jeudi 15 août 2024

MOZART – Messe en Ut mineur K427 (1783) - Philippe Herreweghe (1992) - par Claude Toon


- Aujourd'hui 15 août, le jour de l'Assomption où on fête la Vierge Marie, le choix d'une messe du grand Mozart est de circonstance Claude…

- Eh eh Sonia, circonstance rime avec le prénom de la jeune épouse de Mozart, Constance, la messe lui étant dédiée. Une œuvre inachevée hélas mais de très haut niveau dans la production liturgique mozartienne, une exception même car Wolfgang n'était pas vraiment un adepte des patenôtres et des encensoirs…

- J'ai lu qu'il a composé 17 messes pourtant… Des œuvres secondaires ?

- Pour la plupart, oui ! des messes brèves à but alimentaire pour satisfaire ses "protecteurs" comme l'on disait à l'époque…

- Oui je vois… Tu proposes une gravure du maestro belge Philippe Herreweghe déjà deux fois invité du blog (pour Fauré et Bach). Si cette messe concurrence par son ambition et sa beauté le Requiem, je suppose qu'il y a de la compétition côté discographie…

- Oui, j'en parlerai à la fin. Pourtant pour cette version, il se dégage chez les mélomanes et les critiques un consensus pour lui attribuer comme un air de perfection... 

 

Constance Weber (1962-1842)
 
 

Si l'époque baroque fut l'âge d'or de la musique religieuse, la période classique, disons de Mozart à Beethoven première manière (avant la 3ème symphonie, pierre fondatrice du romantisme), accordera une place plus modeste aux ouvrages ambitieux destinés à la liturgie. Si j'ose le mot : une inexorable séparation de l’Église et de la musique.

Ainsi, pour les trois grands maitres de l'époque, comptons les partitions mettant en musique l'ordinaire des messes catholiques : 17 pour Mozart, 14 pour Haydn dont six méritent une mention honorable, Beethoven : 2 si on compte la majestueuse Missa Solemnis de 1824 ! Bien entendu ces trois génies et nombre de leurs confrères ajouteront au répertoire une myriade de petites pièces liturgiques et des messes un tantinet oubliées… Donc entre la Messe en si mineur de Bach et la Missa Solemnis de Ludwig van, la moisson est mince… La période Bach et Cie et leurs centaines de cantates… de Haendel et ses oratorios monumentaux… et le temps des compositeurs aux services des princes de l'Église se terminent…

L'été dernier, nous avions écouté la Sérénade "Cor de Postillon" K 320 et le Divertimento N°17 K 334, suites instrumentales en 7 et 6 mouvements annonçant par leurs riches orchestrations et fantaisies mélodiques les symphonies viennoises des derniers temps…. Composées en 1779 et 1780, ces œuvres témoignent de la lassitude de Mozart par rapport aux exigences de son "employeur", le prince-archevêque de Salzbourg Hieronymus von Colloredo-Mansfeld. Les deux hommes s'insupportent, le prince pourtant progressiste est-il vraiment un mécène idéal pour Mozart en n'ayant de passion que pour le chant italien et un caractère autoritaire ? Il exige des compositions de Messes brèves disons… par paresse. Le prélat ne souhaite pas perdre trop de temps à célébrer l'Eucharistie 😊.

Mozart ne brille pas par la piété et écrit donc des œuvrettes de second ordre d'une vingtaine de minutes (une demi-douzaine environ). Dans sa jeunesse, l'apprenti compositeur avait déjà répondu à diverses commandes, signant quelques œuvres plus ambitieuses et attrayantes comme la messe K139 dite de "l'Orphelinat" d'une durée de 45 minutes.

 

Archi-abbaye Saint-Pierre de Salzbourg

Congédié pour la seconde fois en 1781 par le Prince Colloredo excédé par l'arrogance de Wolfgang, Mozart part pour Vienne avec Constance Weber, une soprano de vingt ans qu'il épousera en 1782. Cette nouvelle vie mettra fin à sa production de messes ; deux exceptions : la Messe en Ut mineur commentée ce jour et, à l'article de la mort, le célèbre Requiem. (Deux chefs-d'œuvre inachevés, hélas.) Il s'affranchit ainsi de la tutelle de son père opposé à ce mariage et de son employeur, initiative risquée à l'époque… Il est libre, mais il va devoir subvenir aux besoins d'une famille… Ils auront six enfants dont deux mort-nés.

En 1781, Constance souffre d'une "maladie de langueur" mot désuet et vague désignant un état dépressif sans doute dû à la mort de son père un an auparavant (Freud confirmera). Constance est rétablie à son arrivée à Vienne. Mozart décide de lui offrir pour fêter musicalement sa guérison cette Messe en Ut mineur. Très amoureux, il n'a pas l'intention de gribouiller une messe brève de peu d'intérêt sur un coin de table mais de se mesurer à Bach !

Le Baron van Swieten, directeur de la bibliothèque impériale, lui fait découvrir des partitions manuscrites de Bach et Haendel. La Messe en si mineur est-elle dans le lot, mystère ? Achevée, la partition de la Messe en Ut mineur aurait concurrencé par sa durée le monument du Cantor ou le Messie de Haendel ! Pourquoi inachevée ? Le compositeur aurait-il vu trop grand pour ce cadeau destiné à son épouse ? Possible… (Au début du XXème siècle, des musicologues romanesques voyaient dans l’œuvre une messe de mariage💑.)  Mais surtout Vienne attend le fameux prodige dans un tout autre répertoire : piano, musique de chambre, opéra, concerto… Il faut nourrir la maisonnée. Terminer la messe attendra...


Baron van Swieten
 

La nature de la foi de Mozart reste énigmatique. Croyant ? Certainement, mais admettons qu'en adhérant vers 1784 à la Franc-Maçonnerie, sa fidélité à l'Église apostolique et romaine qui règne sur les âmes reste pour lui une simple posture de façade, fréquente chez les intellectuels du siècle de lumières. De toute façon le texte latin de la liturgie est imposé au mot près, aucune modification n'étant acceptable…

Il est facile de le constater dans la liste des sections de la messe, l'absence de certains passages comme le Christe, la plus grande partie du Credo et l'Agnus dei en entier… Mozart ayant travaillé partie par partie, les versets dont nous disposons forme un ensemble musical cohérent splendide. (27 passages dans la messe en si de Bach et 12 pour la messe en Ut mineur).

Le quatuor vocal comporte : 2 sopranos, un ténor et un baryton. Deux sopranos mais pas d'alto ! Mozart pensait-il confier l'une des voix à Constance ? Les airs existants offrent la part belle à une ou deux soprani. Constance a-t-elle chanté ? Mystère ? Non.

L'orchestration inclut : 2 hautbois et 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes et 3 à 4 trombones (une première pour l'époque, les trombones occuperont une place définitive dans l'orchestre à partir de Beethoven). Mozart n'aimait pas les flûtes… ! Timbales, cordes, orgue et chœur mixte.

La création a bien eu lieu partiellement, contrairement à certaines conjectures. La date supposée est le 26 août 1783 ; quatre parties seulement le Kyrie, le Gloria, le Sanctus et le Benedictus… Et la participation de Constance dans le sublime Et incarnatus est est confirmée. Étrangement, le lieu choisi fut l'Archi-abbaye Saint-Pierre de Salzbourg. Les chanteurs étaient ceux du prince-archevêque Colloredo. Ce noble prélat n'ayant plus à subir directement les bouffonneries de Mozart ne semble pas avoir mis un veto. La partition incomplète sur le plan liturgique a conduit dans les premiers temps à des exécutions partielles de certaines parties lors les offices. De nos jours, l'œuvre de près d'une heure est souvent jouée comme ouvrage principal d'un programme de concert.

Au XIXème siècle le compositeur Aloys Schmitt tenta de compléter la partition en "piochant" dans diverses œuvres du maître. Le résultat sera publié en 1901, mais n'étant pas convainquant, ce travail reste anecdotique. Il existe de nombreuses éditions. Je pense sans trop m'engager que la plupart des interprètes recourt à celle imprimée à Leipzig par Breitkopf & Härtel en 1882. (Partition)


Philippe Herreweghe

La discographie, très riche, se caractérise par une évolution du style interprétatif depuis le début du XXème siècle. Jusque dans les années 70-80, certaines gravures n'échappaient pas toujours à un style beethovénien, soit : un effectif choral pléthorique, des chanteurs excellents dans le répertoire lyrique mais au discours manquant de spiritualité et d'intimisme dans cet œuvre. L'héritage du romantisme, celui des messes de Schubert ou de Beethoven est patent, donc parfois à contresens. Je reviendrai cependant sur des réussites indéniables… Mozart n'était-il pas un visionnaire ?

Dès les années 50, la remise en cause des règles de l'interprétation des ouvrages baroques : ensembles instrumentaux et chorals réduits, plus clairs musicalement, instruments d'époque, etc… a conduit à l'émergence d'artistes spécialistes d'une relecture moins romantique de Bach ou même de Mozart

Philippe Herreweghe comme le précise Sonia fut le chef de chœur de Nikolaus Harnoncourt et de Gustav Leonhardt dans la folle épopée des gravures de toutes les cantates connues de Bach et des Passions. Dans les années 70 il crée et dirige divers chœurs dont le Collegium Vocale de Gand et un orchestre baroque, La Chapelle Royale. Suivront d'autres célèbres formations dédiées à la musique classique et romantique, citons l'Orchestre des Champs-Élysées (Biographies 1 & 2).

En 1992, Philippe Herreweghe amorce un tournant de sa carrière en dirigeant un vaste répertoire, de la Renaissance (Josquin Desprez, Monteverdi) à l'époque moderne (Schoenberg). Son incroyable capacité à trouver le ton juste pour chaque période conduit à réunir ses artistes fidèles pour graver cette année-là cette captation de la Messe en Ut de Mozart telle qu'elle a dû être interprétée lors de la création à Salzbourg, avec une grâce et un ciselé des voix incomparables.

Quant aux solistes, le choix est idéal : pas d'effet de vocalise opératique, ligne de chant d'une pureté inouïe dans le Et Incarnatus est (Christiane Oelze)... Peter Kooy était un compagnon de route dans les cantates…

 

Sopranos : Christiane Oelze, et Jennifer Larmore, ténor :  Scott Weir, basse : Peter Kooy
 
Playlist de la vidéo de Philippe Herreweghe

  1. Choral : Meistermusik K. 477 en introduction du disque (1784)

Messe : Kyrie

  1. Kyrie (Andante moderato, en ut mineur, Chœur et soprano solo.

 

Gloria

  1. Gloria in excelsis Deo (Allegro vivace, en ut majeur). Chœur
  2. Laudamus te (Allegro aperto, en fa majeur). Soprano solo (cors en fa solo)
  3. Gratias agimus tibi (Adagio, en ré mineur). Chœur, 2 soprani
  4. Domine Deus (Allegro moderato, en la mineur). Duo : deux soprani
  5. Qui tollis (Largo, en sol mineur). Double chœur
  6. Quoniam tu solus (Allegro, en mi mineur). Trio : deux soprani et ténor solo
  7. Christe (Adagio, en ut majeur), Cum Sancto Spiritu). Chœur

 

Credo

  1.  Credo in unum deum (Allegro maestoso, en ut majeur. Chœur
  2.  Et incarnatus est (Andante, en fa majeur). Soprano Solo

 

Sanctus

  1.  Sanctus (Largo, en ut majeur) - Hosanna (Allegro comodo). Double chœur

 

Benedictus

  1.  Benedictus (Allegro commodo, en ut majeur) Quatuor de solistes et double chœur.

 

Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…



INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve
d'une écoute
directement sur la page web de la chronique
… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. 


Dès 1772, Mozart se passionne pour les courants  philosophiques des Lumières et se rapproche des loges qui émergent à cette époque. Globalement, il existe trois tendances dans la doctrine maçonnique : le rationalisme, le mysticisme, l'occultisme.
Mozart se sentait plutôt proche de la première. (Je ne suis pas un spécialiste).

Cette attirance voire le rejet de l'hégémonie de l'Église expliquent-ils son faible engouement à composer des ouvrages religieux dont la grandeur concurrencerait le reste de son catalogue ? Vaste débat, hors sujet dans ce billet. La Messe en Ut mineur ne présente aucune des lourdeurs sulpiciennes que l'on peut craindre dans un ouvrage de commande destiné à un office 😊. Il s'agit avant tout d'un cadeau musical teinté de spiritualité au sens large, offert à Constance, et non d'une œuvre purement sacrée. La durée imposante du Et Incarnatus est, passage réservé à la soprano I, est un argument dans ce sens.

Philippe Herreweghe se pose les mêmes questions. Son enregistrement débute par la Meistermusik pour chœur d’hommes et orchestre destiné à être chanté le 17 novembre 1785 dans la loge maçonnique dans laquelle il a été admis en 1784 (Zur Wohltätigkeit - la Bienfaisance). La pièce rend hommage à deux compagnons décédés : le duc Georges-Auguste de Mecklembourg et le comte Franz Esterházy von Galántha. La musique maçonnique mozartienne justifie un article spécifique, elle est omniprésente dans son ultime opéra La flûte enchantée.


 

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Conclusion habituelle avec la discographie alternative.

Si depuis 1992, l'interprétation de Philippe Herreweghe toute en retenue semble s'imposer sur le podium, on a beaucoup de plaisir à l'écoute de diverses versions "historiques".

Nonobstant cette manie de l'époque de désobéir à Mozart en substituant la soprano II par une mezzo voire une contralto, le disque de Ferenc Fricsay de 1959 reste cependant une référence de l'époque vinyle. Maria Stader y est divine, la finesse et la précision de la direction du chef hongrois et des tempos très vivants permettent le maintien de ce disque au sommet. (DG1959 – 5/6)

À l'aube du numérique, en 1982, Herbert von Karajan, grand mozartien, n'en déplaisent aux amateurs d'instruments anciens, enregistre l'une des dernières versions "à l'ancienne" avec un effectif copieux mais en invitant deux sopranos dont Barbara Hendrix en soliste I ! Le maître autrichien joue la carte de la religiosité mais sans emphase (DG – 1982 - 6/6).

Dans les gravures récentes, celle de Louis Langrée avec un orchestre sur instruments d'époque, le concert d'Astrée, et deux divas, des vraies, Natalie Dessay et Véronique Gens, concurrence par sa vitalité celles des aînées (Erato2006 – 5/6). (Deezer)

 

 

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