Récital de la pianiste Yuja Wang : de Stravinsky à Scarlatti - par Claude Toon
Warning: cette jeune fille souriante n'est pas Top Model ! Non, c'est l'une des
révélations de l'école chinoise moderne de piano. Une rescapée de cette
déferlante de gymnastes du clavier venue de l'empire du milieu et qui nous
a apporté, entre autres,
Lang Lang. Le pianiste mâle et coqueluche d'Eve Ruggieri, qui en pince pour
l'artiste, qui interprète les classiques comme Bill massacre le Flipper
dans une chanson de Renaud(Marche à l'ombrepour être précis).
- Dis donc papa Claude, t'as pas l'impression d'écrire n'importe quoi,
heuuu genre exagération aussi subjective qu'hormonale, voire démon de
midi musical…
- Tu as raison Wolfi, Lang Lang est un bon pianiste, mais les médias me
saoulent par moment !
Bon, stop aux vacheries. Ce garçon est phagocyté par le cirque
médiatique, c'est certain. On vient même d'éditer l'intégrale de "son
œuvre" ! Bor… il n'a que 30 ans. Mais, il est vrai qu'il maîtrise avec
grâce les touches à défaut de traduire la quintessence des œuvres ! Cela
dit sa liquoreuse transcription de
l'aria de la 3ème suite
de Bach ou la molle adaptation
de Jupiter des
Planètes
de
Holst, c'est le pompon et…………
- Bon Claude, tu l'écris oui ou non ta chronique sur la demoiselle
!!!!!
- Heu… oui Luc, désolé, mais tu me connais quoi, enfin oui ok…
Bref ! On se concentre totalement sur l'album
Transformation
de la jeune prodige. Un CD pot-pourri qui, de la bouche même de la
pianiste, témoigne de son besoin d'affiner son style, de percer l'âme des
compositeurs, de murir, d'aborder plus posément l'interprétation du grand
répertoire dans lequel elle doit se faire une place… Et, réussite,
Yuja Wang est une musicienne
attachante !
De Pékin à Philadelphie
Yuja Wang
est née en 1987 à Pékin. Ses parents pratiquent la musique
et la danse. Elle commence ses études pianistiques relativement tard, à 6
ans. Léger retard sans gravité si on considère, qu'après ces premières
années au conservatoire de Pékin, elle sera admise à tout juste
15 ans au Curtis Institute of Music de Philadelphie dans la
classe de Gary Graffman. J'ai déjà souvent parlé de cette institution prestigieuse où se sont
formés et croisés Samuel Barber, Paavo Järvi,
Hilary Hahn et Fritz Reiner (comme professeur) pour citer
quelques grands noms rencontrés dans le blog.
Sa carrière de concertiste commence en 2003, en récital, et
également en tant que soliste dans des concertos. Elle est accompagnée par
des orchestres prestigieux :
Philharmonique de New York,
Symphonique de Chicago
et de
San Francisco. Elle remplace au pied levé l'immense
Martha Argerich lors d'un
concert avec
l'Orchestre symphonique de Boston
(rien que cela). Lors de ce remplacement de tous les dangers, le public et
la critique (qui ne font pas de cadeaux en général) sont enthousiastes
!
Le goût du risque et l'audace que lui permet sa virtuosité, caractérisent
le jeu de Yuja Wang. La poésie et la féminité ne sont pas oubliées dans le disque que je
vous propose de parcourir. Dans la vidéo consacrée à
Scriabine, la jeune femme semble se jouer sans effort des difficultés inouïes
voulues par l'excentrique compositeur russe.
Yuja Wang
a déjà enregistré quatre CD pour la firme Dgg, celui-ci est le
second.
Nota : Il faut savoir que
Gary Graffman comme
Leon Fleisher ne peuvent plus
jouer de la main droite. LeonFleisher a guéri
miraculeusement il y a peu de temps. Le compositeur
William Bolcom
a composé un concerto pour deux pianos à la main gauche à leur
intention.
Stravinsky, Scarlatti, Brahms & Ravel
Ne cherchez pas une quelconque logique musicologique entre ces quatre
compositeurs. Il n'y en a pas, ou alors merci au lecteur perspicace qui
résoudra cette énigme de partager la solution dans un commentaire.
Yuja Wang répond à notre
interrogation par le titre donné à son album :
Transformation. La jeune pianiste a l'humilité de ne pas chercher à saturer une fois de
plus la discographie avec les
Ballades de
Chopin
ou les Impromptus de
Schubert, chefs-d'œuvre enregistrés cent fois pas des ainés chevronnés. Non, elle
témoigne ainsi de son amour pour divers univers, du baroque à nos jours.
L'ensemble des pages qu'elle aborde évoque une promenade à travers un
monde en "transformation". D'abord, elle feuillette le répertoire
pianistique de siècle en siècle, donc son "évolution". Ensuite, son
programme nous invite à partager les recherches d'une jeune musicienne
avide de découvrir tous les genres, de comprendre les inspirations des
auteurs, de murir son style de jeu et l'éventail des émotions qu'elle
voudra nous transmettre dans le début de sa carrière prometteuse.
1 – Petrouchka de Stravinsky
Le compositeur russe avait déjà fait la une dans le blog lors de la
chronique consacrée à son ballet "Le Sacre du Printemps" (clic).
La création à Paris par les Ballets Russes de "Petrouchka" suivit de peu celle de "l'Oiseau de Feu" (respectivement : 1910 et 1911). Le triomphe fut total et
cela encouragea
Stravinsky
à franchir la ligne de la polyrythmie dans "Le Sacre" qui fit scandale ! L'argument étant assez compliqué, je me limiterai à
planter le décor : un magicien de fête foraine donne vie à trois poupées :
Petrouchka, un Maure et une Danseuse. Ces personnages vont s'entredéchirer
dans un conte dramatique, une histoire d'amour et de violence. Mais où est
la part de réalité et celle du rêve ?
Stravinsky
a composé un chef-d'œuvre coloré et épique où se mêlent la danse, la fête,
la féérie, le tout dans une orchestration ardente. La transcription jouée
ici date de 1921 et répond à une commande d'Arthur Rubinstein. C'est sans doute l'une des partitions les plus virtuoses jamais
écrites. La pièce qui ne dure que 15' (30' pour le ballet) ne
comprend que trois tableaux :
Danse russe, Chez Petrouchka, La Semaine grasse.
Dès les premières mesures, la jeune pianiste nous transporte dans
l'univers festif et forain du ballet. Son toucher vigoureux et élégant
laisse place à toutes les lignes mélodiques.
Yuja Wang oppose à merveille
l'ambiance jubilatoire de l'introduction et la fluidité lascive de
l'intermède, passage intermédiaire suggérant le désir amoureux de
Petrouchka envers la ballerine, sentiment contrecarré par le magicien. La
pianiste explique dans le livret avoir porté son choix sur un Steinway lui
permettant de plaquer des accords graves avec puissance mais sans lourdeur
pour évoquer les riches percussions de la partition orchestrale. Elle
obtient ainsi de son piano des contrastes marqués, très colorés et jamais
massifs ni vulgaires. Les notes se détachent du flot musical grâce à un
legato d'une précision diabolique. La pianiste nous entraîne dans ce
ballet fantasmagorique en utilisant une palette de sonorités très
étendues. Yuja Wang joue dans
toutes les dimensions de la tessiture et de la dynamique exigées
par une partition aussi difficile, comme tout grand pianiste qui la domine. Main gauche et main droite se
pourchassent comme des papillons qui ne se rencontrent jamais, quelle
clarté ! (le travail sur Scriabine a porté ses fruits.) Chapeau !
2 – 2 sonates de Scarlatti
Le compositeur baroque italien (1685-1757) contemporain de
Bach
et
Haendel
a composé son œuvre pour clavier en Espagne.
Scarlatti
a composé 555 sonates qui restent un monument de la littérature du genre
(voir Scott Ross).
Yuja Wang en a retenu deux,
différentes d'esprit, dans son album. Elles encadrent les variations de
Brahms dans le programme du CD.
La première (K 380) prolonge
par sa gaité le climat de
Petrouchka. le jeu de la pianiste est fin et élégant, un discours intime et
chambriste. C'est très tendre mais un peu sage, attention je ne dis pas
scolaire. Les sonates de Scarlatti invitent à la vitalité ibérique. On
écoute ici plutôt une badinerie, un marivaudage.
L'écoute comparative avec l'interprétation par
Christian Zaccharias met en
évidence cet apparent manque d'engagement. L'effacement des ornementations
par la pianiste fait oublier que cette sonate trouve ses racines dans
l'époque baroque. Mais, curieusement, le grand pianiste allemand
(référence dans Scarlatti) adopte un tempo moins allant qui fait
disparaitre la légèreté obtenue par
Yuja Wang (6'02" contre
5'21"). Cela devient même presque lancinant. Mon Dieu :
Zaccharias vs Yuja Wang, à quel niveau sommes-nous ? En fait c'est peut-être
Alexandre Tharaud (clic), avec un tempo identique à "sa rivale", qui apporte à la fois un jeu
allègre et orné mais sans la raideur germanique…
La seconde sonate choisie (K 466) est un sublime andante. On retrouve ce jeu cristallin et très féminin
dans le sens où, sous les doigts de la pianiste, la musique exhale une
sensualité là où on n'en attend guère. Zaccharias
propose une approche plus brillante certes, mais à mon sens moins
profonde, émotionnellement parlant.
3 – Variations sur un thème de Paganini de Brahms
Le thème extrait du
24ème Caprice de
Paganini a inspiré
Brahms et
Rachmaninov. JohannesBrahms (clic) a écrit deux cahiers de 14 et 13 variations chacun à l'intention de
Clara Schumann en
1862 et 1863. La pianiste, amie de Brahms, trouva cela
"indigeste" tant il lui semblait que seule la virtuosité absolue soit
requise au détriment de la poésie.
Yuja Wang
a mélangé sans complexe les
27 variations dans un désordre
apparent qui permet d'obtenir de jouissifs contrastes, et de rompre la
monotonie et l'épaisseur du discours. En donnant libre cours à ces petites
pièces, et grâce à l'indépendance sans égale des jeux de chaque main,
étonnante capacité déjà évoquée, cette musique se dépoussière. La pianiste
n'attaque pas en force. Son jeu permet de retrouver les traits à la fois
élégiaques et folkloriques qui caractérisent l'art de ce compositeur. Et
en avançant dans ce disque, c'est à travers cette complicité avec Brahms
que l'on découvre comment la jeune surdouée peut dépasser ses facilités
pianistiques. Cette virtuosité qui touche à l'évidence lui permet toute
fantaisie et liberté dans l'interprétation des œuvres réputées âpres. Les
20' passent ainsi sans lassitude à l'écoute d'une succession tout à fait
ludique de ces variations.
4 – La Valse de Maurice Ravel
La valse
est un ballet écrit en 1920 pour les ballets russes. Nous avons
déjà découvert la partition orchestrale dirigée par
Seiji Ozawa (clic). Pourtant Diaghilev refusa de l'inscrire au programme de ses
ballets après avoir entendu la transcription pour piano assurée par Ravel
lui-même. Présent lors de l'audition, Stravinsky se tint coi pour avancer
ses pions face au maître des ballets russes. Les deux compositeurs se
firent la gueule, des vrais gamins !
Cette transcription est peu enregistrée. L'intégrale Ravel (qui donc n'en
est pas une) récente
d'Alexande Tharaud ne comporte
pas cette pièce. Rappelons que cette valse se veut étrange, désarticulée,
sarcastique. Au bon chic bon genre viennois, Ravel oppose une fin de bal
presque vulgaire, un miroir déformant renvoyant la réalité décadente d'une
société soi-disant élitiste mais incapable d'éviter la boucherie de la
Grande Guerre, horreur qui avait tant bouleversé
Ravel.
Yuja Wang
introduit parfaitement cette valse avec des accords sombres et menaçants.
La ligne mélodique se tord, ondule sur son rythme de valse. L'écriture de
Ravel
est bien présente : tenter de traduire un climat festif dans une soirée où
le cœur n'y est pas. La pianiste me semble un peu en retrait par rapport
au mordant cynique que l'on doit attendre dans cette introduction. Elle
retrouve plus de nerf dans le développement d'une belle ironie caustique.
Ravel
montre des danseurs proches du ridicule, gonflant leurs jabots. Ils sont
bien là sous les doigts de
Yuja Wang. La jeune femme gagne en assurance au fur et à mesure que la partition
se déploie. Même si la frénétique coda permet de rester sur une bonne
impression, il est évident que cette transcription (réduction ?) ne fait
pas le poids face à la version orchestrale. Quelle virtuosité cependant
!
Vidéos
1 -
L'écoute de la première vidéo peut s'avérer difficile pour la gente
masculine… Essayez d'oublier le look de rêve de l'artiste moulée dans une
robe satinée issue des recherches sur les nanotechnologies. Admirez ses
mains, sa fougue, son énergie dans le toucher pour interpréter
Scriabine, l'un des compositeurs les plus diaboliques pour ses interprètes…
L'enregistrement a été réalisé au festival de Santa Fe en
2010.
2 -
Dans la seconde Vidéo de 2009, la jeune femme attaque bille en tête
le début de Petrouchka de
Stravinsky et répond à une
interview (en anglais sous-titré…). On entend son analyse pleine d'humour
de quelques mesures de la
Rhapsodie sur un thème de Paganini
de Rachmaninov qu'elle a jouée
en concert à Paris, accompagnée par
Claudio Abbado…
3 -
Et enfin, l'intégrale du jubilatoire et juvénile
Concerto N°3 de
Prokofiev à Amsterdam,
L'orchestre du Concertgebouw est dirigé par Antonio Pappano.
4 - DEpuis la rédaction de cet article, l'intégrale du programme de
l'album Transformation de 2010 a été publiée sous forme d'une
playlist You Tube.
Programme :
Play List
1-3
4
5-31
32
33
34
Igor Stravinsky : trois Mouvements de "Pétrouchka"
Domenico Scarlatti : Sonates en mi major K. 380
Johannes Brahms : Variations sur un Theme de Paganini,
Op. 35
Domenico Scarlatti : Sonates en fa mineur K. 466
Maurice Ravel : La Valse
Domenico Scarlatti : Sonates en do majeur K. 455
(Allegro)
Elle est incroyable !Je ne sais pas combien elle mesure, mais je trouve (Au vu des vidéo) qu'elle joue très loin du clavier,elle a les jambes très tendu et le bras non cassé à la différence de beaucoup de pianiste qui ont le nez sur les touches, et puis quelle humour! Dans la deuxième vidéo quand tu la vois t'expliquer des phrases musicales qui chez nous profanes restera du Chinois en riant, je trouve ça d'une fraicheur déconcertante.Elle ne restera pas une petite pianiste, elle fait déja partie des "grands". Pour info , en Chinois le nom et le prénom sont inversés, donc sont prénom c'est Wang et sont nom de famille Yuja
Pour info, la notation de son nom et prénom ont été inversés au moment de sa popularisation, pour des raisons pratiques ; Soit inverser(inverser(Yuja,Wang)) = Yuja Wang. Son prénom c'est bien Yuja... Une preuve indirecte : référence au nom de famille Wang http://fr.wiktionary.org/wiki/Wang
Bonne question ! En tenant compte des talons "aiguille" et de la hauteur du clavier d'un Steinway, je dirais ~ 1,65 m et surtout des mains très longues et fines. En effet son prénom est Wang et son nom Yuja et en chinois on ne doit pas les séparer ou alors ajouter une dénomination de courtoisie comme Mlle Yuja... pas terrible dans un article... Son humour fait grincer des dents, elle aime Facebook, et cette jeune femme qui se refuse à vivre dans un autre temps fait bien des.... jaloux. J'ai posé un lien vers l'article sur son compte FK perso ... mais il est surtout fréquenté par des anglophones et des asiatiques.
Elle est incroyable !Je ne sais pas combien elle mesure, mais je trouve (Au vu des vidéo) qu'elle joue très loin du clavier,elle a les jambes très tendu et le bras non cassé à la différence de beaucoup de pianiste qui ont le nez sur les touches, et puis quelle humour! Dans la deuxième vidéo quand tu la vois t'expliquer des phrases musicales qui chez nous profanes restera du Chinois en riant, je trouve ça d'une fraicheur déconcertante.Elle ne restera pas une petite pianiste, elle fait déja partie des "grands". Pour info , en Chinois le nom et le prénom sont inversés, donc sont prénom c'est Wang et sont nom de famille Yuja
RépondreSupprimerPour info, la notation de son nom et prénom ont été inversés au moment de sa popularisation, pour des raisons pratiques ;
SupprimerSoit inverser(inverser(Yuja,Wang)) = Yuja Wang. Son prénom c'est bien Yuja...
Une preuve indirecte : référence au nom de famille Wang
http://fr.wiktionary.org/wiki/Wang
Bonne question ! En tenant compte des talons "aiguille" et de la hauteur du clavier d'un Steinway, je dirais ~ 1,65 m et surtout des mains très longues et fines.
RépondreSupprimerEn effet son prénom est Wang et son nom Yuja et en chinois on ne doit pas les séparer ou alors ajouter une dénomination de courtoisie comme Mlle Yuja... pas terrible dans un article...
Son humour fait grincer des dents, elle aime Facebook, et cette jeune femme qui se refuse à vivre dans un autre temps fait bien des.... jaloux.
J'ai posé un lien vers l'article sur son compte FK perso ... mais il est surtout fréquenté par des anglophones et des asiatiques.