Sonia a accompagné Madame Portillon rue des Lozaits à Villejuif et
elle s’interroge sur les noms des rues :
-Rue des Lozaits, c’est bizarre ce nom de rue, tu ne trouves
pas ?
-Disons que par rapport à la majorité des rues de Villejuif qui font
référence au communisme comme la rue Youri Gagarine, ce nom est plus
original, répond Nema. Je ne sais pas d’où cela vient.
-Nous, au moins, c’est facile et je trouve cela très chic, dit en riant
Sonia : on habite rue Pascal, Pascal le mathématicien et
philosophe !
-C’est sûr, c’est mieux que d’habiter rue Panse-bougre rétorque Nema en
rigolant.
-???
La rue Panse-bougre est une rue
de Paris. Rue imaginaire dans un XVème arrondissement parisien
fictif qui sent bon les années 50 du siècle passé. Le titre du roman est
donc le nom du lieu où toute l’action se déroule. Le personnage principal,
narrateur à la première personne des évènements, est un écrivain. Il
plonge rue Panse-bougre avec
délectation comme dans son petit univers, son « écosystème » comme
on dirait aujourd’hui 😊. Peut-être ressemble-t-il à
Jacques Faizant ? La femme de notre héros, Eve et ses deux fils
Patrice et Michel tiendront dans l’histoire des rôles non
négligeables.
Le XVème était encore populaire à l’époque et dans cette rue, on
trouve tout : une mercerie, une banque, une boulangerie-pâtisserie,
deux cafés, un hôtel… des habitants qui se connaissent et des potins qui
circulent plus vite que dans les réseaux sociaux. La meilleure source
d’information étant Madame Gilet, concierge de son état mais
également femme de ménage, notamment chez le narrateur de cette
extraordinaire histoire d’amour. Car il s’agit d’une histoire d’amour. Digne
de Shakespeare. Enfin presque.
Doisneau - Paris 1950
Les personnages sont gratifiés d’une gentille représentation en pied, avec
leur nom en dessous, au début du roman. On a ainsi Bernard,
l’amoureux qui tient un bouquet de fleurs et Hélène l’amoureuse (dont
le nez est tordu mais cela ne se voit pas trop) qui tient une baguette en
bonne fille du boulanger Boutereux, homme ronchon, représenté en
marcel, avec un béret et la cigarette au bec. Et on a une image d’une
Madame Gilet avec son balai de paille de riz, son tablier et ses
savates, qui semble faire la leçon un doigt levé… Et Quervellec le
flic, l’air perplexe, en uniforme avec son képi sur la tête…
À noter que d’autres dessins émaillent le roman, avec une petite légende,
permettant de bien se figurer l’état des réflexions des personnages. Au
fait, pourquoi un flic ? Ah oui, personnage indispensable car il se
passe des choses hallucinantes dans cette rue : un gang a des idées
loufoques pour organiser un cambriolage de banque, une chasse aux fauves est
organisée de nuit, on crie, on complote, on boit un peu trop au bistrot…
bref ambiance, ambiance style cinéma des comédies des années 50, comme par
exemple celles avec Bourvil.
Bernard Sergent aime Hélène Boutereux mais les deux
tourtereaux sont très jeunes : Hélène n’est même pas majeure
(majorité à 21 ans à l’époque). Et Madame Sergent, veuve d’un
adjudant-chef, n’imagine pas pour son fils une telle union. En plus
Hélène a le nez de travers. Toute la rue est au courant de ce drame.
Il y a ceux et celles qui sont pour laisser les jeunes gens vivre leur amour
et ceux qui sont contre. Les opposants sont : la bande de copine de
Madame Sergent et surtout des cousins à elle, un couple aux idées
psychorigides comme les siennes et dont la fille se croit tout simplement
destinée à Bernard. Il y a une scène poilante chez
Madame Sergent avec des quiproquos avec un fumiste venu réparer le
poêle à charbon.
Les gamins ont formé une bande, la bande des « Machiavélisques (sans faute
d'orthographe 😀)
du XVème ». Le Chef Machia, Claude Flanchet, a 14 ans.
Patrice et Michel font partie de la bande, tout comme
pratiquement tous les garçons de la rue entre 9 et 14 ans semble-t-il. Le
Chef Machia a une imagination débordante pour élaborer des plans
compliqués conduisant à des agissements répréhensibles, mais pour une bonne
cause. Le narrateur se trouve parfois confronté à des situations qui le
mettent en porte-à-faux face à Quervellec à cause du bouillonnant
cerveau du Chef Machia et de la participation de ses fils à ces
bouffonneries.
Petite touche d’exotisme grâce à Sabourot, l’ancien des colonies, un
peu vicelard et très imbibé qui n’est pas un mauvais bougre mais qui sème
quand même une sacrée pagaille dans la rue. Il y a aussi un ancien artiste
de music-hall, Emile, son numéro, son succès, son déclin et peut-être
sa remontée sur scène ? Une ancienne prostituée sera aussi de la
partie. Un personnage intéressant que le docteur Rincelet, derrière
un côté strict et raisonnable, se cache un joyeux drille. Tout le monde le
connait, il fait des visites à domicile, et il va avoir à gérer des
situations, disons, atypiques.
Petit clin d’œil sur la finance locale avec le directeur de la banque
Monsieur Espagnolet, ses principes et finalement sa gentillesse.
Toujours côté finances, une allusion ou deux au bon sens des femmes qui
savent tenir un budget pour le bien de la maisonnée, illustration de la
place de la femme au foyer à cette époque 😊. L’histoire se terminera
bien, avec curieusement l’apparition d’une gentille petite vieille sortie
d’on ne sait où, à qui il est demandé si elle n’est pas choquée par les
gamineries de certains adultes anciens amis d’enfance : « Pas tant que ça : dans ma jeunesse j’étais la chef(fe) des
Ravageuses de Sainte Clothilde… ». Alors justes bonnes à rester à la maison les femmes ? Ah les
petites vieilles de Jacques Faizant, quels caractères !
Jacques Faizant, 1918-2006, était un dessinateur humoristique, un
chroniqueur mais aussi un romancier. Ses caricatures ont largement contribué
à donner à la vie politique une connotation dérisoire et sa Marianne,
avec son impertinent petit nez retroussé se permettait bien des critiques,
gentilles mais piquantes. Il nous a également laissé de charmantes vieilles
dames au verbe acide et à l’aplomb digne de leurs larges robes noires d’où
dépassent des jambes fines comme un fil et prolongées par des talons
aiguilles. Les vieux messieurs n'ont qu’à se soumettre docilement…
LUNDI : Claude Toon débute la nécrologie chargée de la semaine. Hommage au
maestro "Roger Norrington" décédé à 91 ans et alter ego de Nikolaus Harnoncourt en Angleterre
voire tous les Pays. Il participe avec une énergie rare à redonner les
couleurs instrumentales authentiques de la période du classique au
romantisme. Claude revient sur la longue carrière et propose un florilège
d'enregistrements cultes (Haydn, Schumann, Beethoven, Wagner, Weber, etc., le hit du romantisme.)
MARDI : Pat Slade a pris sa trousse de chirurgien et a remonté le temps en
1951 pour rejoindre en Corée une bande de dingues du scalpel et du
sexe lors du conflits nord/sud. Chef-d'œuvre d'humour noir décalé, on
retrouve les poilants, barrés et cyniques Donal Sutherland, Robert Duvall, Elliot Gould
et l'infirmière psychorigide Sally Kellerman
(enfin pas si coincée au point d'être surnommée "lèvres en feu" 🗢). Ah oui : on parle de MASH, film de Robert Altman de 1971.
MERCREDI : Bruno reprend la plume de Claude pour compléter la nécrologie de la
semaine. Le chanteur Ozzy Osborne, chantre du heavy-rock (appellation qu'il a choisi) est arrivé au bout
de ses forces après une carrière rocambolesque, notamment avec le groupe : Black Sabbath. Notre rédacteur dresse un portrait aussi détaillé de ce personnage
mythique qu'une chronique Wagner de Claude. 76 ans, pas mal en regard de
son régime à base d'extravagances et de stupéfiants variés à gogo.
JEUDI : Claude rend justice à la 1ère symphonie de Rachmaninov. 1895-1897, le jeune compositeur ose écrire sa première grande œuvre
orchestrale. La création est un martyre, le maestro Glazounov
est bourré, l'interprétation un désastre. Le médiocre critique César Cui massacre l'œuvre. Serge
égare la partition, déprime sans composer pendant trois ans… 1944, on
exhume les manuscrits et on redonne vie à l'une des plus belles symphonies
du postromantisme moderne russe. Au pupitre : Yannick Nézet-Séguin
en grande forme !
VENDREDI : Avec Luc, lecture : "Tokyo Vice" oules mémoires du journaliste
Jake Adelstein, en poste au Japon pour le Yomiuri shinbun
(quotidien vendu à 15 millions d'exemplaires, un record mondial) puis
divers services policiers. Il plongera dans la pire noirceur de la société
nipponne : le crime organisé, prostitution, trafic d'être humains,
extorsion de fond, la criminalité planétaire…. Particularités, les
"Yakusas" et chefs de gangs travaillent en chevilles avec la police !!! Publié en 2016, puis tourné pour la TV par Michael Mann… en 2022.
👉 On se revoit lundi avec un roman parisien et hilarant de Jacques Faizant (rue Panse-Bougre), puis AC/DC et l'album Back in Black, le
billet secret de Bruno qui désormais cache ses brouillons dans un coffre
à combinaison quantique, l'épisode 4 du progressif conté par Benjamin
(Pink Floyd semble-t-il) et enfin le livre de
Philippe Jaenada "La petite femelle"…
Je ne
supporte pas l’expression « ça se lit comme un thriller », souvent
imprimée en quatrième de couverture à propos de tout et de rien. TOKYO VICE,
lui, se lit vraiment comme un thriller, parce qu’il est écrit ainsi, à la
manière d’un roman noir, à la première personne. Je suis tombé dans le panneau, persuadé qu’il s’agissait
d’un polar, trompée par l'adaptation télé produite par Michael Mann en 2022.
Premiers mots : « Vous supprimez cet article, ou c’est vous qu’on
supprime, et peut être bien votre famille aussi ». Le journaliste menacé, Jake Adelstein, n’en
mène pas large face à ce yakusa, éminence grise du Yamaguchi-gumi, la plus
grande organisation mafieuse du Japon. Son tort est d’enquêter sur le
parrain Tadamasa Goto, qui pourtant inscrit sur une liste noire, est parvenu à
entrer aux USA pour une greffe de foie (en 2001), a payé pour cela un million
de dollars, qui a transité via des casinos de Las Vegas. Forcément, ça titille l'enquêteur.
L’auteur laisse la scène en suspens, puis flashback en 1992, où
il revient sur son arrivée au Japon et ses débuts dans le journalisme. TOKYO
VICE n’est pas un roman, mais un livre de souvenirs, des mémoires, sauf que l’auteur
adopte un style narratif romancé, on y retrouve tout ce qui fait un bon roman
noir, les enquêtes, les flics, les truands, une plongée dans un milieu, l’étude
d’une société, de sa face cachée.
Adelstein est américain et juif. Cette
précision parce qu’au Japon, il sera sans cesse ramené à ses origines, c’est un
gaijin, un étranger, juif de surcroit, on s’en étonne, car on pensait qu’ils
étaient tous morts pendant la guerre. Adelstein choisit de faire ses études de
journalisme sur place, un cursus différent qu’en occident, il apprend le japonais. A la fin de son
cycle il intègre le "Yomiuri Shinbun" (13 millions de lecteurs) l’adaptation n’est pas aisée. Lors de ses enquêtes, à chaque fois qu’il sonne chez quelqu’un, se
présentant comme appartenant au "Yomiuri Shinbun" on lui ferme la porte au nez : « Non merci, je suis déjà abonné » !
Jake
Adelstein va mettre des années à se faire accepter, respecter. Au "Yomiuri
Shinbun", il travaille à la rubrique faits divers, crimes, plusieurs années
plus tard aux mœurs, la prostitution, puis le crime organisé, et spécialement le
trafic d’être humains. Au Japon, les rédactions des services crimes sont
implantées au QG de la police. Imaginez les cellules police
& justice de "Libé" ou du "Figaro" installées au (feu) 36 quai des Orfèvres ! Flics et journalistes travaillent ensemble, on se refile les infos, on ne garde rien pour soi. Adelstein va apprendre comment tresser et entretenir son réseau d’informateurs, chez les policiers ou les truands. En ayant de jolies intentions, faire des cadeaux,
connaitre les dates d’anniversaire des gamins, leur apporter des glaces, couvrir de fleurs les
épouses… Personne n'est dupe, chacun joue le jeu, question de respect. Ainsi se construit une belle amitié entre lui et Sekiguchi, flic de la
crim’ réputé.
[quartier de Kabukicho] Le monde des policiers et des yakusas sont intimement liés. On
agit dans les règles, le respect. Pas de descentes de police inopinées à
6h du mat. On prévient quelques jours avant, on informe du motif, les truands accusent
réception. Quand les policiers arrivent, tout est prêt, y’a plus qu’à repartir
avec les cartons de pièces à conviction dument préparées… Les yakusas ont
pignon sur rue, on sait qui ils sont, leurs activités, dans quelles sociétés
ils ont des parts leur permettant de contrôler de vastes pans de l’économie.
Dans l’Histoire de France, on parlait des trois ordres : la noblesse, le
clergé, le tiers-état. Au japon, il faut rajouter la pègre.
TOKYO
VICE nous plonge dans la société japonaise, ses us et coutumes (le
manuel du suicide, scène hallucinante du gamin qui s’électrocute en laissant un
mot : « ne touchez pas à mon cadavre avant de couper le jus » le tact, toujours le tact...),
ses perversions surtout. Pendant des années Adelstein a parcouru le monde de la
nuit, les bars à hôtesses du quartier chaud de Tokyo,Kabukicho. Les tentations sont nombreuses, il n'y résiste pas toujours.
[Tadamasa Goto =>]Il a sorti des
scoops, en a ratés de peu aussi. Il a enquêté sur des disparitions (le chenil de
Saitama) qui ont révélé un meurtrier en série, sur Lucie Blackman,une anglaise disparue, victime d'un violeur fétichiste retors, il a cerné les activités de l’empereur des Vautours, Susumu Kajiyama, spécialiste de l’extorsion
de fond.
C’est en fréquentant des années durant les maquereaux, les escrocs, les prostituées, et en suivant le parcours de l’argent, qu’il va tirer
les fils d’une vaste organisation de trafic d’humains, des jeunes femmes
étrangères en quête d’un petit boulot, attirées à coup de promesses et de billets d'avion offerts, puis exploitées comme esclaves sexuels. Et cette histoire de greffés du foie, particulièrement sensible, dangereuse, quand on s'approche de trop près à Tadamasa Goto.
Comme dans tout bon roman noir, le détective
journaliste fume comme un pompier (des clopes aux clous de girofles), boit comme
un trou, fréquente les filles des bas-fonds, rentre chez lui à 5h du mat’, dort dans son
bureau ou sur le canapé du salon, met en péril sa famille, se fait menacer,
tabasser…
Jake Adelstein marche dans les pas d’un Tom Wolfe, un récit journalistique
à la première personne, il informe autant qu’il se met à nu.
- Voyons Claude… Humm, une seule symphonie de Rachmaninov en quinze ans
de blog, la deuxième ! Il est vrai que vu de ma fenêtre, le compositeur
russe me fait songer plutôt à un pianiste virtuose qu'à un
orchestrateur, notamment les concertos ou le piano s'impose
somptueusement. Quoique tu as présenté des ouvrages symphoniques aussi,
et…
- Stop Sonia ! Stooop ! Je n'ai encore jamais proposé l'écoute de
pièces pour piano seul. Ça viendra. Les Concertos 2 et 3, les plus
célèbres, Pat ayant présenté le 1. Côté symphonique, un poème
symphonique, l'ile des morts et les danses symphoniques et surtout la
deuxième symphonie, œuvre majeure du postromantisme russe. Enfin, les
suites pour deux pianos…
- Ah oui, en fait, 9 chroniques… Elle a eu du succès cette symphonie
?
- Ah mon dieu ! Jamais l'expression œuvre maudite
n'a pris autant son sens. La création fut un désastre, les critiques
ignobles. Serge déchira la partition et déprima grave pendant quatre
ans…
- Waouh… mais alors comment peut-on l'écouter de nos jours ?
- Ah ah, je vais expliquer cela…
Yuja Wang
Pour une biographie résumée de Rachmaninov, je renvoie mes chers lecteurs à la chronique consacrée au
3ème concertopour piano(Clic). Cette œuvre terriblement complexe et virtuose, sans doute le plus grand
défi pour les pianistes, date de 1909. Elle réunit tout ce qu'il
est techniquement possible de jouer avec le clavier, elle dure 35 minutes
et les artistes admettent qu'ils terminent l'exécution épuisés… Pour ceux
qui douteraient de cette unanimité, je vous invite à regarder notre chère
YujaWang
dans son interprétation à Verbier. Pourtant infatigable et athlétique,
Yuja
se lève groggy après la folie du final pour gagner les coulisses et sans
doute boire 1 litre d'eau… (Non Pat, pas du saké !) En général
Yuja
salut généreusement, rigolarde 😊. Elle a dû néanmoins revenir pour
plusieurs bis…
Tout comme
Liszt,
Rachmaninov
atteint du syndrome de Marfan (1,98 m sous la toise et des mains
permettant des écarts de 13ème) soumettait ses futures victimes
du clavier à rude épreuve ; de nos jours
Lang Lang
détient la palme avec des accords de 12ème.
Yuja, 1m55, compense par une élasticité tactile exceptionnelle, fréquente
chez les jeunes femmes asiatiques, et surtout une vélocité et une
précision diabolique de son jeu… Son illustre aînée portugaise,
Maria João Pires, elle aussi de petite taille, n'a jamais pu jouer officiellement ces
deux compositeurs… à son grand regret a-t-elle avoué en interview. Oui,
mais n'est-elle pas divine dans
Mozart
et
Chopin
?
- heu dis Claude, on ne doit pas parler symphonie ? Tu as le démon de
midi pour la jolie pékinoise ? hihi…
- Oui et non, j'y viens… Cette intro souligne que Rachmaninov n'est en
rien un romantique tardif composant pour un clan de pianistes acrobates.
L'exaltation mélodique et la fougue du touché nourrissent l'originalité
de son art, tout comme son attachement à la culture slave. Dans ce sens,
il cultivera tôt son propre modernisme et cela lui coutera cher lors de
la création de sa première symphonie…
Rachmaninov en 1897
Petit guide sur
Rachmaninov
depuis sa naissance en 1873 et le désastre immérité de sa
1ère symphonie
en 1897 ! Le pays est "évidemment entre deux guerres", notamment
dans les Balkans. Bismarck, pour priver toute alliance de la France
vaincue de 1870 propose "L'Entente des trois empereurs" de
1872, soit une alliance militaire entre
Guillaume 1er, roi de Prusse et Empereur allemand,
François-Joseph 1er, Empereur Austro-Hongrois et Alexandre II, Tsar de Russie.
Concorde fragile suivie de nouvelles donnes en 1875, 1879, 1881, 1882,
1887, accords à géométrie variable incluant parfois le concours de la
Reine Victoria…
Cette partie d'échec chronique entre monarques absolutistes, bedonnants
et sur-emmédaillés conduira à l'hécatombe de 1914… Et tu vois
Sonia, pendant ce temps l'occident développe la révolution industrielle et
l'exploitation de la main d'œuvre, tandis que la Russie sort timidement du
moyen-âge. Il n'y a que 600 000 ouvriers vers 1860 pour 60
millions de russes. La paysannerie ne verra le servage disparaitre qu'en
1862. Les jacqueries sont nombreuses malgré quelques efforts de
modernisation des institutions à mettre au crédit
d'Alexandre II.
Ce Tsar assassiné en 1881 laisse le trône à
Alexandre III nettement plus réactionnaire. Ah c'est peu dire…
abolition de l'éducation et du système judiciaire réel hérités de son
père, etc. La suite : la révolution de 1905 lancée par les 97
millions de paysans rejoints par les ouvriers, l'armée écrasant la révolte
dans un bain de sang pour sauver le trône de Nicolas II. Une
défaite populaire qui déroule graduellement le tapis rouge (sans jeu de
mot) pour la révolution bolchévique de 1917. Voilà dans quel climat
socio-politique chaotique le jeune
Serge
grandira et débutera sa carrière…
Il n'y a pas que dans son organisation sociale que la Russie du XIXème
siècle apparait arriérée face à l'occident qui a connu le siècle des
lumières et des révolutions. Comme expliqué dans la chronique dédiée aux
suites pour deux pianos, hormis en littérature dont les spécialistes parlent de l'âge d'or
(Pouchkine, Dostoïevski, Gogol, Tolstoï…), la
culture artistique accuse un retard notable. Il faut attendre le milieu du
siècle et l'énergie d'un
Glinka
suivi du génial
Tchaïkovski
pour voir naitre une école musicale nationale russe. Si
Tchaïkovski
adopte les modes de l'art romantique allemand,
le groupe des cinq
sous la houlette de
Rimski-Korsakov(Clic)
composent en suivant l'influence de la tradition orthodoxe et slave. (Borodine
et Moussorgski
en sont des membres éminents, les autres… heu on va voir.)
De petite noblesse la famille
Rachmaninov
vit son crépuscule. Son père, joueur invétéré, irascible et dépensier,
dilapide le patrimoine familial et son épouse Lioubov est certes
une mégère mais repère les talents de son fils et lui offre quelques
leçons données à domicile par
Anna Ornazkaïa, une proche du virtuose
Anton Rubinstein. En 1883 sa sœur aînée Yelena meurt, une épreuve
terrible pour l'émotif
Serge. Ses parents se séparent en 1885. Le jeune Serge surmontera ces drames grâce à Sofia Boutakova, sa grand-mère,
venue soutenir son petit-fils et surtout, lui faire découvrir la musique
orthodoxe.
Anna Ornazkaïa
jouera de son influence pour que l'adolescent intègre de 1885 à
1889 le conservatoire de Moscou. Après une année de conflit
idéologique avec son professeur très exigeant
Nikolaï Zverev, il retourne au conservatoire jusqu'en 1892. (Le maître estimait
que pianiste professionnel et compositeur sont des métiers incompatibles !
😳).
En janvier, j'avais déjà évoqué plus en détails ces années
d'apprentissage…
César Cui (1835-1918) - Cuicui 🐦🐦
Dans tout récit il y a "le méchant". À gauche, vautré dans son fauteuil,
sapé en militaire (spécialiste en fortification), "imbu de lui-même à l'évidence" d'après Nema qui, de passage, est venue faire la bise, voici
César Cui. Né en 1835, petit compositeur d'œuvrettes de chambre et d'opéras
oubliés et critique féroce et prolixe, il sera le bourreau de
Rachmaninov.
Ô chaque pays doit subir un temps un personnage de ce genre, sans talent
mais à la langue fourchue. Rappelons-nous le sinistre
Eduard Hanslick qui, hormis lécher les bottes à
Brahms, traîner dans la boue
Wagner
et
Bruckner, ne composa rien, pas une note…
César Cui
n'aime pas tout ce qui a été composé avant
Beethoven
: soit le baroque,
Mozart,
Haydn
et les autres… Brièvement, il n'a d'estime que pour la musique de ses potes
du groupe des cinq (pourtant, il faut le dire, leurs œuvres présentent des
faiblesses formelles bien pardonnables chez ces hommes qui sont tous des
pionniers passionnés et autodidactes reconvertis…
Borodine
était chimiste 💣
Rimski-Korsakov
marin ⚓). Il dénigrera
Boris Godounov
de Moussorgski, chef-d'œuvre lyrique incontesté ! Il vilipende Tchaïkovski
et d'autres qui ne sont pas du sérail… Exception :
Liszt
et
Berlioz
(ouf !). Quant à
Wagner, oui, il apprécie le sens du drame, mais il prétend qu'il faudrait tout
réécrire sans les leitmotivs… On n'ose y croire. Il ne composera aucune
symphonie…
Je me calme… dans son œuvre, tout n'est pas à jeter, je vais réfléchir à
une possible chronique… "Là est le rôle du musicologue et du critique scrupuleux" ajoute Nema…
Avant d'affronter l'incontournable épreuve de la composition d'une
symphonie,
Rachmaninov
a déjà intensément composé depuis la fin de ses études. Citons les plus
remarquables réussites : le
1er concerto
de 1890 créé en 1892 par lui-même au piano et accompagné par
Vassili Safonov, musicien et politicien de renom. Le succès sera modeste mais vers
1917, le compositeur apportera des retouches, ce qu'il fera souvent
dans ses œuvres… Ajoutons quelques
poèmes symphoniques
hélas perdus sauf "le Rocher", un
quatuor à cordes
en 1888, le
1er trio élégiaque
en 1892 et diverses pièces pour piano. Un petit détail, en
1890, encore étudiant,
Rachmaninov
avait couché sur le papier un premier mouvement de symphonie, une dizaine
de minutes gravées par
Leonard Slatkin
(toujours lui.) Contrairement au romantisme allemand et malgré l'apport
imposant du
cycle des six symphonies
et de
Manfred
de
Tchaïkovski, les russes n'ont pas une grande expérience dans l'écriture de
symphonies, exercice difficile dans la recherche du fil conducteur et de
la cohérence stylistique.
Alexander Glazounov (1865-1936) 🍷🍷🍷
Le projet de mettre en chantier sa symphonie date de fin 1894.
Rachmaninov
la composera entre janvier et octobre 1895. Sa correspondance
montre qu'il en a bavé des ronds de chapeau si je puis me permettre cette
locution argotique. Pourtant compositeur rapide, c'est long et il en
souffre, travaillant dix heures chaque jour.
Tchaïkovski
mort depuis deux ans ne peut pas le conseiller si tant est qu'il aurait pu
le faire. Vieillissant,
Rimski-Korsakov
à qui "le Rocher" était dédicacé, ne peut l'aider à finaliser l'orchestration. Pourtant
l'auteur de
Schéhérazade, suite symphonique féérique qui s'appuie sur la forme symphonique en
quatre mouvements aurait été le mentor idéal.
Le richissime mécène Mitrofan Belyayev accepte de programmer la
création en 1897. Son professeur
Serguei Taneïev
et
Glazounov
préparent cet évènement en lui proposant des modifications acceptées.
Taneïev
est dubitatif après une écoute au piano…
Les répétitions commencent.
Rimski-Korsakov, homme des générations précédentes n'apprécie guère mais laisse son
élève chouchou
Glazounov
diriger alors que ce musicien est un mauvais chef semble-t-il et de plus
se permet d'imposer des coupures. Nous voilà face à la pire condition pour
une création d'autant qu'au soir du 15 mars
Glazounov
éméché ne contrôle pas l'orchestre mal préparé. On a douté de cet état
d'ébriété, mais l'un de ses illustresélèves et peu suspect de médisance, Chostakovitch, dira : Glazounov
gardait une bouteille d'alcool cachée derrière son bureau, et sirotait à
travers un tube pendant les cours !
Musicalement la soirée est un désastre ! Une seconde exécution par un bon
chef aurait pu sauver la partition après quelques corrections, mais la
critique s'en mêle avec la sauvagerie de ceux qui alignent les méchancetés
pour prouver qu'ils savent lire et écrire ; donc de César Cui : "S'il y avait un conservatoire aux enfers, et si l'on avait demandé à
l'un de ses meilleurs élèves d'écrire une symphonie à programme sur
Les Sept Plaies d'Égypte, et si le résultat ressemblait à la symphonie
de M. Rachmaninov, alors il se serait brillamment acquitté de sa tâche
et aurait ravi les habitants des enfers". (Sonia : "du blabla en effet").
Humilié,
Rachmaninov
ne composera rien ou presque pendant plus de trois ans et quittera
Saint-Pétersbourg. Atteint d'une forte dépression, il sera soigné par
hypnothérapie... Il perdra la partition maléfique lors de son départ aux
USA en
1917.
Alexander Gauk (1893-1963)
En 1944, émergent les partitions d'orchestre des archives
poussiéreuses de Belyayev du Conservatoire de Leningrad. Le
talentueux maestro
Alexander Gauk recompose la partition intégrale et la dirige le 17 octobre
1945 avec succès à Moscou.
Eugene Ormandy, ami américain de
Rachmaninov
impose sept répétitions à son
Orchestre de Philadelphie
pour une première en mars 1948. La
1ère symphonie
est resuscitée et entre au grand catalogue ;
Rachmaninov
mort depuis cinq ans ne pourra pas entendre les ovations. On se rend
compte alors qu'en 1897 l'œuvre était simplement… trop moderniste
pour l'époque !
Influencé par
Rimski-Korsakov, chantre des orchestrations rutilantes, l'effectif de la 1ère symphonieest riche surtout pour les pupitres de percussion : 3 flûtes (+
piccolo), 2 hautbois, 2 clarinettes en si bémol, 2 bassons, 4 cors en fa,
3 trompettes en si bémol, 3 trombones, tuba, timbales, cymbales, grosse
caisse (mouvements 1, 2 et 4), triangle (mouvements 2 et 4), caisse
claire, tambourin, tam-tam (mouvement 4) et cordes. (Partition : 243 pages).
Après une absence des labels pendant un demi-siècle, la discographie est
désormais éclectique. Bien que moins enregistrée de manière isolée que la
2ème symphonie, on peut l'écouter sur nombre d'intégrales. Mon choix s'est porté sur
une capation récente et fougueuse du chef canadien
Yannick Nézet-Séguin
déjà à la une de deux articles du blog dans des répertoires originaux. En
2017, il accompagne
Renaud Capuçon
dans le
concerto pour violon
de
Erich Korngold(Clic), puis en 2022, il dirige
deux symphonies
de la compositrice afro-américaine
Florence Price(Clic), une révélation pour la planète classique. On découvre cette musicienne
bien peu connue grâce à une gravure haut de gamme pour DG avec l'Orchestre de Philadelphie dont, comme je le présageais, il est devenu le directeur depuis
2023. Par ailleurs, il est depuis 2020 le directeur Métropolitan Opera de New-York… Il dirige "à vie" l'Orchestre Metropolitain
de Québec depuis 2000.
Il a été sollicité par la
Philharmonie de Vienne
pour diriger le concert du nouvel an 2026 !
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Yannick Nézét-Seguin
La symphonie comporte quatre mouvements. A priori
Rachmaninov
ne cherche pas, en cette fin du siècle romantique, à déroger à cette
organisation traditionnelle. Le "scherzo" est placé en seconde position,
choix justifié par un premier mouvement imposant. Comme souvent chez les
jeunes compositeurs,
Rachmaninov
a vu grand, trois quarts d'heure, établissant une similitude de durée avec
les deux symphonies les plus abouties du temps : la 5ème
et la
6ème
"pathétique" de
Tchaïkovski. Il prend ainsi le risque du débutant d'essoufler le développement
mélodique faute d'une thématique plus inventive. Mais Rachmaninov contourne avec malice ce risque même si ses contemporains n'ont
pas su reconnaître les qualités de l'œuvre… Comme
Liszt, il recourt au leitmotiv pour assurer une unité narrative à sa
partition, musicalement parlant.
Une remarque s'impose à ce stade. Un manque de nuance et de fougue, des
tempi lambinards de la part du chef et une surenchère trop appuyée dans les
répétitions et variations des développements risquent d'ennuyer. Cela est
particulièrement vrai dans le mouvement introductif. Rachmaninov composa avec plein d'enthousiasme. Une direction initiale baclée et un
échec public le rendirent dépressif.
1 - Grave—Allegro non troppo (ré mineur)
: Un prélude lent et sépulcral précède la première section* thématique de
l'allegro… Est-ce un petit hommage aux formes chères à
Haydn
dans ses symphonies telles les "Londoniennes" pour fixer l'attention du public ? Un motif puissant répété trois
fois ouvre la symphonie. Se succèdent : anacrouse sur trois temps et sur le 4ème temps : irruption
d'un grupetto rageur de quatre doubles croches jouées fff en tutti
aux bois doublés des cuivres, puis énoncé d'un motif de six mesures aux
cordes seules mais gaillardes pour présenter le motif du
dies irae, martial, dramatique ! Ça jette ! La grosse caisse clôt cette suite
obsédante des trois motifs funèbres.
* Pourquoi le mot section demande Sonia ? Voici un petit précis de
composition... 😊
Rachmaninov
se libère à sa manière, mais finement, de la forme sonate académique qui
symétrise de manière cyclique les mouvements introductifs : section initiale
à deux thèmes avec reprise, développement central à partir de thèmes
secondaires, reprise et conclusion à partir du matériel mélodique de la
première section. (Schéma abrégé, juste pour mémoire.) Notre compositeur
prend de nombreuses libertés par rapport à ce plan et un thème dominant
utilisé tel un leitmotiv animera l'allegro et même la symphonie dans sa
globalité, principe de résurgence appliqué au dies irae déjà entendu.
[0:28] L'allegro s'élance moins sévèrement que l'intro. Une mélodie en
notes pointées et pizzicati aux cordes accompagne l'énoncé du
thème principal par la clarinette. Un
staccato des flûtes prend le relai. Le style de
Rachmaninov
se manifeste par cette fantaisie concertante de l'instrumentation qui gagne
sans cesse en couleur et en alacrité sans négliger une pointe de nostalgie.
Le thème voltige de pupitre en pupitre. L'orchestre de Philadelphie capté avec limpidité est dirigé avec un entrain de bon aloi.
Dans l'hommage rendu à
Roger Norrington
lundi, je partageais cette citation : "Nous voulions montrer que Berlioz et Tchaïkovski ne sont ni épais, ni
dégoulinants, ni tapageurs, mais romantiques. C'est-à-dire sincères et
enflammés".
Yannick Nézet-Séguin
fait sien ce concept.
Village russe - illustration de Ivan Bilibine
Analyser en profondeur la succession des sections mélodiques variées
n'aurait qu'un intérêt scolaire rébarbatif.
Rachmaninov
les enchaîne sans rupture nette, il en ressort un lyrisme slave enflammé et
une tendre poésie, options nullement incompatibles. [2:39] Une nouvelle
section exalte un air voluptueux agrémenté de nombreux solos des bois aigus
(hautbois, flûtes). Ce passage noté moderato orchestré par une dominante de
cordes joue à [4:24] la carte de la mélopée élégiaque.
[5:08]. Pas surprenant que le public et les rivaux de
Serge
soient déroutés lors de la création par l'exposé de la seconde idée,
affichant un style fugué et trépidant, transition (reprise qui ne dit pas
son nom ?) confiée aux cordes puis martelée par les cuivres et les
percussions. [5:52] Le développement central à la manière
Rachmaninov
est innovant. L'univers sonore gagne en vivacité et fantaisie, le triangle
s'amuse, le leitmotiv fait son retour… Un héritage de Tchaïkovski
et une influence future pour son ami
Scriabine…
[8:04] une transition nous amène à la reprise fougueuse de la section 1 (la
forme sonate n'est pas tout à fait délaissée). [9:14] L'allegro ralentit et
chante sur un tempo rêveur une mélodie lascive. Après plusieurs écoutes, on découvre que l'art du jeune Serge
d'organiser tel un puzzle, pour ne pas dire une forme de poème symphonique,
est très mature et en avance sur son temps. Il agence toutes ses idées
musicales à la manière d'un conteur… [12:09] le thème à la clarinette
ressurgit, consolidant l'architecture de l'allegro avant une coda simpliste,
disons… fonctionnelle, ne soyons pas exigeant.
2 : Allegro animato (en ré mineur) : Cet intermède aurait pu s'intituler Scherzo par sa symétrie qui
rappelle celle imposée dans ce type de mouvement. Mais là encore
Rachmaninov
se plaît à s'écarter de la tradition formelle que s'imposa sans relâche,
c'est notoire, un
Anton Bruckner
:
scherzo – Trio – Scherzo
(Thématique : ABABCDCDABAB{coda}). L'allegro débute par une citation
aux altos du grupetto du
Grave du premier mouvement,
mais justement… sans gravité. Se déploie une longue section mêlant une
mélodie délicate et des rappels facétieux de motifs de
l'allegro.
Ivan Bilibine - Le cavalier
Rachmaninov
confirme son style : limiter les tuttis instrumentaux aux timbres
complexes, si agréables et surprenants à l'oreille soient-ils. Méthode qui
bénéfice aux petits solos parsemés ici et là dans le discours.
Rachmaninov
aime confier conclusions et introductions à la clarinette, son instrument
fétiche… C'est le cas lors de la transition entre la section 1 et ce que
l'on pourrait appeler "abusivement" le trio [2:47 -2 :59]. Et toujours ce
thème renouvelé qui, après l'alto, est entonné par la clarinette. Ne
détaillons pas. Cette partie centrale plus vivante me fait penser à un
ballet, du romantisme pur : chants d'oiseaux et pensées plus sombres
s'entrecroisent… [7:16] Troisième reprise, tout en douceur, aux cordes
aigus… Donc non, pas un scherzo didactique pour conclure, avec tendresse.
Pas de tutti énergique, tout au contraire, une ultime mélopée à la
clarinette et un point d'orgue qui se résume à une syncope pppp (!)
d'une note aux cordes, une discrète noire en pizzicati. Tendez bien les
oreilles. 👂👂
3 : Larghetto (si bémol majeur)
: Sans surprise, les altos débutent cette rêverie qu'est le larghetto en
jouant le motif rageur de l'allegro, mais ici assagi et mélancolique. Et
sans surprise, la clarinette énonce le thème, fil conducteur de ce
poignant mouvement lent. Plusieurs idées, notamment le passage rythmé et
oscillant aux violons qui structure le premier développement [2:31]
prolonge l'expression d'un désir éperdu de quiétude qui échappera trop
souvent au compositeur hypersensible. [3:45] Désir compréhensif à l'écoute
du passage anxieux suivant dans lequel dominent le grondement des cuivres
graves et les appels acérés des trompettes ; reflets musicaux de cette
civilisation tsariste en voie de désintégration. [2:31] Merci aux flûtes
en duo avec la clarinette de nous réconforter, puis en laissant des
violons féériques conclurent l'un des plus lyriques et émouvants
mouvements de
Rachmaninov. Une musique qui se veut naturelle et sans fioritures solfégiques. La
coda prend la forme une mélopée onirique chantée par la clarinette solo
soutenue par de discrets pizzicati pp des cordes…
4 - Allegro con fuoco (ré majeur)
: Il n'y a guère de règle académique pour conclure une symphonie. En
général le rondo et sa forêt de thèmes est de mise. Ici, difficile à
affirmer si c'est le cas et à commenter tant les sections sont nombreuses
et contrastées. L'ambiance générale est sauvage, assurant une rupture
marquée avec le larghetto. Les premières mesures évoquent le dies irae de
l'allegro et seront suivies par une marche militaire cadencée par la
caisse claire, [2:17] marche prolongée par une élégie aux cordes appuyée
par les cors. Ce mouvement martelé (grosse caisse, timbales, tambourin…)
présente une partie centrale plus élégiaque. On l'aura compris, le final
exploite une grande variété dans l'orchestration, je parlerais même de
virilité et de joyeuseté (pizzicati cocasses à [6:30]).
Après moult épisodes que je ne détaille pas, la conclusion débute vers
[10:06], là où rien ne semble s'opposer à la course héroïque du final.
Grosse-caisse et Tamtam fracassent l'espace sonore et de manière
pathétique et angoissante les fanfares de cuivres se déchaînent.
Le musicologue Robert Simpson (1921-1997 - Aucun lien de parenté
avec Omer) considérait la
première Symphonie
de
Rachmaninov
plus aboutie que les deux suivantes, estimant, je cite, "qu'elle avait été créée naturellement et sans effort". Mouais, pourquoi pas. "Sans effort" ? Il semble que
Rachmaninov
ait travaillé durement pendant près d'un an. Je me limiterai à penser
qu'elle ne méritait surtout pas d'être sacrifiée sur l'autel des critiques
bornés et qu'il est dommage que les générations du début du XXème
siècle n'aient pas pu l'entendre ! Cinq ans après des soins par
hypnothérapie, Rachmaninov préparera son
2ème Concerto pour piano, son oeuvre la plus célèbre.
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que
conseillée.
Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la
musique…
INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool.
Dans une discographie pléthorique, les pionniers des intégrales font
encore bonne figure :
Eugène Ormandy
à
Philadelphie
en 1966 malgré un petit manque de folie juvénile,
Vladimir Ashkenazy
à la tête du
Concertgebouw d'Amsterdam
en 1982 d'une puissance un peu froide (mais quelle prise de son !).
Deux valeurs sûres…
Je suggère l'écoute de trois captations moins connues et disponibles sur
le web :
Walter Weller
qui nous avait offert une intégrale géniale et moderniste des
symphonies
de
Prokofiev
récidive avec l'Orchestre de la Suisse Romande avec une lecture ciselée de celles de
Rachmaninov
(Decca - 1975).
Avec
Evgeny Svetlanov
dernière manière (Orchestre Symphonique D'Etat De La Federation De Russie),
Rachmaninov
prend des allures shakespeariennes, volcaniques et acérées. L'introduction
file la trouille ! (Warner-music - 1995). Rare mais existe
en album simple… (Deezer) Prise de son décevante hélas…
Une bonne surprise ? Pas pour moi ; il y quelques semaines nous écoutions
les
sérénades de
Brahms
dirigées avec exaltation par le chef Yankee
Leonard Slatkin. Le maestro chasse ici toute emphase donc distille une poésie raffinée
rare dans les gravures dédiées à
Rachmaninov. Les instrumentistes de l'orchestre de Saint-Louis font irruption dans votre séjour. (Vox - 2010). Ce chef a
également produit une intégrale avec l'Orchestre de Détroit
éditée chez Naxos. (Deezer) ou YouTube ci-dessus.