mercredi 19 novembre 2025

WHISKEY MYERS " Whomp Whack Thunder " (2025), by Bibine Bruno



     Où qu'il en est le rock sudiste, aujourd'hui ? Le genre existe toujours. En dépit de péripéties, d'obstacles, il a passé les décennies et survécu. Pourtant, à un moment, le destin a semblé s'acharner dessus. Enfin, sur nombre de ses membres les plus représentatifs. Entre addictions, accidents, épuisement, trahison et cupidité, il a failli s'éteindre une première fois dès l'aube des années 80. Une décennie sans pitié qui a cherché à l'étouffer, l'enterrer sous des masses de synthés et de mélodies sucrées. Il s'en est fallu de peu.

      Malgré tout, en dépit des cataclysmes, péniblement, il s'extirpa des ruines. On a vu de vieilles gloires, trop rapidement enterrées, qui, bien que blessées, ressurgirent avec de bons albums. Des galettes qui témoignent d'un retour aux choses sérieuses, où la formation, après s'être débarrassée de ses oripeaux commerciaux, paraît nimbée d'une nouvelle jeunesse. Enfin, pas toujours, certains ayant assez bien digéré leur mutation millésimée 80's. 

     Toutefois, entre des résurrections souvent grevées par la nostalgie, et une ribambelle de groupes, au look étudié de pseudo-rebelles et aux sonorité policées, semblant suivre scrupuleusement un cahier des charges, le genre pourrait paraître sclérosé. D'autant qu'une majorité de rescapés, trop heureux d'avoir retrouvé un public, de pouvoir remplir des salles (généralement bien plus petites qu'antan), n'osent pas, par crainte de retomber dans l'obscurité, modifier d'un iota le répertoire qui a fait leur succès. Ainsi, on a pu voir de vieux lascars œuvrant comme un "tribute band" de leur propre groupe. Ce qui, en soi, cela peut être totalement légitime, d'autant qu'il y a une forte demande. Et plutôt que ça soit des musiciens qui n'ont que le mérite de reprendre à la note près un répertoire qui n'est pas le leur, autant que cela soit fait par les compositeurs originaux.


   Cependant, même si - outre les ténors du genre -, il est indéniablement bien moins médiatisé qu'au siècle passé, il n'a jamais vraiment cessé d'exister à travers de jeunes prétendants, dont certains particulièrement brillants. La pléthore de groupes qui ont émergé au cours de ce siècle, pourrait même donner à croire que sa scène ne s'est jamais aussi bien portée. Même si ici, dans l'hexagone, pour beaucoup, elle fait partie du passé. Ce n'est pourtant pas les formations talentueuses qui manquent. À ce titre, on pourrait mentionner pêle-mêle Ghost Riders, Alligator Stew, Tishamingo, Skinny Molly (fondé par Dave Hlubek), Derreck and the Peacemakers, Laidlaw, Ghost Hounds, Catawonpus, Hogjaw dans le genre bourrin, The Dirty Soul Revival, et surtout le formidable Screamin' Cheetah Wheelies. Peut-être le meilleur de tous. Même l'Italie s'est distingué avec W.I.N.D. - qui a été rejoint par Johnny Neel pour un album -, ainsi que le Japon avec Savoy Truffle. Un quatuor chaud comme la braise qui a donné des sueurs froides à bien des groupes américains, car les battant à plates coutures sans sourciller sur leur propre terrain. Sans omettre la France, avec notamment Natchez et Calibre 12, deux combos qui ont réussi à traverser les ans et qui sont encore actifs aujourd'hui. Enfin, bien sûr, il y a les Géorgiens de Blackberry Smoke. Un groupe indéniablement populaire et talentueux, mais qui semble depuis un temps poursuivre sa route nonchalamment dans une certain routine.

     À côté, apparemment moins présent, un sextet Texan, de Palestine, fait des ravages avec des albums organiques qui prennent aux tripes. Pas toujours exempts de défauts, ils font néanmoins preuve d'une évidente liberté. Bien que foncièrement attaché à ce que l'on nomme communément « southern rock » (rock sudiste) – même si le terme peut parfois déplaire à certains intéressés, et non des moindres -, il ne semble pas s'imposer d'infranchissables barrières. Raison pour laquelle ils ont monté leur propre label, Wiggy Thump - pour qu'on ne leur casse pas les pieds, qu'on ne les emm.. embête pas avec des directives et des plans de carrière. Même la pochette de ce dernier album sort totalement des clichés inhérent au genre ; on dirait un disque de rock alternatif ou de grunge.

     Ainsi, sur le dernier opus, une partie du chant sur « Icarus » résonne tel un rap sur un lit de country-rock FM. Effluves de rap aussi sur « Ramblin' Jones » (autobiographique ?) s'appuyant sur un heavy-rock traînant, trébuchant sans être pataud, finalement assez proche d'Aeromsith – en moins nerveux. « 18 ans sur la route, 18 ans sur la route.18 ans, c'est long. Être là, à faire la même chose, à se surpasser pour ne pas ressembler aux autres. De Los Angeles à Cincinnati, de Tucson à Tallahassee et partout ailleurs sur cette terre, je tourne le dos au soleil... et je prends la fuite... toute ma vie, j'ai laissé la flamme brûler, mettant le feu à mes ponts tandis que je laisse les roues tourner. Ils disaient que je ralentirai en vieillissant, mais j'ai arrêté d'abandonner il y a longtemps » (1) Parallèlement, avec « Rowdy Days » et« Born to Do », ça fricote sévère avec la country. Ce dernier, acoustique, émouvant et intimiste, parle du conflit intérieur qui gagne l'artiste devant être incessamment sur la route pour réaliser ce à quoi il aspirait, mais au détriment de l'équilibre d'une vie auprès des siens. « … Je me suis retrouvé, je ne sais comment, à Nashville. Ils disaient que j'avais un talent fou et le monde à mes pieds. Mais ce qu'ils attendaient de moi... Non. Je ne pouvais pas supporter de le perdre. Mais ils disaient que je faisais ce pour quoi j'étais né ! J'ai gravi les sommets et ressenti les chutes les plus vertigineuses. J'ai connu des moments de gloire mais ils ont failli tout me coûter. Il y a des choses dans la vie bien pires que la pendaison, quand on fait ce pour quoi on est né... La vérité, c'est que la plupart du temps, quand on roule, je rêve de chez moi et de tous ceux qu'on a laissés derrière nous... ». Avec "Monsters", W.M. se laisse même aller à la ballade intimiste et acoustique, sur laquelle plane un parfum de Neal Casal.


   Mais pas d'inquiétude, le sextet de Palestine a toujours et encore la rage. Une rage canalisée, qui électrise et bétonne leur rock, conférant une énergie brute et communicative à un lot de Rock rugueux. Finalement sensiblement plus proche d'un Temperance Movement que d'un southern-rock typé. C'est brut et copieux, sans être maladroit, irréfléchi ou foutraque. Cody Cannon n'épargne pas ses cordes vocales, chantant avec autorité et désespoir, comme s'il devait convaincre 
à tout prix son auditoire. Ou parce que, tout simplement, c'est en partie du vécu. Certains textes semblent d'ailleurs issus d'expériences personnelles, ou d'un proche entourage, sortant, peu ou prou, des banalités liées au rock. D'ailleurs, sans pour autant tomber dans un repli toxique, mortifère, encore moins défaitiste, de temps à autres de sombres nuages obscurcissent l'esprit de Cannon. Toutefois, Cannon avoue que les paroles qu'il couche sur le papier, sont généralement plus ou moins faites d'un trait. Sans trop y réfléchir, car dans le cas contraire, il s'enfonce, devient confus dès lors qu'il planche longuement. Ainsi, entre quelques country-rock et d'âpres ballades rugueuses, une majorité de pièces franchement rock égrène cette savoureuse septième livraison. Des morceaux qui nous font dire : "Quel p....n de groupe !".  "Time Bomb", pour commencer, envoie direct du bois dans les gencives, et on adore ça ! Le morceau feintant en baissant par moment  d'intensité, juste pour remonter subitement dans les tours - avec chant égosillé, double couche de grattes, clavier autiste. "Tailspin" enchaîne, reprenant un peu la même recette, mais avec un brin de "southern-rock", et des choristes pour une touche féminine temporisant l'ardeur. 

      En comparaison, "I Got To Move" paraît quelque peu nonchalant, comme une chanson de Sheryl Crown. Un Southern-rock "bohème", bien trempé de blues et solidement soutenu par une choriste, Joanna Cotten, dont la puissance pousse Cody Cannon dans ses retranchements. Les beignes reviennent avec un fulminant "Midnight Woman", qui traite du pouvoir hypnotique d'attraction d'une femme (des femmes ?). Don de séduction, d'ensorcellement pouvant mener jusqu'à la folie. Sorcière ? Magicienne ? Ou juste une femme ? "... elle a ce tonnerre et ces éclairs qui craquent... elle a ce groove... elle opère sous la lune et la lumière des étoiles. Elle bouge, elle bouge entre les heures du crépuscule. Ce genre d'amour rendrait un homme fou... elle a ce chant de sirène qui résonne encore. Elle a la Muse. Elle a les oiseaux et les abeilles qui te feront flancher. Bon sang ! Elle t'enveloppera et te jettera un sort". Le morceau a effectivement une certaine sensualité insufflée par la basse, mais il évoluerait plus comme un félin blessé, rancunier, évoluant crânement dans les rues sombres, cherchant d'un œil torve la moindre excuse pour se jeter à la gorge du premier téméraire osant soutenir son regard de braise. Plus conventionnel, "Break These Chains" dénonce les origines texanes du combo - un mix de Point Blank et de ZZ-Top.


   En dépit de son titre, "Rock N Roll" progresse lentement, précautionneusement, avec sobriété. C'est une messe, où le prédicateur enseigne à ses ouailles la bonne parole. Où il prêche d'une voix ferme et autoritaire, compatissante, mais se laissant submergé par le message. La musique suit l'humeur, et s'épaissit. "Je suis le vent sous tes ailes, je suis ce jardin pour les âmes perdues, où certains viennent prier et d'autres blasphémer. Je suis le fruit défendu que tu as envie de croquer. Je suis cet enfant rêvant de voler. Je suis l'obscurité et je suis la lumière ; du moins je l'ai été jadis... Je suis le chemin vers la misère au pays des apparences... Je suis la lumière qui te guide quand tu es seul; Je suis les routes usées par le cœur, je suis les Rolling Stones, je suis le Rock'n'roll. Je suis l'éveil de la jeunesse, je suis encore porté par quelques rares personnes. Et quand je ne serai plus là, que feras-tu ? Parce que, avant tout, je suis la vérité"

      Depuis ses débuts, Whiskey Myers réussit à ne pas reproduire stricto sensu le précédent album, à évoluer, ou plutôt à ne pas suivre un chemin tout tracé. À partir sans boussole ni carte, pour suivre son instinct, son inspiration, et découvrir ainsi d'autres lieux. Evidemment, comme Cody Cannon est le principal compositeur - et pas qu'un peu puisque pour ce dernier album, il est le seul ! -, il y a des intonations et des tonalités qui reviennent forcément. Impression accentuée depuis qu'il est aussi devenu l'unique chanteur. Probablement la raison qui incite la troupe à s'enrichir de choristes, et Cannon à trafiquer occasionnellement sa voix - comme s'il utilisait alors un antique micro -. Bien que les deux premières cartouches soient particulièrement accrocheuses, on peut ne pas rentrer immédiatement dans cet album qui alterne les climats. D'ailleurs, les avis divergent sérieusement, allant de la déception à l'emballement sans mesure. Peut-être pas le meilleur des Texans (mais quelle importance ?) mais indéniablement une très bonne cuvée qui a le don de réchauffer les esgourdes. Et elles en redemandent.


(1) Whyskey Myers s'est formé en 2017, ce qui lui fait dix-huit années d'activité en 2025.




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