jeudi 1 août 2024

DUOS BAROQUE pour Soprano & trompette – Kathleen BATTLE & Wynton MARSALIS (1992) - par Claude Toon


- Dieu que Kathleen Battle est belle et que sa voix est d'or… quelle merveille, jamais acide dans les aigus !!!!!

- Oui Sonia, mais comme dirait Maggy Toon, la beauté et le talent sont parfois des dons du diable. Après un début de carrière fabuleux, Kathleen connaîtra dès 1995 une descente aux enfers à cause de son comportement de diva caractérielle, désagréable et capricieuse…

- Ah... dommage pour elle… Et le trompettiste afro-américain Wynton Marsalis sera oublié lui aussi…

- Oh non ! Cet artiste est atypique, à la fois compositeur et trompettiste virtuose, il équilibre son répertoire entre le jazz et la musique classique… Plus jeune que la cantatrice, il releva le défi de jouer en style baroque, une prouesse sur une trompette moderne à pistons… On raconte que la coopération pour enregistrer cet album fut un concours de bonne humeur…

- Un sacré pot-pourri Claude le programme…

- Oui 23 titres divers des plus grands baroqueux historiques… Souvent des adaptations de leurs propres mains ou d'autres complices, on ne s'étendra pas ou peu… Ajoutons que pour certains titres un continuo les rejoint, placé sous la direction de John Nelson…


Florence Foster Jenkins et Bianca Castafiore

 

Il serait poilant de réaliser une séquence micro-trottoir, d'interroger les passants pour lever un doute : quelle était la diva la plus célèbre : Maria Callas ou… La Castafiore, héroïne pittoresque mais drôle et même héroïque dans les albums de Tintin ? Les paris sont ouverts… Mais quelle artiste lyrique a bien pu inspirer celle que l'auteur nomme La Castafiore ou encore Le Rossignol milanais 😊.

La soprano apparait en 1939 dans Le Sceptre d'Ottokar. Entre la date où le dessinateur imagine son personnage et celle de la publication, Hergé ne pouvait en aucun cas s'inspirer de Maria Callas ou de sa rivale* Renata Tabaldi. Les deux cantatrices italiennes et légendaires, reines du bel canto, étaient encore adolescentes à l'époque…

(*) Rivalité fortement exagérée par la presse people.

Autre théorie : Hergé aurait entendu des 78 tours gravés par la milliardaire excentrique Florence Foster Jenkins, persuadée dans sa douce folie d'avoir la voix de soprano du siècle et assassinant avec un ridicule assumé les airs d'opéra parmi les plus difficiles comme celui de La reine de la Nuit de la flûte enchantée de Mozart. Sa fortune lui permit de se produire à Carnegie Hall, y massacrant J. Strauss II, Verdi, Brahms… bref des airs d'une exigence technique et émotionnelle surréaliste même pour les pros ! Un commentateur sur YouTube a écrit que "l'applaudir n'était pas lui rendre service". Ah les courtisans !

Les spécialistes s'accordent sur deux choses : musicalement, on touche le fond de l'abîme (kyrielle de fausses notes, aucun respect du rythme, quant à l'incarnation du rôle, passons…). Mais par ailleurs, cette dame reconnue comme généreuse a vécu le rêve de sa vie, chanteuse lyrique, n'importe comment, mais chanteuse ; les critiques officiels n'eurent que de la cruauté abjecte à lui offrir après cet ultime récital à Carnegie Hall...  

 

Kathleen Battle vers 1990

Profondément attristée, Foster Jenkins décède en 1944 à 76 ans, deux jours après ce récital certes comique et auquel je n'aurais sans doute pas voulu assister au milieu d'un public rapace. Quant à La Castafiore, aucun témoignage ne confirme que Hergé ait été inspiré par Foster Jenkins. Bien entendu, Milou hurle à la mort lors de l'air des bijoux chanté au music-hall dans les sept boules de cristal, mais Bianca chante juste, fort et à la Scala, tout de même… 😊.

La vie de Foster Jenkins a inspiré plusieurs films : 2015 : Marguerite de Xavier Giannoli avec Catherine Frot et en 2016 : Florence Foster Jenkins de Stephen Frears avec Meryl Streep

- Heuuuu, Dis Claude, c'est un article consacré à Kathleen Battle ou pas… ?

- Bien sûr Sonia, mais cette histoire est assez drôle voire touchante…

~~~~~~~~~~~~~~~~~

1948 : Portsmouth, ville moyenne de l'Ohio. Une petite afro-américaine voit le jour dans une famille modeste. Petite, 7ème et dernière enfant de la famille Battle, Kathleen le restera toujours (1,60m). Dans cet État industriel, son père est sidérurgiste, sa mère s'occupe de la nombreuse fratrie et aime l'opéra et le chant. Kathleen, dès gamine chantera le gospel à l'église méthodiste de sa communauté. Elle fréquente le lycée de Portsmouth et bien entendu la classe de musique. Le professeur Charles Phil Varney témoignera en 1985 sur les capacités précoces de Kathleen, voici trois phrases clés de l'interview : "Elle avait huit ans […] cette petite chose qui chante si bien" ; "Je suis allé la voir plus tard […] et je lui ai dit que Dieu l'avait bénie et qu'elle devait toujours chanter."

De nouveau pour le Times Magazine, le critique musical Michael Walsh affirmera : "la meilleure colorature lyrique au monde". Waouh ! Réalité objective ou exaltation subjective ? Un tel enthousiasme ne risquait-il pas d'étourdir la jeune diva déjà mondialement connue bien avant la quarantaine ? À suivre…


Kathleen vers 1990

 

Avant de poursuivre, rappelons que deux chroniques ont déjà été publiées avec Kathleen chantant dans deux de ses plus beaux enregistrements d'ouvrages sacrés : le Stabat Mater de Francis Poulenc avec l'Orchestre de Boston dirigé par Seiji Ozawa (Clic) et le Pie Jesus du Requiem de Fauré dans l'enregistrement culte de Carlo Maria Giulini dirigeant le Philharmonia et Andreas Schmidt chantant les airs de baryton. La symbiose parfaite entre la tessiture séraphique de soprano auréolée d'une discrète intonation enfantine telle que Fauré l'aurait souhaitée… (Clic) La première chronique propose une biographie très résumée de Kathleen.

 

Kathleen se destine initialement à l'enseignement de la musique pour les musiciens noirs. N'oublions pas que la ségrégation même dans un État du nord est toujours d'actualité. En 1972, alors que Kathleen enseigne déjà, le maestro Thomas Schippers (mort en 1977 à seulement 44 ans), spécialiste en art lyrique la repère lors d'une audition à Cincinnati, sur une suggestion de deux de ses amies. Le chef lui propose la partie solo du Requiem Allemand de Brahms en… Italie, un seul air, mais quel air en duo avec le chœur !!! Elle le rechantera en 1984 sous la direction de James Levine (Clic) . Thomas Schippers l'avait présentée en 1974 au futur directeur du Metropolitan Opéra de 1976 à 2016. Elle chante dans la monumentale 8ème symphonie de Mahler. Une forte amitié va lier la jeune cantatrice et le jeune chef né en 1943.

Jusqu'au début des années 1990, Kathleen devient l'une des sopranos coloratures parmi les plus recherchées sur toutes les scènes du monde même si moins médiatisées que ces concurrentes afro-américaines comme Jessie Norman (soprano dramatique, même âge). Les deux femmes chanteront souvent en duo des spirituals… (Documentaire Arte)

Sa carrière ? les amateurs d'opéras seront sensibles à ces listes non exhaustives : Années 70 : Rosina dans Le Barbier de Séville de Rossini, Susanna dans Les Noces de Figaro de Mozart, Oscar dans Un bal masqué et Norina dans Don Pasquale de Verdi, Tannhäuser de Wagner, Nerina dans le rare La fedeltà premiata de Haydn : années 80-90 : Adina dans L'élixir d'amour de Donizetti, Così fan tutte et Pamina dans La Flûte enchantée de Mozart à Salzbourg, Zerbinetta dans Arianne à Naxos de Richard Strauss, Giulio Cesare de Haendel. Un ange dans Saint François d'Assise d'Olivier Messiaen. Etc. etc. L'accueilleront : l'Opéra de San Francisco, l'English National Opera, le Grand Théâtre de Genève, l'Opéra d'État de Vienne et le Deutsche Oper Berlin… Elle cumule les Grammy Awards.

Wynton Marsalis

 

Herbert von Karajan avait sans doute des défauts comme l'autocratie et l'exigence, mais savait imposer les talents féminins (voir l'affaire houleuse Sabine Meyer dans une philharmonie de Berlin phallocrate). En 1987, lors du concert du nouvel an à Vienne, il dirige l'orchestre le plus misogyne du monde dans un pays notoirement raciste. On connaît le programme saturé de valses, de polkas et autres œuvres instrumentales de mise ce jour-là. Il a invité Kathleen Battle à chanter Voix du printemps de Johann Strauss II ! Une femme noire splendide, un air lyrique, une belle robe rouge… On ne saura jamais comment réagit la Philharmonie de Vienne mais le public lui offrit une standing ovation historique… Le maestro récidivera en l'invitant de nouveau pour chanter la Messe du Couronnement à la Basilique Saint-Pierre devant Jean-Paul II.

En parallèle, de par ses origines, Kathleen chante du blues, du jazz, du gospel, toutes les perles de la culture afro-américaine.

 

En 1994 son étoile va se ternir. Elle est la diva la plus payée au monde. Elle devient capricieuse lors des répétitions au Met ou à Boston : retards, changement incessants d'hôtel, dénigrements odieux envers les autres chanteurs et les assistants des chefs d'orchestre, une caricature au féminin de Louis de Funès répétant Faust… Elle interdit que quiconque non impliqué dans le spectacle soit présent aux répétitions. Excédée, la direction du Met la licencie pour "non professionnalisme". Comme souvent aux USA, l'affaire se termine devant les tribunaux à son désavantage. Sa carrière sur les scènes lyriques de la planète est terminée… Les personnels techniques se fichent d'elle et arborent des T-shirt "I survived the Battle" (J'ai survécu à la bataille). Triste déchéance !!!

Depuis cette période, la chanteuse ne s'est pas retirée du monde musical. Elle donne de nombreux récitals solistes ou en duos voire plus. Son répertoire est très vaste. Et puis les plaies se cicatrisent. Elle a été invitée par le Met, 22 ans après son éviction, en 2016 et en 2024 pour donner des concerts de spirituals… Kathleen Battle à ce jour : un parcours romanesque et une discographie fabuleuse à… mettre à jour dans les années qui viennent, allez savoir.

John Nelson

Qui doute encore que les artistes de jazz n'abordent pas le répertoire classique avec talent. Deux exemples dans le blog : les clarinettistes Benny Goodman et Michel Portal. Le premier dans le concerto de Mozart accompagné par Charles Munch dirigeant l'orchestre de Boston, le second dans le quintette et la sonate de Brahms. Attention, je cite les artistes qui jouent les partitions dans leur quintessence, à la note près, et non, les adaptations plus ou moins adéquates d'œuvres classiques pour ensembles de jazz (Jacques Loussier et Bach), ce qui n'est pas un crime de lèse-musique, juste une fantaisie. Les transcriptions ne datent pas d'hier. (Clic) (Clic) (Clic).

La liste des instrumentistes amateurs des deux styles et ayant collaboré avec Kathleen impressionne, entre autres : Le flutiste Jean-Pierre Rampal, le guitariste plutôt classique Christopher Parkening, le saxophoniste de jazz-funk Grover Washington Jr. Et bien entendu le trompettiste et compositeur Wynton Marsalis.

 

Rapidement, car le musicien mérite sa propre chronique jazz et classique à voir ses compositions et sa discographie. Wynton Marsalis naît en 1961 en Nouvelle-Orléans dans une famille de musiciens. Il est le deuxième enfant d'une fratrie de six gosses… Son père est pianiste-compositeur et professeur, deux de ses frères jouent : saxophones ténor et soprano, trombone et batterie. Un jazz-band à domicile en appelant un pote bassiste 😊.

À 12 ans, il joue le concerto pour trompette de Haydn, à 18 il entre à la Julliard School, le top. Intéressons-nous à sa carrière, là encore deux listes de partenaires résument tout, en jazz et en concert ou gravure "classique" ; on joue rarement de la trompette seul dans son coin.


Trompette en si bémol

Jazz : Sarah Vaughan, Dizzy Gillespie, Sweets Edison, Clark Terry, Sonny Rollins, Ron Carter, Herbie Hancock, Tony Williams... (Étant inculte en jazz, presque tous ces noms me parlent, donc, nous somme surement dans le très  haut de gamme.)

Classique, compositeurs : Bach, Beethoven, Leopold et Wolfgang Mozart, Haydn, Hummel et les baroqueux ci-dessous en accompagnement de Kathleen Battle.

Classique, les maestros complices lors des interprétations de concertos : Raymond Leppard, Charles Dutoit, Lorin Maazel, Leonard Slatkin, Esa-Pekka Salonen et Michael Tilson Thomas. Ça jette et je n'ajoute rien, hormis que Wynton Marsalis dirige de nos jours le département Jazz de la  Julliard School et que sa discographie est impressionnante ! Il est Docteur Honoris Causa de l'université Lyon 3.

Le continuo, des membres de l'orchestre de Saint Luke, est dirigé par John Nelson, un spécialiste de Berlioz. Anthony Newman est aux claviers : clavecin ou orgue…


Kathleen vers 1990. Elle est belle et possède une voix d'or...
Mais caractère à améliorer

À l'époque baroque, les trompettes n'avaient pas de pistons ! La sonorité était joliment aigrelette, la puissance modeste, la voix d'un chanteur ne risquait pas trop d'être couverte par le son de l'instrument. Je me suis donc interrogé comment  Kathleen, en concertation avec Wynton Marsalis, avait déterminé la trompette idéale ? J'avais ma petite idée mais la jaquette d'un CD de  Wynton réunissant trois concertos de l'époque classique répond à ma question : une trompette en mi bémol (la plus aigüe de la famille) et une autre de même tonalité, mais à quatre pistons, parfois appelée trompette picolo. Le quatrième piston facilite le jeu des quarts de ton.

La jaquette nous apprend que les joutes voix-trompette étaient très prisées au début du XVIIIème siècle, pendant ce demi-siècle dit du baroque tardif. Sans doute des chanteurs voulaient opposer leur fougue vocale à celle de la trompette naturelle, l'instrument à vent à la sonorité la plus perçante depuis 1600. Je parle de chanteurs masculins, à l'époque les contreténors et castrats étaient les stars des soirées lyriques. Il semble qu'une telle compétition ait eu lieu en 1721 avec le célèbre Farinelli.

Notre Diva et le trompettiste ont donc souhaité recréer le climat de l'époque, recherchant des airs d'opéras ou de cantates après transcription de la main des compositeurs eux-mêmes ou d'assistants. Wynton Marsalis maîtrise à merveille le timbre sans vibrato chichiteux. Quant à  Kathleen, elle peut mettre en valeur et sans retenue sa voix de colorature cristalline et ébouriffante 😊.


Le tableau sous les vidéos présente le programme du disque repris dans l'ordre dans la playlist. Bach, Haendel, Scarlatti sont trois maîtres archi-connus du baroque tardif. De la même époque, Predieri n'ayant composé que des opéras ou des oratorios perdus ou quasiment oubliés, il n'a pas marqué autant l'histoire de la musique. Stradella a vécu au siècle précédent et une chronique lui a été consacrée en 2022, une cantate de Noël… Stradella assassiné en pleine rue par des spadassins, un crime lié à des affaires vaudevillesques ayant mal tourné, un euphémisme (Clic).

 

Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. 

 

L'intégralité du CD à écouter tranquillos… Puis pour s'amuser, mais sans mépris : L'air des clochettes de Léo Delibes et celui de la reine de la nuit de la flûte enchantée de Mozart chantés par Mme Jenkins et, pour s'en remettre, le premier air par Nathalie Dessay et Michel Plasson et le second par Rita Streich et Ferenc Fricsay. Là je vous gâte 😊.


 

 

1

 

 

2

3

4

5

 

 

6

7

8

9

10

11

12

13

 

 14

 

15

 

 

16

17

18

19

 

20

 

 

21

 

 

 

22

23

Haendel 

 

Scarlatti

 

 

 

 

 

Scarlatti

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Haendel

 

Predieri

 

Stradella

 

 

 

 

 

Bach

 

 

Haendel

 

 

Bach

 

Samson

 

7 arias pour voix et trompettes

No. 1: Si Suoni La Tromba

No. 3: Con Voce Festiva     

No. 4: Rompe Sprezza       

No. 6: Mio Tesoro Per Te Moro (Aria In Forma Di Menuet Alla Francese)       

 

Su Le Sponde Del Tebro (cantate pour voix de soprano, trompette, 2 violons et basse continue)

I. Sinfonia. Grave

II. Recitativo

III. Sinfonia — Aria

IV. Recitativo

V. Aria. Largo

VI. Aria. Poco Mosso, Sempre Dolce E Leggiero — Ritornello

VII. Recitativo

VIII. Aria — Sinfonia. Grave (Da Capo)

 

Eternal Source Of Light Divine (Ode pour l'anniversaire de la reine Anne)

   

Zenobia air : Pace Una Volta

 

Sinfonia pour voix de soprano, trompette, cordes et basse continue.

I. Spiritosa, E Staccata      

II. Allegretto — Corrente

III. Canzone 

IV. [Allegro   

 

Cantate No. 21 "Ich Hatte Viel Bekümmernis" (2 - aria)

 

 

Cantate No. 19 "O! Come Chiare E Belle"

Aria : Alle Voci Del Bronzo Guerriero

 

Cantate No. 51  "From Jauchzet Gott In Allen Landen"

Aria: Jauchzet Gott In Allen Landen        

IV. Chorale: Sei Lob Und Preis Mit Ehren; Alleluja

 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire