jeudi 22 août 2024

RIP ALAIN DELON (1935 - 2024) clap de fin, par Luc B.


Quand un acteur comme Delon casse sa pipe, le plus sûr moyen d’évaluer son importance dans le bizness, c’est d’aller relire son CV. Regarder les titres, les collaborations, et, ce n’est pas inintéressant d’aller voir aussi les propositions rejetées ou les projets avortés. Et on se rend compte, qu'en gros, Alain Delon a dominé le cinéma européen pendant quasiment 20 ans. En atteste une notoriété à l'étranger qui ne s'est pas démentie. Malgré les frasques politico-médiatiques, sorties de route avec dérapages pas toujours contrôlés, drama familiaux, caractère de chiottes, amitiés controversées, la carrière de l'acteur-producteur, ne fait pas polémique, tout le monde est d'accord pour reconnaître que le gars a pesé dans le métier.

Avant même d’être passé devant une caméra, il est déjà repéré par un agent américain (qui bossait pour David O Selznick) en quête de belles gueules, alors qu’il fait la bamboche au festival de Cannes avec Jean Claude Brialy. Sa p'tite amie de l'époque modère ses ardeurs et le présente aux frères Allégret, avec qui il tournera ses deux premiers métrages. Delon décline la proposition hollywoodienne, ce ne sera pas la dernière fois. Début 70, le producteur star du Nouvel Hollywood Robert Evans, lui proposera LE PARRAIN, rien que ça, le rôle de Pacino. Et franchement, quand on voit les scènes où Michael Corleone s’assoie, croise les jambes, ne dit rien, tire la gueule et tétanise tout le monde, on se dit que Delon n’aurait pas été mal non plus, surtout quand on sait les accointances du gars avec le Milieu... A mon sens, il était déjà trop âgé pour le rôle, à moins de commencer par LE PARRAIN II !

Après une poignée de films oubliables à la fin 50's, dont le tartignole CHRISTINE dont le seul intérêt (à titre perso, pour lui) et d'avoir rencontré Romy Schneider, l’année 1960 commence du feu de dieu, avec le génial (parfait ?) PLEIN SOLEIL de René Clément (même si on l'a vu dix fois, ça fonctionne toujours) et ROCCO ET SES FRÈRES de Visconti où il croise déjà Claudia Cardinale. Après cette entrée par la (très) grande porte, y’a plus qu’à dérouler. On s’arrache ce brun ténébreux aux yeux clairs, surtout en Italie où il a eu quelques uns de ses rôles les plus intéressants. Beaucoup d'acteurs français ont travaillé en Italie, Belmondo, Noiret, Trintignant, Piccoli... Le système des tournages multi-langues facilitait les choses, alors qu'à Hollywood, fallait apprendre l'anglais. 

Visconti le dirige au théâtre (avec Romy, ils ne se quittent plus...) puis encore au cinéma avec LE GUÉPARD où il a dû être bien content de jouer avec Burt Lancaster (qu'il retrouve dans SCORPIO de Michael Winner). Entre temps Antonioni le choisit pour le très beau L’ECLIPSE. Dans les 70's, il y aura ce qu’il considérait comme son film préféré, LE PROFESSEUR de Valerio Zurlini, il a aussi tourné deux fois avec Duccio Tessari, BIG GUNS un polar violent, marqué esthétiquement par son époque, mais qui se laisse franchement voir, et un ZORRO aux accents spaghetti (après LA TULIPE NOIRE de Christian Jaque qui sent davantage le pot au feu, mais succès mondial) cher à mon coeur, car le premier vrai film vu au cinéma.

En France, c’est la rencontre avec Jean Pierre Melville (qui venait de se fâcher avec Belmondo, et qui refera le coup à Delon…) avec le rôle iconique du SAMOURAÏ qui lui colle à la peau, LE CERCLE ROUGE et UN FLIC. C'est l'interprète idéal pour Melville, qui filme des corps, des regards, des figures, plus que des personnages, dont la mise en scène confine à l'abstraction. Quand Melville lui propose le rôle, lui lit le scénario, Delon l'arrête sur sa lancée : "ca fait 7 minutes que vous lisez, y'a pas eu un seul dialogue... C'est bon, je signe !". Le cinéma de Melville ayant la côte aux USA, celle de Delon remonte encore un peu, mais les projets hollywoodiens qu'il accepte ne sont pas terribles, LES TUEURS DE SAN FRANCISCO, SOLEIL ROUGE, AIRPORT... Dommage que les réalisateurs du Nouvel Hollywood n'aient pas plus insisté, Delon aurait pu avoir sa place dans l'univers d'un Pakula, d'un Pollack. Il a quand même tourné deux westerns !
 
C'est à un réalisateur américain qu'il doit son plus beau personnage : Joseph Losey. Certes, pour cause de maccarthysme Losey le coco s'est exilé en Angleterre, il tourne aussi en France. Après L’ASSASSINAT DE TROTSKY, ce sera MONSIEUR KLEIN, chef d’oeuvre [lien en fin d'article]. Là encore, les plus belles scènes ne passent que par un regard. Un projet difficile à monter, vu le sujet qu'on préférait mettre en sourdine en France à cette époque. Delon accepte de produire le film, il en est donc le garant, et le confie à  Losey. L'acteur repart bredouille de Cannes, dommage. Le film, lui, était sélectionné avec TAXI DRIVER, solide concurrent. Depuis dix ans, n’étant jamais mieux servi que par lui-même, Delon s’est lancé dans la production. Il a mis ses premières billes dans L’INSOUMIS d’Alain Cavalier (1964) pas le truc le plus bancable qui soit, l'évocation de la guerre d'Algérie deux ans après, fallait oser.
 
Comme Belmondo, il a mis sa notoriété au service de films d’auteur, entre deux projets plus commerciaux, bien qu’il y ait finalement moins de déchet chez lui, qui ne donnait pas dans la gaudriole. Par contre, il a été totalement ignoré par la Nouvelle Vague. Alors que Bébel jonglait entre Godard, Truffaut et Chabrol au début de sa carrière, Delon était soit en Italie, soit choisissait la vieille garde comme Duvivier, Christian-Jaque, Clément... Choix personnel ou agenda compliqué, je ne sais pas... Ironie, le film qu'il tourne avec Jean Luc Godard, sur le tard en 1990, s'appelle NOUVELLE VAGUE. Delon y est encore muet, puisqu'il n'y a aucun dialogue mais que des citations hors-champ ! Je ne l'ai pas revu depuis sa sortie, j'ai le souvenir d'un film subliment beau, plans séquences virtuoses, rarement Godard a aussi bien filmé la nature, s'amusant à décadrer son acteur principal.

A cette époque la carrière de l’acteur commençait sérieusement à battre de l’aile, entre bides et polars calibrés sans intérêt, réalisés par ses soins, ou Jacques Deray, qui ces années là semble être le seul à le supporter ! Rien de telle qu’une affiche Delon-Godard pour faire parler dans les gazettes. Quelques années plus tôt il y avait eu NOTRE HISTOIRE de Bertrand Blier, où Delon a montré qu'il pouvait se plier à l'univers tordu du réalisateur, qu'avec un peu de bonne volonté, il pouvait jouer autre chose. Il a fait aussi une apparition chez Agnès Varda, dans son propre rôle. C’est amusant de voir que dans ses derniers rôles, il se joue… lui-même, y compris quand il se parodie en César dans ASTERIX avec la réplique "Ave moi-même" (repiquée au To be or not to be de Lubitsch, quand Hitler salue d'un "Heil myself" !)

C’est à Deray qu’on doit LA PISCINE, gros succès, un peu survendu tout de même, ça se traine un peu, mais la bête sexuelle irradie. Le baiser bien mouillé au bord de la dite piscine avec Romy Schneider reste un grand moment. BORSALINO et FLIC STORY sont très bien aussi, dans le genre qualité française, avec pléiade de seconds rôles, ou TROIS HOMMES A ABATTRE, tiré de JP Manchette, dans le genre concis, efficace, j'avoue que je ne résiste pas à le revoir dès qu'il passe. Je préfère les polars de Delon à ceux de boum boum bonjour c'est bibi Belmondo. Mais la suite n’est pas convaincante, hélas, on sombre dans la caricature de l'ombrageux, du taciturne, bloc de granit et sourcils froncés à chaque plan, des scénarios qui ne valent pas un clou, comme UN CRIME (Deray, 1993) qui n'est absolument pas regardable ! 
 
De même, je ne suis pas fan de ses collaborations avec Henri Verneuil, si MÉLODIE EN SOUS-SOL m’avait ravi gamin à la télé le dimanche aprèm, aujourd’hui ça se traîne franchement, trop long, comme LE CLAN DES SICILIENS donne dans le m’as-tu vu avec la distribution en or massif, où chacun exécute son numéro, si possible face caméra et en gros plan. Par contre, dans un autre genre, j’ai toujours beaucoup aimé LA VEUVE COUDERC de Granier-Deferre, pour moi une de ses meilleurs prestations, face à Signoret on ne peut pas être mauvais. 

Film étrange aussi, pas forcément réussi mais fallait oser se lancer là-dedans, TRAITEMENT DE CHOC d'Alain Jessua, avec Annie Girardot. Si vous voulez voir Delon à poil, y'a une scène étonnante où tout le monde court tout nu sur une plage ! Non parce que, hein, Delon, tout de même, c'était un des plus beaux mecs de la planète. Tu m'étonnes que Visconti ait craqué en le voyant dans PLEIN SOLEIL. Il séduisait les producteurs américains par sa présence, son physique, et sa renommée (dès qu'un acteur a du succès, hop, Hollywood lui tombe dessus !). Delon, ce n'était pas un jeu à la Laurence Olivier ou James Stewart. Ses modèles étaient John Garfield et James Cagney, plutôt boules de nerf.

Alain Delon a énormément tourné dans les années 60 et 70, parfois quatre films par an, c’est sa double décennie dorée. C'est étonnant qu’ensuite, il n’y ait eu qu’une quinzaine de films sur presque 20 ans, et strictement rien de marquant. Dommage, il y avait moyen de l’utiliser intelligemment, sauf que Delon - réputé pour être un professionnel tatillon - n’était pas du genre à se laisser diriger, s’il décelait la moindre faille chez un metteur en scène, le moindre doute, il reprenait le projet en main ! Quel jeune réalisateur (Desplechin, Kassovizt, Klapisch, Besson, Beineix...) aurait eu envie de se coltiner le quinqua Delon, déjà statufié, momifié, qui ne faisait plus recette depuis des lustres ? Quand on voit ce qui est arrivé à Yves Montand après IP.5... Avec Alain Corneau ça aurait pu fonctionner. 
 
Quand on songe à Catherine Deneuve, qui n'a rien à lui envier question mythe (ils étaient à l'affiche de UN FLIC) qui n'a pas cessé de tourner, toujours désirée par des metteurs en scène étrangers ou débutants, ça aurait été chouette que Delon mette son égo de côté et fasse ce qu'il savait faire de mieux : son métier. 
 
👉 vers l'article de : M. KLEIN
 
Monsieur Clean... mais pas tant que ça !



8 commentaires:

  1. bravo Luc , un bel hommage à un acteur majeur du cinéma , bien que personnellement je pouvais pas sacquer le bonhomme pour des tas de raison que je préfère taire! Mais quel acteur !

    RépondreSupprimer
  2. Shuffle Master.23/8/24 08:56

    J'ai toujours eu du mal avec Delon, qui est surtout pour moi une (grande) gueule et accessoirement un acteur. Dans beaucoup de films, il se contente de faire la tronche, et de promener sa dégaine hiératique avec gestes saccadés surjoués (les clopes, la montre - main droite et à l'envers - chez Melville par exemple). À partir de 1980, il ne se passe effectivement pas grand-chose. Pour le début de carrière, je ne comprendrais jamais comment on peut arriver au bout du Guépard, qui est pour moi le parangon du film imbitable et ampoulé (pas de Bresse, puisque c'est en Italie). Pour les polars, Manchette avait été atterré par l'adaptation du Petit Bleu de la côte ouest (Trois hommes à abattre). Mais il l'avait été aussi par celle de Chabrol (Nada), pourtant pas mal du tout. Du Manchette, quoi. Je suis d'accord pour M. Klein. Dans les Melville, je mets Un flic au dessus du lot, malgré les trucages....
    Sur le personnage, comme sous-entend JP, mauvaises fréquentations (le père de la harengère) et fascination pour la pègre. Pas très flatteur.

    RépondreSupprimer
  3. Je crois que Manchette a été sollicité sur d'autres scénarios, pour donner un coup de main, écrire des dialogues, Delon était conscient que "Le Petit Bleu" ne lui avait pas plu, mais voulait le faire bosser quand même ! La montre portée à l'envers, exact ! Je me suis fait la réflexion en revoyant "Le Samouraï" justement. Comme l'omniprésence d'Alfa Roméo pour les scènes de poursuites / cascades, dans les années 80's. "Le Guépard" c'est beau. Chiant, mais beau.

    RépondreSupprimer
  4. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Donc je recommence ! A propos de polar et de Delon , je me souviens de la calamiteuse adaptation pour la télé de la splendide trilogie marseillaise de Jean-Claude Izzo avec dans le rôle principal Delon qui incarnait le personnage central l'inspecteur Fabbio Montale . Quand on connait Izzo et ses idées très à gauche et humanistes , à l'opposé de ce que pouvait être Delon.....Le pauvre Izzo a dû se retourner dans sa tombe !
      Pour ceux que ca intéresse la superbe trilogie .; "Total Khéops" " Tchourmo" et "Solea" . Sans oublier les autres ouvrages de ce maître du polar marseillais dont "Les marins perdus"

      Supprimer
  5. Je pense que Delon, comme tous les acteurs panthéonisés, faisait du Delon, comme Gabin faisait du Gabin, De Niro du De Niro, etc ...

    Il y a quand même à peu près cinquante ans (M Klein , 1976) qu'il avait pas figuré dans un film regardable ... mais force est de reconnaître qu'avant y'a eu du bon voire du très bon (bah non, le Guépard est pas chiant, il est juste un peu trop long ...)

    Que de BB à Marion(ette) Maréchal toute la fachosphère se fende de tweets éplorés, montre qu'il avait quand même bien basculé du côté obscur de la farce ...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Que BB se fende d'un hommage me semble assez cohérent, il aimait les chiens. La pauvre, elle doit se sentir encore un peu plus seule maintenant, elle les voit partir un par un... Force est de reconnaitre, effectivement, qu'il y a eu du très bon.

      Supprimer
    2. Shuffle Master24/8/24 09:39

      Trois hommes à abattre repassait hier à la téloche. Manchette avait raison d'être consterné. Il n'y a pas grand-chose qui colle. Pour les bagnoles, le partenariat, c'était Lancia.

      Supprimer