d'émotions négatives, prendre dans ses rets les imprudents qui osent passer son seuil. Certains plans extérieurs donnent l'impression que le manoir épie.

     Pour les amateurs de tourisme, c'est le manoir d'Ettington Hall qui a servi de modèle pour les plans extérieurs. Un choix aucunement hasardeux puisque c'est la même bâtisse qui a inspiré le roman de Shirley Jackson, "The Haunting of Hill House". Roman sur lequel repose ce film.
     Le noir et blanc, bien loin d'être un handicap, intensifie l'atmosphère lugubre et fantasmagorique. Il est propice à troubler la perception. Propice à la suggestion, à laisser libre cours à l'imagination du spectateur. Comme si la folie pouvait transpirer à tout moment des murs et des tentures.
La décoration baroque et les dédales de couloirs extravagants renforcent le trouble.

 

   Si la sonorisation est un élément essentiel de tout film de l'étrange, jamais jusqu'alors elle n'avait été autant exploitée. Plus que la musique, ce sont surtout les effets sonores, souvent amplifiés, qui cultive l'angoisse, l'insondable et le danger. Là encore, ce film se révèle être un pionnier dans le domaine. Et là encore, on retrouve l'influence évidente chez Sam Raimi, flagrant dans "Evil Dead II".


     C'est pratiquement un huis clos, articulé principalement autour de quatre personnages. Quatre archétypes.


     - Le professeur John Markway, interprété par Richard Johnson (4) anthropologue et professeur en faculté, se passionne pour les évènements surnaturels, et notamment les maisons hantées. Il pense que comprendre ses phénomènes entraînera une nouvelle compréhension du monde, et pourquoi pas en avancé en spiritualité. Mais ces phénomènes sont-ils une réalité ou des phantasmes de personnes fragiles ? En quelque sorte, c'est le personnage emblématique du genre, professeur ou docteur, qui représente un point d'ancrage rassurant auquel se rattachent bon sens et rationalité. Curieux mais sceptique, il cherche systématiquement une explication rationnelle. Cependant, une fois ses convictions et son savoir ébranlés, soit il se réfugie dans le déni total, soit il finit par être un "lanceur d'alerte". Dans ce dernier cas, il est rejeté par la société - les "bonnes gens" - qui le traite de fou, et le mette au ban de cette même société.

Le professeur, ou le "bon docteur", doit être un lien indéfectible avec notre réalité. Par son son savoir, ses connaissances, il est donc sensé apaiser nos peurs en fournissant une explication tangible. Lorsque lui-même perd les pédales, c'est alors un écroulement de la raison. Il n'y a plus de limite à la folie et à l'effroi. Comme le docteur Milles dans "Les Profanateurs de Sépulture" (autre chef-d'oeuvre lien).

 

 Cependant, ici, le professeur a un effet pervers. S'il a bien cette rationalité qui ne le quitte pas, ici, c'est lui-même qui met le groupe en danger en l'invitant à séjourner dans la sinistre demeure. Finalement, il mène à travers autrui, une expérience parapsychologique pour assouvir sa curiosité et sa soif de connaissance. Répondre à ses questions.

Est-ce que les maisons hantées seraient réellement le sujet de phénomènes maléfiques ou d'esprits malveillants attachés à la demeure, ou bien un lieu propice à réveiller, à exacerber, des troubles de la personnalité.
Ainsi, il choisit trois personnes aux traits de caractère bien distincts, si ce n'est que tous sont sans famille.

     - Theodora, interprétée par Claire Bloom, est la médium de service. Ouvertement reconnue, du moins dans le milieu. D'une beauté glaciale, elle semble toiser son entourage et elle s'avère bien plus sensible aux charmes féminins qu'à toutes les avances du jeune et impétueux propriétaire des lieux (sujet sulfureux pour l'époque).


     - Luke Sanderson, interprété par Russ "Tom Pouce" Tamblyn, est l'héritier potentiel du manoir. Dont il espère un jour pouvoir en tirer un bon prix pour passer des jours tranquilles. C'est le personnage réfractaire, cartésien, cherchant toujours une explication rassurante. Le playboy ou l'extraverti de circonstance. Personnage endémique au genre, il fait souvent partie des premières victimes, en raison de son aveuglement. Ici, c'est l'inverse. Son déni, ou son absence totale de foi envers le surnaturel, le protège. Toutefois, le film se termine sur ses paroles : "Il faut la brûler. Qu'il en subsiste rien"


     - C'est Eleanor Lance ('Nell pour les intimes), magistralement interprétée par Julie Harris, qui semble faire l'effet de catalyseur et d'amplificateur d'évènements paranormaux. A moins qu'elle ne soit tout simplement folle. Pourquoi ressent-elle ce que d'autres ne perçoivent pas ? a-t'elle l'esprit dérangé, usé par les longues années sacrifiées à sa mère et par sa solitude affective ? Ou posséderait-elle véritablement des dons de médium ? Ou encore, serait-ce parce qu'elle a été choisie, par la maison ou autre ?

Personnage central, Eleanor est une femme fragile, manquant cruellement de confiance en elle, qui a dévoué onze années de sa vie à s'occuper d'une mère malade, enterrant toute velléité de vie sociale. A son décès, elle se retrouve démunie, sans réel avenir, devant se résoudre à vivre avec sa soeur qui profite de sa gentillesse et de sa naïveté. Pour elle, répondre à l'invitation est une manière d'échapper à la morosité de sa vie. Elle accepte aussi dans le vif espoir, aussi, qu'il puisse se passer quelque chose qui pourrait à jamais changer un avenir qui lui semble bien terne et sans issue. Fragilisée par une vie entièrement dédiée à sa mère et un cruel manque d'affection, elle s'est renfermée sur elle-même. A la limite de la schizophrénie, elle ne sait plus à qui se vouer.

     Elle s'éprend du professeur, qui, lui-même, semble sensible à son innocence, sa douceur, sa pureté et sa beauté naturelle. Alors, bien qu'empressé de faire la connaissance des participants, Elle manque de faire définitivement demi-tour à la première vue du gigantesque manoir, soudain éprise d'un mal-être, persuadée que la demeure l'épie, la scrute. Si elle rejette ses pensées, dès la première nuit, elle est convaincue que l'imposante bâtisse est vivante ... et guère hospitalière. Progressivement, elle se convînt qu'elle est convoitée ... par le manoir, ou un esprit y demeurant. Celui de son créateur, ou des personnes qui y ont perdu la vie.

     Ce n'est pas sans raison qu'elle occupe l'affiche. C'est la seule personne dont on nous offre l'intimité, en nous dévoilant sans pudeur ses pensées. Ses espoirs, ses craintes, et sa culpabilité, la rongent. Dans un maelström de pensées entrant sans cesse en collision, assaillie par le doute, elle se renferme sur elle-même.
Finalement, le fait qu'une entité surnaturelle semble s'intéresser à sa personne, en dépit de l'atmosphère et des manifestations angoissantes du lieu, elle s'épanouit. Effacée, diminuée par une famille égoïste, ici, enfin, elle prend de l'assurance et a cette nouvelle sensation d'exister.

     Pour une majorité d'amateurs, même pour ceux se délectant de choses nettement plus crues et sans aucunes retenues, ce film demeure un chef d'oeuvre inégalé.
Le film remporte en 1964 un Golden Globes amplement mérité.




(1) Terme fourre-tout où l'on va vite fait de jeter tout ce qui aurait trait, de près ou de loin, à d'improbables contes d'épouvantes ou de fantastiques. Cinéma longtemps traité avec condescendance par la critique "bien pensante" hexagonale.
(2) Initialement, une suite à "La Féline" de Jean Tourneur.
(3) Qui aura droit à un remake qui, fait rare, ne trahit pas l'esprit de l'original.
(4) En tout, le film en génère dix.
(5) Cette fois-ci, seulement cinq statuettes pour le film. Les Golden Globes le consacre meilleur réalisateur de l'année, et récompense aussi Julie Andrews et Peggy Wood, dont se fut son dernier long métrage.
(6) Première adaptation d'un roman de Michael Crichton.




3 commentaires:

  1. Claire Bloom (ah la belle femme!) et Robert Wise (ah le bel... euh non) ont un point commun :
    Ils ont tous les deux joué pour Charlie Chaplin ! Claire Bloom jouait la danseuse suicidaire dans Les Feux de la Rampe. Et Robert Wise fait une figuration dans Les Lumières de la ville (1931!), c'est un des deux gamins qui emmerdent Charlot à la toute fin, au coin d'une rue, l'humiliant devant le magasin de fleurs...

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    1. Vraiment ? Celui avec la soufflette ?

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