Non ! Le mot Baroque n'a pas comme synonymes
obligatoires : Allemagne (Bach, Haendel) ou Italie (Vivaldi). Certes ces noms illustres
dominent musicalement l'époque par leur génie mais, pour parodier Brassens, il
n'y a pas qu'en Germanie où en Italie que l'on trouve de bons compositeurs
baroques ! En France, Couperin et Rameau, et quelques autres, ont
régné sur la musique "savante"
de l'époque, et leur inventivité féconde n'a rien à envier à leurs collègues
étrangers.
Donc bienvenue à François Couperin (1668
– 1733) dans le Deblocnot'. Votre
cher Claude Toon arbore une perruque poudrée et des bas de soie et se rend
incognito à la cour de Louis XIV et de la Régence…
-
Monsieur Luc………
-
Ouiii… Sonia, que se passe-t-il ?
-
Monsieur Claude a remplacé un poster d'une de ses violonistes chéries par celui
d'un jeune homme… un bien beau garçon… hihihihi
-
Arg, bizarre…….. Bon calmez-vous Sonia, on va aller lui dire bonjour…
-
Salut Claude…. Waouuu, changement de déco… C'est qui ce beau mec…?
-
Et ben…, c'est Alexandre Tharaud, un pianiste de grand talent bien de chez
nous… vous me dites toujours que je ne parle que de jolies virtuoses !
-
Ah heu oui, ok c'est pour le boulot, bon on te laisse écrire… heu… on verra
plus tard… désolé pour le dérangement, c'est Sonia qui… enfin tu comprends….
-
DEHOOOOOORS…………………
François Couperin
Né à Chaumes-en-Brie
en 1668 dans une famille de
musiciens, François Couperin est
resté le plus illustre de sa génération. Il apprend ainsi très jeune l'art du
clavecin et de l'orgue. L'enseignement général semble avoir été laissé un peu
de côté par le jeune homme ou les parents. Il existe peu de documents ou de lettres
le concernant, et la grammaire et l'orthographe ne font pas bon ménage avec son
solfège qui lui est parfait !
Il devient organiste de l'église Saint-Gervais et aussi de la Chapelle Royale, mais un trimestre par an. Il compose brillamment
et son enseignement est réputé. Son nom n'apparaît pas au hit-parade des
compositeurs français (comme un Berlioz, un Ravel ou un Debussy), et c'est
assez fâcheux. L'homme est talentueux et discret, peu courtisan. Bien qu'il
soit sans doute le meilleur instrumentiste de son temps, il n'obtiendra jamais
la charge de claveciniste du Roi, fonction qui échouera sous les doigts du
médiocre fils de Jean-Henri
d'Anglebert, Jean-Baptiste. En ces temps-là (uniquement ceux-là ?) c'est le
principe de la "survivance" qui privilégie le lignage sur le talent.
Je pense à toute une liste de filles et de fils de "vedettes" qui…
bon enfin bref, je vais encore me faire des ennemis…
Couperin a composé un certain nombre d'œuvres
religieuses d'importance, notamment les "Leçons de Ténèbres pour le Mercredi Saint". Très
appréciées des amateurs de chants, ces "leçons", typiques des
compositions religieuses baroques, sont considérées à juste titre comme un
sommet du genre.
Mais François Couperin, c'est avant tout l'art profane et essentiellement celui du clavecin. On pourrait dire "clavier"
puisque je vous propose un récital pour le piano. Il compose quatre
livres de pièces fort diverses, livres divisés en un ensemble de vingt-sept "ordres".
Avant même d'écouter quoique ce soit, avec Couperin nous sommes déjà dans la
poésie et la fantaisie à la lecture des titres de ses pièces qui préfigurent
l'humour de Satie. "Tic-toc-choc ou les maillotins" qui donne
le nom à l'album d'Alexandre Tharaud, "Les tricoteuses", "Le dodo ou
l'amour au berceau", etc. Dans son ensemble de concertos "Les Goûts Réunis",
on note des indications de tempos comme : "Amoureusement", "Lentement et
douloureusement", "Légèrement et galamment". On ne
retrouvera de telles précisions qu'à la fin du XIXème siècle avec Mahler par
exemple. Couperin s'écartera de plus en plus des dogmatismes de composition, et
cela lui permettra de nous offrir une musique personnelle, gaie, élégiaque et
amusante sans jamais chercher la virtuosité gratuite même si ces œuvres sont
également dédiées à l'étude du clavier.
Il
meurt à Paris en 1733.
Alexandre Tharaud
Alexandre Tharaud est né à Paris en 1968 dans une
famille d'artistes (son père est chanteur d'opérettes). Il commence le piano
dès l'âge de cinq ans et intègre le Conservatoire de Paris à quatorze. Il
reçoit les conseils de pianistes de la trempe de Claude
Helffer, Leon Fleisher et Nikita Magaloff. Il enchaîne les
concours et les récompenses.
J'attends une question depuis le début de cet
article. Mais est-il pertinent de jouer au piano des œuvres écrites pour le
clavecin ? Bonne question, et Alexandre Tharaud, qui se l'est évidement posé,
répond "Je
ne suis pas certain que l'authenticité passe par un instrument donné".
Tout à fait d'accord et puis qu'est-ce que l'authenticité ? La magie de la
relation fusionnelle entre Glenn Gould et Bach repose-t-elle sur un débat
musicologique ou plutôt sur une intelligence émotionnelle dans l'appropriation d'une
partition ? Wanda Landowska et Marcelle Meyer avait montré la voie clavecin-piano
dès le début du XXème siècle.
Alexandre Tharaud est une personnalité éclectique
qui participe à des spectacles en compagnie de Bartabas, de la chanteuse Juliette
ou de l'australienne Elise Mcleod
qui a mis en scène des clips autour de tic-toc-choc.
Alexandre Tharaud adopte une méthode de travail
singulière, il ne possède pas de piano, préférant analyser de manière
approfondie les partitions puis aller "taxer" les pianos de ses amis.
Bizarre ? Pas tant que ça, dans le sens où cela lui permet de ne pas devenir
esclave d'UN piano particulier et donc de privilégier un jeu spontané.
L'inverse est bien connu avec Glenn
Gould et Arturo Benedetti
Michelangeli qui ne jouaient QUE sur leur(s) piano(s) perso, le trimbalant
de concert en concert, rendant fous leurs accordeurs attitrés en exigeant de
régler les marteaux au femto gramme près, chipotant jusqu'à l'absurde sur des
centièmes de ton et, annulant des concerts (pour le grand Arturo) si par
malheur le Steinway de service n'était pas parfaitement à leur goût. Chacun son
truc…
Tic-Toc-Choc
Avec ce merveilleux disque, Alexande Tharaud s'est
lancé un défi. Comment retrouver la richesse harmonique d'un clavecin (qui
sonne souvent avec un bruit de ferraillage sur les mauvaises prises de son) ?
Et puis, comme l'artiste l'explique fort bien dans l'interview de l'émission
"La
boîte à musique" (voir vidéo), ces pièces sont conçues pour
être jouées sur un clavecin à deux claviers, d'où le choix de mon illustration précédente
qui paraît décalée dans un commentaire consacré au piano. Alexandre a le don de
trouver des "astuces" à force de travail pour pallier cet
inconvénient en bravant la difficulté avec les mains superposées lors de
certains passages. Le résultat est à la hauteur dans le sens où le pianiste
interprète vraiment avec la vivacité "baroque", principalement en
ajoutant avec subtilité les ornementations qui font le charme de ces pièces. Voici
de petits commentaires sur quelques-unes…
2 – Tic-Toc-Choc ou
les maillotins : Le pianiste fait preuve d'une belle vélocité,
d'un rythme métronomique. Pour cette danse des touches jouée avec un
staccato-legato précis et affirmé, il limite les ornementations à quelques
facétieuses interventions. Deux minutes de pure fantaisie pour cette musique
qui, en 3 siècles, n'a pas perdu sa vivacité. D'ailleurs Elise Mcleod confronte dans son clip à la fois le jeu du pianiste
(dans le vide), la gymnique corporelle, et les désarticulations d'un danseur de
hip hop, arts plus que modernes. Un perpetuum mobile qui n'a pas pris une ride.
6 – Les tricoteuses
: Couperin avait incontestablement le sens de l'ironie. Cette pièce, elle aussi
très rythmée alterne plusieurs idées. Par des enchaînements bien marqués, une
alacrité malicieuse du phrasé, le pianiste nous convie au cliquetis des
aiguilles certes, mais aussi aux papotages de ces tricoteuses. Misogyne ?
Peut-être, drolatique surement.
8 - Musète de
taverni semble joué à plusieurs paires de mains. Vous ne rêvez
pas. Alexandre Tharaud, qui n'est pas un personnage de Gotlib, s'est
réenregistré plusieurs fois pour obtenir l'effet d'un jeu à cinq mains comme la
partition originelle le prévoit. Quelle virtuosité et indépendance des mains !
La gauche assure une forme de basse continue, tandis que la droite voltige de
notes en notes sur tous le clavier. Cette pièce est la plus caractéristique de
la prouesse du pianiste à transposer sur un seul clavier ce qui, à l'évidence,
est écrit pour deux claviers et plusieurs musiciens.
14 – Bruit de Guerre
: Un choix judicieux pour continuer le divertissement que cette pièce à la
puissante résonnance symphonique. La frappe virile du pianiste évoque-t-elle
bien la fureur des batailles rangées, courtes mais sanglantes, de l'ancien
régime ? Oui et il faut savoir qu'il existait des percussions sur certains
clavecins à l'époque, pour les effets "spéciaux militaires". Qu'à
cela ne tienne, Alexandre Tharaud fait appel à un complice en la personne de Pablo Pico qui joue du tambour Davul,
pour appuyer le climat guerrier du morceau. Barry Lindon, où es-tu ?
18 – Les jumèles
: il s'agit d'une romance délicate, avec d'affectueux élans. Une fois de plus,
Alexandre Tharaud met en évidence la fraîcheur et l'imagination de Couperin.
Chaque main se voit attribuer à jeu égal une mélodie toute en dentelle. Le
pianiste s'efface dans cette pièce intimiste qui semble avoir été écrite
directement pour le piano. Donc, pari tenu de transcender la musique
indépendamment de l'instrument.
20 – Le CD se termine sur une pièce de Jacques Duphly un peu plus tardive et qu'affectionne
Alexandre Tharaud : La Pothouïn. Il est
intéressant de montrer ainsi une musique qui porte en elle le germe de la forme
"classique" voire "romantique" qui sera jouée dans un
premier temps sur des pianos forte puis sur des pianos modernes.
Nota
: l'orthographe du nom des pièces (les jumèles) est conforme à celle en usage à
l'époque, ce n'est pas le rédacteur qui s'égare…
Pour approfondir…
Il existe de très beaux enregistrements sur
clavecin, je citerai "Les Barricades mystérieuses" (encore un
titre bien imaginatif) par Blandine
Verlet et l'anthologie "Pièces de clavecin" de Pierre Hantaï, deux grands noms du
clavecin qui ne sont pas inconnus des mélomanes.
Vidéos
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