Parce que voilà une lecture bien agréable. Nous sommes en 1948, à Beyrouth. On ouvre sur la procession annuelle de la famille Pelletier, qui sillonne la ville, un rite obligé, halte au café pour l’apéro, repas de famille, visite de l’usine de savons, avec discours du paternel. La savonnerie est la fierté de Louis Pelletier, dont la famille sera à Beyrouth « ce que les Wendel étaient à la Lorraine, les Michelin à Clermont, les Scheinder au Creusot ». On fête l’arrivée d’une nouvelle cuve à l’usine, que le patron baptise, comme les deux précédentes, de noms célèbres. Ninon de Lenclos, Virginia de Castiglione, et donc la Païva (dite « qui paie y va ») surnom de Esther Lachmann [photo à droite]. Madame Pelletier goûte peu à ces références, extrait :
Madame Pelletier ouvrit une bouche ronde.
Lemaitre entrecroise dans cette (trop) longue séquence, le portrait des enfants, Jean, François, Etienne et Hélène. Qui chacun leur tour partiront du foyer, au grand désespoir d’Angèle. Si Jean, piètre gestionnaire, a failli ruiné l’entreprise familiale, François a rejoint la capitale française pour faire Normal Sup, mais s’est retrouvé pigiste à la rubrique faits divers du Journal du Soir. Etienne lui, est parti pour Saïgon retrouver son amant Raymond engagé dans la Légion. Plus tard, ce sera au tour d’Hélène, la plus jeune, de quitter le bercail, pour Paris encore, et tenter (mais juste tenter) les Beaux Arts.
Ce sont les destinées des enfants que l’on va suivre, chacun essayant de survivre au chaos qui les entoure. Jean va se marier avec Geneviève, qui espérait épouser un entrepreneur de talent, et se retrouve avec un impuissant, dans tous les sens du terme. Le personnage de Geneviève est particulièrement odieux, donc délectable, harpie exaspérante, sa seule qualité est sa dextérité dans la taillade de pipe dont elle régale tous les hommes qu’elle croise. Son deuxième passe temps favori est d’humilier son mari dans des proportions telles qu’on a juste envie de jeter le bouquin par la fenêtre pour se débarrasser de la mégère. Une situation que Jean vit très mal, sa seule soupape est de fracasser le crâne de femmes choisies au hasard...
La partie qui concerne Etienne à Saïgon, aurait mérité d’être resserrée. S’y croise deux intrigues, l’enquête sur la disparition de Raymond Van Meulen, et l’affaire des piastres. Etienne travaille à l’Agence des Monnaies et découvre – ce que tout le monde savait – un vaste trafic financier. La piastre, monnaie locale, vaut deux fois plus cher une fois convertie en franc. Etienne se lasse de devoir tamponner aveuglement des dossiers d’import-export qui cachent le trafic, d’autant que certains bénéfices vont aux Viet-nimhs. Autrement dit, la France finance son ennemi ! Un scoop qui pourrait intéresser, à Paris, son frère journaliste...
Pour Hélène il sera question de sa relation avec son prof de math et de séances photos que la morale réprouve, de vie dissolue et de trafic d’amphétamines. Mais sans cesse, Lemaitre fait se retrouver la fratrie, moments généralement gênants autour d'un déjeuner, chacun ayant ses petits secrets à cacher.
Le style est très agréable, gouailleur, souvent drôle, ironique, notamment dans les portraits, brossés en quelques termes choisis. Extrait, alors que trois hommes se saluent :
Ainsi, les mains de chacun lançaient un message : celles de Loan disaient « merci messieurs de vous être rendus à mon invitation », celles du colonel marmonnaient : « et donc c’est pour ce trou du cul que je vais m’emmerder une semaine », celles du délégué administratif affirmaient : « je représente la loi et l’autorité, vous pouvez répandre la nouvelle ».
Et puis l'auteur raccroche les wagons avec son ouvrage le plus célèbre « Au Revoir là-haut » dans un twist mémorable, qui permet aux époux Pelletier de revenir dans l’intrigue, et notamment la mère, Angèle, lors d’une très belle séquence à Saïgon. L'ambiance générale est tragique dans le fond et léger dans la forme.
Comme d’habitude, Pierre Lemaitre s’appuie sur des faits réels pour bâtir son intrigue, il cite ses sources, références, inspirations, documentations, y compris quand il pique ici ou là chez d’autres auteurs. Pierre Lemaitre est un romancier habile, il sait entretenir les situations, les développer, les croiser, les faire rebondir. C’est peut être là qu’on pourrait le prendre en défaut. On a le sentiment qu’il en rajoute juste par plaisir, pour le bon mot, la bonne phrase. Il n’est pas adepte de la concision (il aime Dumas plus que tout) il y a quelques longueurs et redondances. Non pas que son talent serait dévoyé, mais pourrait être mis au service d’un ouvrage un peu plus consistant.
Fan depuis le début , lorsque Lemaître écrivait de polars/thrillers et toujours accro depuis le début de ses sagas. Si le premier ouvrage "Au revoir là-haut" est remarquable , je n'ai pas été déçu (loin de là) par la suite. J'attend avec impatience la suite de ce "Grand monde" , période qui correspond à mon arrivée sur cette terre.......Lemaître c'est la littérature populaire dans tout le bon sens du terme à l'instar de Dumas , Paul Feval et j'ose Zola (dans une certaine mesure!)
RépondreSupprimerVivement la suite (qui se fait désirer!)
J'ai aussi quasiment tout lu de lui, j'aime beaucoup sa manière de faire. La suite s'appelle "Le silence et la colère", j'ai enchainé direct, c'est déjà sorti en format Poches, vas-y ! J'avais trouvé l'exposition un peu longuette sur le premier, petit défaut qu'on ne retrouve donc pas dans le second, puisque nous sommes en terrain connu.
Supprimer" Le silence et la colère" ah que c'est bien sûr je l'ai lu dès sa sortie ! Ca commence en février 1952 deux mois avant la naissance du divin enfant!!!!!
RépondreSupprimerPas lu un seul Lemaître. Je fais un blocage sur le type: Goncourt, enseignant, meilleures ventes...etc.
RépondreSupprimerT'as pas lu "Cadres Noirs" et la trilogie Verhoeven ?! Oublie tes blocages à la con, et rattrape le retard !
SupprimerIl faut croire que Shuffle ne lit que les auteurs qui ne vendent rien et qui n'ont surtout pas été récompensés! Bilan des courses il a dû lire les oeuvres complètes de Marlène Chiappa !
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