lundi 4 août 2025

RUE PANSE-BOUGRE de Jacques Faizant (1958) - par Nema M.


Sonia a accompagné Madame Portillon rue des Lozaits à Villejuif et elle s’interroge sur les noms des rues :

-      Rue des Lozaits, c’est bizarre ce nom de rue, tu ne trouves pas ?

-      Disons que par rapport à la majorité des rues de Villejuif qui font référence au communisme comme la rue Youri Gagarine, ce nom est plus original, répond Nema. Je ne sais pas d’où cela vient.

-      Nous, au moins, c’est facile et je trouve cela très chic, dit en riant Sonia : on habite rue Pascal, Pascal le mathématicien et philosophe !

-      C’est sûr, c’est mieux que d’habiter rue Panse-bougre rétorque Nema en rigolant.

-      ???   

La rue Panse-bougre est une rue de Paris. Rue imaginaire dans un XVème arrondissement parisien fictif qui sent bon les années 50 du siècle passé. Le titre du roman est donc le nom du lieu où toute l’action se déroule. Le personnage principal, narrateur à la première personne des évènements, est un écrivain. Il plonge rue Panse-bougre avec délectation comme dans son petit univers, son « écosystème » comme on dirait aujourd’hui 😊. Peut-être ressemble-t-il à Jacques Faizant ? La femme de notre héros, Eve et ses deux fils Patrice et Michel tiendront dans l’histoire des rôles non négligeables.

Le XVème était encore populaire à l’époque et dans cette rue, on trouve tout : une mercerie, une banque, une boulangerie-pâtisserie, deux cafés, un hôtel… des habitants qui se connaissent et des potins qui circulent plus vite que dans les réseaux sociaux. La meilleure source d’information étant Madame Gilet, concierge de son état mais également femme de ménage, notamment chez le narrateur de cette extraordinaire histoire d’amour. Car il s’agit d’une histoire d’amour. Digne de Shakespeare. Enfin presque.   


Doisneau - Paris 1950
 

Les personnages sont gratifiés d’une gentille représentation en pied, avec leur nom en dessous, au début du roman. On a ainsi Bernard, l’amoureux qui tient un bouquet de fleurs et Hélène l’amoureuse (dont le nez est tordu mais cela ne se voit pas trop) qui tient une baguette en bonne fille du boulanger Boutereux, homme ronchon, représenté en marcel, avec un béret et la cigarette au bec. Et on a une image d’une Madame Gilet avec son balai de paille de riz, son tablier et ses savates, qui semble faire la leçon un doigt levé… Et Quervellec le flic, l’air perplexe, en uniforme avec son képi sur la tête…

À noter que d’autres dessins émaillent le roman, avec une petite légende, permettant de bien se figurer l’état des réflexions des personnages. Au fait, pourquoi un flic ? Ah oui, personnage indispensable car il se passe des choses hallucinantes dans cette rue : un gang a des idées loufoques pour organiser un cambriolage de banque, une chasse aux fauves est organisée de nuit, on crie, on complote, on boit un peu trop au bistrot… bref ambiance, ambiance style cinéma des comédies des années 50, comme par exemple celles avec Bourvil.

Bernard Sergent aime Hélène Boutereux mais les deux tourtereaux sont très jeunes : Hélène n’est même pas majeure (majorité à 21 ans à l’époque). Et Madame Sergent, veuve d’un adjudant-chef, n’imagine pas pour son fils une telle union. En plus Hélène a le nez de travers. Toute la rue est au courant de ce drame. Il y a ceux et celles qui sont pour laisser les jeunes gens vivre leur amour et ceux qui sont contre. Les opposants sont : la bande de copine de Madame Sergent et surtout des cousins à elle, un couple aux idées psychorigides comme les siennes et dont la fille se croit tout simplement destinée à Bernard. Il y a une scène poilante chez Madame Sergent avec des quiproquos avec un fumiste venu réparer le poêle à charbon.

Les gamins ont formé une bande, la bande des « Machiavélisques (sans faute d'orthographe 😀) du XVème ». Le Chef Machia, Claude Flanchet, a 14 ans. Patrice et Michel font partie de la bande, tout comme pratiquement tous les garçons de la rue entre 9 et 14 ans semble-t-il. Le Chef Machia a une imagination débordante pour élaborer des plans compliqués conduisant à des agissements répréhensibles, mais pour une bonne cause. Le narrateur se trouve parfois confronté à des situations qui le mettent en porte-à-faux face à Quervellec à cause du bouillonnant cerveau du Chef Machia et de la participation de ses fils à ces bouffonneries.

Petite touche d’exotisme grâce à Sabourot, l’ancien des colonies, un peu vicelard et très imbibé qui n’est pas un mauvais bougre mais qui sème quand même une sacrée pagaille dans la rue. Il y a aussi un ancien artiste de music-hall, Emile, son numéro, son succès, son déclin et peut-être sa remontée sur scène ? Une ancienne prostituée sera aussi de la partie. Un personnage intéressant que le docteur Rincelet, derrière un côté strict et raisonnable, se cache un joyeux drille. Tout le monde le connait, il fait des visites à domicile, et il va avoir à gérer des situations, disons, atypiques.      


Petit clin d’œil sur la finance locale avec le directeur de la banque Monsieur Espagnolet, ses principes et finalement sa gentillesse. Toujours côté finances, une allusion ou deux au bon sens des femmes qui savent tenir un budget pour le bien de la maisonnée, illustration de la place de la femme au foyer à cette époque 😊. L’histoire se terminera bien, avec curieusement l’apparition d’une gentille petite vieille sortie d’on ne sait où, à qui il est demandé si elle n’est pas choquée par les gamineries de certains adultes anciens amis d’enfance : « Pas tant que ça : dans ma jeunesse j’étais la chef(fe) des Ravageuses de Sainte Clothilde… ». Alors justes bonnes à rester à la maison les femmes ? Ah les petites vieilles de Jacques Faizant, quels caractères !

 

Jacques Faizant, 1918-2006, était un dessinateur humoristique, un chroniqueur mais aussi un romancier. Ses caricatures ont largement contribué à donner à la vie politique une connotation dérisoire et sa Marianne, avec son impertinent petit nez retroussé se permettait bien des critiques, gentilles mais piquantes. Il nous a également laissé de charmantes vieilles dames au verbe acide et à l’aplomb digne de leurs larges robes noires d’où dépassent des jambes fines comme un fil et prolongées par des talons aiguilles. Les vieux messieurs n'ont qu’à se soumettre docilement…   

 

Bonne lecture !

Calmann-Lévy - Pages : 301


dimanche 3 août 2025

LE BEST-OF NE MASH PAS SES MOTS

LUNDI : Claude Toon débute la nécrologie chargée de la semaine. Hommage au maestro "Roger Norrington" décédé à 91 ans et alter ego de Nikolaus Harnoncourt en Angleterre voire tous les Pays. Il participe avec une énergie rare à redonner les couleurs instrumentales authentiques de la période du classique au romantisme. Claude revient sur la longue carrière et propose un florilège d'enregistrements cultes (Haydn, Schumann, Beethoven, Wagner, Weber, etc., le hit du romantisme.)

MARDI : Pat Slade a pris sa trousse de chirurgien et a remonté le temps en 1951 pour rejoindre en Corée une bande de dingues du scalpel et du sexe lors du conflits nord/sud. Chef-d'œuvre d'humour noir décalé, on retrouve les poilants, barrés et cyniques Donal Sutherland, Robert Duvall, Elliot Gould et l'infirmière psychorigide Sally Kellerman (enfin pas si coincée au point d'être surnommée "lèvres en feu" 🗢). Ah oui : on parle de MASH, film de Robert Altman de 1971.

MERCREDI : Bruno reprend la plume de Claude pour compléter la nécrologie de la semaine. Le chanteur Ozzy Osborne, chantre du heavy-rock (appellation qu'il a choisi) est arrivé au bout de ses forces après une carrière rocambolesque, notamment avec le groupe : Black Sabbath. Notre rédacteur dresse un portrait aussi détaillé de ce personnage mythique qu'une chronique Wagner de Claude. 76 ans, pas mal en regard de son régime à base d'extravagances et de stupéfiants variés à gogo.

 


JEUDI : Claude rend justice à la 1ère symphonie de Rachmaninov. 1895-1897, le jeune compositeur ose écrire sa première grande œuvre orchestrale. La création est un martyre, le maestro Glazounov est bourré, l'interprétation un désastre. Le médiocre critique César Cui massacre l'œuvre. Serge égare la partition, déprime sans composer pendant trois ans… 1944, on exhume les manuscrits et on redonne vie à l'une des plus belles symphonies du postromantisme moderne russe. Au pupitre : Yannick Nézet-Séguin en grande forme !

VENDREDI : Avec Luc, lecture : "Tokyo Vice" ou les mémoires du journaliste Jake Adelstein, en poste au Japon pour le Yomiuri shinbun (quotidien vendu à 15 millions d'exemplaires, un record mondial) puis divers services policiers. Il plongera dans la pire noirceur de la société nipponne : le crime organisé, prostitution, trafic d'être humains, extorsion de fond, la criminalité planétaire…. Particularités, les "Yakusas" et chefs de gangs travaillent en chevilles avec la police !!! Publié en 2016, puis tourné pour la TV par Michael Mann… en 2022.

 

 👉 On se revoit lundi avec un roman parisien et hilarant de Jacques Faizant (rue Panse-Bougre), puis AC/DC et l'album Back in Black, le billet secret de Bruno qui désormais cache ses brouillons dans un coffre à combinaison quantique, l'épisode 4 du progressif conté par Benjamin (Pink Floyd semble-t-il) et enfin le livre de Philippe Jaenada "La petite femelle"…

vendredi 1 août 2025

JAKE ADELSTEIN "Tokyo Vice" (2016) par Luc-san



Je ne supporte pas l’expression « ça se lit comme un thriller », souvent imprimée en quatrième de couverture à propos de tout et de rien. TOKYO VICE, lui, se lit vraiment comme un thriller, parce qu’il est écrit ainsi, à la manière d’un roman noir, à la première personne. Je suis tombé dans le panneau, persuadé qu’il s’agissait d’un polar, trompée par l'adaptation télé produite par Michael Mann en 2022.

Premiers mots : « Vous supprimez cet article, ou c’est vous qu’on supprime, et peut être bien votre famille aussi ». Le journaliste menacé, Jake Adelstein, n’en mène pas large face à ce yakusa, éminence grise du Yamaguchi-gumi, la plus grande organisation mafieuse du Japon. Son tort est d’enquêter sur le parrain Tadamasa Goto, qui pourtant inscrit sur une liste noire, est parvenu à entrer aux USA pour une greffe de foie (en 2001), a payé pour cela un million de dollars, qui a transité via des casinos de Las Vegas. Forcément, ça titille l'enquêteur.  

L’auteur laisse la scène en suspens, puis flashback en 1992, où il revient sur son arrivée au Japon et ses débuts dans le journalisme. TOKYO VICE n’est pas un roman, mais un livre de souvenirs, des mémoires, sauf que l’auteur adopte un style narratif romancé, on y retrouve tout ce qui fait un bon roman noir, les enquêtes, les flics, les truands, une plongée dans un milieu, l’étude d’une société, de sa face cachée.

Adelstein est américain et juif. Cette précision parce qu’au Japon, il sera sans cesse ramené à ses origines, c’est un gaijin, un étranger, juif de surcroit, on s’en étonne, car on pensait qu’ils étaient tous morts pendant la guerre. Adelstein choisit de faire ses études de journalisme sur place, un cursus différent qu’en occident, il apprend le japonais. A la fin de son cycle il intègre le "Yomiuri Shinbun" (13 millions de lecteurs) l’adaptation n’est pas aisée. Lors de ses enquêtes, à chaque fois qu’il sonne chez quelqu’un, se présentant comme appartenant au "Yomiuri Shinbun" on lui ferme la porte au nez : « Non merci, je suis déjà abonné » !

Jake Adelstein va mettre des années à se faire accepter, respecter. Au "Yomiuri Shinbun", il travaille à la rubrique faits divers, crimes, plusieurs années plus tard aux mœurs, la prostitution, puis le crime organisé, et spécialement le trafic d’être humains. Au Japon, les rédactions des services crimes sont implantées au QG de la police. Imaginez les cellules police & justice de "Libé" ou du "Figaro" installées au (feu) 36 quai des Orfèvres ! Flics et journalistes travaillent ensemble, on se refile les infos, on ne garde rien pour soi. Adelstein va apprendre comment tresser et entretenir son réseau d’informateurs, chez les policiers ou les truands. En ayant de jolies intentions, faire des cadeaux, connaitre les dates d’anniversaire des gamins, leur apporter des glaces, couvrir de fleurs les épouses… Personne n'est dupe, chacun joue le jeu, question de respect.  Ainsi se construit une belle amitié entre lui et Sekiguchi, flic de la crim’ réputé.

[quartier de Kabukicho]   Le monde des policiers et des yakusas sont intimement liés. On agit dans les règles, le respect. Pas de descentes de police inopinées à 6h du mat. On prévient quelques jours avant, on informe du motif, les truands accusent réception. Quand les policiers arrivent, tout est prêt, y’a plus qu’à repartir avec les cartons de pièces à conviction dument préparées… Les yakusas ont pignon sur rue, on sait qui ils sont, leurs activités, dans quelles sociétés ils ont des parts leur permettant de contrôler de vastes pans de l’économie. Dans l’Histoire de France, on parlait des trois ordres : la noblesse, le clergé, le tiers-état. Au japon, il faut rajouter la pègre. 

TOKYO VICE nous plonge dans la société japonaise, ses us et coutumes (le manuel du suicide, scène hallucinante du gamin qui s’électrocute en laissant un mot : « ne touchez pas à mon cadavre avant de couper le jus » le tact, toujours le tact...), ses perversions surtout. Pendant des années Adelstein a parcouru le monde de la nuit, les bars à hôtesses du quartier chaud de Tokyo, Kabukicho. Les tentations sont nombreuses, il n'y résiste pas toujours.  

[Tadamasa Goto =>]  Il a sorti des scoops, en a ratés de peu aussi. Il a enquêté sur des disparitions (le chenil de Saitama) qui ont révélé un meurtrier en série, sur Lucie Blackman, une anglaise disparue, victime d'un violeur fétichiste retors, il a cerné les activités de l’empereur des Vautours, Susumu Kajiyama, spécialiste de l’extorsion de fond.

C’est en fréquentant des années durant les maquereaux, les escrocs, les prostituées, et en suivant le parcours de l’argent, qu’il va tirer les fils d’une vaste organisation de trafic d’humains, des jeunes femmes étrangères en quête d’un petit boulot, attirées à coup de promesses et de billets d'avion offerts, puis exploitées comme esclaves sexuels. Et cette histoire de greffés du foie, particulièrement sensible, dangereuse, quand on s'approche de trop près à Tadamasa Goto.

Comme dans tout bon roman noir, le détective journaliste fume comme un pompier (des clopes aux clous de girofles), boit comme un trou, fréquente les filles des bas-fonds, rentre chez lui à 5h du mat’, dort dans son bureau ou sur le canapé du salon, met en péril sa famille, se fait menacer, tabasser… 

Jake Adelstein marche dans les pas d’un Tom Wolfe, un récit journalistique à la première personne, il informe autant qu’il se met à nu.


Editions Marchialy - 475 pages 

jeudi 31 juillet 2025

RACHMANINOV – Symphonie N°1 (1895/97) – Yannick NÉZET-SÉGUIN (2021) - par Claude Toon

 

- Voyons Claude… Humm, une seule symphonie de Rachmaninov en quinze ans de blog, la deuxième ! Il est vrai que vu de ma fenêtre, le compositeur russe me fait songer plutôt à un pianiste virtuose qu'à un orchestrateur, notamment les concertos ou le piano s'impose somptueusement. Quoique tu as présenté des ouvrages symphoniques aussi, et…

- Stop Sonia ! Stooop ! Je n'ai encore jamais proposé l'écoute de pièces pour piano seul. Ça viendra. Les Concertos 2 et 3, les plus célèbres, Pat ayant présenté le 1. Côté symphonique, un poème symphonique, l'ile des morts et les danses symphoniques et surtout la deuxième symphonie, œuvre majeure du postromantisme russe. Enfin, les suites pour deux pianos…

- Ah oui, en fait, 9 chroniques… Elle a eu du succès cette symphonie ?

-  Ah mon dieu ! Jamais l'expression œuvre maudite n'a pris autant son sens. La création fut un désastre, les critiques ignobles. Serge déchira la partition et déprima grave pendant quatre ans…

- Waouh… mais alors comment peut-on l'écouter de nos jours ?

- Ah ah, je vais expliquer cela…


Yuja Wang

Pour une biographie résumée de Rachmaninov, je renvoie mes chers lecteurs à la chronique consacrée au 3ème concerto pour piano (Clic). Cette œuvre terriblement complexe et virtuose, sans doute le plus grand défi pour les pianistes, date de 1909. Elle réunit tout ce qu'il est techniquement possible de jouer avec le clavier, elle dure 35 minutes et les artistes admettent qu'ils terminent l'exécution épuisés… Pour ceux qui douteraient de cette unanimité, je vous invite à regarder notre chère Yuja Wang dans son interprétation à Verbier. Pourtant infatigable et athlétique, Yuja se lève groggy après la folie du final pour gagner les coulisses et sans doute boire 1 litre d'eau… (Non Pat, pas du saké !) En général Yuja salut généreusement, rigolarde 😊. Elle a dû néanmoins revenir pour plusieurs bis…

Tout comme Liszt, Rachmaninov atteint du syndrome de Marfan (1,98 m sous la toise et des mains permettant des écarts de 13ème) soumettait ses futures victimes du clavier à rude épreuve ; de nos jours Lang Lang détient la palme avec des accords de 12ème. Yuja, 1m55, compense par une élasticité tactile exceptionnelle, fréquente chez les jeunes femmes asiatiques, et surtout une vélocité et une précision diabolique de son jeu… Son illustre aînée portugaise, Maria João Pires, elle aussi de petite taille, n'a jamais pu jouer officiellement ces deux compositeurs… à son grand regret a-t-elle avoué en interview. Oui, mais n'est-elle pas divine dans Mozart et Chopin ?

- heu dis Claude, on ne doit pas parler symphonie ? Tu as le démon de midi pour la jolie pékinoise ? hihi…

- Oui et non, j'y viens… Cette intro souligne que Rachmaninov n'est en rien un romantique tardif composant pour un clan de pianistes acrobates. L'exaltation mélodique et la fougue du touché nourrissent l'originalité de son art, tout comme son attachement à la culture slave. Dans ce sens, il cultivera tôt son propre modernisme et cela lui coutera cher lors de la création de sa première symphonie…



Rachmaninov en 1897
 
 

Petit guide sur Rachmaninov depuis sa naissance en 1873 et le désastre immérité de sa 1ère symphonie en 1897 ! Le pays est "évidemment entre deux guerres", notamment dans les Balkans. Bismarck, pour priver toute alliance de la France vaincue de 1870 propose "L'Entente des trois empereurs" de 1872, soit une alliance militaire entre Guillaume 1er, roi de Prusse et Empereur allemand, François-Joseph 1er, Empereur Austro-Hongrois et Alexandre II, Tsar de Russie. Concorde fragile suivie de nouvelles donnes en 1875, 1879, 1881, 1882, 1887, accords à géométrie variable incluant parfois le concours de la Reine Victoria

Cette partie d'échec chronique entre monarques absolutistes, bedonnants et sur-emmédaillés conduira à l'hécatombe de 1914… Et tu vois Sonia, pendant ce temps l'occident développe la révolution industrielle et l'exploitation de la main d'œuvre, tandis que la Russie sort timidement du moyen-âge. Il n'y a que 600 000 ouvriers vers 1860 pour 60 millions de russes. La paysannerie ne verra le servage disparaitre qu'en 1862. Les jacqueries sont nombreuses malgré quelques efforts de modernisation des institutions à mettre au crédit d'Alexandre II.

Ce Tsar assassiné en 1881 laisse le trône à Alexandre III nettement plus réactionnaire. Ah c'est peu dire… abolition de l'éducation et du système judiciaire réel hérités de son père, etc. La suite : la révolution de 1905 lancée par les 97 millions de paysans rejoints par les ouvriers, l'armée écrasant la révolte dans un bain de sang pour sauver le trône de Nicolas II. Une défaite populaire qui déroule graduellement le tapis rouge (sans jeu de mot) pour la révolution bolchévique de 1917. Voilà dans quel climat socio-politique chaotique le jeune Serge grandira et débutera sa carrière…

Il n'y a pas que dans son organisation sociale que la Russie du XIXème siècle apparait arriérée face à l'occident qui a connu le siècle des lumières et des révolutions. Comme expliqué dans la chronique dédiée aux suites pour deux pianos, hormis en littérature dont les spécialistes parlent de l'âge d'or (Pouchkine, Dostoïevski, Gogol, Tolstoï…), la culture artistique accuse un retard notable. Il faut attendre le milieu du siècle et l'énergie d'un Glinka suivi du génial Tchaïkovski pour voir naitre une école musicale nationale russe. Si Tchaïkovski adopte les modes de l'art romantique allemand, le groupe des cinq sous la houlette de Rimski-Korsakov (Clic) composent en suivant l'influence de la tradition orthodoxe et slave. (Borodine et Moussorgski en sont des membres éminents, les autres… heu on va voir.)

De petite noblesse la famille Rachmaninov vit son crépuscule. Son père, joueur invétéré, irascible et dépensier, dilapide le patrimoine familial et son épouse Lioubov est certes une mégère mais repère les talents de son fils et lui offre quelques leçons données à domicile par Anna Ornazkaïa, une proche du virtuose Anton Rubinstein. En 1883 sa sœur aînée Yelena meurt, une épreuve terrible pour l'émotif Serge. Ses parents se séparent en 1885. Le jeune Serge surmontera ces drames grâce à Sofia Boutakova, sa grand-mère, venue soutenir son petit-fils et surtout, lui faire découvrir la musique orthodoxe.

Anna Ornazkaïa jouera de son influence pour que l'adolescent intègre de 1885 à 1889 le conservatoire de Moscou. Après une année de conflit idéologique avec son professeur très exigeant Nikolaï Zverev, il retourne au conservatoire jusqu'en 1892. (Le maître estimait que pianiste professionnel et compositeur sont des métiers incompatibles ! 😳). En janvier, j'avais déjà évoqué plus en détails ces années d'apprentissage…


César Cui (1835-1918) - Cuicui 🐦🐦

Dans tout récit il y a "le méchant". À gauche, vautré dans son fauteuil, sapé en militaire (spécialiste en fortification), "imbu de lui-même à l'évidence" d'après Nema qui, de passage, est venue faire la bise, voici César Cui. Né en 1835, petit compositeur d'œuvrettes de chambre et d'opéras oubliés et critique féroce et prolixe, il sera le bourreau de Rachmaninov.

Ô chaque pays doit subir un temps un personnage de ce genre, sans talent mais à la langue fourchue. Rappelons-nous le sinistre Eduard Hanslick qui, hormis lécher les bottes à Brahms, traîner dans la boue Wagner et Bruckner, ne composa rien, pas une note…

César Cui n'aime pas tout ce qui a été composé avant Beethoven : soit le baroque, Mozart, Haydn et les autres… Brièvement, il n'a d'estime que pour la musique de ses potes du groupe des cinq (pourtant, il faut le dire, leurs œuvres présentent des faiblesses formelles bien pardonnables chez ces hommes qui sont tous des pionniers passionnés et autodidactes reconvertis… Borodine était chimiste 💣 Rimski-Korsakov marin ). Il dénigrera Boris Godounov de Moussorgski, chef-d'œuvre lyrique incontesté ! Il vilipende Tchaïkovski et d'autres qui ne sont pas du sérail… Exception : Liszt et Berlioz (ouf !). Quant à Wagner, oui, il apprécie le sens du drame, mais il prétend qu'il faudrait tout réécrire sans les leitmotivs… On n'ose y croire. Il ne composera aucune symphonie…

Je me calme… dans son œuvre, tout n'est pas à jeter, je vais réfléchir à une possible chronique… "Là est le rôle du musicologue et du critique scrupuleux" ajoute Nema…


Avant d'affronter l'incontournable épreuve de la composition d'une symphonie, Rachmaninov a déjà intensément composé depuis la fin de ses études. Citons les plus remarquables réussites : le 1er concerto de 1890 créé en 1892 par lui-même au piano et accompagné par Vassili Safonov, musicien et politicien de renom. Le succès sera modeste mais vers 1917, le compositeur apportera des retouches, ce qu'il fera souvent dans ses œuvres… Ajoutons quelques poèmes symphoniques hélas perdus sauf "le Rocher", un quatuor à cordes en 1888, le 1er trio élégiaque en 1892 et diverses pièces pour piano. Un petit détail, en 1890, encore étudiant, Rachmaninov avait couché sur le papier un premier mouvement de symphonie, une dizaine de minutes gravées par Leonard Slatkin (toujours lui.) Contrairement au romantisme allemand et malgré l'apport imposant du cycle des six symphonies et de Manfred de Tchaïkovski, les russes n'ont pas une grande expérience dans l'écriture de symphonies, exercice difficile dans la recherche du fil conducteur et de la cohérence stylistique. 


Alexander Glazounov (1865-1936) 🍷🍷🍷
 

Le projet de mettre en chantier sa symphonie date de fin 1894. Rachmaninov la composera entre janvier et octobre 1895. Sa correspondance montre qu'il en a bavé des ronds de chapeau si je puis me permettre cette locution argotique. Pourtant compositeur rapide, c'est long et il en souffre, travaillant dix heures chaque jour. Tchaïkovski mort depuis deux ans ne peut pas le conseiller si tant est qu'il aurait pu le faire. Vieillissant, Rimski-Korsakov à qui "le Rocher" était dédicacé, ne peut l'aider à finaliser l'orchestration. Pourtant l'auteur de Schéhérazade, suite symphonique féérique qui s'appuie sur la forme symphonique en quatre mouvements aurait été le mentor idéal.  

Le richissime mécène Mitrofan Belyayev accepte de programmer la création en 1897. Son professeur Serguei Taneïev et Glazounov préparent cet évènement en lui proposant des modifications acceptées. Taneïev est dubitatif après une écoute au piano…

Les répétitions commencent. Rimski-Korsakov, homme des générations précédentes n'apprécie guère mais laisse son élève chouchou Glazounov diriger alors que ce musicien est un mauvais chef semble-t-il et de plus se permet d'imposer des coupures. Nous voilà face à la pire condition pour une création d'autant qu'au soir du 15 mars Glazounov éméché ne contrôle pas l'orchestre mal préparé. On a douté de cet état d'ébriété, mais l'un de ses illustres élèves et peu suspect de médisance, Chostakovitch, dira : Glazounov gardait une bouteille d'alcool cachée derrière son bureau, et sirotait à travers un tube pendant les cours !

Musicalement la soirée est un désastre ! Une seconde exécution par un bon chef aurait pu sauver la partition après quelques corrections, mais la critique s'en mêle avec la sauvagerie de ceux qui alignent les méchancetés pour prouver qu'ils savent lire et écrire ; donc de César Cui : "S'il y avait un conservatoire aux enfers, et si l'on avait demandé à l'un de ses meilleurs élèves d'écrire une symphonie à programme sur Les Sept Plaies d'Égypte, et si le résultat ressemblait à la symphonie de M. Rachmaninov, alors il se serait brillamment acquitté de sa tâche et aurait ravi les habitants des enfers". (Sonia : "du blabla en effet").

Humilié, Rachmaninov ne composera rien ou presque pendant plus de trois ans et quittera Saint-Pétersbourg. Atteint d'une forte dépression, il sera soigné par hypnothérapie... Il perdra la partition maléfique lors de son départ aux USA en 1917.


Alexander Gauk (1893-1963)
 
 

En 1944, émergent les partitions d'orchestre des archives poussiéreuses de Belyayev du Conservatoire de Leningrad. Le talentueux maestro Alexander Gauk recompose la partition intégrale et la dirige le 17 octobre 1945 avec succès à Moscou. Eugene Ormandy, ami américain de Rachmaninov impose sept répétitions à son Orchestre de Philadelphie pour une première en mars 1948. La 1ère symphonie est resuscitée et entre au grand catalogue ; Rachmaninov mort depuis cinq ans ne pourra pas entendre les ovations. On se rend compte alors qu'en 1897 l'œuvre était simplement… trop moderniste pour l'époque !

Influencé par Rimski-Korsakov, chantre des orchestrations rutilantes, l'effectif de l1ère symphonie est riche surtout pour les pupitres de percussion : 3 flûtes (+ piccolo), 2 hautbois, 2 clarinettes en si bémol, 2 bassons, 4 cors en fa, 3 trompettes en si bémol, 3 trombones, tuba, timbales, cymbales, grosse caisse (mouvements 1, 2 et 4), triangle (mouvements 2 et 4), caisse claire, tambourin, tam-tam (mouvement 4) et cordes. (Partition : 243 pages).

Après une absence des labels pendant un demi-siècle, la discographie est désormais éclectique. Bien que moins enregistrée de manière isolée que la 2ème symphonie, on peut l'écouter sur nombre d'intégrales. Mon choix s'est porté sur une capation récente et fougueuse du chef canadien Yannick Nézet-Séguin déjà à la une de deux articles du blog dans des répertoires originaux. En 2017, il accompagne Renaud Capuçon dans le concerto pour violon de Erich Korngold (Clic), puis en 2022, il dirige deux symphonies de la compositrice afro-américaine Florence Price (Clic), une révélation pour la planète classique. On découvre cette musicienne bien peu connue grâce à une gravure haut de gamme pour DG avec l'Orchestre de Philadelphie dont, comme je le présageais, il est devenu le directeur depuis 2023. Par ailleurs, il est depuis 2020 le directeur Métropolitan Opera de New-York… Il dirige "à vie" l'Orchestre Metropolitain de Québec depuis 2000.

Il a été sollicité par la Philharmonie de Vienne pour diriger le concert du nouvel an 2026 !

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Yannick Nézét-Seguin

La symphonie comporte quatre mouvements. A priori Rachmaninov ne cherche pas, en cette fin du siècle romantique, à déroger à cette organisation traditionnelle. Le "scherzo" est placé en seconde position, choix justifié par un premier mouvement imposant. Comme souvent chez les jeunes compositeurs, Rachmaninov a vu grand, trois quarts d'heure, établissant une similitude de durée avec les deux symphonies les plus abouties du temps : la 5ème et la 6ème "pathétique" de Tchaïkovski. Il prend ainsi le risque du débutant d'essoufler le développement mélodique faute d'une thématique plus inventive. Mais Rachmaninov contourne avec malice ce risque même si ses contemporains n'ont pas su reconnaître les qualités de l'œuvre… Comme Liszt, il recourt au leitmotiv pour assurer une unité narrative à sa partition, musicalement parlant.

Une remarque s'impose à ce stade. Un manque de nuance et de fougue, des tempi lambinards de la part du chef et une surenchère trop appuyée dans les répétitions et variations des développements risquent d'ennuyer. Cela est particulièrement vrai dans le mouvement introductif. Rachmaninov composa avec plein d'enthousiasme. Une direction initiale baclée et un échec public le rendirent dépressif. 

 

1 - Grave—Allegro non troppo (ré mineur) : Un prélude lent et sépulcral précède la première section* thématique de l'allegro…  Est-ce un petit hommage aux formes chères à Haydn dans ses symphonies telles les "Londoniennes" pour fixer l'attention du public ? Un motif puissant répété trois fois ouvre la symphonie. Se succèdent : anacrouse sur trois temps et sur le 4ème temps : irruption d'un grupetto rageur de quatre doubles croches jouées fff en tutti aux bois doublés des cuivres, puis énoncé d'un motif de six mesures aux cordes seules mais gaillardes pour présenter le motif du dies irae, martial, dramatique ! Ça jette ! La grosse caisse clôt cette suite obsédante des trois motifs funèbres.

* Pourquoi le mot section demande Sonia ? Voici un petit précis de composition... 😊

Rachmaninov se libère à sa manière, mais finement, de la forme sonate académique qui symétrise de manière cyclique les mouvements introductifs : section initiale à deux thèmes avec reprise, développement central à partir de thèmes secondaires, reprise et conclusion à partir du matériel mélodique de la première section. (Schéma abrégé, juste pour mémoire.) Notre compositeur prend de nombreuses libertés par rapport à ce plan et un thème dominant utilisé tel un leitmotiv animera l'allegro et même la symphonie dans sa globalité, principe de résurgence appliqué au dies irae déjà entendu. 

[0:28] L'allegro s'élance moins sévèrement que l'intro. Une mélodie en notes pointées et pizzicati aux cordes accompagne l'énoncé du thème principal par la clarinette. Un staccato des flûtes prend le relai. Le style de Rachmaninov se manifeste par cette fantaisie concertante de l'instrumentation qui gagne sans cesse en couleur et en alacrité sans négliger une pointe de nostalgie. Le thème voltige de pupitre en pupitre. L'orchestre de Philadelphie capté avec limpidité est dirigé avec un entrain de bon aloi.

Dans l'hommage rendu à Roger Norrington lundi, je partageais cette citation : "Nous voulions montrer que Berlioz et Tchaïkovski ne sont ni épais, ni dégoulinants, ni tapageurs, mais romantiques. C'est-à-dire sincères et enflammés". Yannick Nézet-Séguin fait sien ce concept. 


Village russe - illustration de Ivan Bilibine

Analyser en profondeur la succession des sections mélodiques variées n'aurait qu'un intérêt scolaire rébarbatif. Rachmaninov les enchaîne sans rupture nette, il en ressort un lyrisme slave enflammé et une tendre poésie, options nullement incompatibles. [2:39] Une nouvelle section exalte un air voluptueux agrémenté de nombreux solos des bois aigus (hautbois, flûtes). Ce passage noté moderato orchestré par une dominante de cordes joue à [4:24] la carte de la mélopée élégiaque.

[5:08]. Pas surprenant que le public et les rivaux de Serge soient déroutés lors de la création par l'exposé de la seconde idée, affichant un style fugué et trépidant, transition (reprise qui ne dit pas son nom ?) confiée aux cordes puis martelée par les cuivres et les percussions. [5:52] Le développement central à la manière Rachmaninov est innovant. L'univers sonore gagne en vivacité et fantaisie, le triangle s'amuse, le leitmotiv fait son retour… Un héritage de Tchaïkovski et une influence future pour son ami Scriabine

[8:04] une transition nous amène à la reprise fougueuse de la section 1 (la forme sonate n'est pas tout à fait délaissée). [9:14] L'allegro ralentit et chante sur un tempo rêveur une mélodie lascive. Après plusieurs écoutes, on découvre que l'art du jeune Serge d'organiser tel un puzzle, pour ne pas dire une forme de poème symphonique, est très mature et en avance sur son temps. Il agence toutes ses idées musicales à la manière d'un conteur… [12:09] le thème à la clarinette ressurgit, consolidant l'architecture de l'allegro avant une coda simpliste, disons… fonctionnelle, ne soyons pas exigeant.


2 : Allegro animato (en ré mineur) : Cet intermède aurait pu s'intituler Scherzo par sa symétrie qui rappelle celle imposée dans ce type de mouvement. Mais là encore Rachmaninov se plaît à s'écarter de la tradition formelle que s'imposa sans relâche, c'est notoire, un Anton Bruckner : scherzo – Trio – Scherzo (Thématique : ABABCDCDABAB{coda}). L'allegro débute par une citation aux  altos du grupetto du Grave du premier mouvement, mais justement… sans gravité. Se déploie une longue section mêlant une mélodie délicate et des rappels facétieux de motifs de l'allegro. 


Ivan Bilibine - Le cavalier

Rachmaninov confirme son style : limiter les tuttis instrumentaux aux timbres complexes, si agréables et surprenants à l'oreille soient-ils. Méthode qui bénéfice aux petits solos parsemés ici et là dans le discours. Rachmaninov aime confier conclusions et introductions à la clarinette, son instrument fétiche… C'est le cas lors de la transition entre la section 1 et ce que l'on pourrait appeler "abusivement" le trio [2:47 -2 :59]. Et toujours ce thème renouvelé qui, après l'alto, est entonné par la clarinette. Ne détaillons pas. Cette partie centrale plus vivante me fait penser à un ballet, du romantisme pur : chants d'oiseaux et pensées plus sombres s'entrecroisent… [7:16] Troisième reprise, tout en douceur, aux cordes aigus… Donc non, pas un scherzo didactique pour conclure, avec tendresse. Pas de tutti énergique, tout au contraire, une ultime mélopée à la clarinette et un point d'orgue qui se résume à une syncope pppp (!) d'une note aux cordes, une discrète noire en pizzicati. Tendez bien les oreilles. 👂👂

 

3 : Larghetto (si bémol majeur) : Sans surprise, les altos débutent cette rêverie qu'est le larghetto en jouant le motif rageur de l'allegro, mais ici assagi et mélancolique. Et sans surprise, la clarinette énonce le thème, fil conducteur de ce poignant mouvement lent. Plusieurs idées, notamment le passage rythmé et oscillant aux violons qui structure le premier développement [2:31] prolonge l'expression d'un désir éperdu de quiétude qui échappera trop souvent au compositeur hypersensible. [3:45] Désir compréhensif à l'écoute du passage anxieux suivant dans lequel dominent le grondement des cuivres graves et les appels acérés des trompettes ; reflets musicaux de cette civilisation tsariste en voie de désintégration. [2:31] Merci aux flûtes en duo avec la clarinette de nous réconforter, puis en laissant des violons féériques conclurent l'un des plus lyriques et émouvants mouvements de Rachmaninov. Une musique qui se veut naturelle et sans fioritures solfégiques. La coda prend la forme une mélopée onirique chantée par la clarinette solo soutenue par de discrets pizzicati pp des cordes…  

 

4 - Allegro con fuoco (ré majeur) : Il n'y a guère de règle académique pour conclure une symphonie. En général le rondo et sa forêt de thèmes est de mise. Ici, difficile à affirmer si c'est le cas et à commenter tant les sections sont nombreuses et contrastées. L'ambiance générale est sauvage, assurant une rupture marquée avec le larghetto. Les premières mesures évoquent le dies irae de l'allegro et seront suivies par une marche militaire cadencée par la caisse claire, [2:17] marche prolongée par une élégie aux cordes appuyée par les cors. Ce mouvement martelé (grosse caisse, timbales, tambourin…) présente une partie centrale plus élégiaque. On l'aura compris, le final exploite une grande variété dans l'orchestration, je parlerais même de virilité et de joyeuseté (pizzicati cocasses à [6:30]).

Après moult épisodes que je ne détaille pas, la conclusion débute vers [10:06], là où rien ne semble s'opposer à la course héroïque du final. Grosse-caisse et Tamtam fracassent l'espace sonore et de manière pathétique et angoissante les fanfares de cuivres se déchaînent.

Le musicologue Robert Simpson (1921-1997 - Aucun lien de parenté avec Omer) considérait la première Symphonie de Rachmaninov plus aboutie que les deux suivantes, estimant, je cite, "qu'elle avait été créée naturellement et sans effort". Mouais, pourquoi pas. "Sans effort" ? Il semble que Rachmaninov ait travaillé durement pendant près d'un an. Je me limiterai à penser qu'elle ne méritait surtout pas d'être sacrifiée sur l'autel des critiques bornés et qu'il est dommage que les générations du début du XXème siècle n'aient pas pu l'entendre ! Cinq ans après des soins par hypnothérapie, Rachmaninov  préparera son 2ème Concerto pour piano, son oeuvre la plus célèbre. 


Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. 





Dans une discographie pléthorique, les pionniers des intégrales font encore bonne figure : Eugène Ormandy à Philadelphie en 1966 malgré un petit manque de folie juvénile, Vladimir Ashkenazy à la tête du Concertgebouw d'Amsterdam en 1982 d'une puissance un peu froide (mais quelle prise de son !). Deux valeurs sûres…

Je suggère l'écoute de trois captations moins connues et disponibles sur le web :

Walter Weller qui nous avait offert une intégrale géniale et moderniste des symphonies de Prokofiev récidive avec l'Orchestre de la Suisse Romande avec une lecture ciselée de celles de Rachmaninov (Decca - 1975).

Avec Evgeny Svetlanov dernière manière (Orchestre Symphonique D'Etat De La Federation De Russie), Rachmaninov prend des allures shakespeariennes, volcaniques et acérées. L'introduction file la trouille ! (Warner-music - 1995). Rare mais existe en album simple… (Deezer) Prise de son décevante hélas…

Une bonne surprise ? Pas pour moi ; il y quelques semaines nous écoutions les sérénades de Brahms dirigées avec exaltation par le chef Yankee Leonard Slatkin. Le maestro chasse ici toute emphase donc distille une poésie raffinée rare dans les gravures dédiées à Rachmaninov. Les instrumentistes de l'orchestre de Saint-Louis font irruption dans votre séjour. (Vox - 2010). Ce chef a également produit une intégrale avec l'Orchestre de Détroit éditée chez Naxos. (Deezer) ou YouTube ci-dessus.