samedi 30 septembre 2017

RIMSKY-KORSAKOV – Antar, suite symphonique – Neeme JARVI (1988) – par Claude Toon



- Heu M'sieur Claude… Antar ? Ce n'était pas une marque d'essence de l'époque où vous étiez gosse ? Je plaisante, un lieu, un conte ou un personnage ?
- Tiens vous connaissez cela Sonia, cette marque a dû disparaître il y a au moins 40 ans… Non Antar est un chevalier arabe du Moyen-âge, un héros…
- Dites-moi, Rimsky-Korsakov avait déjà composé une musique orientalisante avec le célèbre Shéhérazade, avant ou après ?
- Shéhérazade, beaucoup plus ambitieuse comme suite sera écrite 20 ans plus tard. Antar est sa seconde symphonie rebaptisée, indéniablement influencée par Berlioz…
- Ah bon, notre compositeur frenchy majeur a connu son collègue russe ?
- Non pas directement je pense, mais Berlioz a défendu sa propre musique en Russie peu de temps avant sa mort en 1869, musique qui a envouté Rimsky-Korsakov…

Neeme Järvi
Vers 1868, Rimsky-Korsakov s'interroge encore sur l'orientation à donner à sa carrière. Officier de marine, il ne parcourt plus les océans mais travaille à terre, bénéficiant ainsi de quelques heures par jour pour s'adonner à la composition. Son cercle d'amis s'étend, de Borodine à Balakirev puis d'une manière plus distante Tchaïkovski déjà rompu aux techniques de composition occidentale. Cette période est déterminante. Rimsky-Korsakov va choisir la voie définitive de professeur et de compositeur. Une biographie plus large est à lire dans la chronique consacrée au célèbre Shéhérazade. (Clic)
Antar est un œuvre écrite à cette époque décisive. Et oui comme disait Sonia, le compositeur sera souvent attiré par les mirages de l'orient. Antar rejoint dans cet esprit Shéhérazade plus tardif. Le XIXème siècle se passionne pour la littérature du moyen-Âge et ses héros particulièrement épiques ; en 1868, nous sommes toujours dans l'inspiration romantique. Par ailleurs, si l'occident a connu l'apogée des romans chevaleresques au Moyen-Âge avec les légendes arthuriennes de Chrétien de Troyes ou la saga de Robert le Diable, le monde arabe voit surgir au XIIème siècle une littérature similaire avec les aventures de Antar, un chevalier qui semble avoir réellement existé avant la période de l'expansion musulmane. La tradition orale de la légende a suscité la rédaction de ces aventures picaresques.
Rimsky-Korsakov va puiser dans ces épopées intrépides et composer une suite en quatre parties évoquant de manière cohérente la vie du personnage. Nous rencontrons Antar errant en plein désert. Il sauve une gazelle poursuivie par un prédateur. La gazelle est en réalité une créature magique (l'ancienne reine de Palmyre) qui propose de remercier son bienfaiteur en lui permettant d'accéder à trois plaisirs de son choix. (Cela rappelle les trois souhaits d'Aladin et des autres djinns.) Antar choisira : la vengeance, le pouvoir et l'amour, trois thématiques qui seront au centre des trois derniers mouvements de l'ouvrage. À l'origine, l'œuvre devait constituer la seconde symphonie de Rimsky-Korsakov, mais le programme très explicite et proche du poème symphonique conduira à remplacer ce titre banal par Antar. Le mode de composition étant en outre plus proche de l'évocation du monde des mille et une nuits que de la forme symphonique pure et dure. Si le compositeur n'a que 24 ans, il va montrer déjà son sens du climat, la précision du récit musical et surtout son art de l'orchestration. Il apportera son expérience accrue lors de retouches : dans les années 1875-1876 pour une édition en 1880 puis en 1897 pour l'édition définitive de 1903.
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J'ai déjà invité dans mes pages et par deux fois le chef talentueux Paavo Järvi. Voici aujourd'hui le papa dans la famille des maestros estoniens, Neeme Järvi, sachant qu'il existe un second fils également chef d'orchestre, Kristjan Järvi.
Neeme Järvi est né en 1937 à Tallinn et cet octogénaire d'allure bonhomme continue avec brio son activité. À noter qu'il a complété ses études musicales sous la direction (c'est le cas de le dire) de l'autocratique et pointilleux chef russe Ievgueni Mravinski, seul patron après Dieu de l'orchestre de Leningrad, phalange illustre de l'époque soviétique.
Durant sa longue carrière auprès d'au moins six grands orchestres (symphonique de Détroit, orchestre de la Suisse Romande…), Neeme Järvi a dirigé pendant plus de vingt ans l'orchestre de Göteborg, de 1982 à 2004, hissant cet ensemble suédois au plus haut niveau international. Son très vaste répertoire inclut la musique romantique, la redécouverte de compositeurs un peu oubliés comme Franz Berwald et aussi la musique contemporaine. Il est un serviteur zélé de Sibelius et de Chostakovitch.
Comme Karajan, Bernstein, Solti ou Dorati, Neeme Järvi a constitué au fil des ans une discographie impressionnante, riche de 350 galettes ! Certes, depuis un certain temps, le chef est en contrat avec la firme anglaise Chandos dont les disques sont distribués avec parcimonie en France, mais sa période suédoise a donné lieu à de nombreux enregistrements pour le label allemand DG qui a très opportunément maintenu ce patrimoine à travers des rééditions comme celle dont est tirée l'interprétation de ce jour. Neeme Järvi reste l'un des rares artistes à avoir gravé l'intégrale des symphonies de Rimsky-Korsakov.
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Avant de rentrer dans les détails, il est important de souligner qu'Hector Berlioz se rendit en 1867 et 1868 en Russie. Nicolaï pourra ainsi entendre la symphonie Fantastique et Harold en Italie. Il restera très impressionné par la nature romanesque des deux chefs-d'œuvres du français mettant en scène des héros tourmentés et par la modernité de l'orchestration. Berlioz avait publié son traité d'instrumentation complet en 1855. Rimsky-Korsakov recourt à un orchestre coloré :
2 flûtes + 1 piccolo, 2 hautbois + cor anglais, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones + tuba, 3 timbales, grosse caisse et caisse claire, tamtam, cymbales, harpes, tambourin, triangle, cordes.
Rimsky-Korsakov deviendra le maître incontesté de l'orchestration et formera à cette discipline plusieurs grands compositeurs : Moussorgski, Respighi, Prokofiev, Stravinski… Une liste impressionnante !

1 - Largo - Allegro - Largo - Allegretto - Adagio - Allegretto – Largo : Cette succession de tempos divers est caractéristique de l'écriture des poèmes symphoniques, d'épisodes d’intensité dramatique opposée. Des accords des bassons et de deux cors pp dans l'aigu illuminent le désert brûlant entourant la ville mythique de Palmyre. Une marche syncopée et inquiétante, martelée pp à la timbale et soutenue par les cordes graves, accompagne notre héros Antar songeur face à l'immensité du paysage. Rimsky-Korsakov révèle ainsi un son art consommé de l'orchestration pour nous plonger dans les mirages diaphanes de l'Arabie. [2:15] L'introduction se termine par quelques notes de flûte avant de laisser les cordes énoncer le leitmotiv altier qui va parcourir toute l'œuvre. Peut-on parler du thème de Antar ? Oui dans la mesure où la noblesse de la mélodie évoque l'esprit chevaleresque du guerrier. Mais par ailleurs, la musique avec ses accents orientalisants et slaves ne se complait en rien dans un style péplum comme dans Samson et Dalila de Saint-Saëns. Rimsky-Korsakov confirme ici l'influence de Berlioz qui adoptait le même concept du leitmotiv dans Harold en Italie. Le compositeur combine avec élégance les deux idées exposées à la manière de la forme sonate. [3:52] Un nouveau motif bondissant aux flûtes et aux cordes s'insinue, tragique et ponctué de coup de timbales et de roulement de cymbales, de mugissements du tuba. Est-ce la gazelle poursuivie par un oiseau agressif. Oui, et le thème de Antar intervient pour chasser le prédateur. Un magnifique dialogue guilleret et endiablé témoigne de la reconnaissance de l'animal envers Antar. La légèreté du discours et de l'orchestration surprend. Tout le reste du mouvement (un bon tiers de l'ouvrage) repose sur ces variations, fleure bon la féérie. De nombreux solos de bois, des arpèges de harpes, la répétition du leitmotiv aux cordes repris par la flûte : un climat enchanteur et délicat. Neeme järvi retient son orchestre, évite toute célérité hors de propos. Les tempos sont assez lents et cela se justifie par la poésie du propos.

2 – Allegro : [12:39] : le second mouvement illustre le premier plaisir souhaité par Antar : la vengeance. Drôle de plaisir dirions-nous, mais Antar reste un guerrier. Rimsky-Korsakov fait souffler le vent de la colère dans les cordes frémissantes. Cuivres et percussions se mettent à l'unisson dans cet âpre allegro  dont la violence assure une transition marquée par rapport à la sérénité du premier mouvement. L'énergie du morceau, pourtant sans pathos, est peu courante à cette époque. L'orchestre est nettement mieux maîtrisé que certaines pages d'inspiration médiocre d'un Franz Liszt comme La bataille des Huns Dans la partie centrale, on entendra ressurgir le leitmotiv de Antar, ainsi que dans la conclusion.

3 - Allegro risoluto : [18:01] : Place au pouvoir. On imagine une fête dans un palais oriental destinée à célébrer la victoire après une bataille. Il n'existe pas de programme aussi précis que dans le futur Shéhérazade, mais à mon sens, l'idée est là. Les mélomanes qui connaissent déjà des ouvrages virulents comme l'ouverture de la grand Pâques russe ou le Capriccio espagnol retrouveront ici le trait énergique et coloré cher au compositeur. Bon, c'est moins bluffant que la fête à Bagdad de Shéhérazade, mais quelle pétulance. Le tambourin et le triangle s'en donnent à cœur joie pour enjoliver ces agapes et cette ambiance triomphale qui traverse le mouvement. Dansant et guilleret. Neeme Järvi maintient une grande régularité dans son tempo, évitant tout débordement fanfaronnant.

4 – Allegretto – Adagio : [24:01] Ah l'amour. Le dernier plaisir voit la réexposition du motif de la gazelle qui n'était autre que l'esprit de Fay, l'ancienne reine de Palmyre. De longues phrases langoureuses aux cordes s'élancent avec sensualité. Si Antar, personnage légendaire, était un guerrier, il n'en était pas moins aussi un poète et un homme de culture. [27:36] Le hautbois chante le sentiment amoureux sur fond d'arpèges cristallins de harpes. Cette belle œuvre nous fascine par la diversité des atmosphères. [28:40] Une nouvelle idée plus pathétique et plus nostalgique rappelle que même pour les héros le temps de vivre a une fin. Dans la légende, Antar meurt d'une blessure due à une flèche décochée par un ennemi. Bien entendu, nous réentendons le leitmotiv, mais dans un registre de sonorités plus élégiaques. La suite symphonique s'achève de manière attendrissante, doucement. Un rythme de flûtes introduit la fin apaisée du héros bercée par les cordes…
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Même si les enregistrements de Antar sont moins pléthoriques que ceux de Shéhérazade, on dispose depuis l'époque du microsillon de belles réussites.
En 1954, Ernest Ansermet qui aimait cette musique a gravé pour Decca les deux suites "orientales" de Rimsky-Korsakov. Les tempos sont tendus, les articulations marqués. Une interprétation moins féérique qu'épique. Un disque culte par son couplage. Belle prise de son en stéréo à ses débuts. (DECCA – 6/6).
La prise de son feutrée dessert un peu la version intimiste de Neeme Järvi qui joue la carte du tendre avec talent. David Zinman a enregistré une version pleine de nerf avec l'orchestre de Rotterdam. Prise de son superlative. Couplage avec diverses pièces célèbres du compositeur (Philips – 5/6)
Le chef Russe Evgeny Svetlanov a gravé à plusieurs reprises des symphonies de Rimsky-Korsakov. Une curiosité consiste dans le disque de 1990 avec son orchestre d’État de Russie capté par la firme US RCA. Tout le monde sait que les captations russes Melodya n'ont pas toujours un son exemplaire. (RCA – 5/6).

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vendredi 29 septembre 2017

COFFY, LA PANTHERE NOIRE DE HARLEM de Jack Hill (1973) par Luc B. comme Black



Nous avions évoqué le mouvement de la Black Exploitation dans des articles sur le film SWEET SWEETBACK’S BACK BADASSSSS SONG de Melvin Van Peebles (1971) [ clic ] clic et la trilogie des SHAFT. [ re clic ]

"White motherfucker !"
Autre fleuron du genre, ce COFFY LA PANTHERE NOIRE DE HARLEM, écrit et réalisé par Jack Hill en 1973, avec Pam Grier, égérie incontestée du genre. Ces deux-là auront tourné quatre films, dont l'inénarrable pervers et saphique THE BIG DOLL HOUSE (1971), et FOXY BROWN (1974), l'autre rôle emblématique de l’actrice aux avantages mammaires cinématographiquement prodigieux. Pam Grier c'est la 3D sans les lunettes en carton.

Les trames de COFFY et FOXY sont assez semblables, le but étant de jeter dans la cage aux lions la plantureuse Pam, qui subira tous les outrages et finira par dézinguer tout le monde. On remarquera d’ailleurs que le modus operandi est semblable, dans FOXY BROWN Pam Grier émascule le méchant, et recueille le zob du type dans un bocal à cornichons qu'elle envoie à sa maitresse - véridique ! - et dans COFFY, c’est un coup de chevrotine dans la braguette… ouille !

Arrrggg, elle retire son collier...
La belle Coffy est infirmière, et sa p’tite sœur est junkie. Il ne lui en faut pas plus pour partir en guerre contre les trafiquants. Elle demande l’aide de son amant, le député Brunswick, et de son ami flic Carter. La pègre descend Carter, Coffy y échappe de peu, et se doutant que Brunswick est marron sur les bords (sic) elle décide de faire cavalière seule. Elle infiltre le réseau du proxénète King George, et remonte au caïd Arturo Vitroni

Y’a pas plus machos que ce type de films, prétexte aux scènes de déshabillage, coïts divers, où les femmes hurlent leur dévotion aux membres virils, et en redemandent. Et comme évoqué, la vengeance féminine se situe généralement au-dessous de la ceinture. Autre spécialité, les bagarres entre femmes que Tarantino, amateur du genre, reprendra dans KILL BILL. On s'y déchire jupons et décolletés, on s'y claque les miches avec un plaisir gourmand. Ici Coffy se bat d'abord avec une prostituée et sa maquerelle, mais la grande scène est celle de la réception chez King George. Une bagarre d’anthologie avec une blonde, devant l'assistance surexcitée. L'arme secrète de Coffy : des morceaux de verres planqués dans sa coupe afro. Va lui crêper le chignon après ça... Excellent !   

Si COFFY LA PANTHERE NOIRE DE HARLEM se résume dans sa premier moitié à : je frappe / je me désape, je sors mon flingue / je sors mes miches, la suite s’avère plus intéressante. L’intrigue s’épaissit, par des histoires de truands accoquinés aux politiques véreux, aux flics corrompus. Coffy nage dans ce monde de requins assoiffés de pouvoir, de fric et de sexe. Le film se fait plus violent. Une scène avec Arturo Vitroni dégénère salement. Coffy y joue sur sa séduction et sa dévotion pour obtenir des infos (« fais-moi frémir sous ton corps de petit blanc, oh oui… ») Vitroni se laisse berner, puis verse dans l’humiliation et le racisme, la traite de « sale négresse » et lui crache dessus.

Vitroni et King George
Dans une autre scène, King George trainé derrière une voiture lancée à fond est assez impressionnante. Le thème de la drogue est évidemment abordé, et une réplique désabusée du député Brunswick résume la situation : « tant que les Noirs n’auront rien à foutre de leur journée, ils prendront de la dope pour passer le temps ». Sous-entendu, à nous de leurs en fournir pour qu’ils restent à leur place.

L’épilogue est évidemment un carnage, le réalisateur ne rechigne pas sur les flots d’hémoglobine, c’est fou comme une petite infirmière sait aussi manier le fusil à pompe. Dans tous ces films, dès que la fille manque d’être exécutée, il lui suffit d’implorer son bourreau pour une dernière partie de jambes en l’air, et ce con, il y court le froc aux chevilles (ce qui n’est pas simple, pour courir…).

COFFY LA PANTHERE NOIRE DE HARLEM est très représentatif de la Black Exploitation qui commence à se déliter, devenir une caricature d’elle-même, ce COFFY est un produit entièrement bâti autour de l’actrice Pam Grier, pour mettre en valeur sa plastique, et l’exposer à la concupiscence du public masculin. Pourtant, par sa réalisation nerveuse, son rythme, son intrigue bien foutue, le discours sous-entendu sur la corruption et la condition des Noirs, il peut valoir le coup d’œil. 

Et d’oreille aussi, la musique est composée vibraphoniste de jazz Roy Ayers, moins célèbre que Curtis Mayfield, Bobby Womack ou Isaac Hayes pour ses musiques de films, mais dans lesquelles Tarantino a largement puisé pour JACKIE BROWN (avec la même Pam Grier).

  COFFY (1973) de Jack Hill 
couleur  -  1h30  -  format 1:1.85










       

jeudi 28 septembre 2017

SIRIMA - A PART OF ME (1989) - par Pat Slade




Qui se souvient de Sirima ? Un talent prometteur détruit par la jalousie ; Un seul album qu’elle n’aura pas la chance de voir en vitrine. Sirima ou l’histoire d’une part d’elle.






Sirima un destin brisé






Sirima Wiratunga, une mère française, un père sri-lankais, née en Angleterre en 1964, elle vivra son enfance au Sri Lanka et son adolescence au pays de la perfide Albion. Elle sera très jeune influencée par la musique, que ce soit par son père à la guitare, la flûte de son oncle, les percussions dans les fêtes bouddhiques des baïlas, la musique populaire et classique du Sri Lanka. Mais elle est fragilisée par le climat, une langue qu’elle ne parle pas et le regard des gens  qu’elle ne comprend pas, elle se réfugie dans la musique et s’essaye à beaucoup d’instruments comme le violon, le piano, l’ukulélé, l’accordéon et la guitare qui sera son instrument de prédilection. Elle découvre la pop anglaise et se passionne pour les comédies musicales. A 18 ans, elle quittera l’Angleterre pour la France ou elle sera jeune fille au pair. Entre 1982 et 1987, elle joue dans le métro à la station Châtelet–Les Halles. Elle fera la première partie de Paolo Conte au Théâtre de la ville en 1985.

Fin 1986 Philippe Delettrez, saxophoniste et producteur est en quête de nouvelles voix et de nouveaux visages et pour ceux qui connaissent Paris, le plus facile moyen de ce déplacer n’est ni en taxi, ni en autobus. Delettrez en parisien efficace se déplace en métro et c’est dans le hall de la station Châtelet que son attention est attirée par la voix d’une jeune fille qui chante les tubes du moment, s’accompagnant d’une  guitare électrique branchée sur un ampli qu’elle trimballe sur un chariot de supermarché. Après l'avoir écoutée, le producteur engage la conversation et lui propose de participer à son prochain spectacle, cette dernière n’ayant pas de carte de visite à lui donner, elle griffonne son adresse sur un bout de papier, elle vit avec Kahatra Sasorith un guitariste qu’elle a connu dans un bar chinois et qui vient de lui faire un enfant (Sirima en cinghalais signifie «Douce maman»).


Pour la première fois, Sirima va chanter devant un vrai public et on va lui proposer des engagements sérieux, mais cette dernière veut garder son indépendance et repartir dans les sous sols parisiens avec guitare. Mais le destin va encore venir frapper à sa porte, Philippe Delettrez encore lui, apprend que Jean-Jacques Goldman l’ex.chanteur du groupe Taï Phong recherche une voix féminine pour enregistrer un duo. «Je cherchais la femme qui allait me répondre dans cette chanson…» Goldman écoute des centaines de cassettes «J’ai écouté la voix, c’était tout à fait le genre de voix que je cherchais…» «…Un jour je l’ai rencontré près du Châtelet parce que c’était là qu’elle officiait, dans le métro… Je me suis rendu compte tout de suite que c’était la voix mais c’était aussi le personnage». Après des essais en studio qui s’avèrent concluants, arrivera la séance d’enregistrement. En 1987 sort «Là-bas», le titre second du Top 50 pendant quatre semaines consécutives et le single se vendra à 593.000 exemplaires et sera certifié disque d’or.

P.Delettrez et Sirima
Mais malgré le chant des sirènes et les alléchantes propositions des maisons de disques, elle reprend son caddie et reste indépendante, mais avec le temps, l’attraction des studios d’enregistrement aura raison d’elle. Elle extériorise ses peurs, ses doutes, ses émotions, ses envies au travers de sa musique et son travail d’écriture avec Philippe Delettrez.


«A part of me» l’album d‘une vie qui s’ouvre par «Sometime love isn’t enough» : une magnifique chanson en voix-guitare.
«No reason, no rhyme», son rythme latino, «Kym» et sa musique syncopée disco-funk dédiée à son fils.
«A part of me» La chanson titre, encore un beau moment d’intimité.
 «I need to know» avec un choriste de choix puisque personne d’autre que J.J Goldman viendra prêter sa voix et sera crédité sur la pochette avec les autres musiciens.
Entre ballade comme «I believed» et rythme funk avec «Ticket to the moon», il fallait que tous les styles musicaux soit représentatifs «Daddy» et son jazz baigné de cuivre et d’harmonica. «Was it a dream ?» le dernier titre qui sonne comme une prémonition «Etait-ce un rêve ?».

Sirima sera entourée du gratin des musiciens du moment, Jean-Yves d’Angelo, Michel Gaucher, Jean-Jacques Milteau, le pianiste de jazz Maurice Vander (Père de Christian), Pino Palladino le bassiste des stars et the french drummer Manu Katché, même son compagnon du moment Kahatra tient la guitare à droite à gauche.

Au moment ou l’album sort en 1989, elle pense déjà au suivant et Claude Nougaro et Charles Aznavour sont pressentis pour lui écrire certains textes, mais le destin va lui jouer un très mauvais tour et le beau rêve va s’achever en cauchemar le 7 décembre ou Kahatra Sasorith jaloux de son succès naissant va s’emparer d’un couteau de cuisine et la poignardera pour qu’elle n’appartienne à personne d’autre qu'à lui. 
Il sera condamné à neuf années de prison, il en fera à peine quatre et il sera condamné à une expulsion du territoire qui ne sera jamais exécutée, ce dernier est toujours en France et tient un commerce de détail alimentaire dans une ville de gironde.

Cette unique album de Sirima laisse la trace d‘une auteure-compositrice douée dans tous les domaines, que ce soit en composition comme en arrangement. Avec sa disparition  le monde de la chanson a perdu le talent qui aurait surement sorti la chanson française de sa léthargie de l’époque. 

La douce maman a quitté ce monde ou la bêtise et la jalousie l’ont emporté sur l’amour.




mercredi 27 septembre 2017

TOTTY (1977), by Bruno



     Nouvel élément ajouté au chapitre des pépites « oubliées » (en particulier ceux des années 70). J'aime bien ce chapitre. Réservé aux bafouilles, sur ces groupes qui ont disparu après avoir réussi à enregistrer et à sortir le fameux premier disque. Le but ultime, l'Eldorado, la Terre Promise, hélas atteint au prix de pénibles et douloureux efforts et qui a souvent servi à donner le coup de grâce à des jeunes la tête pleine de rêves et d'espoir, éreintés par des années de galères, de mauvaise nutrition et de nuits écourtées.
       Dans la famille des loosers magnifiques, voici donc Totty, de Tulsa, Oklahoma.
Toutefois, une fois n'est pas coutume, cette fois-ci une petite entorse à cette rubrique qui est normalement réservée aux groupes n'ayant réalisé qu'un seul disque avant de disparaître. En effet, pour le cas présent, le groupe est parvenu à en enregistrer un second. Cependant, lorsque que l'on parle de Totty, c'est bien de ce premier album auquel on fait référence. au point où bien généralement, on peut croire qu'il n'y en ait eu qu'un seul et unique.
Internet a changé la donne.

   C'est l'histoire de deux frères passionnés de musique qui décident en 1975 de former un power trio de Heavy-rock aux penchants Southern. N'espérant rien des labels parce que leur approche musicale ne suit pas les nouvelles tendances, ils préfèrent prendre le taureau par les cornes et se lancer dans l'aventure.

Ainsi, le collectif alors baptisé Starstream Bodine, investit le studio d'enregistrement de Tulsa, Charity Recording, pour réaliser un premier disque auto-produit. Une carte de visite qu'il pourra présenter aux radios pour une diffusion, ainsi qu'aux maisons de disques dans l'espoir d'une distribution nationale.
Cependant, au bout de six morceaux enregistrés, le batteur George Cooper quitte l'état et plante Dennis Totty (guitares et chants) et son frère Byron (basse et chants). Les laissant seuls, comme deux couillons avec leur instrument, dans le studio. (respectivement une Gibson SG Special avec Vibrola et une Fender Jazz bass de 65).

Bien décidé à ne pas lâcher l'affaire si près du but, ils contactent Roger Roden, le batteur d'un précédent groupe de jeunesse, remontant aux années 60, Cedric. Puis David Blue, du groupe Bliss d'Oklahoma qu'ils apprécient. Ce dernier rejoindra plus tard la fratrie.

     Dans un premier temps, seulement cinquante vinyls sont gravés. En raison de finances limitées, la pochette est blanche, avec juste le nouveau patronyme du groupe au milieu : Totty. Quoi de plus évident comme choix sachant que les deux frangins, à l'exception de jouer de la batterie, ont tout fait, de la composition à la production.
En dépit du nombre insignifiant de copies, l'album fait rapidement parler de lui, notamment grâce à quelques radios de l'état qui se sont entichées du disque. 
Profitant de l'engouement local, les deux frères créent une société d'édition indépendante, Our First Record Company, et ressortent rapidement leur disque sous une nouvelle couverture utilisant le travail d'un artiste local.
Lorsqu'ils ne les vendent pas à la sortie de leurs concerts, ils partent sur la route avec leur stock de disques pour les proposer à des magasins et à des radios. Si certains sont enthousiasmés, d'autres affichent une certaine réticence vis-à-vis des paroles qu'ils considèrent comme trop religieuses. Totty sera effectivement parfois classé dans le Christian-rock. Toutefois, des radios ouvertement chrétiennes refuseront catégoriquement de passer le disque sous prétexte qu'il est "satanique". Étonnant non ? A savoir que le christianisme évangélique est très fort en Oklahoma, au point d'en faire un des états les plus conservateurs. 

   Quoiqu'il en soit, c'est un disque de feu, béni des dieux du Heavy-rock. Débordant de guitares talent-tueuses (pas pu m'empêcher... désolé) besogneuses et pertinentes, au son typiquement américain, qui paraît être plus un écho des années 73-75 que le reflet des nouvelles tendances qui émergent de par et d'autres cette année. La musique est aboutie, énergique, et relativement complexe.

     Cela débute sur des chapeaux de roues par un instrumental faisant la part belle à des chorus de guitares rageuses pouvant rappeler Point-Blank. On enchaîne sur un Heavy-metal-boogie-rock de bravoure aux parfums du Blue Öyster Cult de 72-73 ; le timbre de voix et la façon de chanter de Dennis Totty évoquent irrémédiablement Eric Bloom. Ce qui évidemment renforce parfois le rapprochement avec le B.Ö.C. Néanmoins, Dennis n'a pas ce côté sombre, cette présence de maître de cérémonie 
occulte que peut dégager Bloom
Suit un titre structuré par deux facettes distinctes qui prennent alternativement le relais : une lourde, au riff simple et banal avec un chant rageur, l'autre aux accents « jazzy », le tout lié par un très bon jeu de basse groovy. Le pont est un prétexte à une envolée de guitare dans le pur style « Nugent en mode charge de la horde sauvage » ou "chasse au bison à dos de mustang".
Le titre suivant enfonce le clou dans le genre « Nugent » (précisément celui de la période dorée 75-77, voire celui de "Shut Up & Jam !"), la basse rappelant même celle de Rob Grange (pour mémoire, le fidèle acolyte du Nuge), avec des refrains lyriques à la B.Ö.C. Contre-pied pour le coda, avec une atmosphère « cool-Jazz » enluminée de guitare « wah-wah ».
On passe en suite à un boogie-rock énergique, coupé d'un long pont plongeant dans les cauchemars de l'Alice Cooper band de « Killers », pour reprendre de plus belle. Après un banal titre Hard-rock (seul point faible de l'album), on retrouve un Heavy-boogie-rock se référant – encore - au Blue Öyster Cult. Probablement moins intellectuel, certainement moins sombre, mais pas moins inventif et transcendant. Avec en sus, quelques consonances penchant souvent vers le Southern-rock, notamment celui de Point-Blank, magnifié par des envolées de guitare n'ayant rien à envier aux Buck Dharma, Rusty Burns et Ted Nugent, et soutenu par une très bonne base rythmique basse-batterie. 
 

   Bien sûr, les frères Totty n'ont pas été formés au rôle de producteur, et en conséquence on regrettera qu'il n'y ait pas eu la présence d'un Sandy Pearlman ou d'un Bill Ham, tout en se demandant quel carton aurait pu
 alors faire cet excellent opus. Et encore plus s'il avait été soutenu par l'efficace réseau de distribution qui suivait ces deux illustres producteurs. Et qui sait, le paysage musical américain aurait pu, du moins pour cette année, prendre de nouvelles teintes. Néanmoins, l'enregistrement est suffisamment soigné pour être apprécié lors d'une attentive écoute au casque ou sur une sérieuse hi-fi. 

     Bien des années plus tard, les frères Totty remettent le couvert, et un second opus sort en 1981. En comparaison, "Too" est une déception. En se calant sur un Hard-rock plus droit, carré, entaché de sonorité Heavy-Metal, le groupe a perdu de son éclat et de sa pertinence. Paradoxalement, malgré quelques très bons moments, ce second essai semble trébucher, alourdi par quelques défauts propre à un certain amateurisme, ou un manque d'expérience. Parfois, c'est comme s'ils avaient voulu reprendre quelques recettes mais sans totalement y parvenir, ou du moins arriver à les adapter à leur musique. Avaient-ils épuisé tout leur talent pour leur premier essai ? 
En 1994, un Ep, "Rock'n'Okie Roll" (1) est réalisé. Absolument introuvable.

     Pour la petite histoire, bien des années plus tard, au début de ce siècle, des personnes ont contacté les frères Totty pour leur demander s'ils avaient encore des exemplaires de ce premier disque. Intrigués par des appels successifs, ils apprennent qu'il est recherché par les amateurs et que sa côte est actuellement à 150 $ sur le marché. Or, eux venaient de les vendre 25 $ pièce.
La côte est montée à 400 $ pièce pour un exemplaire scellé. (et à 250 $ pour le second, "Too")
Il a aussi fait l'objet de quatre rééditions CD sans autorisation. Dont Radioactive Records, tristement connu pour ses nombreuses rééditions, pas toujours de bonne qualité, mises sur le marché sans aucune consultation des concernés. Et donc sans reverser le moindre centime de royalties.
Totty, malchanceux jusqu'au bout, n'a rien touché sur les ventes des rééditions en CD.

Et dire qu'il y a un bon paquet de clowns professionnels et opportunistes qui n'ont que le talent de savoir se trémousser en public (certes, parfois avec brio) et qui pètent dans la soie. Et en plus, ils sont persuadés d'avoir du talent. Y'a pas d'justice en ce bas monde.

Tracks :
Side 1
01. Thus Saith The Lord — 1:31
02. T-Town Teasers — 2:41
03. Crack In The Cosmic Egg — 5:06
04. Love Down By One Share (Love Song To A Whore) — 4:57
05. I’ve Done Made Up My Mind — 5:40

Side 2
06. Wicked Truth — 4:17
07. Tryin’ To Forget You — 3:47
08. Take Me Away Jesus — 4:59
09. Somebody Help Me — 8:22

Dennis Totty — vocals (01-09), guitars (01-09), piano (01), synthesizer (01)
Byron Totty — vocals (02, 04, 05, 07-09), bass (01-09), synthesizer (02, 09)
-
George Cooper — drums (01-03, 05, 07, 08)
Roger Roden — drums (04)
David Blue — drums (06, 09)
The Totty Boys — Arrangers, producers


♬🎶
(1) Okie est un terme qui remonte aux années 30, à l'époque de la grande dépression. Il désignait alors les habitants de l'Oklahoma, précisément les fermiers dépossédés de tous leurs biens, partis chercher du travail ailleurs. Plus particulièrement en Californie, probablement l'état à l'origine de cet attribut péjoratif, moqueur. Par la suite, c'est finalement devenu une fierté revendiquée par les habitants de l'Oklahoma.