- Bach pour la rentrée M'sieur Claude… Une cantate, elles sont nombreuses
je crois et vous n'en avez jamais parlé, à part une cantate profane dite
"du café"…
- Oui Sonia, le cantor a dû en composer peu ou prou 365,
vraisemblablement une pour chaque office de l'année, seule une moitié nous
est parvenue…
- Aujourd'hui, vous avez choisi la N° 21 ou tout au moins BWV 21 puisque
c'est un catalogue non chronologique… Pourquoi ce choix ?
- De toutes celles que je connais, elle est une de mes préférées, sans
doute par ses dimensions proches d'un petit oratorio et la variété de ses
11 mouvements…
- Oui, je vois… et nous retrouvons Philippe Herreweghe, le chef belge
dont vous aviez porté au pinacle les gravures du Requiem de Fauré… Houlà,
déjà six ans !
- Une très belle version baroqueuse mais pas trop avec des chanteurs
d'exception. Un disque un peu difficile à dénicher hélas…
Philippe Herreweghe |
J'avoue mon admiration pour le musicologue allemand
Wolfgang Schmieder qui dans les
années 1940-50 a établi le catalogue BWV (Bach-Werke-Verzeichnis) des œuvres
de
Jean-Sébastien
Bach
(et non pas BMW comme j'ai encore entendu l'autre jour dans le poste 😊). Les manuscrits originaux de la main du Cantor sont rares, mais la
tradition a assuré la transmission des ouvrages connus (merci entre autres
Mendelssohn). Le catalogue, comme celui de
Haydn, et au contraire de celui de
Schubert, n'est pas chronologique mais rassemble les œuvres par catégories, les
cantates sacrées et profanes formant la première série. Les recherches sur
l'authenticité, les variantes écrites de la main de
Bach
et la découverte de partitions inédites dans les fonds de bibliothèques ont
compliqué avec le temps ce travail de titan, et il n'est pas rare de trouver
des ajouts, des indices de versions comme pour les logiciels !
La
cantate BWV 21
est l'une des œuvres sacrées les plus marquantes de Bach, au même titre que la
Messe en Si, les
Passions ou encore l'Oratorio de Noël. Le manuscrit ayant disparu mais des fragments autographes subsistants,
les conjectures sur la genèse et l'ambition musicale de cette cantate sont
dignes d'un thriller musicologique. La première représentation a eu lieu à
Weimar en
1714. La cour de Weimar est de
confession luthérienne. Bach
va y composer une majeure partie de son œuvre pour orgue mais aussi de
nombreuses œuvres religieuses. La cantate est donc logiquement chantée en
allemand. En 1723, il ajoutera
quatre trombones à son orchestration, modification que
Philippe Herreweghe
n'applique pas pour cette gravure, et de fait l'orchestre sonne plus
léger.
Certains musicologues pensent que la richesse de la cantate s'explique par
un désir de Bach
de montrer l'étendue de son talent afin de briguer le poste d'organiste de
Halle. Il concourra, mais le
Duc de Weimar souhaitera conserver son compositeur si talentueux et le
nommera
Konzermeister, poste prestigieux. Bien que jouée à la Trinité, l'œuvre s'adapte à
d'autres circonstances dans l'année liturgique.
Le titre "Ich hatte viel Bekümmernis" (le premier vers comme toujours) se traduit par "J'avais grande
affliction en mon cœur" et annonce un sujet où le croyant va chercher à passer du désespoir à
l'espérance.
On suppose que le texte serait de la main de
Salomo Franck, un poète attaché
à la cour de Weimar. Le rédacteur, hormis ses propres textes, a puisé son
inspiration dans plusieurs psaumes qui correspondent bien à l'esprit de
supplication et de confiance qui structure la cantate, mais également dans
le livre de la Révélation ou Apocalypse.
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Barbara Schlick (soprano) |
Philippe Herreweghe
a été présenté dans la chronique consacrée à ses enregistrements des
deux versions orchestrales du
Requiem
de
Gabriel Fauré qui dominent la discographie abondante de cette œuvre.
(Clic) À 70 ans, le chef
belge continue une carrière hors norme. En effet, son répertoire s'étend
du baroque primitif joué sur instruments d'époque (assistant de
Gustav Leonhardt et de
Nikolaus Harnoncourt)
jusqu'à la musique plus moderne comme celle de
Mahler. La direction de
Herreweghe
reste attachante par le parti-pris de privilégier l'émotion et la
spiritualité par rapport à des préoccupations musicologiques extrémistes
concernant l'interprétation à l'époque baroque ou classique. Sa
discographie dans tous les domaines atteste de cette préoccupation et
demeure excellente si ce n'est de référence.
Pour cet enregistrement de
1990,
Herreweghe
a fait appel à trois chanteurs rompus au chant baroque, à savoir aux
antipodes d'un certain maniérisme de la scène lyrique. La soprano
Barbara Schlick
a travaillé avec tous les chefs baroqueux, de
Franz Brüggen
à
Ton Koopman
en passant par
René Jacobs. L'âge venu, elle demeure active comme pédagogue et conférencière
incontournable de l'art baroque.
Quant au ténor
Howard Crook, contemporain de
Barbara Schlick, je pourrais faire un copier-coller concernant la carrière. Complice de
Philippe Herreweghe, on le retrouve aussi auprès de
William Christie
et de l'ensemble
Les Arts Florissants.
Pour le baryton
Peter Harvey, un peu plus jeune, je ne pourrais que me répéter. C'est un spécialiste de Bach.
Bien entendu, l'orchestre de La Chapelle Royale
et le
Collegium Vocale de Gant, fondés dans les années 70 par
Herreweghe
complètent cette distribution.
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Comme souvent chez Bach, l'effectif de l'orchestration n'est pas aussi précis que pour les
partitions romantiques. Donc nous avons ici : 1 violon solo, 2x3 violons
(1er et 2nd), 2 altos, 2 violoncelles, 1 contrebasse,
2 hautbois, 1 basson, 3 trompettes et un jeu de timbales. Pour le continuo :
1 basson, 1 violoncelle, 1 contrebasse (tous membres de l'orchestre
principal) et un orgue positif. Un chœur mixte.
Philippe Herreweghe
n'utilise pas de trombones, respectant ainsi l'édition originale de
1713 et non celle de 1723 pour Leipzig.
Howard Crook et Peter Harvey |
1 - Sinfonia
: il existe un concerto pour
violon et hautbois BWV 1060. Il est judicieux d'imaginer que la sinfonia introductive est le mouvement
lent extrait d'un autre concerto inachevé ou perdu… Sur un ostinato affligé
du continuo, le chant du hautbois surgit de manière poignante. Encore l'une
de ses mélodies séraphiques et intimistes, l'une de ces mélopées dont Bach
avait le secret et exprimant la douleur spirituelle. Une courte sinfonia qui introduit avec justesse le chœur à venir qui va
évoquer l'affliction mentionnée dans le titre.
2 - Chœur
: Toujours très inventif, Bach
entre dans le vif du sujet avec un chœur divisé en deux parties pour chanter
le double verset "Mon cœur était plein d'affliction / mais tes consolations délectent mon
âme.". [2:55] De forme motet, le début, avec un simple accompagnement du
continuo, chante de manière fuguée la mélodie à la fois plaintive et
rythmée, reflet de la dualité des deux versets : la supplication et la foi
réconfortante en la miséricorde. Philippe Herreweghe
ne fait appel qu'à une vingtaine de chanteurs, ce qui allège la ligne de
chant et favorise grandement l'intelligibilité du texte. [5:44] La seconde
partie plus enjouée voit arriver l'intervention de l'orchestre. Son écriture
est nettement plus polyphonique pour souligner le bonheur retrouvé.
Daniel dans la fosse au lion |
3 – Air (Soprano)
: [6:50] Le premier air soliste s'attarde sur la dimension éplorée de la
cantate. Les quatre versets ne sont pas issus des Écritures saintes et sont
: "
Soupir, larmes, chagrin, détresse / Attente anxieuse, crainte et mort /
Rongent mon cœur opprimé / Je ressens affliction et douleur". La soprano chante accompagnée du continuo, de l'orgue, mais aussi du
hautbois qui reprend le ton méditatif et désolé entendu dans la sinfonia.
Encore un passage d'une grande beauté, de profond recueillement.
Barbara Schlick
émeut par la fraîcheur séraphique de sa voix sans aucun vibrato ou lyrisme
opératique hors de propos dans le chant baroque. Le tempo lent choisi par le
chef est en parfaite adéquation
avec la déploration suggéré
par le texte.
5 – Air (ténor)
: Un récitatif et un air sont confiés au ténor pour poursuivre la partie
sombre de l'ouvrage. [12:42] Le ténor assure un récitatif (4) puis cet air
assez long dont les versets extrêmes sont : "Des flots de larmes amères / … /Où je vois le gouffre de l'enfer.", tout un programme.
Howard Crook
doit suivre une ligne de chant complexe qui rappelle ce que l'on peut
entendre dans un oratorio. Le ténor
Peter Harvey, à la voix assez légère, évite les outrances larmoyantes auxquelles le
texte extrait du psaume 42 pourrait laisser libre cours.
La première partie se termine par un chœur dans lequel intervient gaiment le hautbois et qui laisse entrevoir les réconforts sujets de la seconde partie. Je ne parlerais que de l'air de basse pour être complet, air qui est chanté en duo avec la soprano (la basse n'ayant pas d'air individuel).
La première partie se termine par un chœur dans lequel intervient gaiment le hautbois et qui laisse entrevoir les réconforts sujets de la seconde partie. Je ne parlerais que de l'air de basse pour être complet, air qui est chanté en duo avec la soprano (la basse n'ayant pas d'air individuel).
8 – Air (Basse, soprano)
:
Bach
imagine cet air comme un dialogue entre une âme et le divin (soprano vs
basse) basé sur un jeu de questions réponses comme "Viens, mon Jésus, réconforter / Oui, je viens réconforter". L'accompagnement est assuré par le continuo seul pour ne pas gêner
l'échange vocal qui par son côté théâtrale préfigure oratorios et passions.
Peter Harvey
campe le divin avec de nouveau un timbre léger plein d'aménité. Le chœur
final (11) conclut l'ouvrage de manière victorieuse avec l'ajout des
trompettes.
Nota : sur la pochette du CD, choix judicieux de "Daniel dans la fosse au lion" de
Esteban Bartolome Murillo, peintre espagnol du XVIIIème siècle. La crainte dissipée par
la prière et la confiance, sujet du récit biblique,
sont bien en accord avec la thématique de la cantate…
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Le présent album est complété par la
cantate BWV 42
merveilleusement chantée par l'alto
Gérard Lesne
et la basse
Peter Kooy, deux comparses de grand talent de
Philippe Herreweghe. D'ailleurs la vidéo est présente dans le catalogue YouTube, je l'ajoute
en fin de chronique. L'ensemble forme une introduction idéale à l'univers
très vaste des cantates. (Des intégrales de 60 CD environ existent.
Harnoncourt
&
Leonhardt
ou plus récemment
Gardiner.)
Deux recueils de cantates intégrant la
BWV 21, remarquables et surtout disponibles, sont conseillés. Le vol 1 d'une
collection dirigée par
Ton Koopman
faisant appel à une authenticité plus radicale, mais sans perdre la
spiritualité de la partition (Challenge
– 6/6 - 3 CD). Et bien entendu, on dispose en album simple sous la baguette
de
Masaaki Suzuki. Le chef japonais, spécialiste reconnu de
Bach, livre une interprétation secrète et lumineuse comme à l'accoutumée. Mais
hélas, je trouve les coquetteries vocales de la soprano
Monika Frimmer un peu trop compassées pour une œuvre sacrée du Cantor (BIS
– 5/6). Prix modestes dans tous les cas.
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