vendredi 16 août 2024

LE TROISIÈME HOMME de Carol Reed (1949) par Luc B.


Mythique ! Iconique ! Par son générique, sa musique, ses cadres obliques, et une fameuse réplique ! Mais y’a un hic… Cette palme d’or cannoise millésime 49, malgré d’indéniables qualités, s’use avec le temps. Le titre de meilleur film anglais de tous les temps n'est-il pas usurpé ?  
 

Tout le monde en connaît la musique, composée et jouée à la cithare par Anton Karas, repéré dans le métro, ou presque, par le réalisateur, qui l'a imposé aux studios. Le générique est d’ailleurs un plan axé sur une cithare, qui se met à jouer, ça intrigue. Comme les premières scènes, nappées de suspicion, de regards torves. On voit débarquer à Vienne, en 1948, un écrivain de mauvais romans, Holly Martins, invité par son vieil ami Harry Lime. Le réalisateur Carol Reed a recours, en introduction, aux images d’actualité pour resituer le contexte, la ville de Vienne, bombardée, en proie au chaos, à la corruption, aux trafics, et partagée (comme Berlin plus tard) en secteurs anglais, américains, russes…

Ces images donnent une authenticité au film, un aspect presque néo-réaliste à l'italienne. Un film que, sans jeu de mot, je qualifierais de bancal, et pas uniquement à cause des cadrages. Qui hésite entre drame de guerre, polar, Film Noir, espionnage, voire romance, sans qu'aucune des facettes ne soit réellement développée. Une approche en tout cas originale, qui en fait un film pas comme les autres. L’ensemble n’est pas dénué d’humour et d’ironie.

Holly Martins, donc, se présente à l’appartement de son ami. Pas de bol, le concierge lui apprend qu’Harry Lime vient de se faire écraser par une voiture : « Vous arrivez trop tard, ils l'ont emporté il y a dix minutes ». Qui a emporté quoi ? Holly ne comprend rien à ce qu'on essaie de lui raconter, et se rend au cimetière. Tous les visages se tournent vers lui, c'est au choix gênant, ou suspect. Le voilà en centre de toutes les attentions. Il y a le major Calloway des services secrets anglais (Trevor Howard) qui le fera boire pour lui tirer les vers du nez, le baron Kurts trop affable pour être honnête, son chihuahua dans les bras, le roumain Popesco, le docteur Winkel, qui aurait recueilli les derniers mots du défunt, et l’actrice Anna Schmidt, la petite amie (Alida Valli).

Tous des proches de Harry Lime, auprès de qui Martins va tenter de découvrir ce qui est réellement arrivé à son ami, car les témoignages divergent quelques peu… Et le spectateur de se demander : mais qui était donc cet Harry Lime ?

Carol Reed et son scénariste Graham Greene - écrivain, journaliste, et même espion à Vienne justement ! - nous embarquent en eau trouble. C’est la grande qualité du film. Tout n’est que confusion. Les protagonistes ne cessent d’écorcher les noms, Callahan au lieu de Calloway, Winker au lieu de Winkel, Anna Schmidt confond Holly et Harry. On jongle avec les langues, Martins ne parle qu’anglais, ne comprend pas l’allemand, on doit lui traduire, est-on certain qu’on lui traduise correctement…

La mise en scène participe à ce trompe l’œil. Les appartements hauts de plafond, au décorum fastueux (Reed remplit ses cadres ras la gueule d’éléments baroques, gothiques) tranchent avec les scènes de rues, ravagées par la guerre, tas de gravats, carcasses de voitures calcinées, chaussées défoncées. Voir ce plan des escaliers aux marches explosées par les bombardements, cadrés en forte contre-plongée, sculptés par une lumière tranchante. 

Et bien sûr, la marque esthétique du film, ces cadrages obliques, cassés, des ombres immenses, la profondeur de champ qui invite dans le même cadre l’immense et le minuscule, les axes de caméra exacerbés. La photographie de Robert Krasker est pour beaucoup dans la renommée du film. Autant d’éléments visuels qui renvoient à l’Expressionnisme, avec ses gros plans sur les visages (aussi le cinéma russe) et donc au cinéma d’Orson Welles.

A qui on a souvent demandé s’il n’avait pas tourné quelques plans lui-même, mais il a toujours dit, avec sa modestie légendaire, qu’à part deux ou trois idées par-ci par-là, LE TROISIÈME HOMME était le film de Carol Reed et de personne d’autre. Orson Welles qui retrouve à l’écran son partenaire de CITIZEN KANE Joseph Cotten, collaborateur de longue date au sein de Mercury (sa troupe de théâtre) et qu’il avait fait jouer dans LES AMBERSON.

Il y a une ironie très british qui se diffuse, tous les personnages sont assez pathétiques, risibles, un côté presque goguenard renforcé par le thème musical qui retentit à la fin des scènes (qui peut ressembler au gimmick des TONTONS FLINGUEURS !). Même Martins en prend pour son grade, baladé par tout le monde depuis son arrivée, personne ne le prend au sérieux, écrivaillon de roman-western invité à palabrer à un salon littéraire, interrogé sur Joyce qu’il ne connaît visiblement pas. C’est pourquoi on a du mal à situer les intentions du film, qui tourne un peu à vide vers le milieu, faute de carburant, l’amourette entre Holly Martins et Anna Schmidt manque de conviction. 

Mais il y a des scènes fameuses. Celle du gamin au ballon qui identifie Martins comme l’assassin du concierge de Lime, où la scène de l’enlèvement en taxi. Et bien sûr, toute la partie finale, la plus célèbre, à juste titre, mais qui tarde sans doute à venir.

Mais pour vous en parler, il va falloir dévoiler le twist final… Vous êtes grands, majeurs et vaccinées, à vous de voir si vous continuez la lecture…

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Pendant quasiment une heure vingt, on n’entend parler que d’Harry Lime, tout le film tourne autour de ce personnage qu'on ne voit jamais - et pour cause, il est mort - que le major Calloway traquait depuis des semaines, une crapule qui trafiquait de la pénicilline frelatée, un salaud un vrai, un cynique de première, auteur de cette fameuse réplique, qui serait attribuée à Welles : « L'Italie des Borgia a connu 30 ans de terreur, de meurtres, de carnages, mais ça a donné Michel-Ange, de Vinci et la Renaissance. La Suisse a connu la fraternité, 500 ans de démocratie et de paix. Et ça a donné quoi ? The coucou-clock ! ».

Le plan où Harry Lime apparaît (mais qui a été enterré, du coup ?!) soudainement éclairé sous une porte cochère, est mythique. Comme le travelling avant qui précède, à travers la jardinière du balcon qui nous renvoie à la rue, de nuit, et le petit chat… Comme ce rendez-vous donné à Holly Martins sur la grande roue, et ce long dialogue d’un cynisme absolu, où Lime n'hésite pas à menacer son cher ami, le sourire enjôleur : « si tu t’écrases 80 mètres plus bas, une petite balle dans le corps n’y changera pas grand-chose ».

La ville devient alors un théâtre cauchemardesque avec ses tunnels secrets, ses ruelles sombres. Et le dilemme cornélien pour Holly Martins : sauver Anna des services secrets russes quitte à trahir son ami d’enfance. Le film culmine avec la poursuite dans les égouts, montage sec, ombres tranchantes, l’écho des voix, les coups de feu qui sont des coups de tonnerre, les doigts dans la grille. Harry Lime, pitoyable escroc, littéralement fait comme un rat.

Des images qui, quand on les découvre au cinéma, jeunot, vous marquent une rétine ! Et ce dernier plan, absolument sublime : long plan fixe sur une allée de cimetière, très longue perspective, Anna Schmidt au loin qui avance vers la caméra, et vers Holly Martins, et qui... passe son chemin. 

LE TROISIÈME HOMME est co-produit par Alexandre Korda et David O. Selznick, autrement dit, les grands hommes du cinéma britannique et américain. Le scénario magnifiquement construit de Graham Greene et la superbe photo de Robert Krasker, atouts indéniables, auraient mérité une mise en scène plus subtile. Il manque sans doute, de la part de Carol Reed, un  réel point de vue sur ses personnages, moins distant, moins froid, et ne pas s'appuyer sur le seul talent de son directeur photo. On ne lui fera pas l'injure de le comparer à LA DAME DE SHANGHAÏ, réalisé par Welles l'années précédente.

Cela reste tout de même un classique du cinéma, qui peut même prétendre au statut de film culte (ce qui n'est pas toujours synonyme de chef d'oeuvre). Curieusement, encore aujourd’hui, quand on pense à ce film, on l'identifie à Orson Welles (regardez les jaquettes des dvd), qui pourtant n’apparaît royalement que 15 minutes. Ca la fout mal. Comme si l’acteur avait totalement vampirisé son metteur en scène.

CLIC vers les articles : LA DAME DE SHANGHAÏ et LA SPLENDEUR DES AMBERSON

 

Noir et blanc  - 1h40  - format 1:1.37     


2 commentaires:

  1. Shuffle Master.19/8/24 08:55

    Je dois avouer n'avoir jamais vu ce film. Pas vraiment étonnant parce que l'expressionnisme....bof.

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  2. Vienne, Welles, le final dans les égouts, je suis sûr de l'avoir vu mais je suis incapable de donner un avis, pas assez de souvenirs ... Il me semble qu'il y a dans le scénario (l'immédiate après-guerre, les anciens nazis, le cimetière, la femme au centre de l'intrigue) des similitudes avec Le criminel, avec aussi avec Welles, mais qui réalise aussi, tout en plans de traviole, ombres démesurées et angles zarbis comme d'habitude ....

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