mercredi 6 juillet 2016

The Reverend SHAWN AMOS "Loves You" (2015), by Bruno



     Cinquième disque pour ce révérend auto-proclamé, et probablement son meilleur. Ce fils de Wally Amos (fondateur de la marque « Famous Amos » et de « Chip & Cookies »)  sait s’y prendre pour insuffler énergie et fougue à son Blues rugueux, galvanisant et franc du collier, parfois épicé d’une guitare au mordant typé Rock. Fils aussi de Shirl-ee May (née Shirlee Ellis), chanteuse des années 60 qui lui a peut-être transmis la passion du chant et de la musique. Cependant, une transmission faite par le sang, car Shawn Amos ne découvrit son passé de chanteuse qu’à la suite de son décès (elle avait mis fin à sa carrière dès son mariage). Un départ tragique, car sa mère, souffrant depuis des années de schizophrénie, finit par se suicider. Touché par cette perte, ainsi que la découverte tardive d'un passé occulté, il fit sa propre thérapie via un disque : « Thank You Shirl-ee May ».


     Mais ce n’est qu’en 2013, lors d'une invitation pendant un festival en Italie, que cet échalas trouve sa voix, autant influencé par les grands du Chicago-blues que de Solomon Burke (qu’il produisit et accompagna sur scène). Telle une rédemption, une renaissance. Il (re)découvre la joie et l’exultation de chanter et d'interpréter le Blues. Un Blues authentique, exempte de tous oripeaux, artifices ou autres accoutrements scintillants. Interpréter le Blues sans restriction, se livrant corps et âme. Une révélation. Il adopte alors un look inspiré des artistes afro-américains (d’avant l’ère psychédélique) qui abordaient toujours une tenue impeccable pour monter sur scène. Autant pour se montrer sous leur meilleur jour que pour imposer du respect (et probablement pour effacer une image de pauvres hères liée à des a priori et une forme de ségrégationnisme). Une manière aussi d'abolir une différence avec les blancs. 

Avec ses costards étriqués, ces lunettes rondes et son galurin (un trilby), il ne paye pas de mine. Il est même probable que l'amateur de Blues authentique - ou pas - de Blues passe son chemin. Et pourtant. Amos possède une assurance, une fermeté et un dynamisme - source d’un caractère trempé - qui donnent du corps à ses prestations, doublés d'une sincérité qui force l’adhésion.

     En deux mots, Shawn Amos travaille pour écrire des Blues actuels tout en étant fermement ancrés dans celui des géniteurs d'un Chicago-blues. Il n'a de cesse de se demander comment ces formidables inventeurs l'interpréteraient aujourd'hui s'ils étaient encore de ce monde. Cela, sans dévier d'un chemin et tomber dans le piège d'un Rock policé (pense-t'il précisément à quelques uns ?).
 Et effectivement, on retrouve bien ici l’héritage du Chicago-blues des Howlin’ Wolf, Magic Sam, Little Water, Muddy Waters, Elmore James. Un Chicago-blues qui ne soit pas grevé par un son pesant, noyé par une débauche de guitares saturées et des soli à foison.
 

    Si l'album est bien ancré dans une forme de Chicago-blues, avec apparemment une petite préférence pour le South Side, il ne s'interdit pas pour autant quelques incursions dans des contrées limitrophes. Ainsi, il s'engage dans le Gospel, d'un genre plutôt dépouillé, avec « Day of Depression », avec l'aide des Blind Boys of Alabama, et « The Last Day I’m Loving You », avec orgue souffreteux d'église de rigueur, où semble peser l'influence de Solomon Burke. Le premier ouvre l'album et le second le conclut. La Soul aussi, avec « Put Together », et même une sorte de Rythmn’n’blues-Funky-blues les doigts dans la prise, presque proto-punk, ou plutôt Pub-rock, avec « Brand New Man ». « You’re Gonna Miss Me », lui, flirte avec le Funk, cependant  de la même façon que l'aurait fait Hubert Sumlin.

Étonnement, les seuls maillons faibles seraient les deux titres interprétés en duo avec les comparses féminines. Soit "Boogie" et « Bright Lights, Big City ». Alors que généralement une présence féminine apporte de la chaleur et de la consistance, cette fois-ci c'est plutôt l'inverse. Ça reste du bon, cependant il manque de l'engouement.

     C'est évidemment la voix éraillée de Shawn Amos qui est le ciment d'une belle cohésion d'ensemble, permettant d'écouter l’album d’un trait, sans répit, sans lassitude. Une voix parfois supplantée par son harmonica, sur-électrifié pour avoir ce timbre assez crunchy (c'est aussi un fan de Junior Wells), comme pour mieux se marier avec la tonalité du chant.
Le but du Reverend ? Répandre la joie à travers un Blues frais, authentique et sincère. C'est son sacerdoce.
Et la mission est réussie : on est rapidement convaincu et séduit. Un disque de grande classe où pratiquement toutes les pièces pourraient être un futur classique du Blues.
 

   Si les talents de chanteur, de musicien et de compositeurs de Shawn Amos sont indéniables, il convient de souligner le travail de l'acolyte Chris "Doctor" Roberts. Un guitariste émérite qui semble avoir le don d'immanquablement trouver le ton juste, la phrase pertinente, la tonalité adéquate. L'adjectif de "Doctor" n'est pas usurpé. Son jeu est précis sans jamais faire clinique ou sonner froid. Franchement Blues, voire parfois Rhythmn'n'Blues, il donne la sensation d'en avoir sous le coude et d'avoir le potentiel pour s'en écarter sans craindre pour ses miches. Le court solo explosif "Brand New Man" nous fait regretter de ne pas l'entendre plus souvent se lâcher. Un son crunchy, à peine crémeux, jamais strident, qui rappelle les excursions Blues de Jeff Golub.

A ce niveau là, ce n'est plus un atout mais une pierre angulaire.

     Comme le démontre son émission « Kitchen Table Blues » présentée sur son compte Youtube, ses compositions ont suffisamment d’assise et de consistance pour sonner en acoustique. Une émission reality-show où Amos vous invite à la maison, chez lui, dans sa vaste cuisine. Là, avec des amis (toujours avec le fidèle partenaire, Chris "Doctor" Roberts), où certains se sustentent d'un plat préparé (par les soins d'Amos ?) et/ou de ce qui est simplement présenté sur la table, ils jouent tout naturellement et à l'envie des compositions personnelles et des reprises. (Tout récemment, c'est Charles Wright et Gia Ciambotti qui se sont attablés). Une ambiance conviviale et décontractée, mais animée d'un professionnalisme hors paire ; on ne se contente pas de l'à-peu-près. C'est si bon que l'on pourrait graver les séances pour en faire un disque (il doit probablement avoir des répétitions en amont). 

     L’album est produit par la célèbre saxophoniste (également chanteuse), Mindi Abair, qui joue également  et donne la réplique sur la scie de Jimmy Reed, « Bright Lights, Big City ». 
Mindi Abair, plus connue pour jouer un Jazz accessible (Soul-Jazz, Smooth et funk-jazz) ou chanter de la Pop US, aime pourtant collaborer avec d'autres artistes. Elle est certainement bien moins pour sa carrière de musicienne de studio. On la vue accompagner, en studio et sur scène, le regretté Jeff Golub ; ainsi que Ked Mo', Bobby Rush et Randy Jacobs (ex-Bone shakers).
Le CD est resté deux semaines n°1 des charts Blues contemporain.

1. Days of Depression  - 2:07 (avec The Blind Boys of Alabama)
2. Brand New Man - 2:07
3. Boogie  - 3:16 (avec Missy Andersen)
4. Brothers’ Keeper - 3:10
5. You’re Gonna Miss Me (When I Get Home) - 3:27
6. Joliet Bound  - 3:44 Minnie Lawler
7. Will You Be Mine - 5:34
8. The Outlaw - 2:31
9. Bright Lights, Big City  - 3:04 Jimmy Reed (avec Mindi Abair)
10. Hollywood Blues  - 4:19 Amos-Abair
11. Put Together  - 2:45
12. The Last Day I’m Loving You  - 

Compositions de Shawn Amos, sauf si stipulé





Article initialement paru dans la revue BCR

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