Sonia s’arrache les cheveux… Claude Toon lui a remis un post-it pour chercher des infos sur les sites web : une seule indication : Haydn, Symphonies 88-92. Elle essaye de s’y retrouver dans un tableau à rallonge du classement des 104 (107) œuvres symphoniques du père Joseph… tout en essayant de faire le point avec l’index mentionnant celles déjà commentées depuis 12 ans… Les préférées du Toon dans la période des N° 40, les six Parisiennes, de 83 à 87 lors d'une seule chronique, et certaines londoniennes, 93 à 104, réparties dans des billets assez fournis… À partir de là, pourquoi existe-il ces cinq symphonies composées hors d’un cycle sans titre mais en peu de temps ? SOS Claude…
- Claude, il semble que ces symphonies soient une suite de cinq symphonies complémentaires au groupe des six parisiennes… Là, j’ai besoin de toi…
- Bigre tu en dis déjà beaucoup Sonia, elles sont de la même veine en plus élaborées et pétulantes que les parisiennes et anticipent la dernière période créatrice dans le genre de Haydn, les londoniennes qui, en prime, ont un petit air préromantique…
- Ah, ouf ! Par contre la gigantesque philharmonie de Berlin pour cette musique plutôt légère et enthousiaste… drôle de choix ?
- Simon Rattle a tout compris de la pensée de Haydn et fait sonner les instruments de Berlin à merveille, une concurrence rude pour les adeptes du style ancien….
Haydn en 1785 |
Haydn, homme jovial et génial (pour esquisser une rime), mais un catalogue disons… galère pour votre rédacteur - en addiction de ses symphonies - cherchant à vous faire découvrir l'immensité de son univers instrumental. Je pourrais me limiter à ne commenter que les meilleures me diriez-vous, mais hélas, c'est là qu'est l'os*, dans la centaine et plus de partitions, les symphonies oscillent toutes qualitativement entre l'excellence et le chef-d'œuvre indiscutable.
(*) La grand vadrouille "Pas d'hélice, hélas c'est là qu'est l'os" 😊.
104 symphonies plus 3 posthumes, vous m'imaginez écrire une chronique par opus… Ok avec 52 semaines par ans, la boucle serait bouclée en deux tours du globe terrestre mais mon lectorat se sera sublimé (au sens physique-chimie). Bon disons… évaporé, un grand dommage pour ces partitions justement souvent sublimes… J'arrête mon blablas…
Heureusement, les symphonies de Joseph ne dépassent jamais la demi-heure, plus souvent la vingtaine de minutes, et pour les œuvres de sa fin de carrière, elles sont réunies par cycles. Ainsi, il existe une chronique pour présenter les six symphonies parisiennes (Clic) et une autre dédiée à 3 londoniennes par Sir Thomas Beecham dont la verve et l'humour british sert fort bien cette musique. Pour au moins l'une, l'analyse détaillée s'applique aussi aux douze œuvres constituant lesdites londoniennes… il s'agit de la N°103 par Franz Brüggen. Le commentaire offre un guide exhaustif de l'écriture de Haydn, tant sur la nature riche et pleine de verve thématique chère au compositeur que sur les formes sonates traditionnelles quoique empreintes de libertés et de facéties caractéristiques de son style.
Une sélection des meilleures partitions de la période Sturm und Drang : 44, 45 et 49 appelle la même remarque… Et pour conclure dans le style "3 symphonies pour une seule" analyse, le chouette trio des N°6 à 8 évoquant les "Heures du jour" de 1761 sous la baguette de Günther Herbig (1975), interprétation en compétition avec celle du Freiburger Barockorchester (2002) (Clic). Haydn requiert une orchestration à mi-chemin entre les effectifs baroques et classiques (pas de trompettes, ni de trombones ou encore de clarinette en cours d'invention).
Oxford University |
Si certains chefs ont osé enregistrer des intégrales (Antal Dorati – Dennis Russell Davies – Adam Fischer ou encore le trio Hogwood, Brüggen, Dantone), la discographie regorge par ailleurs de programmes d'ouvrages isolés, choisis par passion par d'autres maestros, des gravures qui rassemblent quelques symphonies composées par Haydn pour les besoins d'une saison de concerts ou pour répondre à un désir personnel (le "au cas où… ça peut servir") ou encore une commande particulière. Je citerai la démarche de Neville Mariner qui, à l'époque du vinyle, publiait de temps à autres 2 ou 3 opus suivant une thématique (N°31 "l'appel des cors" et N°73 "La chasse", logique 😊). Un patrimoine du chef british que DECCA a judicieusement réédité dans un coffret de 15 CD…
Et dans ce domaine des florilèges, le disque de ce jour se révèle une perle. Qui aurait pensé que la puissante philharmonie de Berlin, familière de R. Strauss, Bruckner ou autres compositeurs adeptes des orchestrations généreuses, monte en haut du podium lors d'une confrontation dominicale sur France musique (La tribune des critiques de novembre 2017) opposant six versions de la symphonie N°92 "Oxford" ?
Et bien ce fut le cas avec la vision virevoltante de Simon Rattle à la tête de la célèbre phalange ; la symphonie concluant une anthologie captée en 2007 des symphonies N° 88 à 92, à savoir les cinq symphonies composées par Haydn entre le cycle des parisiennes (N° 84 à 87) et celui des londoniennes (N° 93 à 104). Soulignons que Haydn avait déjà été bien servi par Rattle en tant que chef du City of Birmingham Symphony Orchestra pour la firme EMI devenue Warner, diverses symphonies, la Création... et déjà la symphonies N° 88.
Nicolas Ier Joseph Esterházy |
Cet ensemble de cinq symphonies forme-t-il une parenthèse méli-mélo quoique attachante dans l'évolution du travail de Haydn dans le genre ? Et bien pas vraiment ! La symphonie N° 88 est composée en 1787 dès le retour de Haydn à Vienne après son séjour à Paris qui a vu la création des six symphonies parisiennes entre 1785 et 1786 (la chronologie exacte des compositions étant 83, 87, 85, 82, 86, 84) dédiées au Comte d'Ogny le commanditaire. Une œuvre enflammée, tout comme la N° 89, écrite la même année… D'esprit réjouissant, elles sont deux prolongements stylistiquement parlant des parisiennes… Ces deux partitions marquent le retour au service du Prince Nicolas Ier Joseph Esterházy, protecteur de Haydn et mécène.
Fidèle à ses commanditaires, les symphonies suivantes, N° 90 à 92 composées en 1788 répondent à une nouvelle commande du Comte d'Ogny déjà dédicataire des Parisiennes… Elles sont destinées à animer les soirées dites du Concert de la Loge Olympique. Cet orchestre actif de 1782 à 1789 est évidemment lié à une Loge Franc-maçonne, la Parfaite Estime ! La Révolution ayant bousculé le calendrier des créations, la N° 92 sera créée à Londres en 1791 en l'absence d'Ogny décédé en 1790. Lors de ce premier voyage londonien de Haydn, le compositeur est nommé Docteur Honoris causa de l'Université d'Oxford. La symphonie est jouée lors de la cérémonie de la remise de ce diplôme honorifique et a ainsi reçu le sous-titre de "Oxford". Les douze symphonies dites Londoniennes ayant été conçues à Londres lors de deux voyages dans la Capitale de la perfide Albion entre 1791 et 1795, je considère que par son style, la symphonie N° 92 "Oxford" se présente comme une "préquelle" viennoise de ce cycle anglais de douze compositions sans équivalent dans l'histoire de la musique…
Je ne présente plus Simon Rattle déjà artiste du jour dans cinq chroniques du Blog. Des détails sur sa brillante carrière qui l'ont amené en 2002 à succéder à Claudio Abbado, déjà gravement malade, comme patron de la Philharmonie de Berlin sont à lire dans le billet sur sa géniale interprétation de la 10ème symphonie de Mahler (édition complète Cooke), gravure avec laquelle il se fit connaître au niveau international en 1980 – (Clic).
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Simon Rattle en 2006 |
Il y aurait peu d'intérêt à proposer une analyse aussi détaillée de ce groupe de symphonies que celle rédigée pour la symphonie N° 103. Haydn les ayant composées sur une période de trois ans, la structure en quatre mouvements se révèle une constante sur la forme. Sur le fond, je considère Haydn comme LE génie de l'inventivité mélodique. Dans le choix des thèmes et des motifs, ce diable d'homme ne se répète jamais. Le prologue lent et rêveur (noté largo ou adagio) qui précède l'allegro se métamorphose de partition en partition, rien d'itératif dans les rythmes et les émotions distillées par les motifs comme c'est parfois le cas dans les concertos grosso d'un Haendel.
Donc, pas de cours académique, voire rébarbatif cette semaine. Je propose de limiter le petit guide habituel à deux exemples extraits dans les cinq symphonies. Toutes les clés de l'art de la fantaisie, de la tendresse de la bonhomie de Haydn y sont dévoilées…
Les orchestrations sont héritées de l'époque classique. Pas de clarinette qui apparaîtra dans la N° 99, et dans les dernières de Mozart (à partir de la N° 39) encore moins de trombones introduits discrètement dans la 5ème de Beethoven. On peut ajouter un piano forte ad libitum depuis lequel Haydn dirigeait l'orchestre lors des créations :
88 : 1 flûte, 2 hautbois, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, timbales, cordes.
89 : 1 flûte, 2 hautbois, 2 bassons, 2 cors, cordes.
90 : 1 flûte, 2 hautbois, 2 bassons, 2 cors, timbales, cordes.
91 : 1 flûte, 2 hautbois, 2 bassons, 2 cors, cordes.
92 : 1 flûte, 2 hautbois, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, timbales, cordes. 😅
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Le double album réunit les cinq symphonies. Il est complété par un final alternatif pour la symphonie N°90 et de la Sinfonia concertante, parfois titré symphonie N°105, datée de 1792 et créée à Londres. L'orchestration est identique à celle de la N°88. Voici la chronologie des mouvements dans la playlist YouTube.
Symphonie No. 88 (sol majeur) |
Symphonie No. 89 (fa majeur) |
Symphonie No. 90 (Ut majeur) |
1. Adagio - Allegro 2. Largo 3. Menuetto - Trio 4. Finale. Allegro con spirito
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5. Vivace 6. Andante con moto 7. Menuetto - Trio 8. Vivace assai |
9. Adagio - Allegro assai 10. Andante 11. Menuetto – Trio 12. Allegro assai Finale.
13. Allegro assai (Alternative Version) |
Symphonie No. 91 (mi 𝄭 majeur) |
Symphonie No. 92 (sol majeur) |
Sinfonia concertante |
14. Largo - Allegro assai 15. Andante 16. Menuetto. Un poco allegretto 17. Finale. Vivace |
18. Adagio - Allegro spiritoso 19. Adagio 20. Menuetto - Trio 21. Finale. Presto |
22. Allegro 23. Andante A 24. llegro con spirito |
Symphonie N° 88 : Haydn a grandi dans la tradition de "l'ouverture à la française" débutant une œuvre orchestrale, suites, concertos grosso, etc. [1 – 00:00 – 00:52 - adagio] les moyens solfégiques d'une grande simplicité, un motif aux cordes répété deux fois précédant un dialogue bois-cordes.
Ah papa Haydn et sa fantaisie mélodique insatiable : un peu de sévérité hautaine dans le motif 1 accentuée par des anacrouses cadencées puis un motif 2 fraichement ludique et guilleret. Toute la partition repose sur cette opposition qui rend son œuvre symphonique si populaire… Ces atermoiements sont encore plus accentués dans le largo passionné voire pathétique. Quant au final, l'humour est omniprésent dès l'exposé du premier thème… Une facétieuse chevauchée avec comme toujours chez Haydn un développement qui progresse mesure par mesure dans un espace sonore à plusieurs dimensions, en moins de 4 minutes !
Symphonie N° 92 : [21 – Finale. Presto] Presto, oui jusqu'à la douce folie ! Haydn exige une vélocité délirante des musiciens dans ce final, un mixe entre le lapin pressé de Lewis Caroll et un Tom et Jerry, chevauchée loufoque martelée par les timbales… Ça cartoone !!!! Voir le déluge de notes à la page 36 dans la partition.
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée. Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…
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INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool.
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