mercredi 5 septembre 2018

The Reverend SHAWN AMOS "Breaks It Down" (2018), by Bruno



       Il y a trois ans, en 2015, cet auto-proclamé "révérend" s'était présenté avec sous le bras son cinquième disque. Un disque qui s'inscrit comme une rédemption, un retour à la sincérité, aux racines, à sa vraie nature. Celle qui lui permet de se présenter comme le vecteur d'un blues galvanisant et authentique. Sans pathos, sans chi-chis, sans enrobage indigeste.
   Mais attention, cela ne signifie pas pour autant que Shawn Amos se complaît dans un Blues ancestral et nostalgique, hermétique à tout courant extérieur. Et c'est ça aussi qui fait le charme de sa musique. En effet, bien que désormais profondément ancré dans l'idiome d'un Blues que l'on peut qualifier dans l'ensemble de Chicagoan - bien que chez lui cela pourrait paraître réducteur - il n'a aucun a priori à flirter avec le Funk ou le rock. Mais ceci, sans jamais dénaturer sa musique.

   Ainsi, précédemment, sur ce fameux cinquième chapitre de sa carrière, "Loves You", il passait du Gospel, avec l'aide précieuse des Blind Boys of Alabama, à une mixture de Funk-blues entraînant, avec deci-delà quelques touches Rock insufflées par son homme de main, son fidèle lieutenant, le docteur Chris Roberts, maître six-cordiste. Un guitariste comme on n'en fait plus. En voie de disparition. En d'autres termes, un musicien qui se met avant tout au service de la musique, préférant rester dans l'ombre plutôt que de briller par des soli "tape-à-l'oeil". Comme le fut l'immense Hubert Sumlin.

       Enfin, cette année, le révérend Shawn Amos revient avec une sixième galette toute aussi savoureuse. Toujours en cultivant son personnage avec son costard étriqué (avec une prédilection pour les tons pourpres et prune), ses chemises impeccablement repassées et ses boutons de manchettes, son trilby vissé sur la tête et ses chaussettes flashy. Fidèle à lui-même, à la fois classe et délicatement fantaisiste. Assez à l'image de sa musique qui parvient à marier une certaine tradition du Blues à - non pas une modernité éclatante et tapageuse - mais plutôt à une forme de liberté d'expression qui ne s'embarrasse d'aucune contrainte. Ainsi, on peut être surpris de trouver le célèbre "The Jean Genie" de David Bowie.
Reverend Amos & Chris "Doctor" Roberts

   Certes, reprendre des chansons - parfois même emblématiques - extérieures à l'univers Blues pour les muter afin de les intégrer à un répertoire Blues, est une discipline déjà adoptée par d'autres. Le Canadien David Gogo devant être probablement un des plus fervents adeptes de cette tendance (lien). Mais ici la surprise est d'autant plus étonnante que ce disque commence, avec "Moved", dans un dépouillement nocturne créé par la seule guitare de Chris Roberts, l'harmonica et le chant d'Amos. Cependant, cette version bluesyfiée de "The Jean Genie" prend des accents d'Howlin' Wolf en ralentissant légèrement le rythme pour mieux s'en imprégner, s'en délecter, en passant la voix à travers un effet de mégaphone - ou simplement un antique micro statique à membrane - qui sature dès que l'on hausse le ton, et surtout en reprenant les fameux "Haa Ouhouuu" et les distinctifs traits d'harmonica. De là où il se trouve désormais, David Robert Jones doit jubiler. Un régal.

     Après cette récréation qui fait le lien (contre-nature ?) entre le glam-rock anglais et le Chicago blues, il entame un chapitre plus sombre et plus sérieux : Freedom Session. "Uncle Tom's Prayer", chant a capella, une prière adressée au monde sur un air de blues ancestral. Une supplique face à la souffrance et l'injustice. Moment fort. Une composition de Cordell Hull Reagon, membre actif et fondateur des Freedom Singers of the Student, qui oeuvra dans les années soixante pour les droits civiques des Afro-américains, maintes fois arrêté pour activisme, bien que prônant la non-violence, et qui fut retrouvé mort, victime d'un homicide le 12 novembre 1996. (crime qui n'a jamais été résolu).
   Autre complainte, autre cause de privation de liberté : la prison. "Suis-je en train de payer pour mes fautes, ma couleur ou mon crime ? Est-ce que ma vie compte ? J'ai trois enfant qui attendent à la maison ; trois garçons qui ont besoin de leur père". Cette fois-ci, Shawn Amos reprend les paroles de Bukka White sur "Does My Life Matter". Mais, plutôt que de reprendre le Delta Blues de son géniteur, cette adaptation évolue plus dans un Blues feutré et félin.

   Pour terminer cette session sur un air plus joyeux et plus optimiste, "(We've Got To) Come Together", égayé de références à Martin Luther King, qui exhale des parfums de Funk et de Soul millésimés, évoquant quelques fameux disques des années 1969 à 1973. Effervescence où une frange de l'Amérique désabusée, lassée de plier l'échine, clame désormais haut et fort sa fierté d'appartenance, certain d'avoir trouvé le chemin qui la conduira à retrouver sa dignité. Cependant, les paroles demeurent éternelles et universelles, sans frontières et sans vraiment de distinctions d'appartenance à une communauté ou une ethnie. "... parce que la haine est un fardeau trop lourd à porter ... athés ou priant un dieu ... nous déclarons chaque homme et chaque femme libre d'aimer ... riches et pauvres méritent la même défense"
Ces trois volets semblent aussi suivre une évolution - en l'occurrence celle d'une musique à l'origine essentiellement identitaire, propre au peuple Afro-américain - en partant d'une pièce a capella pour finir sur une orchestration relativement cossue avec quelques cuivres.

   Mais dès le premier chapitre, Shawn Amos enfile sa tunique de révérend et prêche. Loin des thèmes rabâchés du Blues, il retrouve une verve poétique pas très éloignée des thèmes socio-politiques qui ont fleuri sur bien des chansons de la Soul du début des années 70. Pas vindicatif pour un sou, sans prédication, juste quelques avec paroles appelant au respect, à l'indulgence, la tolérance. D'une certaine façon, il renoue avec le souffle de la communauté afro-américaine du début des années 70. Avec une pointe de flower-power.
 "Nous devons prendre le contrôle de nos coeurs et de nos cerveaux, si nous voulons prendre la voie de la liberté. C'est une guerre intellectuelle, pas de chars ni d'avions. La haine et la peur ne sont pas des vaccins. Nous devons songer à ce que nos enfants ont vu" - "2017"
Toutefois, "Hold Hands", assez naïf, aurait très bien pu être l'extrait un sermon. 

   Pour finir en beauté cet album, nouvelle surprise, et de taille. Cette fois-ci, c'est "(What's So Funny 'Bout) Peace, Love and Undersanding" de Nick Lowe (2) - chanson sans doute plus connue à travers la version d'Elvis Costello - qui est remodelée au point d'être méconnaissable puisque la robe qui habille ces paroles de doute, de lassitude et d'incompréhension, est ici tissée d'un pur Gospel. Et pour intensifier l'ambiance "église", deux claviers, et rien d'autre.
     Magnifique disque de Blues intemporel, qui ne jure que par sa durée totale qui ne dépasse pas les trente minutes. C'est court mais intense. On peut juste regretter que Chris "Doctor" Roberts soit plus discret qu'à l'accoutumé, qu'il ne nous régale pas d'un ou deux beaux petits soli. 
Avec les Hi Rhythm Section en accompagnement sur une majorité de morceaux. Célèbre groupe d'accompagnement qui a accompagné nombre d'étoiles de la Soul, dont Ann Peebles, Al Green, Syl Johnson et même Albert Collins. On retrouve cette formation sur quelques disques emblématiques de la Soul des années 70. 

       Le Reverend Shawn Amos ne se produit pas sur scène pour faire le clown ou le comédien, mais bien pour prêcher la bonne parole et communiquer les bonnes vibrations du Blues. Le vrai, l'authentique, celui qui est apte à guérir, ne serait-ce qu'un instant, les blessures. Celles enfouies en soi et qui guérissent avec peine, voire jamais.


(1) Bukka White, né Booker T. Washington, purgea une longue peine de prison pour avoir blessé par balle son agresseur. Lors de l'été 1937, il est incarcéré au pénitencier de Parchman, célèbre pour ses travaux forcés. Dans les années 60, plusieurs centaines d'activistes y furent incarcérés. Alan Lomax interviendra personnellement pour faire écourter sa peine, et Bukka White en sortit en 1940. La même année,début mars, Okeh enregistre et édite une de ses chansons (un 78 tours) : "Parchman Farm Blues". Un classique.
(2) Interprété au sein du groupe Anglais Brinsley Schwarz, (avec ce dernier et Bob Andrews, tous deux futurs The Rumours de Graham Parker), et donc bien sûr Nick Lowe.


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à lire aussi (lien)    "Loves You" (2015)

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