lundi 29 décembre 2025

CRUSELL, DU PUY, BERWALD, BRENDLER – 4 concertos pour basson – J. LUOMA et J.NISONEN (2025) – par Claude Toon


- C'est rare Claude que tu nous fasses écouter un récital instrumental. Aujourd'hui des concertos pour basson, un instrument moins bien servi dans ce répertoire que le piano ou le violon…

- Pas faux Sonia… La plupart du temps, il s'agit de curiosités divertissantes que des compositeurs écrivent pour un ami virtuose du grand-père basson de petit Pierre dans le conte musical de Prokofiev Pierre et Loup…

- Et par ailleurs, nous allons rencontrer quatre compositeurs encore absents de l'index… A priori, ce sont les artistes et les producteurs du disque qui ont fait ce choix…

- En effet, Franz Berwald le suédois est assez connu, contemporain de Beethoven, mais je n'ai jamais commenté l'une de ses symphonies pourtant réputées…

- C'est rigolo, tant le bassoniste que le chef sont des balaises fort dégarnis, on dirait des frangins et des gaillards à ne pas trop taquiner…


Bernhard Henrik Crusell

Édouard Du Puy

Franz Berwald

Eduard Brendler




Clarinette de
Heinrich Genser

Cet album original nous vient de Finlande. Ondine est un label imaginatif. Nous avons déjà écouté la symphonie N°2 de John Corigliano gravée par ce label, une œuvre contemporaine du compositeur Yankee qui n'a qu'un seul disque concurrent chez… Chandos.

Le programme réunit deux concertos de forme classique en 3 mouvements signés Bernhard Henrik Crusell et Édouard Du Puy mais également un Konzertstück de Franz Berwald et pour terminer un Divertissement de Eduard Brendler.

J'avoue que je ne connais que de nom Franz Berwald sans en être fan  et… pas du tout les trois compères qui l'entourent ! Quelques lignes pour chacun dans l'ordre d'apparition sur le disque :

Carré de compositeurs du Nord

Jaakko Luoma
Basson vers 1800

Bernhard Henrik Crusell : né en Finlande en 1775 et mort à Stockholm en 1838 doit sa célébrité à sa virtuosité comme clarinettiste, instrument nouveau à l'âge classique des Lumières. Il construit son début de carrière en interprétant brillamment les concertos de Mozart, puis de Weber, Krommer, Beethoven et d'autres moins connus. Il bénéficia des progrès considérables apportés à la clarinette en jouant avec des instruments du facteur Heinrich Genser de Dresde dont celle illustrant cette page : 11 clés en laiton, une caisse en buis et des anneaux en ivoire. Crusell composera peu : quelques opéras, et des pièces de chambre ou des concertos principalement pour les vents. La discographie n'est pas indigente, loin de là. Il existe plusieurs albums comportant des concertos pour clarinette, logique.

Édouard Du Puy : né en Suisse en 1770 (comme Beethoven) il acquiert plusieurs cordes à son arc, ou plutôt à son violon, l'un des instruments qu'il maitrisait tout comme le piano et la voix (basse chantante). Il est également maestro et compositeur ! Pendant la période troublée des guerres napoléoniennes, il soutient l'Empereur, ce qui lui vaudra d'être banni de la Suède par le roi Gustave IV Adolphe et de partir pour Copenhague. Son interprétation de Don Giovanni le rend célèbre. Mais Il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark et les embrouilles politiques conduisent Du Puy à un nouveau bannissement et après un passage à Paris, il est de retour en 1810 à Stockholm (Gustave IV Adolphe ayant été déposé par un coup d'État, Édouard est amnistié) jusqu'à sa disparition en 1822. On lui doit onze opéras-ballets, opéras-comiques, etc. dont fort peu ont traversé les âges et des œuvres chambristes ou orchestrales dont neuf concertos pour divers instruments. La discographie propose quelques disques dédiés à ce répertoire instrumental. 

Franz Berwald : (1796-1868). Il est né à Stockholm. La musique de ce jour trouve des racines nordiques indéniablement. Côté cancans, son grand-père aurait eu 25 enfants, ce qui fait de Bach un petit joueur 😊, avec vingt naissances (bien peu ont atteint l'âge adulte 😟). Dans la nombreuse descendance, on rencontre moult de musiciens dont le père de Franz, Christian Friedrich Berwald est violoniste et donne les premières leçons à son fils à l'évidence surdoué. Franz occupe de 1812 à 1828 un poste de violoniste et d'altiste dans l'orchestre de l'opéra royal. Il compose déjà. En 1829, il part tenter sa chance comme compositeur à Berlin. Dans un Berlin musicalement hyperactif, le suédois ne trouvera pas sa place et devient orthopédiste. Il crée un institut d'orthopédie. Il invente des appareillage efficaces et en 1835 la société a pignon sur rue. Il faut bien se nourrir… 


Janne Nisonene

Toujours obnubilé par sa vocation de compositeur, Franz déménage pour Vienne en 1841, capitale européenne de la musique haut de gamme. Marié depuis peu, il doit faire bouillir la marmite et il tente de concilier composition et orthopédie. À Vienne, ses premières œuvres sont remarquées et même jouées. Malgré tout, un an plus tard, en 1842 il retourne à Stockholm pour une période de quatre ans qu'il met à profit pour composer ses quatre symphonies qui de nos jours constituent le cycle le plus apprécié de son catalogue. 1846, départ pour Paris, tout en bourlinguant entre les grandes villes européennes. L'Europe l'apprécie, il est nommé membre honoraire du Mozarteum de Salzbourg en 1847 ! Financièrement, Franz galère toujours et devient maître verrier dans le nord de la Suède. Il continue de composer en dilettante… Son catalogue ne comporte que 80 pièces et il faut attendre le XXème siècle pour le voir reprendre sa place dans l'histoire de la musique.

Il meurt en 1868 à Stockholm. Franz Berwald personnage pittoresque et pour le moins créatif… 



Prince Oskar

Eduard Brendler : Rendons-nous à Dresde, où Eduard Brendler voit le jour en novembre 1800. Il part avec sa famille pour la Suède en 1801. Son père flutiste réputé décide pourtant que son fils vivra du négoce… Pourtant le garçon aime la musique et joue de la flûte avec talent. Il devient un proche du roi Oskar et de certains membres de la cour.

Il ne pourra composer que pendant les quatre dernières années de sa vie. Un destin tragique l'attend, il meurt brutalement de maladie à 30 ans. Il s'essayait à tous les genres, y compris un opéra, Ryno, que le jeune prince Oskar de Suède achèvera.

Dans ses rares compositions, on distingue l'influence de Louis Louis Spohr.

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Casting

Jaakko Luoma est originaire de Lohja, ville finlandaise proche d'Helsinki. Il est né en 1973. Jeune ado de 11 ans il débute ses études de basson avec Matti Tossavainen puis intègre l'Académie Sibelius pour se perfectionner avec László Hara et Jussi Särkkä. Ajoutons un passage à Paris auprès de Pascal Gallois, instrumentiste de grande réputation. Diplômé en 1993, il devient membre du Tapiola Sinfonietta dirigé par Jean-Jacques Kantorow. De 1996 à 1998, il est bassoniste solo de l'Orchestre de Paris alors dirigé par Semyon Bychkov dont nous parlerons dans quelques temps. Il a également occupé ce pupitre de l'orchestre de la radio de Berlin (Rundfunk-Sinfonieorchester) alors dirigé par Christoph Eschenbach entre 2001 et 2003.



Après ce début de parcours prestigieux, il poursuit sa carrière comme soliste tant sur des bassons de type français qu'allemand (Vélocité pour le mécanisme français donc bien adapté pour les concertos virtuoses, gravité et puissance pour son confrère germanique ce qui est appréciable dans l'orchestre) mais aussi sur des bassons de l'époque baroque. Sa discographie est diversifiée, de Mozart à Hummel, en passant par nombre de petits maîtres tels ceux écoutés ce jour… Wikipédia récence 70 concertos dont 38 de Vivaldi et sachant que ceux proposés dans notre disque n'y figurent pas (compositeurs trop peu connus), on réalise que le répertoire est sans fin…

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Janne Nisonen est un violoniste et chef d'orchestre finlandais. Sa date de naissance reste très secrète ! Son âge estimé ? disons entre 40 et 50… Il a étudié le violon dès l'âge de quatre ans. Devenu virtuose, il joue sur un Nicolo Gagliano de 1751 (prêt de la société Lähi Tapiola). Il ne s'arrête pas là et à l'Académie Sibelius, auprès de Hannu Linnu et Atso Almila, il étudie la direction d'orchestre. Nisonen devient premier violon solo du Tapiola Sinfonietta dont il assure la direction depuis 2016. Il est invité à diriger des phalanges de renom telles l'Orchestre symphonique de la radio finlandaise, l'Orchestre philharmonique de Tampere, l'Orchestre philharmonique d'Helsinki et l'orchestre de chambre de Brème. Janne Nisonen devient un spécialiste incontournable du répertoire de l'époque classique et du début du romantisme, exemple : le programme original d'aujourd'hui. Entre 2007 et 2025, il a gravé cinq disques pour Ondine.

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Quatre concertos et pièces divertissantes

De la fin du baroque tardif au début du XVIIIème siècle jusqu'au début du romantisme un siècle plus tard, le perfectionnement des instruments à vent est considérable. La qualité de la fabrication, l'ajout de clés remplaçant les perforations obstruées par les doigts et l'apparition de la clarinette permettent une vélocité et une précision accrues du jeu des notes naturelles ou altérées. Ces progrès techniques expliquent la profusion de compositions pour les virtuoses.

Le disque comporte quatre ouvrages dédiés Frans Carl Preumayr (1782-1853), bassoniste d'origine allemande mais très présent en Suède. Il fut également chef d'orchestre et de chœur dans l'armée allemande. Son talent a conduit les quatre compositeurs cités à lui écrire ces concertos ou pièces concertantes. Aucune ne justifie une analyse psychologique très poussée, elles sont destinées à permettre à un instrumentiste de talent de faire briller toutes les possibilités du basson.


Frans Carl Preumayr

Le concerto de Bernhard Henrik Crusell, fut publié à Leipzig en 1829. Concerto ? admettons de par sa composition en trois mouvements. Il ne répond guère aux règles formelles du concerto, pas d'introduction symphonique très marquée, pas de mouvement lent méditatif. Il est techniquement d'une difficulté redoutable, la thématique est riche, opposant galanterie et poésie. L'allegro moderato est curieusement rythmé et impose des trilles au soliste. Le développement exige une vélocité diabolique. La forme sonate cède la place à un enchaînement de passages sereins ou hardis. Très inspiré Bernhard Henrik Crusell 😊.

Le concerto de Édouard Du Puy  répond à une forme concerto plus classique. Ainsi, l'Adagio Non Troppo – Allegro Moderato ne se limite pas à faire briller le soliste. L'écoute de la dramatique introduction en témoigne. Le basson dialogue plus intimement avec l'orchestre plus complet que dans celui de Crusell. Des trois œuvres du disque, voici la plus romantique, violente et là encore, on n'imagine pas que l'on puisse jouer des mélodies aussi exaltées avec un basson, soulignons les sauts de tessiture vertigineux… À connaître et à inscrire plus souvent aux programmes de concert. L'adagio oppose mélancolie et climat épique. Comme tout rondo, le final déploie une chevauchée un peu folle mais un tantinet plus banale car au discours trop appuyé sans période de repos. Grandement amusant cependant…

Le Konzertstück  de Berwald et Le Divertissement d'Eduard Brendler sont des ouvrages fantasques et courts construits autour d'une thématique festive et des variations.

Le tableau suivant la vidéo YouTube indique le plan des œuvres et leur orchestration. 


Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. 




1774

Bernhard Henrik Crusell : Concerto pour basson en si bémol majeur (Partition)

 

[1] Allegro Brillante

[2] Allegro modéré

[3] Polacca

 

Orchestration :

2 hautbois, 2 cors, violons I & II, altos, violoncelles et contrebasses à l'unisson.

1812

Édouard Du Puy  : Concerto pour basson en do mineur

 

[4] I. Adagio Non Troppo – Allegro Moderato

[5] II. Adagio 6h00

[6] III. Rondo – Allegretto

 

Orchestration : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons,

2 cors, 2 trompettes, 1 trombone (Rondo), timbales et cordes.

1827

Franz Berwald : Konzertstück en fa majeur, op. 2 (Partition)

 

[7] Allegro non troppo

Orchestration : 1 flûte, 2 hautbois, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes,

timbales et violons I & II, altos, violoncelles et contrebasses à l'unisson..

1828

Eduard Brendler : Divertissement en si bémol majeur

 

[8] tempo di marcia

Orchestration : 2 flûtes, 2 clarinettes, 2 cors, timbales et cordes.



dimanche 28 décembre 2025

ALL I WANT FOR CHRISTMAS IS THE BEST-OF

MARDI : Pat nous a fait écouter (et découvrir pour beaucoup) l’album « Ma » de Rare Earth, un groupe de musiciens blancs (à géométrie variable) qui avait la particularité d’être produit par la Motown, on y entend une soul gorgée de funk psychédélique, de blues rock.

MERCREDI : Bruno a dégainé son meilleur film pour les enfants dans une version un poil relookée, dans « Bambi The Reckoning » de Dan Allen, le jeune faon se transforme en vengeur carnassier, tel un Chuck Norris à cornes, décidé à nettoyer la forêt des irrespectueux et envahissants intrus.

JEUDI : arithmétique et nativité font la paire avec Claude, qui nous a présenté « Thys Yool – A medieval christmas » du Martin Best Ensemble, une anthologie de chansons populaires du Moyen-Âge accompagnées de luths, mandolines, rebec, dulcimer, tambour, cornemuse, etc... Rigolo et festif.

VENDREDI : toujours à l’occasion des festivités noëllistiques, on a revu avec Luc « L’Évangile selon saint Matthieu » de Pier Paolo Pasolini, qui s’inspire du néo-réalisme pour filmer la vie de Jésus, film controversé à sa sortie c’est aujourd’hui un classique.

👉 La semaine prochaine, dès lundi, encore plein de cadeaux culturels, avec 4 concertos pour basson enveloppés par le Toon, un hommage de Pat au dessinateur Edika, la suite du feuilleton folk-rock de Benjamin avec The Byrds, et le brésilien Kleber Mendonça Filho doublement primé à Cannes… Bruno digère encore son Figari Amphora Clos Canarelli 2015.

vendredi 26 décembre 2025

L’ÉVANGILE SELON SAINT MATTHIEU de Pier Paolo Pasolini (1964) par Luc B.


La vie et l’oeuvre de Jésus filmées par un cinéaste athée, homo et marxiste, nous v’là bien ! Film dédicacé au Pape Jean le vingt-troisième, celui de Vatican II, et consacré meilleur film religieux par les milieux chrétiens, comme quoi les miracles existent. 

Au départ ce n’était pas gagné, Pier Paolo Pasolini venait d’être condamné pour blasphème après son court métrage LA RICOTTA (1963) issu d’un film à sketches auquel participaient aussi Rossellini et Godard. Et pourtant, au fil des ans, L’ÉVANGILE SELON SAINT MATTHIEU est devenu ce classique du cinéma qui doit autant au Néo-réalisme italien (Rossellini précédemment cité) qu’à la Nouvelle Vague française (JLG précédemment cité itou).

Comme l'écrit Matthieu (chap. 18 verset 11-13) : « Nobody fucks with the Jesus ». A moins que ce soit John Turturro dans THE BIG LEBOWSKI, je confonds toujours.

Le début du film est magnifique, quasiment pas de dialogue, tout passe par les visages et les regards. Comme ceux de Marie et son compagnon Joseph. Tristesse, incompréhension, jugement moral. Elle est enceinte, il ne comprend pas comment, déboussolé il préfère fuir le foyer. Après sa rencontre avec l’archange Gabriel, joué par Rossana Di Rocco (une fille donc) Joseph revient vers Marie, et il suffit à Pasolini de filmer les mêmes visages, cette fois teintés d'un léger sourire, pour montrer l'apaisement. La suite on la connait, la crèche, les Rois mages, baptême dans le Jourdain…

Car Pasolini va strictement adapter le texte de Matthieu pour raconter la vie de cet homme, Jésus, qui nait, vit, meurt. Mais en s'autorisant de bousculer la vision classique des adaptations bibliques par sa mise en scène. Ainsi, s'il utilise fort à propos « La passion » de JS Bach à plusieurs reprises, la scène de la crèche sera illustrée avec « Motherless child » d'Odetta, un coup de génie, qu'il renouvèlera à la fin avec un gospel-blues de Blind Willie Johnson, lors de la scène de la résurrection.

Donc Pasolini n’hésite pas à croiser les influences, les références, il ne se situe pas dans la reconstitution historique, à l’opposé des grandes fresques bibliques hollywoodiennes comme LA BIBLE de John Huston (Rossana Di Rocco y jouait aussi !) LE ROI DES ROIS de Nicholas RayBEN HUR et autres DIX COMMANDEMENTS. Pasolini vient du Néo-réalisme, ce cinéma qui filmait la réalité de l’après-guerre, les ruines, les banlieues sordides, la misère, les petites gens, mais en les élevant au statut de héros. Pasolini cherchait le sens du sacré dans ce qu’il filmait, ce sacré niché en chacun de nous. Les visages qu'il filme souvent en gros plan ne sont pas des icones sulpiciennes, mais de vrai gens, superbement éclairés, joli travail sur la texture du noir et blanc. 

Son film est d’ailleurs interprété par des non-professionnels (héritage du Néo-réalisme), bien que Pasolini ait d'abord sollicité quelques amis de la contre-culture, il souhait Jack Kerouac dans le premier rôle ! C'est Enrique Irazoqui qui hérite du rôle de Jésus, un militant communiste espagnol de 19 ans. Il y a une recherche de vérité dans ce film, un dépouillement qui rappelle aussi Bresson

On sent l’influence de la Nouvelle Vague, où l’on aimait rameuter des copains, collègues, artistes pour faire la figuration. C'est le cas ici, et c'est même la mère de Pasolini qui joue Marie âgée. Beaucoup de plans caméra épaule, recours au zoom, avec ce souci de s’acquitter des règles classiques du cinéma (Pasolini était, au départ, davantage écrivain, poète, il n'avait pas de bagages techniques en cinéma). L’influence de Godard se ressent notamment dans l’utilisation du montage, peu orthodoxe, ces coupes, ces ellipses, comme dans la rencontre entre Jésus et le lépreux. Champ : « Guéris moi » / contre champ : « Soit guéri du mal qui te ronge » / champ : le gars est guéri. La scène a duré trois secondes !

Il y a aussi cette longue séquence des commandants de Jésus, un agencement de plans cut sans transition, le jour, la nuit, sous le soleil, l’orage, vêtements non raccords. Pasolini reprendra l’idée avec les différents messages de Jésus à ses apôtres, avant son arrestation, séquence un peu longuette et sentencieuse, où chaque réplique est exclusivement tirée de l’Evangile, comme tous les dialogues du film (post-synchronisés). Alors que jusque là le film était très rythmé, en ellipse, en mouvement, Pasolini agence ce bloc central compact qui brise la continuité. Et dans le genre je fais ce que je veux, le procès devant Ponce Pilate enfonce le clou (sic) puisqu’à aucun moment on ne voit Jésus à l’image, tout est filmé de loin, comme le point de vue des badauds qui se pressent devant un accident, les seuls gros plans sont ceux sur Judas.

Cette liberté de ton frise par moment l'amateurisme alors que Pasolini était entouré de techniciens solides, comme Tonino Delli Colli son directeur photo attitré, qui travaillera aussi pour Sergio Leone. On sourit des erreurs de raccord, prises de vue ratées, axes hasardeux, trucages enfantins, comme la scène du massacre des Innocents, qui déboule tout en brutalité, mais perd de sa force dramatique lorsque les soldats balancent des bébés qui ne sont visiblement que des ballots de chiffon. Les Monty Python de LA VIE DE BRIAN aurait adoré. Pasolini garde ces approximations au montage, dans l’optique de ne pas tricher.

De même, puisqu'il n’a pas pu tourner sur place en Palestine, le réalisateur s’est replié au sud de l’Italie, notamment dans la ville troglodytique de Matera, qui a vu passer pas mal de tournages, de BEN HUR (version 2016 avec Morgan Freeman en dreadlocks !), WONDER WOMAN à JAMES BOND. Alors forcément, l’architecture italienne du XVI ème siècle a peu à voir avec la Judée de l’an zéro ! De même, on voit quelques soldats casqués comme sortis d'IVANHOE. Pasolini se fiche pas mal de l’exactitude historique, il travaille par analogie, suggestion, et ça fonctionne très bien.

Le film est traversé de moments magnifiques, car d'une simplicité extrême : la multiplication des pains, la marche sur l’eau, Jésus dans le désert et sa confrontation avec Satan, le suicide de Judas réglé en trois plans très courts. La résurrection de Jésus est rapidement expédiée, pourtant un chapitre fondateur, mais Pasolini ne s’intéresse pas au messie des chrétiens ressuscité, mais à l’homme de chair. 

Plus tôt, il y a ce plan de Jésus petit garçon qui court vers son père Joseph, se jette dans ses bras. Pour l'auteur, Jésus est le fils du charpentier plus que le fils de Dieu. La résurrection est à la fois minimaliste (boum, la pierre qui celle la sépulture tombe d'un coup !) et lyrique, avec ce vent qui se lève dans les hautes herbes, comme une présence vivante mais invisible, puis tremblement de terre juste suggéré par l’opérateur qui secoue sa caméra ! Ce moment rappelle Terrence Malick, cinéaste du mystique (dont on attend THE WAY OF THE WIND, sur la vie de… Jésus !).

On pouvait s’attendre de la part de Pier Palo Pasolini à une relecture marxiste de la vie du Christ, je ne pense pas que ce soit le cas, bien qu’on verrait bien le personnage de Jésus un couteau entre les dents plus qu’un crucifix à la main. Un Jésus vindicatif, menaçant, qui assène ses vérités, colérique, le regard dur, accentué par le mono sourcil du comédien. On est très loin des Jésus béats souvent représentés, ou du hippie de JESUS CHRIST SUPERSTAR

L’ÉVANGILE SELON SAINT MATTHIEU donne quasiment dans le cinéma expérimental, au rendu presque documentaire, traversé de fulgurances visuelles, à la fois humble et ambitieux.

Voilà un article qui fait coup double, me permettant de nous souhaiter un joyeux Noël et... de très bonnes Pâques ! 


noir et blanc  -  2h15 -  format 1 :1.66 

jeudi 25 décembre 2025

🎄THYS YOOL* - A MEDIEVAL CHRISTMAS ⛄ - ❄️ Martin Best Ensemble (1988) 🌟 – par Claude Toon


(*) Thys Yool : cette année… traduit du Eald Englisc spræc (ancien anglais 😊)

 

- Rigolo Claude ces vielles chansons du Moyen-Âge… C'est du folk populaire anglais ?   

- Oui mais pas que, il y aussi des poèmes chantés de Gautier de Coincy , un français né en 1127…

- Pour le jour de Noël et ces musiques, on se fait une chronique courte…

- Ahhh oui…  Tiens un petit cadeau pour tes soirées avec Ferdinand, ton fiancé…

- Mais qui t'a dit que j'avais un fiancé ? On ne peut rien cacher…

- Ben Nema, mais à par nous deux et Maggy Toon, le secret est bien gardé, ne t'inquiète pas !!

- Tu parles… Et les lecteurs…

Sonia ouvre son paquet cadeau.

- Oh des grosses chaussettes en mohair et alpaga éponge, taille 48 pour lui et 40 pour moi, pas bête il faut être à l'aise…

 

Partie 1 : Procès du Merchandising de Noël (lecture nihiliste facultative)

Ah Noël🎄 ! Ahhh Noël 😡! Je m'interroge. Que donnerai comme infos un micro-trottoir ou un sondage organisé par Luc sur la signification de cette fête.? Quels seraient les pourcentages entre réponse 1  "Réveillon, indigestion, cadeaux dans tous les sens, sapins euthanasiés dans l'enfance, gosses hystériques, parents aussi et alcoolisés, conflits avec une belle-doche qui a dépensé plus que papi, etc., etc." et réponse 2 "fête de la naissance du petit Jésus, alias le Messie, prophète ressuscité à Pâque sous le nom Christ" suivant la tradition chrétienne.


Jeu offert par le Deblocnot

Merci à l'anglais George Boole d'avoir imaginer dans son algèbre logique un concept nommé polygone des liaisons permettant de calculer le nombre de cadeaux à prévoir a minima dans une famille nombreuse.

Soit X l'ensemble des adultes qui se font des cadeaux entre eux. Chaque couple de parents ou de grands-parents offrent des cadeaux aux enfants dénombrés Y.

Soit A l'ensemble de cadeaux pour adultes et B celui pour les enfants.

X, YAB  ∈ {ℕ} Entiers naturels, les enfant n'étant pas des demi portions ne sont pas considérés comme des éléments fractionnaires ∈ Q.

Postulat 1 : Chacun des X ne reçoit qu'un seul cadeau de la part d'un X (+ un dessin des Y qui rejoindra les autres… 🗑)

Postulat 2 : chacun des Y reçoit un cadeau des parents ou grands-parents soit d'un couple de l'ensemble X.

Exemple personnel : avec ma chère Maggy, nous avons trois enfants tous en couple et parents de nos cinq petits-enfants…

donc A = (X -1) X => (8 – 1) x 8 = 56 cadeaux adultes

Et : =  (X/2) x Y => (8/2) x 5 = 4 x 5 = 20 cadeaux enfants

Prévoir si il n'y a pas de désobéissance à cette règle pour humilier un beau-parent n'étant pas en odeur de sainteté* :
56 + 20 = 76 CADEAUX !!!!

(*) Un jour de Noël c'est triste.

Postulat 3 : Hypothétiquement, Maggy et moi devenons centenaires vers 2050-2055 avec des enfants septuagénaires et les actuels petits-enfants ayant donné naissance à un bébé avec un compagnon ou une compagne (a priori adulte donc passé de Y à X), un seul gosse pour débuter. Après, Maggy et moi reposerons auprès du Christ Roi ! Basta 😊.

Au pied du sapin il y aura 351 CADEAUX. Voilà la cause de la 6ème extinction de masse.

- T'es sûr Claude ? c'est un truc de dingue tes calculs… un semi-remorque de jeux, de bricoles horribles et de gâteries discount…   

- Et bien Sonia, utilise le théorème de Gödel, dit de l'incomplétude, pour vérifier…

- Hihi, chuis pas balaise en math, il y aura bien 351 merguez dans le congélo de M'sieur Pat depuis 30 ans, hihihi, le problème est résolu…

- Avec Maggy, nous recevrons 34 Merguez  🤪.



Partie 2 : musiques guillerettes pour le jour de Noël et pour changer de Petit papa Noël



Le recensement de Bethléem
(Pieter Brueghel l'Ancien en 1566)

Après avoir vitupéré sur une fête devenue mercantile, je propose cette année de vous dispenser d'écouter l'incontournable oratorio ou cantate, en général baroque, par respect de la laïcité dans le Deblocnot qui, rappelons le, est séparé de l'État et des Églises de toutes confessions… Palestrina est furieux car reporté pour 2026 et remplacé par une anthologie de chansons populaires du Moyen-Âge interprétées avec enthousiasme par un ensemble de musiciens spécialistes du folk sacré de l'époque.

La pochette du disque représente le recensement de Bethleem du peintre Pieter Brueghel l'Ancien de 1566. Plutôt qu'en Terre Sainte aride, le peintre situe la scène hivernale dans un village inspiré de l'architecture flamande et de la vie quotidienne de l'époque. Maisons à pignons à gradins, costumes d'époque, neige et lac gelés (pas très courant en Israël). Marie enceinte occupe le centre de la scène, voyageant sur un âne. Le bœuf situé derrière l'âne est sans doute celui de la crèche à venir, imagerie populaire oblige… 

Il y  a quarante ans, pendant que notre premier né vagissait à 120 dB de 20H à 22H, nous avions acheté un puzzle de ce tableau (environ 1m x 1,5m et 4000 pièces) pour calmer nos nerfs en attendant le retour au calme du bambin… Le résultat était très laid à cause des découpes 😊.

Cliquez sur l'image réduite du tableau pour le visualiser en grand. La profusion des personnages et l'imaginaire spatio-temporel du peintre laissent sans voix. Pour en savoir plus (Clic ).



Gautier de Coincy (1127-)
 
 

Petit rappel, la fête de Noël dite de la Nativité apparait en occident au IVème siècle. Pourquoi au solstice d'hiver en concurrence avec divers rites païens ? Les jours commencent à allonger, on associe une présence solaire accrue à l'arrivée de la lumière divine apportée par la naissance de Jésus… Si le Père Noël apparaît au XIXème siècle, l'échange de présents trouve ses racines dans l'antiquité… Et tout cela en musique.

Ah voyons la crèche encore appréciée même des athées et mécréants par son côté féérique. Le mot crèche est issu du mot krippia qui en langue francique (premier millénaire) désignait la mangeoire citée dans l'Évangile de Saint-Luc, le premier berceau de Jésus. Ce sont les jésuites qui inventent les petites crèches miniatures. Ils s'inspirent d'une initiative de, Saint-François d'Assise qui en 1223 organisa une crèche vivante à Greccio, en Italie. Soyons objectifs, les jésuites amusent le petit peuple au XVIème siècle en réaction contre la Réforme, les protestants plus austères n'aimant guère l'iconographie et autres représentations des personnages bibliques. Entre 1295-1299, on peignit une fresque dans la basilique de Greccio pour commémorer ce Noël théâtral. Je la trouve surpeuplée, et académique (Clic), et préfère illustrer le billet par le tableau d'Agnolo Gaddi (1350-1396) plus contemporain des musiques écoutées. (Voir à côté de la vidéo.)

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Pour ce jour festif, pas d'orchestre symphonique ni de chœur ni etc. La photo de l'ensemble Martin Best présente fort bien le style musical de l'album : luth, mandoline, flûte à bec, violons et violes, tambour et voix. Troubadours et ménestrels jouaient d'instruments peu normalisés, chantaient des poèmes souvent transmis par oral de génération en génération. Les partitions, très rares, recouraient à un solfège très rudimentaires (voir chronique Carmina Burana). 


Martin Best Ensemble

Martin Best a organisé cette anthologie titré Thys Yool en six parties reflétant six facettes de l'histoire de la Nativité… Je les traduit :

1 – Chantons notre joie en ce jour…

2 - Hiver et Wassail (breuvage de bienvenue)

3 – Un enfant est né

4 – Marie, reine du royaume céleste

5 – Fils de Marie, bonne volonté sur terre

6 - Renaissance

Le titre de chaque morceau, son origine historique et géographique sont indiqués dans le tableau, ainsi que l'auteur du texte ou du poète qui les a réunis. On pense à Bartok parcourant les campagnes et les villages de Hongrie dans le même but avec un phonographe 8 siècles plus tard…

Tous les textes sont chantés en anglais moderne. Martin Best a assuré la conception, les adaptations linguistiques et les arrangements instrumentaux.



Martin Best

Martin Best (né en 1942) a suivi une formation de chanteur, luthiste, guitariste et compositeur. Il a une passion pour les musiques anciennes, du Moyen-Âge à la Renaissance. Plutôt qu'aux musiques sacrées telles le plain-chant des monastères, il a redonné vie aux musiques plus profanes des troubadours et des ménestrels. Il est spécialiste de l'influence de cet art populaire dans les œuvres de Shakespeare.

Il a créé des ensembles nommés Martin Best Consort et Martin Best Medieval Ensemble, nous écouterons celui-ci aujourd'hui. En concert, les musiciens jouent en costumes d'époque pour recréer de manière divertissante l'ambiance dans les cours de la noblesse… Ainsi pour cet album sont réunis :

(pour les instruments anciens et bizarres, un lien renvoie vers un site web)

Martin Best : voix, luth et Psaltérion (de la famille des cithares)

Lucie Skeaping : voix, rebèque, violon.

David Corkhill : dulcimer, tambour, cloches.

Jeremy Barlow : cornemuse, flûtes à bec ou traversières.

Donna Dream : soprano.

Kristine Szulik : alto.

Angus smith : ténor.

Pour mes lecteurs passionnés, l'intégralité du livret avec les textes en anglais est lisible sur le site Discogs qui l'a scanné… (Clic)

Sinon le tableau sous la vidéo résume l'origine et fournit des titres traduits au mieux 😊.


Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. 



Préambule 1 : Martin Best a puisé abondamment textes et partitions dans l'incunable Piæ cantiones ecclesiasticæ cité dans le tableau. Il s'agit un recueil de chants en latin médiéval publiés en 1532. Ces chants sont des legs de la culture chrétienne suédoise et finnoise… On doit au suédois Theodoricus Petri Rutha de Nyland et au finlandais Petri Uusimaa la première publication en Allemagne vers 1560….

Préambule 2 : Gautier de Coincy (1177-1236) fut moine bénédictin et trouvère en langue d'oïl (Nord). On le considère comme premier grand poète (5000 vers) mais aussi comme auteur de Miracles, genre théâtral teinté de religiosité très en vogue pendant la guerre de cent ans notamment… 


Chantons notre joie en ce jour…

[1] Personent Hodie (Musique du 13ème siècle – Texte extrait de Piae Cantiones)

Hiver et Wassail (breuvage de bienvenue)

[2] Judas et Venceslas (13ème et 14ème siècle Pologne, extrait de Piae Cantiones)

[3] Hyer Matin (Gautier de Coincy – Soissons)

[4] Miri It Is (Cambrigeshire - 1225)

[5] Man Mei Longe (Angleterre - 1250)

[6] Thys Yool (Winchester - 1396)

[7] Tapster, Drynker (Angleterre - 1450)

[8] Ja Pour Hyver (Gautier de Coincy – Soissons)

Un enfant est né

[9] Gabriel, roi du Ciel (Angleterre – 13ème siècle)

[10] Chanson des bénédictines de Chester (1425)

[11] Je vous salue Marie pleine de grâce (Cambridge – 15ème siècle)

[12] Alors que j'étais allongé la nuit de Yooli (Angleterre – 1300-1350)

[13] Edi Be Thu (Angleterre – 1250-1300)

[14] Accouchement de la Vierge (Richard de Ledrede - Angleterre - 1320)

Marie, reine du royaume céleste

[15] O Virgo Splendens (Montserrat  – 14ème siècle)

[16] Loor De Santa Maria (galaïco-portugais - 14ème siècle)

[17] Polorum Regina (Montserrat  – 14ème siècle)

[18] Mariam Matrem (Montserrat  – 14ème siècle)

Fils de Marie, bonne volonté sur terre

[19] Je prie pour vous tous (Angleterre – 1350-1400)

[20] Il n'y a pas de rose (Cambrige – 1400-1450)

[21] Caligo Terrae Scinditur (Angleterre – 14ème siècle)

[22] Princeps Pacis (Angleterre – 15ème siècle)

Renaissance

[23] Mors Vitae propitae (France – 1200)