Il peut être étonnant que une dans une société avant tout assise sur l'équilibre précaire de la consommation, le public, ou du moins une frange de celui-ci, puisse continuer à manifester de l'intérêt pour des groupes qui ont arrêté toute activité depuis des décennies. D'autant plus surprenant lorsque la discographie du groupe concerné est mince. Certains petits malins travaillent durement pour maintenir une flamme vacillante grâce à des reformations occasionnelles – ou périodiques pour d'autres (l'éternel retour) -, suivies d'une ribambelle d'albums live (pour une bonne part frelatés). Mais pour d'autres, la fascination traverse les années, voire les décennies. Parfois même au grand dam de quelques critiques qui avaient voulu promptement enterrer la bête, espérer ne plus jamais l'entendre.
Le MC5 est de ceux-là. Trois albums, seulement trois albums officiels sortis successivement en 1969, 1970 et 1971. Et une dernière année, à tenter de survivre, avec difficultés et dans la douleur, en se désagrégeant, en perdant sur la route ses membres, jusqu'à finir l'année, le 31 décembre 1972, avec les seuls Fred « Sonic » Smith et Wayne Kramer comme membres originaux. Après quoi, séparément, les cinq de la Motor City entament un long parcours semé de désillusions, de déceptions, d'incertitudes, de précarité. Et puis surviennent les premiers décès, précoces, injustes. A commencer par celui du chanteur, l'inégalable Rob Tyner, qui décède d'une crise cardiaque dans sa voiture, à 46 ans, quelques mois après la sortie de son premier album solo, dans lequel il avait mis beaucoup d'espoir, et qu'enfin, une tournée digne de ce nom était mise en branle. Deux ans plus tard, le 4 novembre 1994, c'est celui de Fred « Sonic » Smith, qui décède également d'une crise cardiaque, à 45 ans.
Ainsi, toute velléité de reformer le quintet et de monter à nouveau sur les planches pour y mettre le feu, font désormais partie d'un passé révolu. Pourtant, cela n'aurait pas été une gageure tant il y a de groupes qui, depuis les années soixante-dix, émergent régulièrement en revendiquant l'influence du MC5. Participant ainsi à maintenir un engouement pérenne. Et puis, en 2003, Wayne Kramer, Michael Davis et Dennis « Machine Gun » Thompson décident de remettre le couvert. Quand tant de groupes reprennent quelques uns de leurs morceaux sur scène (et plus rarement sur disque), trop souvent dans des versions laissant à désirer, il n'y a aucune raison valable qui empêcherait ces gars-là de faire vivre leurs propres biens (musicaux). Les trois rescapés préfèrent néanmoins se rebaptiser sous l’appellation de DKT-MC5 (l'acronyme DKT pour les initiales de leur patronyme). Un geste respectueux envers les défunts, et le public... car, on remarquera qu'en dépit d'illustres intervenants, personne ne parvient vraiment à faire oublier Rob Tyner et Fred Sonic Smith. Même si Nicke « Royale » Andersson (des Hellacopters) semble connaître sur le bout des doigts le vocabulaire de Smith ; et si les autres intervenants ne s'économisent pas (que ce soit Ian Atsbury, Lemmy ou Dave Vanian), ce MC5 n'est plus cette centrale électrique crépitant d'éclairs foudroyants, au bord de l'implosion. Toutefois, un DVD témoigne de la bonne tenue des prestations. Au niveau du chant, ce ne sera que trois ans plus tard, avec Lisa Kekaula des BellRays que ce MC5 revisité arrivera le plus à se rapprocher de l'énergie débridée et des intonations de Tyner.
Cependant, tout le monde a pris de l'âge, et les tournées, bien que modestes, deviennent difficiles à assumer, obligeant les musiciens à espacer la fréquence des prestations. D'autant que les musiciens s'en tiennent à leur high-energy rock'n'roll, échappant aux tentacules visqueuses de la bluette. En même temps, ce n'est pas ce qu'on attend d'eux.
En février 2012, c'est Michael Davis qui casse sa pipe à 68 ans, à la suite d'une insuffisance hépatique.
En 2018, sous l'appellation MC50, Wayne Kramer, 70 ans, commémore le cinquantième anniversaire de leur premier album, « Kick Out the Jams », en organisant une nouvelle tournée. Cette fois-ci, la formation est controversée. En particulier à cause du chanteur, Marcus Durant (Zen Guerilla) – à l'évocation d'avis tièdes vis-à-vis des prestations de cette mouture, brother Wayne concéda, comme une excuse, que c'était le seul qu'il ne connaissait pas.
Enfin, en 2022, Wayne Kramer fait à nouveau parler de lui en annonçant un prochain album du MC5. Curieuse annonce, dans le sens où le quintet ne compte plus que que deux survivants. L'album sort tardivement en raison de problèmes de santé - et de l'âge - de Wayne et Dennis (finalement fera peu de sessions). Mais alors que les séances d'enregistrements sont closes, Wayne Kramer succombe à un cancer du pancréas le 2 février 2024. Il avait 75 ans, tout comme Dennis Thompson, lorsque le 9 mai 2024, il est terrassé par une crise cardiaque (la troisième du groupe).
MC5 2022 - Kramer, S. Salas, Brad Brooks, Vicki Randle |
Le quatrième et dernier album du MC5 est donc un album posthume. Il clôture la carrière d'un groupe qui en dépit d'un parcours particulièrement chaotique, est resté emblématique. Cependant, avec un dernier essai, sorti plus de cinquante ans après le précédent, est-ce que Wayne Kramer – principal instigateur de l’œuvre en question -, ne prend pas le risque de ternir le blason du quintet ? Probablement, pour certains qui attendraient un album dans la continuité de « High Time », voire, bien qu'encore plus improbable, dans celle de « Kick Out the Jams ». Mais cela aurait été à l'encontre de la démarche d'un groupe dont chaque album est différent (certes, le lot est bien maigre), tout en gardant une identité propre, immédiatement reconnaissable – et souvent imitée. Et puis, est-ce que brother Wayne a encore l'esprit et l'énergie pour incarner quasiment à lui seul le MC5 ? Ce groupe représentatif d'un « high energy Rock'n'roll », d'une jeunesse en colère et revendicative ? Pour éviter toute polémique, brother Wayne aurait pu se contenter de sortir un album sous son nom, cependant, depuis quelques années, conscient de l'énorme héritage dont il était détenteur, il avait à cœur de pérenniser cette musique qui a su garder toute sa force.
Alors, oui, certes, la fougue qui animait jadis le MC5 n'est plus. Cependant, dans l'ensemble, les compositions de Kramer dégagent une belle énergie communicative. Qui fait d'ailleurs défaut à des « gamins » - qui cachent parfois un cruel manque d'inspiration et de création derrière un débit assourdissant de distorsions et de cris intempestifs. Pour ce dernier assaut héroïque, Wayne s'est appuyé sur le célèbre producteur Bob Ezrin. Qui, non seulement ne semble pas prêt à se reposer et à savourer une douce et tranquille retraite, préférant profiter d'un net regain d'intérêt depuis ses récentes productions pour Deep Purple et Alice Cooper (celui-là même avec lequel il a débuté sa carrière de producteur, en 1971) - et goûtant certainement au plaisir de création partagée avec des musiciens choisis. Pour le chant, un poste donc on ne peut plus délicat au sein du five, Wayne a débusqué Brad Brooks (quasiment inconnu outre-Atlantique) qui s'illustre habituellement plutôt dans une tonalité folk-rock nimbée de soul. Toutefois, ici, il s'épanouit en qualité de rocker, secondant parfaitement brother Wayne, et participant activement à finaliser une majorité de chansons.
Kramer & Bob Ezrin |
Quand retentissent les premiers instants du morceau « Heavy Lifting », il est clair que le MC5 n'a pas été ressuscité (ou recomposé tel le monstre du docteur Frankenstein, constitué de pièces rapportées) pour faire dans la nostalgie ou le pastiche. D'entrée, c'est un boulet rouge qui ouvre l'album. Une pièce lourde, une déflagration aux couleurs d'Audioslave – avec Tom Morello à la guitare – où le néo-MC5 démontre qu'il a toujours la gnaque et la rage « … l'Enfer a tout déchaîné ci-dessous. Le Paradis n'avait nulle part où aller. Le crime va payer pour tous mes péchés. Le crime va payer pour tout !! ». A travers le fougueux « Barbarian at the Gates » (co-composé avec Bob, et Brad), entre sa batterie échevelée – assurée par le multicarte Abe Laboriel Jr qui cogne ici comme l'authentique « machine gun » -, son duo de guitares énervées et l'intervention d'un harmonica batailleur, ce serait même le MC5 original qui renaîtrait de ses cendres. Tout comme le saisissant « Boys Who Plays with Matches », en dépit d'un refrain modéré, assez power-pop, ou encore « Can't Be Found » avec Vernom Reid (de Living Color) et Dennis Thompson. Même si cette dernière chanson évoque aussi fortement les Hellacopters, ou plus encore Imperial State Electric. On croirait même d'ailleurs entendre Nicke Andersson au micro. L'affiliation avec Imperial State Electric est plus marquée encore sur "Blind Eyes", mais dans sa facette la plus "pop".
« The Edge of the Switchblade » (repêché de « The Hard Stuff », l'album solo de Kramer de 1995), fort de l'apport de William DuVall (second chanteur d'Alice in Chains) et de Slash avec un solo concis, inspiré et mordant, tranche aussi dans le lard. Il s'en dégage une sensation live où tous les musiciens sont à la fête, galvanisés par la musique. C'est ce qui ressort d'ailleurs sur une bonne partie de l'album, cette impression que tous les intervenants ont pris un réel plaisir à jouer, s'éclatant littéralement, jouant ensemble dans la même pièce. Même Ezrin ne résiste pas à la tentation d'apporter son concours à quelques chœurs aux allures de revendications scandées dans une manif. Presque aussi sauvage, « Black Boots » enchaîne avec un ton fermement revendicatif, tel un appel à descendre dans la rue pour braver "l'ordre imposé". Plus léger, mais toujours franchement rock'n'roll, la reprise "Twenty Five Miles" d'Edwin Starr (son deuxième plus grand succès, après le célébrissime "War"), en mode heavy, emportée par l'engouement communicatif des lascars ; Ezrin a le bon goût d'y rajouter épisodiquement des cuivres pour exacerber le côté festif.
L'excellent Stevie Salas qui accompagnait Wayne sur scène depuis quelques années ne ferait ici qu'une apparition (on semble pourtant reconnaître sa patte sur une poignée d'autres morceaux). Précisément sur le rigolard "Because of Your Car" qui évolue dans une marmelade funky - une crème onctueuse faite d'ingrédients de Kotzen, de Robin Trower et de Prince. "Peut-être, peut-être que je t'aime juste, bébé, je t'aime à cause de ta voiture". Plus funk encore - mais bien moins digeste - avec "Hit It Hard", dans la mouvance d'un Parliament d'antan. Mais avant ça, "Blessed Release" se révèle assez pénible. Deux morceaux en clôture qui gâchent un peu la fête.
Le pari était osé, l'attente pesante, la pression lourde, mais ce définitif " Heavy Lifting " laissera le souvenir d'un Wayne Kramer droit dans ses bottes, n'ayant de comptes à rendre à personne, composant et interprétant sa musique sans vision commerciale. C'est pourquoi cet album ne plaira probablement pas à tout le monde (de la sphère rock), et encore plus difficilement son intégralité. Sans doute moins marquant et séminal que les trois originaux, Wayne Kramer n'aura pas pour autant terni l'image du MC5. Au contraire du live de la version DeLuxe présentant un condensé de la tournée du MC50 (10 x MC5) de l'automne 2018. Bien dommage que ce ne soit pas Lisa Kekaula au chant, ou Brad Brooks qui, sans imiter le fabuleux Rob Tyner, s'en inspire pour une intégration des plus satisfaisantes.
« Wayne was a force of nature. A soul man in a rock'n'roll body » Bob Ezrin
🎶 🚗5
Exemple type du groupe qui s'est complètement cramé en peu d'années: tournées, substances habituelles, plus "surveillance" du FBI en raison de positions politiques assez fumeuses, mais franchement revendiquées. Le son de Kick Out the jams est particulièrement calamiteux surtout sur la face B.... Abe Laboriel Jr, batteur imposant et lymphatique, je l'imaginais un peu partout, sauf avec MC 5...Le groupe a perdu beaucoup de son crédit avec le couple Fred Sonic Smith / et la poétesse de 4 sous Patti Smith. Syndrome Yoko Ono.
RépondreSupprimer"Positions politiques" encouragées et inculquées par John Sinclair, avec notamment le mouvement "White Panthers" (dont on retrouve discrètement le symbole - dessin de Fred Smith, sauf erreur - sur la pochette et le CD du live en bonus). Mouvement qui n'avait rien de raciste, contrairement à ce qui a longtemps été relaté dans la presse, mais qui au contraire se voulait être un soutient aux "Black Panthers". Prônant également une lutte armée, une révolution autre que musicale (ce qui entraîna le traquenard tendu à Sinclair pour le mettre à l'ombre pour dix ans - le "Ten for Two" de John Lennon -). Toutefois, John Kay de Steppenwolf fut assez critique envers ce mouvement, annonçant qu'ils étaient plus aptes (notamment en parlant de certains membres du MC5) à brandir un flingue devant une pauvre grand-mère que de descendre dans la rue devant des forces de l'ordre. Et aussi plus aptes à s'exploser la tronche à l'aide de substances diverses - précisant que cela n'enlevait rien au talent musical du MC5, même s'ils ont gâché leur potentiel.
SupprimerSurveillance effective, et case prison. Une relativement sévère pour Wayne Kramer (récidiviste). Milieu carcéral qu'il connu suffisamment pour s'impliquer dans une association pour la réinsertion des délinquants. Le Jail Guitar Doors qui dispense des cours de musique et fournit des instruments pour ouvrir les détenus à autre chose. Wayne et d'autres se rendaient régulièrement dans les établissements pénitenciers du pays (plus nombreux que les états) pour s'entretenir avec des délinquants, dans l'espoir de parvenir à les extraire d'une spirale criminelle.
Ça c'est précis. Il faut demander que la DGSE se dote d'un bureau rock dont tu serais l'honorable correspondant.
Supprimerça paye ? ... est-ce pris en compte pour la retraite ? (est-ce que je crois au Père Noël ? 😄)
Supprimer😄 Patti Smith / Yoko Ono ! 😲😁😂😄 Rien à voir (grosse rigolâde) 😂 Cela faisait belle lurette que le MC5 était mort lorsque Smith et Smith se sont mis ensemble, et aucune réunion envisageable lorsque le couple eurent leur premier enfant.
RépondreSupprimerC'est plutôt Patti qui mis un terme (temporaire) à sa carrière florissante pour s'occuper de ses enfants, jusqu'en 1988 et l'album "Dream of Life" (avec l'excellent "People Have the Power") composé à deux - Patti et Fred Sonic Smith.
Et s'il y avait eu une reformation du MC5, je ne pense que Patti aurait mis son nez dans la musique. D'ailleurs, les quelques chansons du BÖC auxquelles elle a participées sont plutôt bonnes, non ?
Sacré SM 😉
C'était rétrospectif: comment avoir pu apprécier un type qui va se mettre à la colle plus tard avec Patti Smith? L'abus de substances n'explique/n'excuse pas tout.
RépondreSupprimerLes occasions de rire deviennent rares, il faut en profiter. De rien.
SupprimerSpoiler : elles vont le devenir de plus en plus (rares)...
SupprimerOui, le rire. Peut-on rire de tout et de n'importe quoi ? Une problématique.
SupprimerEt j'en connais quelques uns - dont un grand fan - qui ne devrait pas apprécier la remarque sur Patti 😄
C'est également un grand fan du Boss.... 😊
Toutefois, loin d'être obtus, il accepte la critique - et conçoit sans mal qu'on peut ne pas être sur la même longueur d'onde.
[ Spoiler : une qualité devenant rare ]
Allo ? Vous m'avez appelé ?
SupprimerSachant que la chanson la plus célèbre de miss Patty lui a été offerte par le Boss, je ne peux donc pas jeter aux orties toute sa discographie... Mais je n'en suis pas un fan invétéré pour autant. J'avais eu une occasion d'aller la voir en concert, je n'y suis pas allé. J'apprécie beaucoup ses livres, enfin... les deux que j'ai lus. Mais comparer Smith et Ono ne me serait jamais venu à l'idée. Tiens, j'ai revu l'autre soir sur Arte le "Rock'n'roll circus", avec notamment la prestation de Lennon & Clapton & Richards. Sur la dernière chanson, Yoko Ono vient pousser des vocalises stridentes de bête aux abois, c'est juste insupportable. Mais Clapton reste digne. Défoncé comme il était, il n'a pas du se rendre compte.
Je pensais à Dominique... qui avait en 2023 fait le déplacement jusqu'à Paris pour le voir, et devait enchaîner avec l'Italie.
SupprimerEt concernant Patti, il doit avoir lu toutes ses écrits