dimanche 30 novembre 2025

LES ZOMBIES DU BEST-OF


LUNDI : de la lecture avec Nema et ce beau roman « Vapore » de l’italien Marco Lodoli, qui jongle entre rêve, poésie et dureté des années de plomb, raconté dans le cadre calme et serein d’une villa entourée de champs.

MARDI : du cinoche sanglant et rigolo avec Pat, qui a revu pour nous « Shaun of the dead », la comédie-zombie de Edgar Wright (et son pote Simon Pegg) franche réussite adoubée par George A. Romero.

MERCREDI : Bruno a remisé pour un temps ses guitares pour un petit détour vers la pop progressive de Kate Bush, qui avait épaté son monde dès son « The kick inside », collection de pépites d'une pureté rare.


JEUDI : Benjamin a poursuivi son voyage dans le « Southern rock », s’intéressant notamment à Lynyrd Skynyrd, hélas rapidement décimé, mais aussi Outlaws et Blackfoot.

VENDREDI : on a vu « Les Aigles de la République » la charge politique de Tarik Saleh contre le régime égyptien, qui pourrait bien clore sa trilogie sur la corruption. Farce irrévérencieuse basculant dans le drame, du cinoche engagé et efficace.

👉 La semaine prochaine, ont confirmé leurs présences en renvoyant dûment rempli le bulletin prévu dans nos invitations, Jimi Hendrix en mode posthume, le maestro Karl Richter dans un disque légendaire consacré à J.S. Bach, et Jodie Foster dans un film français. On attend une autre confirmation pour mercredi… 


Et puis un dernier salut à Udo Kier, acteur allemand, 81 ans aux iris, dont le regard clair et perçant nous avaient effrayés dans quelques séries du genre Dracula & Frankenstein, mais pas que, un CV long comme le bras. Et puis à Jimmy Cliff, 81 ans au oinj, illustre auteur de "Many rivers to cross" et "The harder they come", et plus tard interprète de "Reggae night" et "I can see clearly".

vendredi 28 novembre 2025

LES AIGLES DE LA RÉPUBLIQUE DE Tarik Saleh (2025) par Luc B.


Après la corruption policière dans le formidable LE CAIRE CONFIDENTIEL (2017), les tambouilles politico-religieuses dans LA CONSPIRATION DU CAIRE (2022), voici l’opus qui pourrait clore une trilogie, LES AIGLES DE LA RÉPUBLIQUE, qui s’attaque au pouvoir en place, celui du très sympathique président Abdel Fattah al-Sissi. Inutile de préciser que Tarik Saleh n’a pas tourné en Egypte, mais en Turquie, ce qui n’est pas moins surprenant.

D’abord un superbe générique, sur fond de vieilles affiches de série B au technicolor flamboyant, genre OSS, et un beau plan en transparence vieillotte. Un homme et une femme en voiture joignent le bout de leurs cigarettes, comme un baiser de substitution. « Coupez ! » hurle le réalisateur. Nous sommes dans un studio de cinéma. La star George Fahmy et sa partenaire Rula achèvent le tournage de leur dernière production à succès. Dont le montage doit maintenant passer la censure, trois femmes voilées, visages chagrinés par tant de débauche…

Dans sa première partie, LES AIGLES DE LA RÉPUBLIQUE adopte un ton résolument léger, voire comique, irrévérencieux, avec le bagou du célèbre acteur George Fahmy, héros de la nation, fervent défenseur des valeurs morales, dont évidemment la vie privée n’a pas grand-chose à voir avec ses rôles. Comme lui dit son fils « pourquoi tes p’tites copines ont le même âge que les miennes ? ». La copine Donya est jouée par la délicieuse Lyna Khoudri (rôle peu étoffé) la star par le formidable Fares Fares (un cousin de Miou Miou ?) déjà dans les deux premiers opus.

Séquence hilarante lorsque Fahmy achète en douce du Viagra dans une pharmacie paumée (« C’est pour un ami... ») évidemment reconnu à la seconde par l’apothicaire qui réclame un selfie, et vante d’autres produits plus efficaces. Situation inextricable. Une fois la pilule bleue avalée, il se rend chez Donya, qui, mauvais timing, vient d’apprendre une triste nouvelle à propos de son père. Sanglots, câlins, elle se blottit contre Fahmy, s'effondre sur lui. On sent le bonhomme très mal à l’aise, tentant de contenir sa chimique érection ! Donya : « Mais tu bandes ? Je t’annonce que mon père est mort, et ça te fait bander ? » !

George Fahmy sera poliment invité à jouer le rôle du président Al-Sissi dans un biopic tout à sa grandeur. Comme dirait Don Corleone, c'est une proposition que vous ne pourrez pas refuser... Al-Sissi est aussi rondouillard, dégarni, court sur patte, que Fahmy tape son mètre 90 tout sec. Risible, mais malheureusement très sérieux. Le tournage est contrôlé par le docteur Mansour, exécuteur des basses œuvres, qu’on n'aimerait pas avoir pour ennemi, qui intervient pour corriger la moindre intonation d’une réplique. Situation insupportable pour l’acteur, mais on lui conseille de mettre son insolence et ses convictions en veilleuse. Dans une scène, on lui demande de rejoindre un comité pro-président. Il décline poliment : « Quelle drôle d'idée ! Dans ce pays tout le monde aime notre président, tout le monde est heureux, libre, vit bien et travaille... »   

Le film montre le rôle du cinéma dans la propagande d’état, l’engrenage de la corruption, la coercition, les aspects peu reluisants des gens de pouvoir, le donnant-donnant. Fahmy ne s’en rend pas compte encore, mais le spectateur voit bien le piège se refermer. Le ministre de l’intérieur accepte d’intervenir pour sortir de taule telle relation de Fahmy, mais en échange du 06 de Rula. La violence qui va éclater dans la seconde partie du film est en fait déjà présente, mais insidieuse, masquée par l’humour et les sarcasmes. Fahmy pense que sa popularité le protège, il ne saisit pas bien l'engrenage dans lequel il a mis les doigts. Mais avait-il le choix ? Ce con entreprend même de draguer la femme du ministre, jouée par la très belle et troublante Zineb Triki, découverte dans LE BUREAU DES LÉGENDES.

Avec une très belle texture d’image, qui renvoie aux années 60, et une mise en scène élégante, Tarik Saleh agence ses multiples personnages sur son échiquier (on s’y perd parfois) il mêle vaudeville et thriller politique. Mais à un moment, fini de rire, il faut montrer la réalité d’un tel régime. Et le film bascule, à l’occasion d’une cérémonie hommage où George Fahmy est invité à prononcer un discours devant le président et toute sa clique, les aigles de la République. On retrouve alors ce qui faisait le cinéma d’un Costa Gavras, un peu rentre-dedans mais pour la bonne cause. Voir la scène dans l’hélicoptère avec Mansour. Et de découvrir que dès le départ le jeu était pipé, filatures, écoutes, disparitions suspectes, toute la panoplie de la dictature.

Il faut voir LES AIGLES DE LA RÉPUBLIQUE comme une mascarade tragique, sans doute un brin démonstrative par moment. Tarik Saleh qui avait opté pour le refus du spectaculaire dans LA CONSPIRATION DU CAIRE, rendant un film très froid, semble se lâcher en sens inverse, et propose cette fois du spectacle. On objectera le manque d'épaisseur des rôles féminins, quelques intrigues secondaires qui auraient pu être coupées, ou mieux intégrées au récit.

Les deux autres films chroniqués ici : LE CAIRE CONFIDENTIEL  ; LA CONSPIRATION DU CAIRE



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jeudi 27 novembre 2025

LE SOUTHERN ROCK - part 2, par Benjamin


Ce furent de majestueux sanctuaires, des temples que le groupe bâtissait en souvenir de sa propre grandeur. Quelques semaines après la triste disparition de Duane Allman, une bataille rangée annonça la genèse percutante de sa relève. Face à face, les musiciens et les producteurs se toisèrent haineusement, bien décidés à imposer leur vision. 

Dans les rangs de Lynyrd Skynyrd, la musique était une beauté sacrée. Des mois durant, dans les bars les plus crasseux et devant les pires alcooliques, le groupe roda les morceaux qu’il allait enregistrer pour son label. Alors, lorsque les producteurs voulurent imposer leurs idées saugrenues, le ton monta au point qu’il fallut régler le différend par une bagarre. La bataille commença, les producteurs évitant toutefois de se mesurer à l’ours Van Zandt, dont les gros poings s’abattirent au hasard sur le premier malheureux venu.

Né de cette tension, l’album « Pronounced Lynyrd Skynyrd » célébra paradoxalement les fiançailles de la tradition musicale américaine et de la modernité anglaise. Fasciné par le groupe Free, le gang de Jacksonville multiplia les refrains qui sont autant d’hymnes de stade, dota le boogie blues des majestueuses dorures de la pop anglaise. Puis il y eut également et surtout « Free bird », grand crescendo lyrique explosant sur un chorus éblouissant. Devenant rapidement le titre le plus diffusé sur les radios américaines, « Free bird » plaça Lynyrd Skynyrd sur le toit du monde, actant ainsi le rapprochement entre le rock américain et la perfide Albion. 

Ce rapprochement engendra un petit mouvement de résistance, qui fut incarné par les bien nommés Outlaws. A la violence de l’Angleterre et à la trivialité du blues, le groupe préféra un country rock illuminé par la douceur des harmonies vocales inspirées du rêve Californien. Ainsi naquit un premier album incontournable et un live dont l’intensité virtuose et la profondeur patriotique n’ont rien à envier au « Live at Fillmore » des frères Allman. Malheureusement pour ces résistants, les grands albums de Lynyrd Skynyrd déclenchèrent un véritable raz de marée sudiste, une horde de ces américains anglophiles venant redorer le blason des terres du général Lee. 

Formé par Ritchee Medlocke, dont les ancêtres firent parties des fiers guerriers cheyennes, Blackfoot publia trois charges rock qui feraient passer la bataille de Little Big Horn pour une sympathique fête foraine. Si le blues s’inspira dès ses débuts des battements réguliers des locomotives, celle de Blackfoot fonçait tel un TGV en surchauffe. « Gimme, gimme, gimme », « Every man should now », « Wishin well », furent autant de riffs éruptifs portés par les rails d’une rythmique incandescente. 

Grace à cette violence mélodique, ces sudistes s’attirèrent les faveurs des hordes hard blues. Plus raffiné que Status Quo tout en se montrant moins excentrique que Led Zeppelin, la tribu de Medlocke permit au rock sudiste de devenir le refuge d’un néo blues en perte de repères. Le heavy blues et ses millions représenta une manne qu’un rock sudiste frappé par le drame ne tarda pas à exploiter.

Ce fut un triste jour d’automne 1977, Lynyrd Skynyrd s’embarqua dans l’avion devant le conduire à sa prochaine tournée triomphale. Le ciel fut gris comme une pierre tombale, mais le temps étonnement calme ne laissait rien deviner de la catastrophe qui allait advenir. L’avion décolla calmement, chaque musicien prenant ses aises, loin de se douter que ce vol le conduirait à la mort. Quelques minutes après que l’appareil ait atteint l’altitude où il devait avancer, un de ses réacteurs prit feu. Ne faisant que s’aggraver, l’incendie menaça rapidement l’équilibre de l’appareil, qui se mit à piquer du nez tel un canard touché par un tir de chevrotine. Les pilotes furent alors dans la pire situation qu’ils puissent imaginer, celle du conducteur tentant de rattraper les défaillances de son engin en marche. Ne contrôlant plus rien, les pilotes ne purent limiter la violence du crash, qui tua la majeure partie des passagers. 

Ce crash annonça la fin d’un certain âge d’or du rock sudiste, dont les héros survécurent en s’insérant dans les rangs du hard blues, avant de se compromettre dans la pop la plus sirupeuse. « Tomcattin », « Marauder » (Blackfoot), « Beatin the odds », « Take no prisoners » (Molly Hatchet), tous ces disques constituèrent le tonitruant chant du cygne d’un courant qui parvint à unir les traditionalismes des deux rives.

Purisme américain rehaussé par l’excentricité spectaculaire anglaise, la virtuosité de ce mouvement fut ensuite portée par le swing stonien des Black Crowes, la profondeur planante de Gov’t Mule et le country folk rock de Blackberry Smoke, symbole d’une terre fière de sa culture musicale. 



mercredi 26 novembre 2025

KATE BUSH " The Kick Inside " (1978), by Bruno



     Est-ce que les fées existent ? Sir Arthur Conan Doyle en était persuadé, tout comme son père Charles Altamont Doyle, qui en fit un sujet de prédilection pour ses peintures. Esquissant parfois suivant les souvenirs de ses propres expériences – quand même, il paraît que le père Doyle ne buvait pas que de l'eau. Plus généralement, pour les gens de la campagne (profonde), c'était une évidence. Comme l'existence d'autres curieuses entités qu'il ne valait mieux ne pas contrarier. Mais depuis les temps ont changé, et, entre le cinéma et la télévision l'imaginaire n'a plus à être stimulé. Les réalisateurs le font dorénavant à la place des gens, imposant leurs rêves et leurs cauchemars à une foule perméable. Le bruit et la fureur urbaines quasi permanentes ont également contribué à se détacher du « monde de la nature ». Désormais, en général, les gens craignent le silence, et appréhendent la possibilité de se perdre dans la nature profonde, à l'abri du tumulte. À l'heure de l'internet et du téléphone en permanence, disponibles à tout instant et en tout lieu, le décrochement n'a fait que s'amplifier. - mais pourquoi donc les masses de touristes, qui s'empressent de quitter des villes qu'ils jugent aliénantes et bruyantes, ont un besoin viscéral de faire du tapage pour avoir l'impression d'exister ? -. Alors, forcément, depuis le vingtième siècle, depuis l'expansion tentaculaire de l'industrie, il est plus que jamais difficile de faire leur rencontre.

     Et pourtant, il y a maintenant plus de quarante ans, il y en a une qui s'est dévoilée au monde. Probablement, de façon bien naïve, dans l'espoir de le rendre un tant soit peu meilleur, moins sombre. De donner un peu de chaleur aux pauvres hères. Cependant, bien que charmés, rares sont ceux qui reconnurent en elle son essence. Une essence qui doit toucher à la divinité, sinon à des mondes parallèles oubliés. Comment pourrait-il en être autrement quand une jeune fille qui n'a encore rien enregistré, dont l'expérience scénique est des plus limitée (une demi-douzaine de prestations dans des clubs où la clientèle est plus attirée par la bibine que par la musique), parvient à se faire remarquer entre le début du déclin du punk et l'émergence de la NWOBHM ? Alors que sa musique est plutôt en opposition avec ces deux mouvements bercés par des décibels, de la fureur, des guitares crépitantes et des cris de rage, elle réussit à séduire même les plus rustres.


     Déjà, avant la parution de son premier album en février 1978, et de son premier « 45 tours » en janvier de la même année, suite à l'indiscrétion d'une radio qui décida de passer (en dépit des recommandations d'EMI) leur exemplaire de ce single, elle affola les ondes. Et le standard de la radio indocile fut assailli d'appels. La chanson, « Wuthering Heights », dont la clarté et les arrangements détonent singulièrement avec les tendances musicales populaires de cet hiver 1977, fait déjà parler d'elle avant même d'être commercialisée. Rapidement, elle va conquérir les ondes et traverser les océans. La jeune Catherine Bush n'a pas encore vingt ans, n'est encore jamais partie en tournée, ni fait de télévision, quand le succès se saisit d'elle. Tellement qu'elle en sera effrayée. Elle qui n'avait en tête que de réaliser un disque, d'enregistrer sa musique comme elle la concevait. Évidemment, avec l'espoir qu'on l'apprécierait, mais elle n'avait pas la prétention de faire un tel éclat.

     David Gilmour décelât immédiatement son potentiel lorsqu'il écouta, en 1973, une démo de cette jeune fille, alors âgée de quinze ans. À tel point qu'il se rendit chez ses parents pour rencontrer le phénomène et l'écouter (en direct live). Pourtant, les maisons de disques, elles, n'y sont aucunement sensibles. Il faudra attendre que Gilmour, las de la surdité des labels, décide en 1975 de financer lui-même une session d'enregistrement, avec des professionnels, et qu'il remette lui-même à un ponte d'EMI le fruit de cette session. Cette fois-ci, la réponse ne se fait pas (trop) attendre et miss Bush obtient son premier contrat (début 1976). Cependant, plutôt que se précipiter, EMI propose à la jeune artiste de s’affûter avant de débuter le moindre enregistrement. On a peine à croire qu'un label ne cherche pas à rentabiliser plus tôt son investissement, d'autant qu'il lui verse en guise d'avance une somme rondelette (pour l'époque). Il fallait bien que les huiles de la boîte soient sûres de leur coup, mais l'appui permanent de Gilmour n'y est certainement pas pour rien.

     Visiblement, tout laisse à croire que des entités de l'ombre, ou plutôt de la lumière, ourdissaient pour que cette musique inonde le monde de ses saines vibrations. Serait-ce le pouvoir des fées... 😉

     L'album est une petite constellation de pépites d'une pureté rare. Des morceaux étranges et charmants, charriant des flots d'onirisme, de poésie, de progressif, de rock, d'innocence et de candeur. Des décennies plus tard, ce premier album n'a rien perdu de sa fraîcheur ou de son originalité. Une merveille inclassable. D'entrée, avec "Moving", invité par cette voix de soprano d'une expressivité rare, on entre dans un monde à part ; un univers parallèle propice aux contes et légendes. L'orchestration est toute en retenue, n'étant là que pour soutenir le piano et la voix, les voix, de la damoiselle. Orchestration à peine plus copieuse pour "The Saxophone Song", alternant avec des passages plus chaloupés et des courtes envolées de saxo jazzy.  Mais plus franchement rock sur "James and the Cold Gun", où l'on sent la marque d'un glam-rock arty à la Roxy Music. Tandis que le magnifique "Them Heavy People" déstructure le reggae pour en faire quelque chose de plus léger, pop. Sur un air détaché, miss Bush dévoile un besoin de spiritualité, une quête de vérité qui transparaîtra régulièrement sur ses compositions futures. "ils ouvrent des portes que je pensais vraiment fermées. Ils m'ont lu Gurdjieff et Jésus. Ils construisent mon corps, me brisent émotionnellement ; ça me tue presque, mais quelle belle sensation. J'adore le tournoiement des derviches. J'aime la beauté d'une rare innocence. ". "Kite" joue également avec le reggae pour l'entraîner autre part, le teindre légèrement d'une couche progressif. "Viens et sois un cerf-volant. Belzébuth me fait mal au ventre..." 🥵 Shocking. La miss, bien que de réputation timide, ne semble pas avoir froid aux yeux pour parler de sexualité, comme l'atteste aussi le charmant "Feel It", dont le texte aurait très pu être intégré à une chanson de Whitesnake 😉


   Cependant, c'est bien lorsque l'orchestre se fait plus modeste, (relativement) feutré, mesuré, que le talent de la jeune Kate Bush irradie, illumine les nuits sans lune et ravive les cœurs.

     Avec "Strange Phenomena", où elle parle des cycles féminins comme d'un pouvoir lunaire et insère le mantra de la compassion du bouddhisme, on est projeté dans un lieu  lumineux et féerique. Endroit secret du petit peuple de la forêt, où les conflits et la malveillance semblent honnis des mœurs et du langage. Tandis que sur "L'Amour Looks Something Like You", elle chante comme le ferait un oiseau céleste babillant à la gloire du renouveau, de l'éclosion  du printemps. "Oh To Be in Love", qui démontre le talent, la maîtrise précoce de la composition de Kate, avec une première partie intimiste, où seuls résonnent son piano et sa voix, suivi d'une lente progression où se greffent d'autres instruments, jusqu'à la troisième partie plus enlevée, mais toujours empreinte de délicatesse -, avec l'appui de chœurs masculins, tranchant avec sa voix haut perchée.

     Seul "The Kick Inside", inspiré de la ballade classique "Fair Lizzie" (également nommée "Lizie Wan"), obscurcit les cieux avec son histoire d'inceste, où le frère tue sa sœur enceinte, avant de disparaitre à jamais.

     Et puis... et puis il y a cette chanson... cette chanson qui, en dépit des ans et de son dépouillement, des innombrables écoutes, me file à chaque fois des frissons : "The Man With a Child in his Eyes". Mais pourquoi donc est-elle si courte ? C'est pour que tu la réécoutes plus souvent, mon enfant. Dans le but de l'enrichir, le producteur, Andrew Powell, s'est échiné a essayer différentes recettes sur cette chanson. Finalement, rien n'y faisait, sinon de l'étouffer, de la souiller. Résigné, il revint simplement à la première version de 1975, celle avec David Gilmour. Celle où Kate n'avait pas encore atteint sa dix-septième année. Et aussi, évidemment, l'incontournable succès international : « Wuthering Heights ». Oui, oui, inspiré par les "Hauts de Hurlevent" d'Emily Brontë, mais initialement par la sérié télévisée. La miss ne lira le livre qu'un plus tard. À la fois étrange et charmant, éblouissant et magique, véritable chant de sirène, hypnotique et captivant.

     Aujourd'hui, on qualifiera prestement cet album de foncièrement féministe, mais Kate, elle, ingénue, ne fait que livrer, simplement et avec candeur, ce qu'elle ressent. Avec ses doutes et ses interrogations. Sa sincérité touchante et la qualité de ses compositions font qu'avec cet album, elle devient la première Britannique autrice, compositrice, musicienne et interprète à gravir aussi facilement les marches abruptes du succès. Jusqu'à se placer, à vingt ans, au sommet. Cela en dépit de quelques articles condescendants et d'interviews déplacées s'intéressant plus à la plastique et à la sexualité de la demoiselle - y'a des cuistres partout

     Indubitablement, Kate Bush est une grande dame. Ou une fée ? Ou une sirène ? Quelle qu'elle soit, c'est une femme de caractère, qui va mener comme elle l'entend sa carrière, sans compromissions, en assumant ses choix et ses erreurs. 




🎶🌸👀
Autre article / Kate BUSH  👉  " 50 Words For Snow " (2011)