jeudi 3 juillet 2025

BRAHMS – Sérénades pour orchestre N°1 & 2 (1857 - 1859) – Leonard SLATKIN (1990) – par Claude TOON


- Mais Claude, la jaquette de ce CD n'indique que la sérénade N°2 et des compléments… Pourquoi parles-tu aussi de la première ?

- Bonne remarque Sonia. Slatkin l'a gravée pour un second CD et la pochettes est moche… En général, les deux figurent sur un seul CD, mais le maestro américain a fait un choix différent…

- Leonard Slatkin est cité dans l'index ; il a déjà été invité dans le blog… Il a dirigé en France je crois…

- Deux choses : en effet, en 2012, j'avais proposé un programme de musique moderne Yankee sous sa direction, dont le célébrissime adagio de Samuel Barber. Il a dirigé l'orchestre de Lyon de nombreuses années…

- À voir les dates de composition, je pense à des ouvrages de jeunesse… vrai ou faux ?

- Vrai ! Brahms a attendu très longtemps avant de composer sa première symphonie publiée en 1876 par peur de paraître ridicule par rapport à Beethoven… Néanmoins, il expérimenta bien avant l'art de l'orchestration avec ces deux jolies sérénades !


Brahms en 1855

Entre 1857 et 1859, Johannes Brahms occupe déjà une place non négligeable dans le gotha des compositeurs. Je ne dirais pas dans l'univers romantique comme Schumann ou encore plus Liszt qui l'ont aidé à gravir les échelons du destin de compositeur. Il serait de manière posthume agacé par cette remarque. Il ne se reconnait pas vraiment dans la remise en question, notamment par Liszt, des modèles acquis de l'époque classique et du début du romantisme beethovénien. Brahms se revendique du postclassicisme, ce qui ne signifie en rien qu'il compose à la manière de Mozart, de Haydn ou du jeune Beethoven… Preuve en est le 1er monumental concerto pour piano de 1859 opus 19, d'essence symphonique (ce qu'il devait être pendant un temps), où le piano ne dialogue pas de manière concertante avec l'orchestre mais fusionne avec lui tel le héros d'un drame lyrique.

Petit rappel : né à Hambourg en 1833, Brahms y suivra ses études musicales. Son père lui-même musicien supervise l'apprentissage du cor, du piano et du violoncelle... Dès sept ans il perfectionne son jeu de piano avec Otto Friedrich Willibald Cossel (un virtuose de l'époque dont on ne trouve pas trace dans le web !). Sa réussite comme compositeur est due à un petit maître encore connu grâce à d'évidents talents pédagogiques, Eduard Marxsen (1806-1887). Mes recherches sur ce pianiste compositeur conduisent à une conclusion : une maîtrise magistrale du solfège, du contrepoint et de l'art de l'écriture en général, mais hélas pour lui, une inspiration modeste l'ayant conduit à un oubli quasi complet ; on ne trouve qu'un seul disque consacré à des sonates chez CPO. Un homme généreux puisque son enseignement sera bénévole…

Brahms joue dans les brasseries huppées pendant son adolescence pour assurer le viatique pour lui-même et sa famille. Il recrute son père comme contrebassiste. Ses premier concerts officiels datent de 1848 et 1849, le jeune homme a seize ans. Au programme Bach, Beethoven – évidemment – et quelques variations de son cru. Il faut attendre 1853 pour la composition de ses premières sonates. François-Frédéric Guy nous a offert une intégrale pleine de verve en 2016 que j'avais chroniquée (Clic). Sans doute des partitions imparfaites mais qui dénotent déjà un esprit fougueux et romanesque. La roue tourne. En 1853, rencontre avec Joseph Joachim, de 13 ans son aîné, violoniste virtuose dont s'entiche toute l'Europe. Une amitié de toute une vie débute, le magnifique concerto pour violon de 1878 lui sera dédié. Certes, il y aura d'autres pièces conçues à son intention et quelques embrouilles… Ah les artistes 😊. L'opposition au wagnérisme les réunira, tout comme les critiques envers Bruckner, l'une n'allant pas sans les autres.


Brahms et Joachim

 

Ah 1853, la rencontre avec Schumann, l'idole de Brahms, et de son épouse Clara Wieck-Schumann. Nous entrons dans l'histoire de la musique revue par Alexandre Dumas. Il est invité à séjourner chez le couple. Bien qu'âgé de quarante trois ans, le compositeur a déjà à son catalogue la quasi intégralité de son œuvre : les pièces pour piano jouées par Clara (Robert était handicapé d'un doigt à force d'exercice d'assouplissement de son invention mais inappropriés), de nombreux lieder et surtout les quatre symphonies, genre qui terrorise tant Brahms. Mais les nuages noirs de la tragédie s'amoncellent. Dès 1854, Schumann est pris de crise de démence qui ne feront que s'accentuer. Après une tentative ratée de suicide par noyade dans le Rhin, il devra être interné, il mourra en 1856. Clara lui survivra quarante ans. Dire que la proximité avec Brahms est forte est un euphémisme. Mais la pianiste et compositrice préféra poursuivre sa vie de veuve en osmose avec la musique. Brahms restera son ami pour toujours, aurait-il souhaité plus après le deuil, possible… Ils voyageront ensemble un temps, longeant le Rhin, visitant la Suisse, au retour Clara s'installera à Berlin et Johannes à Hambourg. Abordons le sujet du jour en précisant que la seconde sérénade est dédiée à Clara.

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La fin tragique de Schumann coïncide avec le début de cette période pendant laquelle Brahms tente d'exorciser ses craintes face à la composition d'œuvres symphoniques. Ô, il n'est pas le seul musicien à exprimer cette appréhension depuis la mort du grand Beethoven achevant son parcours orchestral novateur avec la 9ème symphonie9ème avec chœur créée une vingtaine d'années après le coup de tonnerre de la 3ème symphonique "héroïque" qui inaugure définitivement l'ère romantique inspirée de l'esprit libertaire voire révolutionnaire du siècle des lumières (45 minutes, une marche funèbre poignante, un final dépassant le simple rôle de conclusion obligée pour celui de récit épique). Schubert qui avait porté le cercueil du génie en 1827 exprima les mêmes doutes. Il passa outre avec audace dans les trois dernières sonates. Citons Schubert déjà inquiet lors de ses quinze ans en 1812 (7 symphonies déjà publiés dont la terrifiante 5ème) "Mais que peut-on encore faire après Beethoven ? ", interrogation qui trouve son écho chez Brahms "Vous ne savez pas quelles sensations nous, les compositeurs, nous éprouvons lorsque nous entendons derrière nous les lourds pas d'un géant comme Beethoven.". Brahms patientera et murira pendant deux décennies sa première symphonie. Une réussite totale de 1876 que le maestro pourtant admirateur de Wagner et de Liszt Hans von Bülow évaluera comme la "10ème symphonie de Beethoven" ! 


Clara Wieck-Schumann (1853)

Vers 1853, Schumann incite le jeune Brahms de vingt ans à écrire pour l'orchestre. Dès 1854, l'apprenti compositeur jette des esquisses d'une symphonie qui deviendra le concerto pour piano N°1 mentionné plus haut. Cet ouvrage, pour ceux qui l'apprécient, garde à mon sens les traces de sa destinée initiale. La forme est celle des concertos de Mozart et des trois premiers de Beethoven, soit : 3 mouvements vif-lent-vif avec cependant une introduction orchestrale volcanique de 3:30 minutes. Une introduction dont la thématique complexe le ton colossal, les reprises et quelques variations rende inattendue l'entrée timide du piano ! On attend plutôt la seconde section d'un allegro vivace de symphonie ; j'évoque parfois cet opus 15 comme "symphonie avec piano obligé" au risque de faire hurler les musicologues diplômés 😊.

Son mentor Schumann mort en 1856, Brahms décide de composer des pièces orchestrales moins ambitieuses. C'est ainsi que naîtront les deux sérénades lors d'un séjour à Detmold, ville moyenne de la Rhénanie du nord qui bénéficie de la présence d'un orchestre.

Sérénade : d'après la définition N°5 du petit Larousse : "Pièce instrumentale en plusieurs mouvements. (Mozart, puis Brahms et Tchaïkovski en ont fait une œuvre symphonique.)" À ne pas confondre avec le preux chevalier poussant la chansonnette, accompagné d'une mandoline sous le balcon de sa damoiselle. Les années passése, nous avions écouté les deux grandes sérénades de Mozart "Hafner" en 8 mouvements de 1776 et "cor du postillon" en 7 mouvements de 1779. La "petite musique de nuit" de 1787 en 4 mouvements ne dure qu'une vingtaine de minutes et ne sollicite que les cordes. Le genre disparait avec Mozart et l'âge classique, les musiques festives de cour n'ont plus la cote…

Le genre évolue mais les productions se font si rares qu'entre la mort de Mozart en 1791 et les deux partitions de Brahms, on ne compte aucune sérénade de type instrumentale : l'heure est au dramatisme de la symphonie. Une exception, sublime, la Sérénade Ständchen, (chant du cygne) D.957 est l'ultime lied-sérénade amoureuse lyrique de Schubert en 1827 pour piano et voix. Liszt en proposera un arrangement pour petit orchestre, une dizaine de minutes de grâce... La sérénade nouvelle manière croisant la route de la suite symphonique mais avec légèreté inspirera de nouveau de grands compositeurs tels Dvorak, Tchaïkovski et même Chostakovitch


Leonard Slatkin (vers 1990)

Il est louable qu'un jeune compositeur, un écrivain ou tout autre créateur débutant choisisse de dimensionner et d'user d'un style qui lui paraît accessible sans chercher d'emblée à en mettre plein la vue à son public au risque de le faire somnoler 😊. Brahms offre ainsi deux belles sérénades orchestrales plutôt qu'une grande symphonie obscure et brouillonne. Il saura nous montrer qu'il a atteint cette capacité deux décennies plus tard…

Sérénade n° 1 en ré, op. 11

Initialement, Brahms conçoit sa partition sous forme d'un nonette en six mouvements. N'oublions pas que le musicien produira un grand nombre d'œuvres de chambre recourant à des combinaisons instrumentales très variées, le piano étant toujours de la fête, et que dans ce domaine, les partitions de peu d'intérêt n'existent pas !!! Il déclinera la sérénade pour orchestre de chambre puis pour grand orchestre suivant en cela l'effectif beethovénien.

Pour le nonette : 1 flûte, 2 clarinettes en la, 1 basson, cor, violon, alto, violoncelle, contrebasse. Il existe peu d'enregistrements hormis celui du Chelsea chamber ensemble pour Vanguard version couplée avec celle pour grand orchestre du maestro et musicologue américain Léon Botstein, (CD Rare, aucune vidéo YouTube de cette gravure, mais un live par Mistral Chamber Music.)

Pour l'orchestration symphonique : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes (comme dans le nonette), 2 bassons, 4 cors, 2 trompettes, timbales, cordes ad libitum sans excès.


Nonette vs Grand orchestre

À l'image des grandes sérénades de  Mozart, l'opus 11 comporte six mouvements :

    1.   Allegro molto

    2.   Scherzo. Allegro non troppo - Trio. Poco più moto

    3.   Adagio non troppo

    4.   Minuet 1 — Minuet 2

    5.   Scherzo. Allegro - Trio

    6.   Rondo. Allegro

Dès les premières mesures, nous savourons l'univers coloré de Brahms : style bucolique et élégiaque ne faisant pas appel à une thématique dramatique. Le climat mélodique se révèle robuste et très aisé à suivre ; normal pour un allegro orchestré mais issu d'un nonette de chambre. Inutile de trop commenter cette partition respectueuse de la forme sonate. Un exemple, à [3:23], Brahms propose une reprise quasiment in extenso de la vibrante et dansante exposition… On appréciera les jeux d'orchestration opposant bois et cors tels des chants d'oiseaux, la composition chorégraphique et bon enfant. Post classique Johannes ? Mouais... Brahms en utilisait les règles compositionnelles certes, tout cela n'échappe pas à quelques redites un poil systématiques, mais on notera que le thème initial rend hommage à ceux de la "Pastorale" de Beethoven… elle, très romantique.

Certaines éditions discographiques comportent des danses hongroises…  Brahms nous fait partager les charmes de la campagne (écoutez le premier scherzo à ¾, je me dois d'imaginer l'influence d'un rythme de valse). 



Sérénade n° 2 en la, op. 16

Composée en 1859, la 2ème sérénade sera dédiée à Clara Schumann. Il semble qu'une version pour grand orchestre ait vu le jour initialement mais soit perdue après sa création à Hambourg en 1860. Elle est transcrite en 1875 pour un orchestre allégé, sans doute par nostalgie des orchestrations de Mozart… son effectif définitif comprend :

Piccolo, 2 flutes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, altos, violoncelles, contrebasses (l'absence de violons est inhabituelle.) L'œuvre comporte 5 mouvements :

1.   Allegro moderato

2.   Scherzo. Vivace

3.   Adagio non troppo

4.   Quasi menuetto

5.   Rondo. Allegro

Moins ambitieuse et plus courte (30 minutes au lieu de 45), la réjouissance et l'omniprésence aigrelette de l'harmonie caractérise cet ouvrage guilleret pour carrousel 😊.

Leonard Slatkin propose une direction fine sans coquetterie. L'Orchestre de Saint-Louis connait l'une de ses meilleures périodes même s'il ne fait pas la une médiatique comme d'autres grandes phalanges américaines. (4ème symphonie de Chostakovitch de légende par sa cohésion.)

 

Les disques réunissant les deux sérénades sont rares et se trouvent en complément des intégrales des symphonies ou des rééditions en double album avec les danses hongroises (par exemple : Abbado - DG). Le jeune violoncelliste et chef, Victor Julien-Laferrière et son Orchestre Consuelo fondé en 2021 a eu la riche idée de graver ces deux sérénades. La direction parait plus fofolle que celle des grands maîtres (Haitink, Kertesz) mais elle rend bien justice à ces ouvrages de jeunesse de Brahms.


Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. 


mercredi 2 juillet 2025

Rick DERRINGER - R.I.P. - 5.08.1947 - 26 mai 2025



     Est-ce que le nom de Rick Derringer vous évoque quelque chose ? Oui ? Non ? Pourtant, tout le monde, à moins de vivre sur une île du pacifique coupée du monde « civilisé » ou en ermite dans une grotte, vous avez forcément entendu, un jour ou l’autre, au moins une de ses chansons. Car mine de rien, ce petit gars, issu d’un bourg perdu dans l’Ohio, a composé pas mal de succès repris maintes fois. Aujourd’hui encore, servant parfois aussi de bande son pour quelques séries ou films.

     Rick est né un 5 août 1947 sous le nom de Richard Dean Zehringer, à Celina (une p’tite ville d’à peine plus de 5500 habitants). La passion de la musique, il la tient d’abord de ses parents qui déjà, dans les années 50, possédaient une belle collection de disques. Mais il a son « épiphanie » lorsque, à huit ans, il entend des sons ensorcelants provenant de la cuisine. Il s’y précipite et voit – et entend - son oncle jouer de la guitare. Il sut alors quelle direction allait prendre sa vie. Dans l’année, il reçoit sa première gratte.

     Le succès arrive assez tôt. Il n'a pas encore dix-huit quand The McCoys, le groupe qu’il a monté quelques années auparavant, avec son frère Randy (à la batterie), grimpe à la première place des charts, en 1965, avec le célèbre "Hang On Sloopy". Si la chanson est l'œuvre des auteurs compositeurs Wes Farrell et Bert Berns, et qu'il a déjà été enregistré, avec un certain succès, en 1964, sous le titre "My Girl Sloopy", c'est bien avec The McCoys qu'il prend sa forme définitive et sa dimension intemporelle, inscrivant à jamais le groupe des frères Zehringer dans l'histoire musicale étatsunienne. Leur musique s'émancipe et devient plus aventureuse, s'aventurant dans le jazz et dans le psychédélisme


   Cependant, ce succès est un boulet pour le groupe, condamné par leur label qui ne veut pas les voir enregistrer - et jouer - autre chose que des reprises - choisies ou tolérées - et de la Pop. Ce n'est qu'en 1968, en signant avec Mercury, qu'ils peuvent enfin se libérer et prendre à loisir quelques risques. Après "Infinite McCoys", "Human Ball" élargit encore son horizon en développant d'intéressants moments où fleurissent blues, blues-rock, jazz et country. Entre l'Electric Flag, Steve Miller Blues Band et Chicago Transit Authority. En matière de guitare, Rick s'y dévoile particulièrement compétent - fluide, précis et pertinent. Mais les deux opus sont des flops et les McCoys n'intéressent quasiment plus personne.

     Jusqu'à une rencontre qui va changer radicalement la donne. En effet, en 1970, The McCoys s'acoquine avec Johnny Winter. Les deux entités fusionnent, tournent ensemble et enregistrent un premier album : le fameux "Johnny Winter And".  Initialement, cela devait être "Johnny Winter And The McCoys", mais la maison de disques, Columbia, à cause du passif "pop bubble-gum" des McCoys, trouva plus opportun de ne garder que le "And". C'est l'occasion pour Rick de transformer son patronyme en Derringer. Un changement autant entraîné par la volonté de se couper d'un passif "Pop" qui lui colle aux fesses, que pour adopter un nom plus facile à prononcer et à retenir. Le jeune frère suit un peu le mouvement, et un adopte un Randy Z.

     Rick co-produit avec Johnny l'album, et révèle ses talents de compositeur avec quatre morceaux parmi les meilleurs du disque. Dont le célèbre "Rock and Roll Hoochie Koo", tant de fois repris. A l'exception de Randy, c'est la même équipe qui déchire sur le "Johnny Winter And Live". Johnny empêtré dans ses addictions, Rick est alors alpagué par un autre frangin, Edgar Winter. Qui garde toujours un œil sur les bons éléments qui transitent chez les copains et chez son frère. Rick se retrouve à la production du formidable "Edgar Winter's White Trash", où, en plus des chœurs, il joue de la guitare sur deux morceaux. Puis il devient le guitariste du groupe pour la tournée suivante. Sur "Roadworks" (1972), autre excellent live de la décennie (avec l'ex-McCoys Randy Jo Hobbs à la basse), son nom apparaît en gras sur la pochette recto, et sur la pochette intérieure, sa photo est aussi grande que celle d'Edgar - déjà une certaine consécration. Encore une fois, il donne un sérieux coup de pouce à Johnny Winter pour son album "Still Alive and Well". En plus du beau "Cheap Tequila", il remet à l'albinos sur un plateau d'argent la chanson éponyme qui devient un nouveau classique - régulièrement et indifféremment repris par des combos de blues-rock et de heavy-rock (1). 

     En à peine deux années, Rick revient sur le devant de la scène, avec un nom qui, sur la scène nord américaine, va avoir du poids pendant toute la décennie. Pendant un petit moment, il est le producteur attitré des frères Winter, jouant occasionnellement sur leurs albums. Guitariste assez versatile, à la fois raffiné et mordant, utilisant les effets avec parcimonie et à bon escient, il est aussi demandé par les studios. A ce titre, il est déjà sollicité en 1971, pour jouer le solo de "Under My Wheels" sur "Killer".


   Mais Rick prétend à plus de reconnaissance, et entame ainsi une carrière solo avec un premier album "All American Boy". Un bel album assez varié, avec quelques prestigieux invités - le James Gang de Joe Walsh, Edgar Winter et Bobby Caldwell -. Sur la ballade "Hold", qui frôle le pompeux sans y tomber, il reprend les paroles d'une artiste qui, si elle n'a pas encore sorti d'album, commence à faire sérieusement parler d'elle à New-York : Patti SmithIl n'abandonne pas pour autant les frères Winter, avec lesquels les relations vont au-delà du professionnalisme. Et en 1975, paraît même un disque intitulé "The Edgar Winter Group With Rick Derringer", sympathique quoique sans grand éclat.

     Etonnamment, si les albums de Rick sont de bonne tenue, ils sont loin d'avoir la densité de n'importe quel disque des frères Winter auxquels il a participé ; en tant que musicien, compositeur et/ou producteur.  Même lorsqu'il reprend à son compte ses "vieux" classiques initialement composés pour d'autres, ils paraissent, en comparaison, comme anémiés. Son chant, bien que juste et honorable, en est principalement responsable par sa fébrilité. La production elle-même, invraisemblablement, n'a pas autant de force que celle présente sur les albums des Winter. Problème de budget ?

     En 1976, il souhaite renouer avec l'esprit de groupe. Il fonde en conséquence Derringer - histoire de bien faire comprendre, au cas où, que c'est bien un groupe, mais que c'est lui le patron. On y retrouve un Vinny Appice de 19 ans, le bassiste Kenny Aaronson (ex-Dust et Stories et futur "un paquet de monde") et le guitariste Danny Johnson (futur Private Life, Rod Stewart, Alcatrazz, Alice Cooper, John Kay, Carmine Appice). Une première galette convenable, vite oubliable, trahissant l'hésitation d'une troupe cherchant ses marques. Le second essai, "Sweet Evil", rectifie le tir. Nettement plus équilibré, plus sensiblement Hard-rock (avec quelques épices choisies directement importées du clan Aerosmith), l'album, en dépit d'une seconde face qui dérape un peu, laisse entrevoir une possibilité de fricoter avec les grands du heavy-rock US. Toutefois, comme en témoignent le live "Derringer Live" et "Live in Cleveland", c'est sur scène que cette formation s'épanouit et révèle tout son potentiel. Mais le projet tourne court, Appice et Johnson préférant voler de leurs propres ailes (avec le trio éphémère Axis - un seul disque, mais digne d'estime). La parenthèse "Derringer" se referme en 1977 sur un troisième album studio sans relief.

     Rick finit les années 70 avec un troisième album solo, le consistent "Guitars and Woman" (salué par la critique, y-compris en France), qui s'inscrit habilement comme un chaînon manquant entre un hard-rock carré typé fin 70's et les prémices du Rock FM. Probablement trop confiant, Rick entame la nouvelle décade avec un "Face to Face" sans intérêt. Après un second et terrible faux-pas, avec le duo avec Carmine Appice, "DNA", pour une musique sans saveur, abâtardie dans des tonalités froides et synthétiques, les années 80 sont consacrées aux diverses collaborations. Une certaine amitié se crée avec Cindy Lauper qu'il accompagne sur plusieurs tournées (il joue alors souvent avec ses horribles Steinberger sans tête et sans forme). Il co-écrit avec elle "Calm Inside the Storm" et joue un peu sur les albums "True Colors" et "A Night to Remember". En même temps, il s'attèle à promouvoir en musique le cirque de la "World" Wrestling Federation (le World se résumant aux USA...) avec un album et des clips où sont conviés catcheurs haut-en-couleurs et musiciens (dont lui-même, Meat Loaf, Cindy Lauper). Le succès engendré incite à renouveler l'expérience deux ans plus tard, cette fois-ci avec bien moins de répercussion.


   Et puis, autant titillé par une nouvelle vague de guitar-heroes et le renouveau du Blues, il fait son retour en se réinventant bluesman. Ou plutôt heavy-bluesman, car Rick, plus que jamais, fait parler la poudre et envoie les watts. En 1993, un incendiaire et soûlant "Back to the Blues", promu par le Blues Bureau, l'antenne Heavy-Blues de Mike Varney, est une grosse claque avec de la gratte à tous les étages. A croire que Little Rick était passablement courroucé de voir tous ces poseurs se faire mousser en répétant leurs gammes (à vitesse vertigineuse), et qu'il a voulu leur montrer de quel bois il se chauffait. Rick parvient à en faire des tonnes sans être répétitif, fusionnant les Johnny Winter et Frank Marino d'antan, parfois avec une dose bienvenue de Stevie Ray. Sa voix elle-même a suffisamment gagné en rugosité pour évoquer l'albinos texan (il paraîtrait que Rick a une sacrée descente...). Sans inquiéter l'Irlandais balafré, il fait tout de même sensation auprès des amateurs de Blues sur-électrifié - tout en horrifiant les puristes -, et même de hard-rock furibard à la Nugent. Certes, il s'y révèle assez bavard, parfois à la limite assommant, et on peut regretter qu'il n'ait pas varié les plaisirs en changeant de guitare (là, c'est du tout Fender Stratocaster) et en les agrémentant de pédales d'effets, mais Rick assure et fout la honte à bien des prétendants au statut de nouvelles sensations blues-rock, appuyés par des grosses boîtes. Avec le bien nommé "Blues Deluxe" (peut-être son meilleur dans le style), en se contenant, en évitant d'envoyer quasi systématiquement la sauce, en faisant preuve de subtilité, il aurait pu être l'une des nouvelles têtes de file d'un Blues-rock biberonné au heavy-rock 70's. Hélas, Rick n'est ni un jeunot contorsionniste et grimaçant, ni vraiment une vieille gloire, et n'intéresse donc pas les médias - du moins à l'exception des revues de guitares.

      En 2001, un vieux briscard qu'il a maintes fois croisé, Carmine Appice, fait appel à ses services pour l'accompagner sur la route, avec son ancien binôme Tim Bogert, afin de ressusciter le répertoire du Beck, Bogert and Appice. Dans la foulée, le trio réalise un album de Hard-rock, "Doin' Business As...", sorti sans aucune promo, dans l'indifférence générale. L'album a tout de même de bons moments et a été le sujet d'une réédition.

      Tout en continuant à réaliser des disques de blues-rock, plus ou moins bons, - avec une brève parenthèse smooth-jazz avec l'album "Free Ride" -, il poursuit ses collaborations, retrouvant notamment occasionnellement Edgar Winter, ou plus régulièrement Ringo Starr et son All-Star Band. Effectuant aussi parfois des prestations pour des œuvres de charité. Peter Frampton le convie pour une grande tournée consacrée à la guitare, le Guitar Circus Tour. Avec son épouse, Jenda, (la troisième), il enregistre des disques de musique chrétienne des plus fades, faisant passer sa ballade la plus mièvre qu'il est composée, pour une power-ballad de cuir et de clous.

     En mars 2025, il doit subir un pontage coronarien. Mais alors qu'il semblait rétabli, sa santé décline à nouveau, entraînant une hospitalisation sous soins intensifs. En l'absence de tout espoir, il est débranché et, inconscient, décède le 26 mai 2025, à 77 ans.

 

Norbert Krief : « Ton héritage musical continue de résonner dans le cœur de tes admirateurs dont j’ai toujours fait partie. Ta musique a été la bande-son de ma vie. De “Hang On Sloopy” à “Rock and Roll, Hoochie Koo”, chaque note de ta guitare a résonné en moi, m’inspirant et m’accompagnant partout. Ton talent, ton énergie et ta passion ont laissé une empreinte indélébile dans le monde de la musique et dans mon cœur. Merci pour tout ce que tu nous as offert.

Ta musique, ta voix et ta guitare continueront de faire vibrer les âmes et d’unir les cœurs. Bon voyage Rick »



(1) Excellente version de The Four Horsement, ouvrant l'album "Gettin' Pretty Good... At Barely Gettin' By..."

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💢 Johnny Winter : "Live at the Fillmore East 10/03/1970

💢 Axis : "It's a Circus World" (1978)


mardi 1 juillet 2025

J.J CALE : ”Shades“ (1980) - par Pat Slade

J.J Cale n’a pas trop rempli nos colonnes, hormis un hommage de Rockin J.L l’année de sa disparition.




Un Coup de Blues Fumant




”M’sieur Claude. le bureau de m’sieur Pat est noyé dans la fumée, il est impossible d’y voir le bout de son nez et de surcroit il y a une odeur de tabac !" 

- ”Oui Sonia, il a ressorti tous les albums qui représente un paquet de cigarettes et les clopes qui vont avec. Quand il fera une chronique sur les fumeurs, il faudra ouvrir les fenêtres… !"

 

Dans le rock, la loi Évin n’a jamais existé (même si cette dernière date de 1991). Déjà en 1974 le groupe Camel représentait dans son album ”Mirage“ le paquet de clope avec le dromadaire. Avant eux, en 1969, Procol Harum et l’album ”Salty Dog“ avait représenté un paquet de Player’s Navy Cut, en 1974 le groupe Carmen avec ”Dancing on a Cold Wind“ reprendra le paquet de cibiche bien franchouillarde de la Gitane et Bob Seger en 1972 sortira ”Smokin op’s“ avec une pochette représentant un paquet de Lucky Strike. Le sujet du tabac dans les pochettes d’albums, tout genre confondu, est vaste et il y aurait matière à faire une chronique et J.J Cale va en 1980 reprendre le concept en reprenant l’image du paquet de gitanes et en mettant sa propre image en ombre chinoise à la place de la danseuse de flamenco au tambourin, emblème de la marque. 

Quatre ans après la sortie de l’album ”Troubadour“ où l’on pouvait trouver le titre ”Cocaïne“, J.J Cale continuera son petit bonhomme de chemin sur la route du blues avec sa voix proche de celle de Mark Knopfler  (ou l’inverse ?) qu’il influencera dans son jeux de guitare ainsi qu’Éric Clapton qui reprendra beaucoup de titre de son répertoire. ”Shades“ sera son sixième album et celui qui fera un carton en France.  ”Carry on: tempo enlevé, rythmique acoustique, mini solos de Cale parfaits, ils semblent être un prolongement des paroles. Knopfler s’est surement fortement inspiré de ce titre avec les Notting Hillbillies la même année. ”Deep Dark Donjon“ Un rythme boogie blues entrainant, piano et orgue très inspirés.

Wish I Had Not Said That: belle petite ballade, les percus viennent soutenir la rythmique doublée de clap-hand.Pack my Jack“ Grosse basse jazzy, Superbes solos de guitare de James Burton connu pour avoir accompagné les plus grands comme Roy Orbison et Jerry Lee Lewis. ”If You Leave Her“ : tempo relax, ça fourmille d'instruments de tous les côté : orgue, pédale wha ou reverb, Mama don’tJ.J Cale était un génie dans son style. Après recherche, il s'agit d'une vieille chanson folk du début du XXe siècle. Une adaptation en français sera faite par Francis Cabrel sous le titre ”Madame n’aime pas“ ”Runaround“ autre morceau jazzy, frère jumeau de ”pack my jack“. On se croirait dans un club enfumé en train de griller des gitanes où la basse et la batterie tissent un tapis pour la voix, le piano et le fabuleux solo final. ”What Do You Expect“ rien de spécial du J.J Cale pur jus, si ce n'est le superbe solo de piano par Leon Rusell. ”Love Has Been GoneUn solo d'entrée de jeu, la basse ronde et le jeu du batteur tout en retenue sont remarquables. Cale semble avoir sorti la lap-steel. ”Cloudy Day“ : Ballade jazzy avec une économie de note,  Magnifique touché tout en finesse et glissé sur le manche de guitare, un solo de sax, un de basse, et ce titre est un chef d’œuvre.  

Avec ”Shades“ et malgré sa pochette, J.J Cale montre qu'il n’est pas un fumiste mais il fait des coups fumants pour un album qui fera un tabac.