- Heuuuu Claude… Tu réponds à une commande amicale de Bruno… Les
frangins Marcello, époque baroque… Mais notre camarade rédacteur
n'avait pas précisé s'il avait apprécié Alessandro ou Benedetto…
hihi…. Du coup un double billet…
- Et oui Sonia… Bruno a dû écouter un morceau sur FM Hard-Barock ou
Heavy-Barock ou encore Hell-Barock… Je blague.
- Rigolo, le connaissant il devrait s'en amuser… Cela dit, tu ne vas
pas forcément proposer ce qu'il a entendu…
- Ô tu sais ma belle, pour Alessandro, le disque écouté est presque
une intégrale… Pour son frère, il y a peu de gravures, avec Maggy et
Nema, on a adoré ces sonates pour flûte et continuo dans une version
haut de gamme…
- Tu ne nous écris pas un roman Claude… D'ailleurs j'ai commencé les
recherches d'infos, elles sont maigres…
Je dédie ce billet à mon ami Bruno qui m'en a soufflé l'idée… 😉
Alessandro
Benedetto
Benedetto
à gauche et
Alessandro
à droite. Je ne sais pas si les deux frères avaient des relations
fusionnelles et fraternelles ou s'étripaient à propos d'héritages
potentiels… Je les ai isolés. Avec les perruques, on pensera à une gémellité
possible… Sur les portraits de l'époque, mes héros des billets baroque ont
tous la même tête poudrée. En fait, l'hygiène capillaire très négligée en
ces temps-là favorisait la prolifération des poux d'où une tonsure et le
port d'une perruque, et…
Pardon Sonia ? On s'en fiche complètement ! Tu as raison.
😊
Tu as des billes sinon ? Ah Cool…
Commençons par l'aîné :
AlessandroMarcello(Venise, février 1673 – Venise, juin 1747). Les deux frères sont contemporains de Vivaldi, Bach ou Haendel. Contrairement à Vivaldi, ils sont issus de la noblesse et la composition se révèlera plutôt une
passion qu'un métier à part entière. Comme son rang l'impose, doté d'une
riche instruction, il s'adonnera aussi à la peinture et à la poésie. Et
comme si cela ne suffisait pas : il pratique la philosophie, les
mathématiques, la mécanique et collectionne les instruments de
musique…
Ajoutons des fonctions auprès du gouvernement vénitien, le conseil des
quarante, ayant entre autres la responsabilité de la gestion des canaux. Son
train de vie fastueux lui permet d'organiser des concerts. Ses compositions
instrumentales devaient y être jouées. Mais on lui doit aussi quelques
cantates, ce qui montre une connaissance solide de l'écriture solfégique.
Giorgio Sasso
Le catalogue connu d'AlessandroMarcello comporte des concertos
pour cordes et un ou deux hautbois dont un cahier de six titré "la cetra" de bonne facture ; divers autres concertos et quinze sonates. En tout et pour tout une trentaine d'œuvres dans le style italien de Vivaldi, en moins inventif certes, ce qui n'a aucune importance quand on écoute
avec plaisir sa musique poétique et ensoleillée…
Nous écouterons son célèbre concerto pour hautbois (transcrit pour clavecin
par
Bach – BWV 974) et les six de la "Cetra"
L'orchestre baroque de Venise
a gravé en 1997 une anthologie sur un CD isolé de quatre
concertos
variés, un aria en duo contre-ténor vs soprano extrait de
La Lontananza
et la petite cantate
Irenesdegnata. J'ai réuni les deux dans une playlist…
~~~~~~~~~~~~~~~~~
Place au benjamin
BenedettoMarcello(juillet 1686
à Venise, et Brescia en juillet 1739). Une vie plus courte que celle de son grand frère mais non moins active.
Son curriculum vitae n'a rien à envier à celui d'Alessandro
: compositeur, poète, écrivain, juriste, magistrat et professeur d'italien.
Le Conservatoire de Venise porte son nom.
Enfant et adolescent, il travaille le violon sans grand succès semble-t-il…
Son intérêt pour la musique et sa formation commencent vers la vingtaine en
autodidacte. Pour l'anecdote, ce zèle tardif trouverait son origine dans une
humiliation. La princesse de Brunswick invitée chez
Alessandro
lors d'une soirée musicale et mondaine s'enquiert des talents de
Benedetto. Rouge pivoine, celui-ci aurait répondu "ben heuuu votre Altesse, j'ai juste apporté les partitions". Nous ignorons la réaction de son altesse… Vexé,
Benedetto
ce jette à corps perdu dans un travail acharné commencé sans passion chez
Les clercs réguliers de Somasca. Un
ordre à vocation éducative.
Son professeur fut un compositeur adulé à l'époque, insatiable de création
d'opéras,
Francesco Gasparini
avec qui il perfectionne sa maîtrise du violon et apprend le
clavecin.
René Clemencic
Il analyse les partitions des grands noms italiens du passé comme
Palestrina,
Gesualdo,
Monteverdi,
Frescobaldi
et
Carissimi. Un peu de modernité ne gâtant rien, il se penche sur les portées de
contemporains :
Lulli, Marc-Antoine
Charpentier,
Purcell,
Corelli. Avocat et fonctionnaire peu motivé, il s'épanouira dans la composition et
dans tous les genres.
Son catalogue n'est pas mince :
300 cantates
! des
oratorios, 7
symphonies, des
concertos, de la musique pour
clavier, des
sonates… vraiment tous les genres. Sa production la plus célèbre reste sans nul
doute l'Estro-poetico armonica, un cycle composé entre 1724 et 1726 de 50 psaumes (dont
ceux de David – comme l'allemand
Schütz
au siècle d'avant) mis en musique, dans des combinaisons vocales et
instrumentales des plus variées. Le compositeur anglais
Charles Avison(Clic)
les traduira en anglais. Le chef illustre
Michel Corboz
en a enregistré une anthologie de huit ;
Cantus Cölln
et
Konrad Junghänel
également, de manière plus informée… Il existe divers autres programmes en
CD…
Fondé en 1876, le Conservatoire d'État de musique Venise porte le
nom de Benedetto Marcello. Bien que moins écoutée de nos jours,
Verdi
et Goethe aimaient sa musique…
Quand le prénom est omis avant Marcello sur une jaquette de disque, on considère que Benedettoest sous-entendu par défaut.
~~~~~~~~~~~~~~~~~
PROGRAMME MUSICAL POUR ALESSANDRO
Vidéo 1 - Le
concerto in D Minor pour hautbois, Cordes et Continuo
est l'œuvre la plus connue et la plus jouée d'Alessandro Marcello. Le voici interprété par Andrea Mion (hautbois) et le
Gruppo Instrumentale di Roma dirigé par le jeune chef et
violoniste Giorgio Sasso. L'album aborde également les 6
Concertos "La cetra"
Giorgio Sasso est violoniste et diplômé avec les
félicitations du jury du Conservatoire Sainte-Cécile de Rome
(1987). Il cumule d'autres diplômes prestigieux. Après un début de
carrière classique, il s'oriente vers la musique baroque vers
1992 et se perfectionne en côtoyant
Christophe Coin, Christophe Rousset, Rinaldo Alessandrini, Fabio Biondi, la soprano
Véronique Gens pour ne citer
que des personnalités connues des lecteurs de grand talents connus des lecteurs.
Le célèbre hautboïste
Heinz Holliger
fut un grand promoteur et interprète des Concertos "La cetra"à l'époque de la transition du vinyle vers le CD… (Archiv Produktion - 1981). Le
concerto pour hautbois, le hit du compositeur, a été ainsi enregistré par le virtuose et le
légendaire ensemble
I Musici.
Vidéo 2 – À suivre, une playlist de deux cantates : (1) “La lontananza” Roberto Balconi (Contralto)
& (2) “Irene sdegnata”, Sylva Pozzer
(soprano), direction
Andrea Marcon.
Concerto in D Minor pour hautbois, Cordes et Continuo
0:00:00 I. Andante e spiccato
0:03:22 II. Adagio
0:07:05 III. Presto
Concerto No. 1 in D Major, SF 936 “La Cetra”:
0:11:12 I. Allegro assai
0:13:23 II. Larghetto
0:16:14 III. Vivace
Concerto No. 2 in E Major, SF 938 “La Cetra”:
0:19:49 I. Allegro assai
0:21:23 II. Moderato
0:24:33 III. Spiritoso ma non presto
Concerto No. 3 in B Minor, SF 937 “La Cetra”:
0:27:23 I. Andante larghetto
0:33:42 II. Adagio
0:35:12 III. Presto
Concerto No. 4 in E Minor, SF 939 “La Cetra”:
0:39:16 I. Moderato
0:41:38 II. Largo appoggiato
0:44:49 III. Allegro
Concerto No. 5 in B-flat Major, SF 944 “La Cetra”:
0:46:56 I. Moderato
0:49:50 II. Larghetto staccato
0:51:32 III. Presto ma non molto
Concerto No. 6 in G Major, SF 941 “La Cetra”:
0:53:54 I. Allegro
0:56:25 II. Larghetto
0:59:48 III. Vivace
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que
conseillée.
Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la
musique…
INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool.
PROGRAMME MUSICAL POUR BENEDETTO
Vidéo 3 – Le premier enregistrement consacré aux sonates
pour flûte est un vrai bonheur de légèreté et de luminosité. Il date de
1977 et rassemble quelques musiciens autour du flûtiste,
claveciniste, clavicordiste, etc. autrichien René Clemencic
(1928-2022) qui fut également fondateur d'un ensemble baroque
éponyme : le
Clemencic Consort.
Sont présents pour le continuo :
Walter Stiftner
(basson), Vilmos Stadler
(seconde flute),
Christiane Jaccottet
(clavecin), András Kecskés (luth), Peter Widensky (orgue
positif),
Alexandra Bachtiar
(violoncelle), René Clemencic
joue de la flûte à bec.
Sonate No. 1 F Major
1
Adagio
2 Allegro
3 Largo
4 Allegro
Sonate No. 8 D Minor
5 Adagio
6 Allegro
7 Largo
8 Presto
Sonate No. 3 G
Minor
9 Adagio
10 Allegro
11 Adagio
12 A Tempo Giusto (Presto)
Sonate No. 6 C
Major
13 Adagio
14 Allegro
15 Adagio
16 A Tempo Giusto (Presto)
Sonate No. 2 D Minor
17 Adagio
18 Allegro
19 Largo
20 Allegro
Sonate No. 4 E Minor
21 Adagio
22 Allegro
23 Adagio
24 Allegro
Vidéo 4 – Extrait de l'Estro-poetico armonica, le 50ème psaume dans son intégralité et dirigé par
René Jacobs
pour DHM en 2011.
MARDI :avec
masque et tuba, Pat a plongé dans l’abyssale discographie
post-mortem de Jimi Hendrix, sorti en 1980 « Nine to the
universe » est un montage à partir d’improvisations
d’obédience bluesy, où le Vaudou child assène des solos
époustouflants.
MERCREDI :there’s
nothing but the blues ! Le credo de Bruno
cette
semaine avec l’écoute du dernier Eric Gales« A tribute to
LJK », derrière ces initiales se cache le frère du
guitariste, et derrière la console le producteur Joe Bonamassa, du
blues et du meilleur.
JEUDI :dans
sa série disque légendaire (troisième du nom), Claude présente la première gravure de la « Passion selon St Matthieu » de Bach en stéréo en 1958. Les deux Chœurs, l'orchestre et les solistes peuvent enfin dialoguer dans un espace ouvert et suivant un effectif allégé par le maestro Karl Richter, sans rival dans ce style trait-d'union entre l'oratorio monophonique empâté et les recherches encore ésotériques des baroqueux…
VENDREDI :Luc
a bien sûr été voir Jodie Foster dans le film de Rebecca
Zlotowski« Vie
Privée »une
comédie policière où
il est question de vrai-faux suicide, de psychanalyse, rondement
menée et
finement interprétée,
on
y passe un bon moment.
👉La
semaine prochaine,
on
commence les hostilités dès lundi, avec les frères Marcello et des
concertos pour hautbois, deux autres frangins, les Fogerty de
Creedence Clearwater Revival pour un live controversé, le top départ
d’un nouveau feuilleton dédié au folk-rock, donc avec Bob Dylan
en bonne place, et au cinoche la ressortie d’un chef d’oeuvre
signé Orson Welles. On a zyeuté le brouillon de Bruno et décelé
le nom d’une chanteuse qui aimait Bécassine et les pandas… on a
sûrement mal lu !
On ne va pas s’mentir, la curiosité joue à plein en allant voir VIE privée, car le premier rôle est tenu par l’américaine Jodie Foster. Qui tourne
chez nous une fois tous les 20 ans, avec Chabrol en 1984, Jeunet en 2004, et Rebecca
Zlotowski, donc, aujourd’hui. Et le résultat est plutôt plaisant.
On sent que Zlotowski
et ses co-scénaristes ont concocté pour la star ricaine un écrin sur mesure, et
choyé ses partenaires à l’écran. Le duo Foster / Auteuil fonctionne merveilleusement (au point que Zlotowski a réécrit des scènes en cour de tournage). Toute
la distribution est d’ailleurs impeccable, même si Mathieu Amalric en fait sans
doute un peu trop parfois en coupable (?) très tôt désigné. A noter que Virginie
Efira, en bonne place au générique, ne fait que de courtes apparitions (en
flashback, et pour cause) et que Irène Jacob… est tout bonnement absente, rôle
coupé au montage j’imagine, mais son nom est resté au générique !
Rebecca
Zlotowski propose un who done it ? qui puise dans pas mal de références
américaines, on pense d’entrée de jeu à Woody Allen et Alfred Hitchcock. Le couple
de séniors apprenti détective renvoie à MEURTRE MYSTERIEUX A MANHATTAN, les
rêves décryptés sous hypnose à VERTIGO ou MARNIE, on pense aussi à Fritz Lang, LE
SECRET DERRIERE LA PORTE, ou au DEAD AGAIN de Kenneth Branagh.
Un divertissement léger, à première vue, car prise au premier degré, l’intrigue paraitrait capillotractée. A
savoir, la psy Lilian Steiner qui apprend le suicide d’une de ses patientes,
Paula (Virginie Efira). Pour la thérapeute, ça ne colle pas au profil, et implique sous-jacent qu'elle n'aurait pas détecté ce qui clochait. Elle écarte la piste du suicide pour privilégier celle du meurtre...
Lilian
a un autre problème, ophtalmo celui-là, elle pleure sans arrêt : « c’est
pas moi, c’est mes yeux ». Superbe idée, traduction de sa conscience de psy mal menée. Elle consulte
une hypnotiseuse (qu’un de ses patients avait consulté pour arrêter de fumer)
qui décèle en elle un tas de traumas enfouis, liés à Paula. Perturbée par ces
révélations, Lilian et son ex-mari Gabriel (Daniel Auteuil) décident de mener l’enquête…
La
scène de l’hypnose, avec ces symboliques codifiés, le rouge, les escaliers, les portes à ouvrir, renvoie au Film Noir américain de l'après guerre, très friands de psychanalyse. Et confronte Lilian à d'autres modèles de thérapies, qui la déstabilisent un peu plus. Ca donne surtout de bonnes scènes de comédies, lorsque Lilian se représente en rêve son fils (Vincent Lacoste) en milicien gestapiste, et le repas de famille qui suit.
Nous sommes à la
fois dans une comédie policière et dans un portrait de femme, réussi, qui se prend en pleine poire ses failles professionnelles, ses névroses familiales, ses dénis, qui entend plus qu’elle n'écoute. Une professionnelle ébranlée dans ses certitudes face à une hypnotiseuse dont elle dénigre les pouvoirs, allant jusqu'à la traiter, argument définitif, d'antisémite ! Pourquoi ? Parce que Freud aurait abandonné l'hypnose moins génératrice de revenu, car efficace dès la première séance ! Un des patients de Lilian (le fumeur) lui réclame le remboursement de ses 5 ans de psychanalyse au motif que son sevrage n'a pas marché ! Quand elle raconte ses soupçons au commissariat, le flic reste dubitatif, lui demande sa profession : « Psychiatre ». Sourire narquois du flic en mode ah ouais je comprends mieux...
Intrigue policière et portrait psychologique sont habilement dosés, le rythme ne faiblit pas, les rebondissements s’enchainent. Entre les démarches suspectes de la fille de Paula (Luàna Bajrami, intrigante), un mystérieux message écrit au dos d’une ordonnance (falsifiée ?), des
coups de fils anonymes, un cambriolage, des enregistrements
de séances qui disparaissent, la double vie du veuf très vite consolé…
Un scénario (original) bien ficelé et joliment écrit, tant mieux,
dont on retiendra les scènes entre Lilian et Gabriel, que cette enquête
sort de leur confort petit-bourgeois. Un film d’inspiration américaine, mais très
français dans la liberté de ton, par les décors, par le nombre de repas arrosés et clopés.
Cadres et lumières sont maitrisés, les couleurs ajustées avec soin, gamme d’ocres, rouges, bleu pétrole, on retrouve les
marqueurs du genre, marchant en terrain connu. La mise en scène, très élégante, est
tout de même un peu chiche en termes de suspens. La filature de nuit, dans les bois, est plutôt mollassonne, la perquisition clandestine chez l'ex-mari ne nous fait pas griffer l'accoudoir. On reste dans le feutré.
Et pourquoi tant de gros plans alors que Rebecca Zlotowski
filme en format scope ? Pourquoi redécouper des scènes alors qu’un seul
plan d’ensemble peut suffire. C’est dommage d’avoir ces deux Rolls à l’écran,
et de ne pas les regarder évoluer dans le même cadre, sur la longueur. A quoi servent ces
gros plans pour une demi-réplique ? Et ces arrières plans flous horripilants quand les deux personnages sont à un mètre cinquante l'un de l'autre, pitié ! J’ai pensé à Roman Polanski, que cette histoire
aurait pu intéresser. Zlotowski aurait pu revoir THE GHOST WRITER, en termes de filmage cela aurait été inspirant.
Ces réserves faites, VIE PRIVÉE se regarde avec
plaisir, Rebecca Zlotowski ayant habilement contourné le pensum psychologique pour privilégier le divertissement, on s'y amuse, et les acteurs aussi visiblement.
- Mais Claude, tu as déjà écrit une chronique sur cette passion… Une
version baroque parmi les plus authentiques, exclusivement
masculine…
- Oui Sonia, mais il existe diverses versions de cette œuvre majeure de l'histoire musicale de l'humanité,
carrément ! Celle d'aujourd'hui est le trait d'union entre les
interprétations à l'ancienne, mi-romantique mi-opératique et les
belles versions intimistes de nos amis baroqueux… C'est la première
gravure en stéréo et quelle stéréo…
- Karl Richter, un nouveau dans le blog… enfin je crois…
- En effet, organiste, chef de chœur et d'orchestre… cet homme
disparu trop jeune était un spécialiste de Bach et de la musique
sacrée…
- Je vois… tu as entendu ce maestro en concert…
- Oui dans la messe en si de Bach et… au Palais des congrès et ses 3700
places d'une seule volée… Un défi acoustique un peu fou et un beau
souvenir…
Partie 1 : à propos de ma passion pour la Passion selon Saint Matthieu
de Bach
Karl Richter
Souvenir, souvenir : j'ai entendu trois fois la
Messe en si
de
Bach
en concert. Comme précisé avec Sonia, une première fois vers 1975 ;
l'orchestre de Paris
en moyenne formation équilibrée (40 musiciens, des solistes virtuoses) et
des chanteurs d'opéras habitués aux oratorios comme
Peter Schreier
ou
Tom Krause
parvenaient grâce au talent de
Karl Richter
à passionner une salle où, au dernier rang, il ne risquait pas
l'assourdissement… Là, j'étais bien placé… La probité du chef, sans queue de
pie, juste un costume classique m'avait frappé. Rien de spectaculaire lors
du concert devait nous éloigner de Bach.En 1980
à Saint-Severin dans le quartier latin, Michel Corboz
officiait, mais le son, ben… pas vraiment top car, avec une copine, nous
étions mal placés, derrière un pilier 😊. Enfin, en 2001 (avec Maggy Toon) dans l'auditorium de 300 places de la Villette, soit la taille idéale ;
l'Orchestre de Paris de nouveau eneffectif réduit (instruments modernes), est placé sous la direction de Franz Brüggen
déjà affaibli par la maladie, lui aussi expert de l'œuvre dont il a signé
l'une des plus belles versions au disque sur instruments d'époque, une
gravure commentée dans le Deblocnot (Chronique).
J'ai entendu la Passion selon Saint-Jean
mais jamais celle selon Saint Matthieu, plus rarement proposée en concert de par ses dimensions
monumentales.
Avec 8 versions dans ma discothèque (≈ 22 CD), cette
Passion
arrive en seconde position dans la catégorie "l'œuvre de ma vie" après
le Chant de la Terre
de
Mahler
(12 CD). Oui, oui, comme dit Sonia, c'est une passion (j'écris sa boutade,
sinon elle va bouder). Tous ces disques ont leurs qualités :
-Vienna Symphony Orchestra & Chorus - Hermann Scherchen (1953)
-Philharmonia Choir & Orchestra - Otto Klemperer (1962)
-Concertgebouw d'Amsterdam - Eugen Jochum (1965)
-Gewandhaus de Leipzig - Rudolf Mauersberger (1971)
-La petite Bande - Gustav Leonardt (1989)
-Collegium Vocale - Philippe Herreweghe (1998)
-Das Neue Orchester - Christoph Spering (2002) (Édition Mendelssohn)
-Gabrieli Players - Paul McCreesh (2003)
Alors pourquoi encenser un disque que je ne possède pas physiquement ?
Celui que Karl Richter
enregistra en 1958 pour Archiv (filiale de DG pour la
musique ancienne) ; disque écouté dans d'excellentes conditions à partir du
site Deezer via un raccordement du PC à une chaîne HIFI audiophile. (on ne
peut ni tout acheter ni pousser les murs 😊). Cette gravure possède une
dimension unique doublée d'une qualité sonore exceptionnelle (il s'agit de
la première version publiée en stéréo). Quelles spécificités la rend unique
? Je listerai : l'humilité, le respect absolu de la partition et la
sincérité souveraine dans sa spiritualité. Au-delà de l'interprétation
épurée haut de gamme,
Karl Richter
dirige plutôt un office en hommage au Christ qu'un concert en studio. Voilà
Bach
rendu à sa quintessence.
Pendant sa carrière Karl Richter
interpréta la
Passion selon Saint Matthieu
tous les vendredis saints.
Manuscrit de la passion
Partie 2 : La passion selon Saint-Matthieu en 1727 et… son oubli…
Une chronique de 2014 centrée sur le disque de
Gustav Leonhardt
recréant la Passion telle que les auditeurs ont pu l'entendre en
1727 détaille la genèse de la
Passion
et analyse la composition.
(Chronique)
Je ne reviens que sur l'essentiel et l'originalité de l'œuvre mythique.
De 1723 à sa mort en 1750, la famille
Bach
vit à Leipzig. Thomaskantor (chantre) et Director Musices des
paroisses luthériennes de Saint-Thomas et Saint-Nicolas. Son travail
consiste principalement en l'écriture d'œuvres sacrées, les 300 cantates
(100 ont disparu). Il bénéficie d'excellents chanteurs. Les deux Passions
connues : Saint-Jean en 1724 et Saint Matthieu en 1727 ne
répondent pas à des commandes.
À l'évidence,
Bach
regarde vers le passé de la chrétienté, peut-être celui des mystères donnés
tels des tragédies antiques. Il veut proposer un oratorio d'envergure "à la
gloire de Dieu" pendant la semaine sainte ; l'œuvre étant destinée à un
exécution le vendredi saint. Le terme mise en scène n'a rien de choquant :
deux chœurs opposés, une maîtrise de garçons, un orchestre et plus
surprenant : six solistes voire sept. Il ne veut pas de confusion entre le
récit in extenso de l'Evangile et les commentaires profanes (arias et ou
chœurs) qui animent l'œuvre. Un soprano tient le rôle du récitant et un
baryton avec sa tessiture de prophète celui du Christ. Les chœurs simulent
la foule "BARABAS" ! pour ceux qui assistent à l'office le jour des rameaux.
Quatre solistes SATB chantent des hymnes à caractère théologiques.
D'une durée de 2h45 à près de quatre heure (Klemperer), l'accueil fut très mitigé de la part d'un public protestant rigoriste
n'appréciant guère l'aspect théâtral de l'ouvrage sacré. Pas des rigolos les
luthériens… Le recourt à des formes anciennes comme le plain-chant dans
certains chorals n'aida pas à des reprises fréquentes…
Bach
apporta des retouches en 1729, 1736, 1742, toujours
avec un accueil glacial ! Les partitions furent rangées avec un risque de
disparition totale en 1750… Pas si totale heureusement.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Partie 3 : La Passion selon Saint Matthieu de Bach, de Mendelssohn à
nos jours…
Bach et Mendelssohn
En 1750, à la fin du baroque tardif, le public commence à se
désintéresser de la forme oratorio. Un âge d'or où ont été produits ceux de
Bach
(5 + des partitions perdues ou d'origines incertaines),
Haendel
(22 sur 30 identifiés dont l'inusable
Messie), et hélas un seul de
Vivaldi
(Judith triomphante) sur une trentaine perdue 😧. Ah, j'oublie
Scarlatti
avec 38 partitions dont 21 éditées, peu jouées et peu gravées car disons…
peu inventives voire soporifiques, des curiosités, sans plus.
Si la traditionnaliste Angleterre conservera jusqu'au XXème
siècle un goût certain pour le genre (le dimanche, ça occupe), le reste de
l'Europe boude ces œuvres monumentales jugées désuètes.
Joseph Haydn
redonnera un petit élan avec une thématique mi-sacrée (la Création) mi-bucolique (Les saisons), deux chefs d'œuvres en cette fin des Lumières.
Comment
Mendelssohn
a connu la
Passion selon Saint-Matthieu
? Je présente souvent des petits maîtres dans le blog qui méritent mieux
qu'un oubli condescendant. Ces compositeurs ont un rôle clé et discret sur
la transmission du grand patrimoine des génies du premier rang. L'histoire a
son charme…
Johann Friedrich Fasch
et
Bach
étaient amis. Le fils de
Fasch,
Carl Friedrich Christian (1736-1800) et
Carl Philipp Emanuel Bach
seront collègues à la cour de Frédéric II.
Carl Friedrich Christian Fasch, esprit alerte passionné de logique et de numérologie, étudie les
mathématiques, les casse-têtes. Ainsi il analyse avec gourmandise les
architectures contrapuntiques très complexes de l'époque baroque,
celles de
l'art de la Fugue
de
Jean-Sébastien Bach particulièrement savantes. Sa carrière musicale stagne, ses centres
d'intérêt musicaux étant passéistes.
Carl Friedrich Christian Fasch
Il écrit un
canon à 25 voix
! (un défi digne des folies du XVIIème siècle) qui attire
l’attention d’un certain…
Johann Philipp Kirnberger
(1721-1783) qui fut élève de
Bach
et reste connu pour la découverte des
tempéraments inégaux ("Non Sonia pas de détails"). Kirnberger
lui fait découvrir l'univers infini de la musique de
Bach.
Fasch
approfondit la polyphonie oubliée du Cantor. En 1783, il compose une
messe à 16 voix et tente en vain de la faire exécuter. En vain car plus
aucun chœur professionnel ne maîtrise ce style de chant écrit en
contrepoint. Opiniâtre, il convainc un groupe d'amateurs de se pencher sur
la question… Le petit groupe, en marge des tendances de l’époque, travaille
assidument les grands maîtres du passé :
Haendel,
Allegri,
Marcello, et surtout,
Jean-SébastienBach. En 1791, le chœur atteint une vingtaine de chanteurs et
Fasch
lui donne le nom très sérieux : l’Académie de chant de Berlin. (Singakademie de Berlin).
Carl Friedrich Zelter
À la mort de
Fasch, en 1800, un dénommé
Carl Friedrich Zelter
prend la tête de l’Académie et en maintient l’orientation principale : la
redécouverte et l’interprétation d’œuvres polyphoniques de l'époque baroque.
Carl Friedrich Zelter
gère la bibliothèque des manuscrits de
Bach, compose peu, mais apprend le piano à un petit musicien prometteur,
Felix Mendelssohn.
Comme dans tous les contes, intervient une fée.
Bella Salomon (1749-1824) célèbre le 15ème
anniversaire de son petit-fils
Felix Mendelssohn en février 1824, Bella a appris le piano avec
Kirnberger. Au fait, le cadeau ? Le manuscrit de la
Passion selon saint Matthieu
établi par un copiste ! Merci mamie.😀
Mendelssohn émerveillé par l'imposante partition décide de la ressusciter mais connaît
les réserves du public en ce début du romantisme, son manque de patience
face à 3H de musique. Il maintient les deux chœurs et élargit l'orchestre
comme il est d'usage. il ne conserve que 53 N° sur 79 en supprimant dix
arias, sept chœurs, et presque tous les chorals qui ne sont plus à la mode…
etc. L'esprit religieux de l'oratorio est scrupuleusement conservé, il est
plus musical.
Á la Singakademie deBerlin, en ce jeudi saint, le 14 avril
1829, à la
Thomaskirche de Leipzig, cent-un ans
après la création par Bach, Mendelssohn
dirige à guichet fermé son adaptation. Il réunit 150 chanteurs et 70
instrumentistes. Le succès est immense et le concert rejoué plusieurs fois
dont le vendredi Saint. Participant à la résurrection de Bach, Mendelssohn
assurait sa propre célébrité à vingt ans… Une révision verra le jour en 1841. J'en propose en complément l'interprétation de Christoph Spering.
Au milieu du XXème siècle, on interprète la version complète ou presque.
Hermann Scherchen
et
Karl Richter seront les premiers à enregistrer au disque cette édition originelle. L'un
en mono et le deuxième en… stéréo.
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Partie 4 : Karl Richter et Bach
Karl Richter joue Bach au Japon
Karl Richter
voit le jour en 1926 en Saxe, quatrième enfant d'une fratrie
de cinq. Son père est pasteur et on peut en déduire que la foi chrétienne
est assidue dans la famille. Le père décède en 1935 mais a eu le
temps de partager son esprit spiritualiste et son admiration pour
Bach
avec son fils a priori doué pour la musique. À Dresde, le jeune
Karl
fréquentera la
Kreuzschule
et bénéficiera des cours de
Günther Ramin
(1898-1956, 12ème Cantor après
Bach),
Rudolf Mauesberger
(1889-1971 et chef du
Dresdner Kreuzchor),
Karl Straube
(1873-1950, organiste et 11ème Cantor après
Bach). Sa formation de chef de chœur et d'orchestre, d'organiste et de
claveciniste est assurée à très haut niveau.
Rudolf Mauesberger
enregistrera une version très honorable de la Passion selon
Saint-Matthieu
en 1970. Il a dû prendre sa carte au parti nazi pour "protéger son
chœur". En effet, seul maître à bord, il continue de faire chanter
Mendelssohn et refusera toute programmation de chants d'idéologie nazie, prétextant que
le
Dresdner Kreuzchor
a une vocation religieuse, point ! Son frère
Erhard
deviendra le 14ème Cantor (1903-1982).
De 1944 à 1945,
Karl Richter
est enrôlé dans la Volksturm, miliciens inexpérimentés épaulant la Wehrmacht
pendant la débâcle, garçons et vieillards âgés de 16 à 60 ans.
Dès 1946, à l'âge de vingt ans,
Karl Richter
dirige le
chœur de la Christkirche de Leipzig
et, un an après, en 1949, il est nommé organiste titulaire de
Saint-Thomas de Leipzig. En 1951, il quitte la RDA et son régime de plomb, une simple
valise à la main. Après un passage à Zurich, il obtient un poste de chantre
à Munich. Il épousera Gladys Müller (1931–2019) à Zurich en
1952. Le couple aura deux enfants : Tobias en 1953 et
Simone en 1961. La famille
Richter
ne fera jamais la une des tabloïds !
Orgue de Richter pour les tournées...
Revenons à Munich en 1954,
Karl Richter
qui dirigeait déjà le
Cercle Heinrich Schütz
crée son propre chœur, le
Chœur Bach, qui suit la fondation du
Münchener Bach-Orchester
en 1953. (Informations sur ces dates divergentes 😊 pas grave). La
qualité des tournées et des premiers enregistrements érige les ensembles et
leur chef comme une référence de l'interprétation d'ouvrages de l'époque
baroque, classique voire romantique. Un seul exemple : le chœur pouvait
chanter l'intégrale de la
Messe en si
de
Bach
(2H) sans les partitions sous les yeux !
Karl Richter
a assuré sa postérité surtout avec l'interprétation des oratorios et
cantates de
Bach
et de
Haendel. N'oublions pas que
Nikolaus Harnoncourt
né en 1929 a créé de son côté le
Concentus Musicus Wien
en 1953 et a commencé à révolutionner la tradition de l'exécution de
la musique baroque : instruments anciens, distribution masculine, recourt à
des contreténors, etc. On a souvent écouté le travail merveilleux de
redécouverte de cet artiste. D'autres ensembles ont suivi et de nos jours on
ne joue que rarement la musique de 1600 à 1800 voire plus tardive comme dans
les années 40-70.
Bien entendu, les deux styles interprétatifs ont perduré pendant ces
décennies et permis aux critiques de susciter des polémiques. Les antis
retour à l'authenticité pour les uns (Antoine Goléa) et le
conservatisme des encensoirs pour les autres. Pourtant, à mon humble avis,
le fond doit toujours l'emporter sur la forme. Les sonorités soyeuses du
Münchener Bach-Orchester
envoûtent tout autant que celles plus acidulées et pétulantes du
Concentus Musicus Wien.
Voyager 1
Ta Ta... TaTaTa...
Plus précisément, j'avoue que si le mysticisme assumé de
Richter
me bouleverse, mais que je m'ennuie à l'écoute de ses
Suites
de
Bach
enregistrées vers 1962.
Suites
(ou
Ouvertures) et
concertos brandebourgeois
sont des œuvres de divertissements, et le jeu pétillant de
Café Zimemann
(au hasard) sonne comme à l'opposé à la gravité austère de
Richter. Une simple préférence… Polémique bien stupide quand on a la possibilité
d'entendre deux genres aussi aboutis… Le même conflit se déchaînera au sujet
de sa façon de jouer le répertoire d'orgue…
Petites anecdotes : J.F. Kennedy et Glenn Gould faisaient
partie de son Fans club. L'enregistrement de la
Passion selon Saint-Matthieu
écouté ce jour s’est vendu à 50 000 exemplaires en sept ans (un record
en classique et pour une œuvre nécessitant 4 LP 33T).
Richter
a incontestablement permis à des générations de découvrir la musique de
Bach. Plus insolite : son interprétation du
Concerto brandebourgeois n° 2
figure en bonne place sur la sélection musicale du Disque d'or
Voyager. Disque qui a quitté notre système solaire à bord des sondes Voyager 1
(1977) et Voyager 2, le message de l'humanité.
(YouTube).
Karl Richter
meurt encore jeune d'une crise cardiaque en 1981, à l'âge de 54 ans.
Un concert en sa mémoire est dirigé le 3 mai 1981 par son ami
Leonard Bernstein
dirigeant le
Chœur Bach de Munich
et
l'Orchestre Bach
dans la Herkulessaal de Munich. Son épouse, Gladys le rejoindra
en 2019 à l'âge de 88 ans. Au programme du concert proposé
par Lenny :
- le choral "Wenn ich einmal soll scheiden" de la Passion selon saint
Matthieu (BWV 244) ;
- le concerto Brandebourgeois n° 3 en sol majeur (BWV 1048) ;
- la Cantate "Wachet auf, ruft uns die Stimme" (BWV 140).
Mgr Ratzinger, archevêque de Munich en 1981, fut bouleversé par
cette cantate... Elle resta sa favorite même devenu pape
Benoit XVI !
Et après l’entracte :
- le Magnificat en ré majeur (BWV 243).
En 2020, le label Deutsche Grammophon - Arkiv a
réédité tous les enregistrements de
Karl Richter, un coffret somptueux de 100 CD + Blu-ray Audio ; l'intégrale officielle,
l'artiste ayant été toujours fidèle à la firme de Hambourg. D'autres raretés
ont été rassemblées dans un coffret de 31 CD du label
ProfilHänsler. Un leg inestimable sur la manière
d'interpréter la musique baroque et classique entre la tradition et les
recherches sur l'authenticité historique.
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Partie 5 : La discographie au temps de la monophonie
Dietrich Fischer-Dieskau et Karl Richter
Waouh quel enthousiasme des critiques à propos du disque du jour :
"Une révélation… un accomplissement monumental" –
The Gramophone - Andrew Rose
"Ne tournons pas autour du pot, c'est une réussite absolue. Cette
version de Richter, avec Fischer Dieskau, Haefliger et Herta Topper est
largement au-dessus du panier, un vrai miracle, après ça on ne peut plus
rien écouter d'autre !" - Amazon
Remarques outrancières ? Oui et non car cette
passion
est une extension imposante de la cantate baroque. Avant la stéréo, rares
sont les disques qui tiennent compte de la nécessité de pouvoir discerner
chaque ensemble choral ou instrumental à sa place. Deux exemples de
curiosités antiques, pour rester gentil (tous les goûts sont tolérables). On
s'extasie encore des rééditions de l'interprétation de
Mengelberg
de 1939 !! L'entrée des mâles du chœur écrase l'orchestre, les gosses
semblent 500 ou plus, le chef ne suit pas la partition : ruptures de tempo,
rubato hédoniste, ton lugubre… L'interprétation de Gunther Ramin
de 1941 à Leipzig reste plus attachante grâce à une prise de son
moins confuse et à des chanteurs très impliqués…
Perso je n'aime vraiment pas le disque de Mengelberg. Antiquité rééditée en CD par Philips
proposant pourtant la conception majestueuse de Jochum. Bizarre ?
En 1954,
Furtwängler, à Vienne, exténué (il lui reste six mois à vivre), se trompe d'époque en
intégrant du rubato dans le chœur initial qui hurle… Par contre, on
appréciera dans ce testament quelques beautés de l'orchestre et la présence
de six chanteurs d'exception, dont pour la première fois
Dietrich Fischer-Dieskau
bouleversant d'autorité dans le rôle du Christ. À ses côtés : Élisabeth Grümmer, MargaHöffgen, Anton Dermota
(évangéliste et airs), Otto Edelmann. Les amateurs d'art Lyrique apprécieront ce casting et le style opératique
révolu.
Et le pire consiste dans des suppressions d'arias et des coupures dans
certains récitatifs, une quinzaine de caviardages dans les deux productions
réduites ainsi de près d'une heure, une trahison… Écoutez et validez ou pas
mon propos, la musicologie étant tout sauf une science exacte :
Que déduire de mes réserves ? La
Passion selon saint Matthieu
par la disposition spécifique de l'effectif prévue par
Bach
et les dialogues entre les différents chœurs ne se trouvait pas magnifiée
dans leurs effets concertants à l'époque de la monophonie et encore moins
quand la pesanteur sonore des 78 tours était la norme.
- Claude, pourtant tu apprécies grandement la version d'Hermann
Scherchen de 1953, en mono elle aussi …
- Scherchen, chef et musicologue expert de Bach (chronique art de la fugue),
recherchait l'expression de la foi intense de Bach perdue depuis des
lustres dans les lourdeurs sulpiciennes héritées du romantisme.
Avec Scherchen, dans le Chœur introductif s'entendent distinctement les voix féminines
et masculines, celles des anges et… les instruments. Les nuances du flux
musical sont d'une netteté rare pour l'époque, quelle vie dans cette
mise en place ! Le label Westminster faisait des miracles… Une Passion
vivante, d'une grande musicalité, la spiritualité et le drame
évangélique sont au rendez-vous et préfigurent les options des
baroqueux… La seule réalisation d'exception en mono à mon sens…
Peut-être même un disque de légende… Ah j'oubliais, Scherchen garde les
79 numéros, il respecte l'intégralité de l'œuvre… Dans Bach, on ne fait
pas son marché ! Des fans de cette Passion pourront trouver les tempos un peu
extatiques… pas faux… Mais mysticisme et contemplation ne sont-ils pas
les clés de voute de la Passion ?
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Partie 6 : Karl Richter et sa version stéréo de 1958
La construction et les plus beaux passages de l'œuvre ont été commentés
dans la chronique de 2014 consacrée à l'interprétation de
Gustav Leonhardt. Il s'agit d'une vision historiquement informée comme on dit de nos
jours. Sans doute la plus aboutie dans cette démarche si l'on considère
que même les deux solistes soprano et alto sont, soit des jeunes
garçons, soit un contreténor, en l'occurrence
René Jacobs. L'avant dernier passage (N°67) précédant le chœur conclusif, un
quatuor vocal avec le jeune
David Cordier(soprano
du
King's collège), est un moment mémorable de la discographie.
Je n'analyse que la direction de
Karl Richter
dans l'introduction qui, en une dizaine de minutes, met en place le
climat ésotérique (architecture utilisant la numérologie), complexe et
mystique qui sous-tend toute la
Passion.
Bach
édifie mesure après mesure une prière mélancolique (en forme d'Agnus
Dei) où les deux chœurs auxquels s'ajoute tardivement un choral
d'enfants, expriment la détresse du peuple chrétien confronté au martyre
du Messie. Gustav Leonhardt
nous apportait en 1990 un disque légendaire dans le style
Baroque.
Karl Richter
était conscient en 1958 que ces vagues chorales qui se
superposent dans une triple polyphonie restaient difficiles à éclaircir
à l'époque de la monophonie, voire impossible techniquement (Exception
avec Scherchen). Il dispose ses forces du
Münchener Bach-Chor
en deux sections largement espacées à droite et à gauche. Le
Münchener Chorknaben
est placé au centre. Félicitation au Chef de chœur
Fritz Rothschuh.
L'orchestre associe un souffle oppressant du continuo à une
mélodie élégiaque aux cordes et aux bois (Bach
ne recourt à aucun cuivre). Les contrebasses scandent obstinément un
double motif crescendo - decrescendo : noire croche mesure à 12/8.
Karl Richter
dirige cet ostinato sans aucun rubato. Le temps s'immobilise. Les cordes
et les flûtes s'associent dans une suite d'arpèges mélancoliques. [0:26]
l'enchaînement d'un second groupe de cordes ne brusque aucunement la
nuance de ce passage instrumental. Fabuleux. [1:49] Entrée du premier
chœur. [2:55] les deux chœurs se répondent sans hausser inutilement le
ton. [3:19] Voici les garçons qui eux chantent à l'unisson (résurgence
du plain-chant) et… à la perfection (l'élocution est idéale même pour
des jeunes germanophones). Il est rare que des gamins maintiennent des
points d'orgue longs avec une telle stabilité.
On pourrait s'attarder sur nombre de détails comme la procession [6:13]
où, après la reprise des mesures instrumentales initiales, orchestre et
chanteurs adoptent une marche à la rythmique plus cadencée … là encore
sans rupture de nuance. Une introduction de
Karl Richter
l'orfèvre d'une unité sans faille.
Richter
ne se limite pas pour les airs à quatre chanteurs et chanteuses, mais
cinq, tous spécialistes du chant oratorio à l'époque. Une originalité
destinée à adapter les timbres et tessitures aux personnages. Un rare
enregistrement connu à recourir à un tel dispositif vocal :
Evangéliste et air :
Ernst Haefliger
– ténor (1919-2007) – Interprète de l'évangéliste pendant 40 ans
! (Jochum et Gunther Ramin dès 1941 entre autre)
Jésus :
Kieth Engen
– basse (1925-2004) -
Marie-Madeleine et
femme de Pilate :
Antonie Fahberg
- soprano (1928-2016)
Air pour soprano :
Irmgard Seefried (1919-1988) -
Air pour basse :
Dietrich Fischer-Dieskau (1925-2012)
Air pour alto :
Hertha Töpper (1924-2020)
Judas,
Pierre,
Pilate :
Max Proebstl
- basse (1913-1979)
Dietrich Fischer-Dieskau
a chanté un nombre incalculable de fois au disque, souvent dans le rôle du Christ.
Sept moments de grâce (expression un peu pompeuse j'avoue, mais je n'ai
pas mieux…)
N°19 air soprano "Ich will dir mein Herz schenken" (continuo hautbois, contrebasse, orgue)
N°42 air de basse "Gebt mir meinen Jesum wieder" (avec violon solo et orchestre)
N°47 air d'alto "Erbarme dich" (avec solo de violon)
N°58 air de soprano "Aus liebe" (avec solo de flûte traversière, pizzicati, orgue angélique)
N°69 & 70 Récitatif et aria de contralto "Ach Golgatha" et "Sehet, Jesus hat die Hand" (groupe de vents)
N°78 Récitatif : "Nun ist der Herr zur Ruh gebracht" quatuor vocal et chœur avec la voix chaude de Dietrich Fischer-Dieskau.
Vidéos : Playlist de la version de 1958 et interprétation par
Christoph Spering
de l'adaptation de
Felix Mendelssohn.
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que
conseillée.
Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la
musique…
INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool.
Partie 7 : Karl Richter et Bach font leur cinéma en 1971 😇
Des lecteurs doivent se souvenir des expériences musicales et visuelles de
H.G. Clouzot et
Herbert von Karajan
d'interprétation en studio et sans public de grandes œuvres du répertoire,
la
5èmede
Beethoven, La
Nouveau monde
de
Dvorak
et surtout, en couleur, un
Requiem
de
Verdi
d'anthologie à la
Scala de Milan
en 1967 qui mit fin à leur collaboration avant que les deux génies
égocentrés tendance dure ne s'étripent 😊. Cinq films au total…
(Chronique Verdi)
En 1971, La
Passion selon Saint-Matthieu
est filmée pour DG avec des techniques identiques : salle immense,
plafond en forme de crucifix (heuu, perso je ne l'aurais pas mis) et un
montage alternant plans larges ou, inversement, resserrés pour les arias et
récitatifs. C'est une nouvelle distribution des grands jours :
Peter Schreier,
Ernst Gerold Schramm,
Helen Donath,
Julia Hamari,
Horst Laubenthal,
Walter Berry
-
Münchner Bach-Chor,
Münchner Chorknaben
- Münchner Bach-Orchester, Karl Richter est au clavecin ; n'en jetez plus dirons les connaisseurs 😊. La réalisation ne pâtit
pas trop des interruptions nécessitées par les réorganisations incessantes
des lieux : chœurs séparés ou rassemblés en demi-cercle, etc. Richter
en osmose avec cette partition qu'il connaît si bien contrôle la situation.
La réalisation scénique est vivante. L'image fin année 60 restaurée en 2025
est très nette voire splendide.
On ne sera pas surpris des empoignades entre critiques : dinosaure pour la
revue Gramophone qui n'aime que les baroqueux, splendeur pour
IMDb et des commentateurs anglo-saxons sur Amazon (achat avant
restauration). Personnellement, cette réédition me semble de bon aloi. La
réussite tient plus aux talents des chanteurs et à l'expérience du chef. Les
concerts filmés n'apportent que rarement un plus à l'intérêt musical : je ne
parle pas des opéras pour lesquels, la situation est inverse. Ici la mise en
scène restitue une époque et souligne à merveille l'intemporalité de
l'ouvrage, comme tous ceux ce
Bach. Le quatuor vocal [03:08:05], avec
Helen Donath
et
Julia Hamari
(Mme Fischer-Dieskau) rayonnantes, me donne des frissons…
À vous de voir…
Liste des passages dans la playlist de l'édition Arkiv de 1958 :
PARTIE 1
L'onction à Béthanie (Chapitre 26, 1-13)
1. Chœur : Venez, mes filles, aidez-moi à pleurer
2. Évangéliste : Quand Jésus eut terminé ce discours
3. Choral : Très cher Jésus, qu'as-tu fait de mal ?
4. Évangéliste : Alors les grands prêtres se réunirent
5. Chœur : Quand ils n'étaient pas à la fête
6. Évangéliste : Quand Jésus était à Béthanie
7. Chœur : Quel est le but de cette souillure ? {En rythme avec A6}
8. Évangéliste : Quand Jésus s'en est rendu compte
9. Récitatif : Cher Sauveur, toi
10. Aria : Repentance et contrition
Cène (Chapitre 26, 14-35)
11. Évangéliste : Alors le Douzième s'en alla
12. Aria : Ne saigne que toi, ô cher Cœur !
13. Évangéliste : Mais le premier jour des pains sucrés
14. Chœur : Où iras-tu, pour que nous te préparions quelque chose ?
15. Évangéliste : Il dit : Va, Seigneur, est-ce moi ?
16. Choral : C'est moi, je dois me repentir
17. Évangéliste : Il répondit et parla 4:23
18. Récitatif : Bien que mon cœur soit rempli de larmes
19. Aria : Je te donnerai mon cœur
20. Évangéliste : Et lorsqu'ils eurent chanté l'hymne de louange
21. Choral : Reconnais-moi, mon gardien
22. Évangéliste : Mais Pierre répondit
23. Choral : Je resterai ici avec vous
Sur le mont des Oliviers (Chapitre 26, versets 36-50)
24. Évangéliste : Alors Jésus vint avec eux dans une cour
25. Récitatif : Ô douleur ! Ici tremble le cœur tourmenté !
26. Aria : Je veillerai auprès de mon Jésus
27. Évangéliste : Et il s'éloigna un peu
28. Récitatif : Le Sauveur se prosterne devant mon Père
29. Aria : Je me soumettrai avec joie
30. Évangéliste : Et il vint vers ses disciples
31. Choral : Que la volonté de mon Dieu soit faite
32. Évangéliste : Et il vint et les trouva endormis
Sur le mont des Oliviers - Faux témoignage (Chapitre 26, 51-63)
33. Aria A Doi Cori : Ainsi mon Jésus est maintenant emprisonné / Sont
l'éclair, Sont le tonnerre
34. Évangéliste : Et voici, l'un d'eux
35. Choral : Ô Homme, déplore ton grand péché
PARTIE 2
36. Aria : Hélas ! Mon Jésus est parti !
37. Évangéliste : Mais ils s'étaient emparés de Jésus
38. Choral : Le monde m'a jugé avec tromperie
39. Évangéliste : Et malgré de nombreux faux témoins
40. Récitatif : Mon Jésus reste silencieux face aux mensonges
41. Aria : Patience quand les langues mensongères me blessent
Interrogatoire devant Caïphe et Pilate (Chapitre 26, 63-27, 14)
42. Évangéliste : Et le grand prêtre répondit : « Il est coupable de
mort ! »
43. Évangéliste : Alors ils lui crachèrent au visage / Prophétise-nous
44. Choral : Qui t'a frappé ainsi ? 1:00
45. Évangéliste : Mais Pierre était assis dehors / Vraiment, tu es
aussi l'un d'eux
46. Évangéliste : Alors il se mit à se maudire
47. Aria : Aie pitié, mon Dieu
48. Choral : Bien que je me sois détourné de toi 1:10
49. Évangéliste : Mais le matin, tous les grands prêtres étaient réunis
/ Qu'est-ce que cela nous fait ?
50. Évangéliste : Et il jeta les pièces d'argent dans le temple
51. Aria : Rendez-moi mon Jésus
52. Évangéliste : Mais ils tinrent conseil
53. Choral : Remettez-lui votre conduite
Délivrance et flagellation (Chapitre 27, versets 15-30)
54. Évangéliste : Mais pendant la fête, le gouverneur Barabam / Pilate
vous dit / Qu'il soit crucifié
55. Choral : Que ce châtiment est merveilleux
56. Évangéliste : Le gouverneur dit…
57. Récitatif : Il a été bon envers nous tous
58. Aria : Par amour, mon Sauveur mourra
59. Évangéliste : Ils Ils crièrent encore plus fort / Mais quand Pilate
vit / Alors il leur donna le butin de Barabbas
60. Récitatif : Aie pitié, Dieu
61. Aria : Que les larmes coulent de mes joues
62. Récitatif : Alors les soldats prirent / Évangéliste : Et crachèrent
sur eux
63. Choral : Ô Tête sacrée, maintenant blessée
Crucifixion (Chapitre 27, versets 31-54)
64. Évangéliste : Et quand ils se moquèrent de lui
65. Récitatif : Oui ! Bien sûr, la chair et le sang seront en nous
66. Aria : Viens, douce croix
67. Évangéliste : Et lorsqu'ils arrivèrent à cet endroit, / De même,
les grands prêtres aussi
68. Évangéliste : De même, les meurtriers l'injurièrent
69. Récitatif : Ah, Golgotha
70. Aria : Voici, Jésus a la main
71. Évangéliste : Et à partir de la sixième heure, / Et bientôt l'un
d'eux courut / Mais Jésus cria de nouveau fort
72. Choral : Quand je dois partir
73. Évangéliste : Et voici, le voile du temple se déchira en deux
Mise au tombeau (Chapitre 27, 55-66)
74. Évangéliste : Et il y avait là beaucoup de femmes
75. Récitatif : Le soir, quand il faisait frais
76. Aria : Purifie toi, mon cœur
77. Évangéliste : Et Joseph prit le corps / Pilate leur parla
78. Récitatif : Maintenant le Seigneur repose en paix