Ce volume est le premier d’une
trilogie, dont le troisième tome vient de sortir, les précédents étant
disponibles en Livre de Poche. Ce roman de Virginie Despentes tourne autour d’un
personnage central, Vernon Subutex, auquel seront reliés tous les autres.
Vernon Subutex, 45 ans, était disquaire. Son commerce a fermé, il a écoulé ses
stocks sur E-Bay, mais au fil des mois, l’argent est venu à manquer. Lorsque l’histoire
commence, il a perdu son RSA, et vient d’être expulsé de son appartement.
Le départ est fulgurant,
Despentes nous raconte la longue descente aux enfers de son héros, ses
tentatives de retrouver du boulot, les aides sociales, les huissiers pour finir…
Et les décès qui ont parsemés sa vie, ses potes morts trop jeunes, dont Alex
Bleach, l’autre personnage important du livre, présent dans
les mémoires de tous ceux qui l’ont croisé. Alex Bleach, qui avait fait son
éducation musicale chez Revolver, le magasin de Vernon. Musicien, il a percé
dans le métier, jusqu’à devenir une grande star du rock, rapidement cramé par
la dope. Financièrement, Alex avait souvent aidé Vernon pour ses loyers en
retard. Et avant de mourir, il lui a légué des enregistrements, son testament,
comme il disait.
Ensuite, Virginie Despentes va faire
intervenir tout un ballet de personnages, liés de près ou de loin à Alex, et
Vernon. L’occasion pour l’auteur de dresser une galerie de portraits, de
profils, de milieux, avec une acuité confondante. Et ainsi tisser une toile d’araignée,
reconstituer des trajectoires, des rencontres, des séparations. C’est à chaque
fois 20 ans d’une vie qui s’écoule, mais par extrait, par petites touches, traits de peintre. On
fuit un personnage pour le recroiser plus tard, compléter le tableau. Si Despentes
laisse en suspens certains pans de vie, c’est aussi pour créer l’intérêt, l’envie
de savoir, de comprendre.
VERNON SUBUTEX peut prendre parfois l’allure
d’un polar, d’une enquête où chacun garde ses secrets, que l’auteur dévoile le
moment venu. A chaque début de chapitre, on fait la connaissance d’un nouveau
pion sur l’échiquier, qu’il faut relier aux autres. Sans difficulté, car la
prose de Virginie Despentes facilite le travail. Le style est très fluide, les
mots coulent naturellement. Pas de scènes d’exposition, le lecteur entre dans le
vif du sujet, arrive quand l’action est déjà commencée, mais tout s’éclaire,
se rejoint, se recolle.
Le fil rouge des intrigues seront ces
fameux enregistrements. La rumeur court. Vernon en a parlé à Xavier, un pote scénariste
sur la touche, qui lui-même s’en vantera lors d’une soirée, ça arrivera aux
oreilles de Laurent, producteur, qui met sur le coup La Hyène, personnage très
en vue pour son carnet d’adresses, son habilité à maitriser les réseaux
sociaux. Pour retrouver ces cassettes, La Hyène va balayer tout l’entourage d’Alex
Bleach, et sans le savoir, de Vernon Subutex. Une autre manière de découvrir
les itinéraires des uns et des autres.
J’ai absolument adoré le style de
Despentes, gourmand, acéré, malgré quelques tics comme l’intrusion du langage
parlé ("les meufs" , "la teub"), le name-dropping, qui consiste à introduire de
gens réels, célèbres, des émissions de télé, séries, journaux, issus de la
culture populaire, des marques, qu’elle dézingue joyeusement généralement !
Mais ces références vont revivre une époque, et attisent les souvenirs de chacun. Elle parsème aussi ses lignes de noms de chanteurs, groupes, chansons (un peu
trop parfois). Le roman devient une cartographie saisissante d’une époque, de
comportements, de milieux, dont on explore la face sombre. L’univers de Virginie
Despentes est fait de sexe, de dope, de porno, on y croise putes, trans, névrosés,
lâches, salauds, fachos. Fans de Barbara Cartland, passez votre chemin, Despentes a biberonné à Reizer, Bukowski, Thiéfaine ou Joy Division !
C’est aussi la limite du livre,
parfois, certains lecteurs ne supportent pas son aspect parisianiste (mais
Despentes écrit sur ce qu’elle connait) et on peut se sentir exclu, de n’être
entouré que de déglingués de la vie, de traders cocaïnés, de starlettes du X,
de soirées chics dans le XVIè ou de débauches en back-rooms. Mais Despentes
sait parfaitement gérer son intrigue, même en filigrane, il y a un certain suspens
à cerner au plus près le fantomatique Vernon Subutex. Le style est remarquable,
REMARQUABLE, cette femme sait écrire c’est peu de le dire, la construction pourtant complexe
ressort limpide.
VERNON SUBUTEX a été auréolé de mille
prix, rarement un bouquin aura été aussi encensé ces derniers temps. Pour une fois, c’est pas pour rien !
Ça c'est pour moi !
RépondreSupprimerSacrée nana cette Virginie.
La seule chose que j'aurai lu d'elle a ce jour était un article sur Motörhead qu'elle avait fait publier dans les colonnes de Rock'N'Folk, il y a au moins 10 ans de ça. J'ai du garder le magazine quelque part chez moi. L'article m'avait captivé tant il était habité et terriblement bien écrit. Virginie était une mordue de toute évidence.