lundi 4 août 2025

RUE PANSE-BOUGRE de Jacques Faizant (1958) - par Nema M.


Sonia a accompagné Madame Portillon rue des Lozaits à Villejuif et elle s’interroge sur les noms des rues :

-      Rue des Lozaits, c’est bizarre ce nom de rue, tu ne trouves pas ?

-      Disons que par rapport à la majorité des rues de Villejuif qui font référence au communisme comme la rue Youri Gagarine, ce nom est plus original, répond Nema. Je ne sais pas d’où cela vient.

-      Nous, au moins, c’est facile et je trouve cela très chic, dit en riant Sonia : on habite rue Pascal, Pascal le mathématicien et philosophe !

-      C’est sûr, c’est mieux que d’habiter rue Panse-bougre rétorque Nema en rigolant.

-      ???   

La rue Panse-bougre est une rue de Paris. Rue imaginaire dans un XVème arrondissement parisien fictif qui sent bon les années 50 du siècle passé. Le titre du roman est donc le nom du lieu où toute l’action se déroule. Le personnage principal, narrateur à la première personne des évènements, est un écrivain. Il plonge rue Panse-bougre avec délectation comme dans son petit univers, son « écosystème » comme on dirait aujourd’hui 😊. Peut-être ressemble-t-il à Jacques Faizant ? La femme de notre héros, Eve et ses deux fils Patrice et Michel tiendront dans l’histoire des rôles non négligeables.

Le XVème était encore populaire à l’époque et dans cette rue, on trouve tout : une mercerie, une banque, une boulangerie-pâtisserie, deux cafés, un hôtel… des habitants qui se connaissent et des potins qui circulent plus vite que dans les réseaux sociaux. La meilleure source d’information étant Madame Gilet, concierge de son état mais également femme de ménage, notamment chez le narrateur de cette extraordinaire histoire d’amour. Car il s’agit d’une histoire d’amour. Digne de Shakespeare. Enfin presque.   


Doisneau - Paris 1950
 

Les personnages sont gratifiés d’une gentille représentation en pied, avec leur nom en dessous, au début du roman. On a ainsi Bernard, l’amoureux qui tient un bouquet de fleurs et Hélène l’amoureuse (dont le nez est tordu mais cela ne se voit pas trop) qui tient une baguette en bonne fille du boulanger Boutereux, homme ronchon, représenté en marcel, avec un béret et la cigarette au bec. Et on a une image d’une Madame Gilet avec son balai de paille de riz, son tablier et ses savates, qui semble faire la leçon un doigt levé… Et Quervellec le flic, l’air perplexe, en uniforme avec son képi sur la tête…

À noter que d’autres dessins émaillent le roman, avec une petite légende, permettant de bien se figurer l’état des réflexions des personnages. Au fait, pourquoi un flic ? Ah oui, personnage indispensable car il se passe des choses hallucinantes dans cette rue : un gang a des idées loufoques pour organiser un cambriolage de banque, une chasse aux fauves est organisée de nuit, on crie, on complote, on boit un peu trop au bistrot… bref ambiance, ambiance style cinéma des comédies des années 50, comme par exemple celles avec Bourvil.

Bernard Sergent aime Hélène Boutereux mais les deux tourtereaux sont très jeunes : Hélène n’est même pas majeure (majorité à 21 ans à l’époque). Et Madame Sergent, veuve d’un adjudant-chef, n’imagine pas pour son fils une telle union. En plus Hélène a le nez de travers. Toute la rue est au courant de ce drame. Il y a ceux et celles qui sont pour laisser les jeunes gens vivre leur amour et ceux qui sont contre. Les opposants sont : la bande de copine de Madame Sergent et surtout des cousins à elle, un couple aux idées psychorigides comme les siennes et dont la fille se croit tout simplement destinée à Bernard. Il y a une scène poilante chez Madame Sergent avec des quiproquos avec un fumiste venu réparer le poêle à charbon.

Les gamins ont formé une bande, la bande des « Machiavélisques (sans faute d'orthographe 😀) du XVème ». Le Chef Machia, Claude Flanchet, a 14 ans. Patrice et Michel font partie de la bande, tout comme pratiquement tous les garçons de la rue entre 9 et 14 ans semble-t-il. Le Chef Machia a une imagination débordante pour élaborer des plans compliqués conduisant à des agissements répréhensibles, mais pour une bonne cause. Le narrateur se trouve parfois confronté à des situations qui le mettent en porte-à-faux face à Quervellec à cause du bouillonnant cerveau du Chef Machia et de la participation de ses fils à ces bouffonneries.

Petite touche d’exotisme grâce à Sabourot, l’ancien des colonies, un peu vicelard et très imbibé qui n’est pas un mauvais bougre mais qui sème quand même une sacrée pagaille dans la rue. Il y a aussi un ancien artiste de music-hall, Emile, son numéro, son succès, son déclin et peut-être sa remontée sur scène ? Une ancienne prostituée sera aussi de la partie. Un personnage intéressant que le docteur Rincelet, derrière un côté strict et raisonnable, se cache un joyeux drille. Tout le monde le connait, il fait des visites à domicile, et il va avoir à gérer des situations, disons, atypiques.      


Petit clin d’œil sur la finance locale avec le directeur de la banque Monsieur Espagnolet, ses principes et finalement sa gentillesse. Toujours côté finances, une allusion ou deux au bon sens des femmes qui savent tenir un budget pour le bien de la maisonnée, illustration de la place de la femme au foyer à cette époque 😊. L’histoire se terminera bien, avec curieusement l’apparition d’une gentille petite vieille sortie d’on ne sait où, à qui il est demandé si elle n’est pas choquée par les gamineries de certains adultes anciens amis d’enfance : « Pas tant que ça : dans ma jeunesse j’étais la chef(fe) des Ravageuses de Sainte Clothilde… ». Alors justes bonnes à rester à la maison les femmes ? Ah les petites vieilles de Jacques Faizant, quels caractères !

 

Jacques Faizant, 1918-2006, était un dessinateur humoristique, un chroniqueur mais aussi un romancier. Ses caricatures ont largement contribué à donner à la vie politique une connotation dérisoire et sa Marianne, avec son impertinent petit nez retroussé se permettait bien des critiques, gentilles mais piquantes. Il nous a également laissé de charmantes vieilles dames au verbe acide et à l’aplomb digne de leurs larges robes noires d’où dépassent des jambes fines comme un fil et prolongées par des talons aiguilles. Les vieux messieurs n'ont qu’à se soumettre docilement…   

 

Bonne lecture !

Calmann-Lévy - Pages : 301


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