jeudi 20 novembre 2025

DISQUE LEGENDAIRE (2) – Walter LEGGE le père du PHILHARMONIA et le mystère des symphonies perdues de BRAHMS par TOSCANINI😱(1952) – par Claude Toon !


- Ah Claude, suite de la saga des disques légendaires… Je viens d'écouter les deux vidéos de répétition. Le M'sieur Toscanini, il n'était pas un peu… cinglé ?

- Tu es bien insolente Sonia vis à vis de l'un des chefs les plus célèbres du XXème siècle… Mais il est vrai que Louis de Funès alias Stanislas Lefort répétant Berlioz est un moment de détente et de calme par rapport aux cyclones verbaux des vidéos… hihi…

- Drôle de type, pas cool pour les musiciens ! Pourquoi cet ensemble Brahms de 1952 ?

- Cette année-là, l'orchestre de studio Philharmonia n'a que cinq ans et son créateur Walter Legge sillonne le monde pour débaucher ou inviter les plus grands maestros pour constituer un début de catalogue discographique haut de gamme sensé doper les ventes de galettes EMI…

- Et ça marche ?

- Oui. Curieusement on croyait cette intégrale oubliée car enregistrée en Live. Le label Testament l'a remasterisée et éditée. Brahms que certains prétendent sirupeux vont changer d'avis… J'avoue que de nos jours, aucun orchestre n'accepterait un tel chef colérique à sa tête sans déclencher une grève illimitée…

 

Vidéos : Les répétitions volcaniques de Toscanini et de Stanislas Lefort

Avant de découvrir l'épopée des disques du maestro italien colérique mais génial, voici deux échantillons de ses célèbres répétitions homériques. Le son est ingrat (orchestre de la NBC années 40) mais ça donne une idée du style hystérique des vociférations du maître. En prime Louis de Funès dirige Berlioz… J'ignore si les instrumentistes conspués puissance dix s'amusaient autant que les spectateurs du film de Gérard Oury ? Le portrait du maestro moustachu et frisotant (Fusain et craie sur papier) date de 1934 et est signé Samuel Johnson Woolf (1880-1948).

Dans l'ordre de la playlist : Les premières mesures de Mort et transfiguration de Richard Strauss suivi de la 2ème symphonie de Brahms, précisément. Et Stanislas Lefort qui gesticule plus qu'il ne dirige, mais toujours un plan séquence Berliozien hilarant 😅 .


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Partie 1: La discographie évènementielle

😊 Ça ne veut rien dire, mais ce style rhétorique étant à la mode, ça jette !


Toscanini vers 1950

Il y a deux semaines, une introduction détaillée précisait les règles de la nouvelle rubrique "Disque légendaire". Pour inaugurer cette saga, je vous invitais à écouter la 9ème symphonie de Mahler écrite en 1910 et dirigée ici en 1938 à Vienne par Bruno Walter qui en avait assuré la création en 1912 ! Composition "dégénérée" suivant les critères nazis et chef juif. Deux mois plus tard, débute l'Anschluss et la horde des criminels et butors nazis achevait de laminer des siècles de culture… Walter brocardait le régime inique par une direction hallucinée, mélancolique, et surtout sarcastique voire funèbre. Pressé dès 1940 en Angleterre, ce disque apparaît tel un réquisitoire musical contre une barbarie qui conduira à l'indicible… (Clic)

Un an après un premier refuge en France Walter partait pour les USA où son confrère Toscanini l'attendait comme ami et chef d'opéra réputé. Si ce concert ultime à Vienne fustigeait la bestialité, tel un acte de révolte politique, les disques mythiques sont en fait déjà nombreux dans l'index du blog, mais souvent par leur grande qualité artistique dans une discographie parfois pléthorique.

Certaines gravures peuvent avoir vu le jour dans diverses circonstances inhabituelles. Pour ce second épisode, place au pittoresque Arturo Toscanini qui traversa l'Atlantique pour Londres pour proposer au public du Philharmonia les quatre symphonies de Brahms en deux soirées !!! Quoi de surprenant et zarbi dans cette affaire ? Qu'une interprétation flamboyante captée sur des bandes magnétiques de radio ait végété pendant cinquante ans dans un placard 😞. Comme demanderait Sonia ou Nema, que s'est-il passé pour que les discophiles amateurs de Brahms (j'en suis) soient privés d'apprécier ces deux soirées jusqu'en l'an 2000 ?

Merci au label Testament d'avoir ressuscité cet évènement (il existait semble-t-il de rares disques pirates au son pourri).


Partie 2 : Walter Legge : du phonographe de papa à producteur de disques… 


1961 : En jury de concours de chef, quelques dirigeants :
O. Klemperer, Sir A. Boult, Walter Legge et C.M. Giulini 

Plusieurs évènements se sont conjugués pour empêcher la commercialisation de cette intégrale Toscanini. Je proposerai une  théorie personnelle dans ce qui suit.

J'invite le lecteur à parcourir un "préquel" à cette série d'articles ne se limitant plus à présenter le contexte créatif d'une œuvre et de son ou ses interprètes et comportant une analyse-guide pour les néophytes.

En août 2025, une chronique sur l'histoire de la reproduction sonore depuis les inventions de Charles Cros et Edison à la fin du XIXème siècle parcourait les diverses évolutions technologiques jusqu'à la mise en vente en 1954, par RCA, des premiers disques stéréophoniques. Des galettes LP 33T dont la qualité sonore n'a guère évolué depuis, notamment en numérique, parfois bien au contraire. Le billet se concentrait sur les enregistrements des deux concertos de Brahms sous les doigts d'Arthur Rubinstein.

Dans cette course vers la perfection audiophile, une personnalité hors du commun se distinguera au XXème siècle. Ni compositeur, ni instrumentiste, Walter Legge, né en 1906, mettra ses talents de technicien, de producteur, d'homme d'affaire et de négociateur persuasif avec les vedettes du Show-biz classique au service de la discographie d'exception. 


Comme pour tous les personnages hyperactifs, conter la vie de Walter Legge par le menu nous écarterait trop du sujet du jour : ToscaniniBrahmsPhilharmonia. N'y voyez pas de la paresse, mais plutôt qu'une biographie déséquilibrée de mon cru, je suggère l'écoute de cinq épisodes d'une heure sur France Musique, en streaming (France-Musique) Il y a aussi un article dans Wikipédia. Voici un court résumé à lire si ces deux options gourmandes en temps ne vous séduisent pas… petit résumé :

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1909 : naissance de Walter Legge dans une famille de tailleur installée dans la banlieue de Londres. Le jeune Walter se révèle sans doute un élève brillant dès sa petite enfance car il réussit le concours d'entrée à Latymer Upper School (cycle collège-lycée). Cet établissement privé, fondé en 1624, s'enorgueillit avec raison d'une réputation d'excellence et même d'élitisme. L'adolescent brille en latin, et en français, surement dans d'autres disciplines littéraires, mais ne suit aucune formation musicale alors que l'école dispose d'un bon "conservatoire" (de nos jours en tout cas).

Musicalement, grâce au phonographe familial, l'enfant se passionne tôt pour la musique classique malgré, on s'en doute, la maigreur des catalogues discographiques. Son père l'encourage avec succès à écouter Richard Wagner et Walter apprend ainsi l'allemand. Une initiative qui dopera sa carrière de producteur lors de la fondation du Philharmonia. Toujours en autodidacte, il travaille le solfège et le déchiffrage des partitions. Il ne jouera d'aucun instrument (peut-être la longue durée et le travail ingrat pour maîtriser violon, piano ou autres l'a démotivé).


Artur Schnabel (1882-1951)
 
Sir Thomas Beecham (1879-1961)

1927 : Walter est recruté par la firme "His master's voice". Il a 21 ans. En regard de sa vaste culture générale, on lui confie la rédaction du journal interne de la firme. Rédacteur, discophile passionné, sa puissance de travail et son sens du management lui permettent d'accéder dès 1933 à la fonction de producteur…

1929 : Pour Walter, rien de mieux qu'assister à de nombreux concerts et de parcourir l'Europe et notamment fréquenter les capitales musicales que sont Berlin et Vienne… Il se rend à Berlin en 1929 où, pour une série de concerts, se sont réunis cinq maestros parmi les plus célèbres et talentueux. Sur la photo : Bruno Walter (Directeur de l'Opéra de la ville de Berlin), Arturo Toscanini (codirecteur de l'Orchestre philharmonique de New York et invité régulier de Berlin), Erich Kleiber (chef d'orchestre de l'Opéra d'État de Berlin), Otto Klemperer (le géant, 😊chef d'orchestre de la filiale de l'Opéra d'État de Berlin au Kroll Theater*) et Wilhelm Furtwängler (chef d'orchestre de l'Orchestre philharmonique de Berlin). Tous ces maestros ont été invités dans au moins une chronique (Index). Comment Pour  Walter Legge ne pas avoir envie de faire partager leur art avec un large public par le disque encore bien confidentiel et au son médiocre ?

1933 – 1945 : Dans la décennie qui suit sa promotion chez HMV devenu EMI, la grande dépression puis la seconde guerre mondiale ne profitent guère à l'industrie du disque. Walter Legge, jamais à court d'idées, invente à la fois le disque en souscription (paiement d'avance pour un projet consensuel de la part des mélomanes) et concentre les productions sur des très grands classiques interprétés par des très grands et renommés artistes en espérant assurer de très grandes ventes…

Deux réalisations deviendront légendaires : l'intégrale de l'œuvre pour piano de Beethoven sous les doigts d'Artur Schnabel (captée pendant les années 30) et la Flûte enchantée de Mozart à Berlin en 1937 sous la direction du pittoresque so british Sir Thomas Beecham, avant la fureur guerrière. Le maestro invitera Legge à participer comme conseiller technique à l'enregistrement… (YouTube)Concerto N°5 de Beethoven  en 1932 par Artur Schnabel et Malcolm Sargent (YouTube). 10 faces !!!

(*) Pendant le république de Weimar, Klemperer programme de nombreux ouvrages modernes de Paul Hindemith et Arnold Schoenberg, Kurt WeilCette orientation moderniste sera interdite comme "art dégénéré" et son chef de confession juive sera évidemment chassé en 1933 à l'arrivée des nazis qui réquisitionneront le théâtre pour en faire le nouveau Reichstag après l'incendie du bâtiment officiel…


Partie 3 : Walter Legge le père fondateur du Philharmonia 

Pendant le conflit planétaire, Walter Legge n'a pas les budgets pour de nouveaux projets d'envergure. Par ailleurs, la venue de grands artistes germaniques est compromise, j'y reviendrai… Il est réformé à cause de sa mauvaise vue mais participe à sa manière au soutien moral des troupes britanniques en organisant des concerts sur tous les théâtres d'opération de la planète ! Sir Thomas Beecham, lui propose d'utiliser la logistique de l'ENSA (Entertainments National Service Association), un organisme chargé de divertir les combattants ; le répertoire est plutôt orienté variété disons… populaire, les comiques troupiers 😊. Walter Legge s'assure la collaboration du pianiste Solomon et des maestros Sir Adrian Boult et John Barbirolli, concerts diffusés par la BBC.


Magnétophones 1945

Depuis sa prise de fonction chez EMI, Walter Legge s'est intéressé aux progrès des technologies discographiques : le remplacement de l'enregistrement par pavillon par micro(s) vers 1927, le magnétophone à bandes à oxyde de fer (1936-1941), donc des techniques de gravure plus performantes grâce aux montages… même si les bandes sont lourdes, chères et fragiles…

En ces années d'après-guerre Walter Legge reste insatisfait des limitations imposées par la technique. Il est difficile de proposer un catalogue varié : la faute au retournement du disque toutes les cinq minutes… 10 faces pour le concerto "Empereur" par Artur Schnabel et Malcom Sargent, et 40 faces pour la flûte enchantée de 1937 (sans les récitatifs) 😊. On comprend qu'en art lyrique, des récitals de chanteurs célèbres soient privilégiés à des intégrales. Même en ne proposant que des œuvres du grand répertoire parmi les plus appréciées, le disque reste un produit réservé à la classe aisée. Avant l'usage fin des années 40 des magnétophones, on usine dans la cire cassante des concerts en live et quelques interprétations de musique de chambre jouées en petit comité.

De ce constat frustrant naîtra une idée géniale. Pour la musique symphonique et l'opéra, l'enregistrement dans un grand studio permettrait de peaufiner la qualité des interprétations, faire des reprises lors des couacs. Impossible que Walter Legge ne soit pas au courant des recherches sur les microsillons. Columbia a commercialisé le premier 33T LP en 1948, le concerto pour violon de Mendelssohn joué par Nathan Milstein et Bruno Walter en 1945. La durée par face atteint 25-30 minutes et la bande passante s'élargit notablement, d'où une belle fidélité des timbres instrumentaux dues aux harmoniques enfin audibles.


Richard Strauss dirige le Philharmonia en 1947

Walter Legge décide de créer un orchestre dédié à la prise de son en studio, finis les toux et bruits divers et les ingénieurs du son qui n'ont pas la possibilité des reprises… Très malin, il imagine une procédure : l'orchestre répète et donne un ou deux concerts, il est alors fin prêt pour la captation sans réitérer les répétitions. Legge convainc des musiciens de se lancer dans l'aventure en touchant des gratifications voire rien, pas de contrats, certains sont encore militaires et ont été repérés lors des activités de l'ENSA  ! Sir Thomas Beecham ouvre le bal le 27 octobre 1945 (son cachet : un cigare). L'excentrique maestro est milliardaire (Le laboratoire pharmaceutique Beecham fondé par son grand-père, devenu Glaxo… etc.). Il refuse de prendre en charge le Philharmonia nouveau-né pour fonder sa propre phalange, le Royal Philharmonic Orchestra en complicité avec le jeune chef Malcom Sargent. L'ambitieux Beecham a atteint son but. Il n'abandonne pourtant pas Legge, les deux hommes s'échangent leurs instrumentistes…

Après la venue de quelques chefs expérimentés comme Richard Strauss pour une soirée, il tente de séduire un faiseur de miracle à temps complet. Le gagnant sera Herbert von Karajan. Le chef autrichien dénazifié en 1947 est persuadé de correspondre à ce profil, on s'en doute😊.

 

Partie 4 : Walter Legge ou l'art de réunir des castings prestigieux

La photo ci-dessus de 1929 réunissant cinq demiurges de la direction d'orchestre est un beau mais triste souvenir de l'époque où l'Allemagne et l'Autriche dominaient le monde musical du postromantisme et de la révolution stylistique du XXème siècle… 

Furtwängler déprimé pendant son procès 

Après la capitulation, les monceaux de gravats, ceux des logements et des salles de spectacles entre autres et les millions de morts donnent une image du désastre de la vie artistique en Allemagne si intense avant 1933. Bruno Walter et Otto Klemperer, juifs, ont dû fuir aux USA (voir article précédent pour Walter) ; quant à Klemperer, il a joué aux USA le pigiste cabochard et a subi l'excision d'une tumeur cérébrale qui l'a laissé hémiplégique mais toujours talentueux ("je dirigerai avec les genoux", humour juif). Kleiber a poursuivi sa carrière en Argentine après 1937. Il ne tolérait pas que Goebbels lui interdise de jouer Wozzeck, opéra sérialiste et antimilitariste du compositeur juif Alban Berg.

Seul Furtwängler, bien que détestant l'idéologie nazie, a pu diriger jusqu'en 1945 à Vienne pulvérisé par les bombes russes d'un côté, pourchassé par Himmler de l'autre, le Reichsfürher étant persuadé que le vieux maestro était impliqué dans l'attentat de Juillet 44. Il trouvera asile en Suisse en février 45 grâce à un douanier bienveillant face à ses faux-papiers !

Toscanini souvent présent à Berlin ou à Londres avant les années 30 est accueilli aux USA après avoir mis sa vie en danger en insultant le Duce et le Führer à parts égales…

Les alliés ont imaginé le concept de "responsabilité collective" de tous les allemands pour juger à tout va : les vrais démons à Nuremberg mais aussi des intellectuels simplement restés fidèles à leur pays martyrisé. Il est vrai que la découverte des charniers de Buchenwald ou Bergen-Belsen n'aidait par à la mansuétude vis à vis de tout un peuple fanatisé et complaisant. Furtwängler eut à subir un procès en dénazification. Tout cette affaire est à lire dans la chronique dédiée à sa seconde symphonie écrite dans cette période terrible (Clic). Il fut soutenu dans cette épreuve par nombre de grands-maitres juifs exilés tel Schoenberg qui lui conseilla de rester pour "sauver l'honneur de la musique allemande". Vaguement "acquitté" comme simple "suiviste" en 1946, il fut néanmoins rejeté par la communauté musicale notamment aux USA où une tournée en 1948 donna lieu à des polémiques ; on est surpris à lire la liste des protagonistes, beaucoup d'anciens amis 😞mais des soutiens réels heureusement (Wikipédia).

Herbert von Karajan qui aurait vendu son âme au diable pour assouvir sa passion absolue de diriger, bien que détesté par Hitler, subit le même sort. Son opportunisme ne joua pas en sa faveur.


Walter Legge travaille avec Herbert von Karajan

Walter Legge profitera de l'inactivité temporaire de ces parias pour les débaucher afin de démarrer son projet Philharmonia avec brio. En 1948, Wilhelm Furtwängler et Herbert von Karajan (le premier méprisant le second au point de l'appeler Msieur K.) donnent les premiers concerts suivis d'enregistrements en studio. On ne peut pas tout citer, sauf des moments historiques : Kirsten Flagstad et Furtwängler enregistrent en studio en 1952 Tristan et Isolde en… microsillon ! (Pour certains Le must indétrônable - Clic) ; ça se discute). Le 22 mai 1950 et avec la même soprano norvégienne le chef assure la création des quatre derniers Lieder de son ami Richard Strauss*. (Nommés président et coprésident de la Chambre de la musique du Reich de Goebbels en 1933, ils en sont exclus sans déplaisir en 1935 pour refus actif d'antisémitisme.)

(*) captation inécoutable hélas !!

Elisabeth Schwarzkopf donnera les premières versions de ce testament au son correct (Strauss est mort en 1949) … en 1953 avec Otto Ackermann. Elisabeth Schwarzkopf, sympathisante nazie et proche de Hans Frank et de Goebbels réussira à passer sans ennui entre les gouttes de la dénazification. Comprend qui pourra !!! Elle deviendra Mme Legge en  1953. Un de ses meilleurs amis et accompagnateurs favoris était : Furtwängler ! Vraiment une époque bizarre.

- Dis Claude et Toscanini dans Brahms…

- Hein ? Heu ? Disons que je préparais le terrain, mais tu as raison, j'y viens comme un acteur parmi d'autres des premières années du Philharmonia. Une autre chronique plus ciblée lui sera consacrée en dédommagement…


Otto Klemperer... le commandeur

Après ces débuts prometteurs, Legge désigne Herbert von Karajan comme chef principal. Il trouva un mentor artistique précieux pour ne pas dire indispensable pendant et après la période de disgrâce du chef autrichien acquitté en … 1948 (une difficulté : que Karajan et Furtwängler ne passent pas la même porte en même temps 💣 !)

En 1955, Herbert von Karajan obtient le poste de directeur de la Philharmonie de Berlin après un quart de siècle d'intrigues ; Sergiu Celibidache perd son job partagé avec Furtwängler de retour entre 1952 et 1954, date de sa mort… Karajan reste un fidèle du Philharmonia jusqu'en 1960 et constitue une discographie que d'aucun préfère à celle pour DG, un style éloigné du legato hédoniste des années 60-70, élégant assurément mais parfois entaché de pathos. Karajan très modeste promettait de faire de cet orchestre le meilleur du monde… Vu de l'Angleterre, avouons que le contrat sera quasiment rempli, sachant que le chef travaillera de la même manière à Vienne et à Berlin

En 1959, Otto Klemperer revenu handicapé mais actif des USA, devenu ami de Legge est nommé chef à vie de l'orchestre. Il règnera avec autorité jusqu'en 1973 constituant un catalogue de référence du classique au romantisme de Bach à Mahler

En 1964, Legge trop conservateur dans sa programmation sent SON orchestre décliner, perdre des clients chez les disquaires. Il préfère démissionner et dissoudre l'orchestre !

C'est sans compter sur le désaccord total des musiciens et d'un quarteron de maestros célèbres : Otto Klemperer, le jeune Carlo-Maria Giulini et John Barbirolli s'opposent à ce gâchis tout comme Sir Adrian Boult qui, lors d'un discours de vingt minutes exhorte le public à poursuive l'aventure grâce à une floppée de concerts joués à guichet fermé… Pari gagné, le New Philharmonia orchestra voit le jour…

Legge est en rage, mais ceci est une autre histoire… Triste final pour cette folle entreprise…

 


Partie 5 : Toscanini et la disparition mystérieuse de ses symphonies de Brahms

- Mais dis donc Sonia, c'es quoi ces hurlements en italien dans le bureau du Toon ?

- Houlà M'sieur Pat, c'est le fantôme d'Arturo Toscanini qui invective Claude pour avoir attendu le 3000ème mot pour parler de lui…

- Mouais, il est vrai que ce récit de la vie musicale entre 1920 et 1964 est passionnant… Attends Sonia… ça semble se calmer…

- D'autant qu'on attend avec impatience l'affaire à la Dan Brown de ces disques… Il y a une pochette pourtant…


Toscanini souriant !!! (1952)
 
La Scala en 1900
 
Le Metropolitan Opera vers 1920
 
Toscanini à Londres en 1952

Je viens de me prendre la rincée du siècle… Enfin, le maestro spectral m'a laissé une bouteille de chianti… comme quoi ! Mes articles récents abordent désormais un sujet de réflexion sur l'histoire de la musique et un disque réalisé ou édité lors d'un événement pas banal. Aujourd'hui, la visite éclair du maestro italien à Londres pour soutenir le début en fanfare du Philharmonia. Hors de question d'écrire une biographie détaillée de cet homme stupéfiant. Voici quelques repères biographiques, un autre article doit être envisagé… Toscanini aimait les nouveautés techniques lui aussi… ces disques sont légions… Remontons le temps en 1867.

25 mars 1867 : Naissance à Parme. Le père de famille comme celui de Walter Legge est tailleur ! Garibaldien (disons social-démocrate, anticlérical…) et fredonne gaiement des airs de bel canto.

1876 - 1885 : Poussé par son père vers le Conservatoire Arrigo Boito de Parme, Arturo obtient une bourse par concours. Il démontre des dons exceptionnels, dont une mémoire eidétique qui favorisera sa connaissance au # près de centaines de partitions… Il étudie le piano, le solfège, l'harmonie et le violoncelle, son instrument de prédilection. Les conditions de vie sont spartiates, la discipline rigoriste, les dortoirs dignes de ceux d'une caserne, la nourriture frugale. Il supporte cette austérité, mais il y a plus douloureux : ses parents ne lui rendent jamais visite et ne viendront jamais assister à ses premiers concerts.

Certains psychologues attribuent ses futures crises caractérielles à ce déficit affectif cruel. Arturo apprend trop jeune à affronter la solitude, à s'imposer sans soutien.

1886 : premiers concerts comme violoncelliste et maestro. Il se rend à Rio de Janeiro comme violoncelliste pour une représentation de Aïda. Il doit remplacer le chef Superti,  inapte et hué par le public (Arturo connait la partition par cœur, inutile de répéter). Il confirme son génie et… son irascibilité. La critique publie "la naissance d'un chef" !

1886-1898 : violoncelliste puis chef, il se produira sans relâche dans le répertoire vériste et assure quelques créations. 1895 : À Turin, il fait creuser une fosse d'orchestre et peut ainsi programmer Wagner en Italie : Götterdämmerung et Tristan. Le vigoureux orchestre wagnérien, ne couvre plus les voix… Les dames doivent retirer leurs chapeaux pour ne pas gêner la vue de la mise en scène. Le public accepte facilement cette nouvelle donne imposée par Arturo. 1896 : création de La Bohème, de Puccini.

1898 : Depuis un an, la municipalité de Milan a fermé La Scala faute de budget ! Divers donateurs de la noblesse permettent sa réouverture sous la direction à poigne d'Arturo Toscanini. Le maître a 31 ans mais comprend que le style des spectacles doit s'adapter pour rendre la vénérable institution rentable. La programmation a pourtant évoluée : tout Verdi, certes, mais Berlioz, Massenet, Gounod et Wagner, etc. y sont joués dans des conditions inappropriées. Toscanini applique les innovations expérimentées à Turin : On joue l'œuvre en continu (finies les soirées mondaines avec des pseudo entractes), obscurité dans la salle, pas de bis en fin de représentation, pas de chapeau, pas d'interprétation prétentieuse des chanteurs… pas… pas de… L'opéra… c'est du sérieux 😊. Il n'obtiendra la fosse d'orchestre qu'en 1907 ! Puccini débute et fait scandale… Ah la nouveauté… les pour, les contres… Toscanini opiniâtre ne lâche rien malgré un salaire symbolique. Malgré tout, certains soirs les mauvaises habitudes resurgissent : les bis, la phobie de Toscanini qui claque la porte en 1902

1906-1908 : Il accepte de revenir, mais complots et conflits d'ego reprennent. Il crée enfin Wagner et Debussy grâce à la fosse enfin achevée, se brouille avec Richard Strauss et claque la porte de nouveau plus par lassitude qu'aigreur. Les critiques ? Il est blindé…

19081915 : Arturo accepte la direction artistique du Metropolitan opéra de New-York malgré une hostilité de critiques yankees, et la codirection de la Philharmonie New-Yorkaise alors sous la coupe de Gustav Mahler.

1919-1929 : La scala, le retour épisode III : À 53 ans, son autoritarisme s'accentue encore au bénéfice de la qualité des spectacles.

1929 : Depuis 20 ans, le fascisme a gangréné l'Italie et en Allemagne le nazisme débute sons ascension. Socialiste dans l'âme, Toscanini avoue une petite séduction pour les premières lois sociales du Duce. Mais en 1922, après la marche sur Rome et le début de la dictature de Mussolini, il n'a pas de mots assez durs contre le Duce jusqu'à l'insulte. Il refuse de jouer l'hymne fasciste à la Scala ou ailleurs… "C'est la scala ici Monsieur, pas une guinguette". (Le dire en hurlant). Un soir, il est presque lynché par des faisceaux italiens. Partir en Allemagne ? Pays allié où il a dirigé souvent y compris à Bayreuth en 1930 serait possible. Mais avec Hitler qui approche du pouvoir ?... Même pas en rêve. Il doit sauver sa peau, celle de sa femme et de ses quatre enfants… Toscanini l'humaniste.

1928-1936 : Toujours en contrat avec la philharmonie de New-York, Toscanini s'installe définitivement aux USA.

1937-1954 : Le groupe audiovisuel NBC crée un orchestre pour Toscanini âgé de 70 ans. Admiré par Pierre Monteux et d'autres maestros de renom, passionné d'évolutions techniques, considéré comme le meilleur chef et le plus innovant de la planète malgré ses sautes d'humeur délirantes… il constitue avec NBC et RCA une discographie issue de concerts diffusés à la radio… On reparlera. Il s'éteint épuisé en 1954 à 87 ans… 

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Avec le NBC orchestra conçu exclusivement pour lui, Toscanini interprétait souvent Brahms, notamment au début des années 50. La Columbia utilisait des micros RCA très performants. Le label RCA ayant l'exclusivité de la publication…. Il est invité à Londres en 1952 pour ajouter une "perle" à la discographie du Philharmonia. À la fin de sa vie Toscanini ne quittait guère les USA que pour diriger à La Scala. Pourtant il accepte et vient en Angleterre pour la dernière fois de sa vie pour donner les quatre symphonies en deux soirées en concert public.

Le chef italien proposait un Brahms étincelant et bouillonnant, débarrassé des oripeaux d'un romantisme grassouillet. Le compositeur allemand ne revendiquait il pas un modèle de composition postclassique en plein siècle romantique, un héritage plus beethovénien que wagnérien ?

Pourtant les disques ne seront jamais fabriqués !

Comme à l'accoutumée, les concerts diffusés en Live avec le Philharmonia tiennent lieu de répétitions avant les captations en studio pour débarrasser le son des bruits parasites, voire reprendre des passages insatisfaisants. Imparfaits mes concerts ? Une notion qui pouvait n'avoir aucun sens pour Toscanini et par ailleurs une méthode contraire aux pratiques de la NBC. Aucun témoignage ne donne d'explication à l'absence du maestro dans le studios n° 1 d'Abbey Road, au Kingsway Hall, au Royal Albert Hall, ainsi qu'au Royal Festival Hall (où avait eut lieu le concert !), choix dépendant de la taille de l'orchestre et du planning.

Questions : La défection ou le refus de repasser sans changer de salle par l'épreuve  "studio" a-t-il irrité Walter Legge ? Herbert von Karajan, directeur artistique, a-t-il mis un veto à l'écoute de cette interprétation opposée au style germanique élégiaque à la mode pour la musique de Brahms. Pensait il graver une intégrale de son cru en mono ? ce qu'il fera vers 1957 ? C'était sans compter l'interprétation d'Otto Klemperer en 1958, en stéréo de qualité, une vision très haut de gamme et dans la tradition "pseudo romantique"… Elle demeure la version toujours rééditée régulièrement du catalogue…

J'avais promis une théorie, choisissant ce mot car, on l'aura compris, je ne sais absolument pas pourquoi il a fallu attendre l'an 2000 pour entendre ces exécutions raffinées et épiques. Je ne précise aucun détail sur le jeu assez extraordinaire de clarté et de conviction de Toscanini. Écoutons simplement… 


Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. 



© Rédigé sans recourt à l'I.A.! Une chronique 100% Bio 😀
Sources : Wikipédia, Web, ouvrages divers, livret de disques LP et CD.

7 commentaires:

  1. Quand je vois la photo de Sir Thomas Beecham (qui fera un enregistrement magnifique de "Peer Gynt" de Grieg avec le Royal Philharmonic Orchestra en 1959) je ne peux m'empêcher de penser a une anecdote le concernant. Le gentlemen connu pour son humour légendaire demandait le matin s'il n'avait pas reçu un télégramme de Mozart. Un chef qui comme Pierre Monteux n'avait pas besoin d'hausser le ton comme Toscanini pour que l'orchestre fonctionne bien. Le parallèle avec Stanislas Lefort ne pouvait être mieux choisis.

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  2. Shuffle Master.20/11/25 12:36

    Pas tout compris, mais je vois qu'en musique comme dans d'autres domaines, le dénazification a montré ses limites. Ce n'est pas vraiment surprenant non plus.

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    1. En effet Shuffle... Juger l'anti nazi Furtwängler (pièce de théâtre et film passionnant) et ne pas envoyer au piquet quelques temps Mme Schwarzkopf qui batifolait semble-t-il avec deux des pires monstres laissent interrogatif sur ce concept "tous coupables"... Quand on voit le score du RN... Ô pardon pas de politique dans le blog...

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  3. Ouch ! Y'a de quoi alimenter aisément une ou deux séries télés, riches de trois saisons.

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  4. Par contre... on parle beaucoup d'Allemands et d'Autrichiens, mais il ne me semble pas avoir jamais lu, ici, un truc sur les frères Marcello. Aaaahhh ?
    - c'est Arturo qui m'y fait penser - 😁
    Une découverte due à une émission sur France Musique - hélas prise en cours -. De mémoire, les œuvres diffusées étaient celles d'Alessandro.

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  5. Numériquement et talentueusement parlant, Allemands et d'Autrichiens dominent la musique classique pendant deux siècles... Un fait historique .
    Oui Alessandro Marcello est une bonne idée pour changer des chroniques fleuves... On ne croule pas sous les enregistrements cela dit...😁

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    1. Okay. Je ne connaissais rien des Marcello, et ce que j'ai pu écouter à la radio était plutôt rafraichissant et enjoué. Un peu dans la mouvance d'un JS Bach. Alors, curieux, j'ai voulu en apprendre un peu plus. J'vais sur Le Blog (le Déblocnot', évidemment), et plonge dans la rubrique.
      Je fouille, je fouille, trifouille, et... rien. Y'a pas de Marcello. Consternation... 😲😁
      Maintenant, s'il n'y que deux ou trois singles (un 78 tours) à son actif...

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