mardi 6 août 2024

CHOPIN – PRÉLUDES Opus 28 (1835/1839) – Alexandre THARAUD (2008) - par Claude Toon

- Tiens Claude, Chopin...

- Oui Sonia, tu sais que dans deux jours on vote*, le premier tour des législatives. Je viens de lire que Alexandre Tharaud, un pianiste que j'adore, a participé à une tribune de 500 artistes classiques pour prendre position contre les idées nationalistes et extrémistes qui nous menacent, une initiative Diapason-Télérama.  Donc, un chouias morose Alexandre…

- Du coup tu as visité sa discographie et nous voilà préparant un billet sur les préludes, un catalogue pas encore abordé de M'sieur Chopin…

- Ben oui, j'avais beaucoup écrit dans les années 2010 et commenté une Sonate l'an passé… Après tout des pièces sympa pour égayer la journée…

- Il y a beaucoup d'explications à propos de ces préludes ?

- Et justement Sonia, là, non !

(*) Au deblocnot, on ne s'y prend pas au dernier moment...


George Sand et Chopin par Delacroix

Le catalogue des œuvres de Chopin est bien organisé, le génie du clavier n'ayant composé que pour le piano (ou presque) des séries de pièces aux formes a priori standardisées. Mais l'homme dépasse largement par sa sensibilité et sa virtuosité ces cadres étroits et toutes les règles des formes académiques. Ainsi dans l'index, rendez-vous pour les cycles déjà commentés :

-        4 Ballades pour piano  - Lise de la Salle

-        4 Scherzos - Maurizio Pollini

-        Concerto N°1 (1830) – Kate Liu vs Seong-Jin Cho (Concours chopin 2015)

-        Concerto N°2 (1830) – Lise de la Salle et Fabio Luisi

-        Les 17 Valses - Jean-Marc Luisada

-        Les Nocturnes - Arthur Rubinstein (1965)

-        Les Nocturnes - Nelson Freire

-        Scherzos N°1 à 4 - Nelson Freire

-        Sonate N°2 Opus 35 (1839) - Grigory Sokolov (Live 1992)

 

- Pour disposer de toutes les œuvres du virtuose polonais, que manque-t-il au programme Claude…

- Quelques ouvrages isolés peu enregistrés comme le trio, voire presque oubliés comme la sonate N°1… Donc néanmoins, à envisager des chroniques pour :

 

-        Le cycle des 24 Préludes pour piano que nous allons écouter ce jour…

-        Le cycle des 24 Études pour piano

-        Les 69 Mazurkas pour piano dont 58 ont été publiées

-        La 2ème sonate

-        Les Polonaises

-        Les 4 Impromptus

 

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Prélude au désir - Estampe de Kitagawa Utamaro,
peintre de la période Edo

- Hihi Claude illustrer un billet par cette gravure ou tapisserie japonaise très suggestive… Tu as eu l'idée en tapant "prélude peinture art" ?

- Oui, il s'agit d'une tapisserie murale vendue sous l'appellation "Papier peint panoramique : Prélude au désir“ d'après une estampe érotique japonaise du musée Guimet. On peut l'acheter pour sa déco chez ettoffe.com… Juste un gag faute d'une meilleure idée…

On pourra penser que le prélude adopte en musique un schéma structurel précis. Or, il n'en est rien à l'opposé par exemple d'un menuet ou de sa déclinaison plus évoluée à partir du romantisme, le scherzo (plan utilisé quatre fois par Chopin).

Pour mémoire, la forme scherzo impose des symétries dans l'usage des thèmes. Exemple courant : soit les thèmes A,B et C,D pour le trio central, un scherzo simple se séquencera : ABAB-CD(CD)-ABAB. Le second Scherzo est généralement joué da capo parfois complété d'une petite coda. Les lecteurs fidèles ont découvert au fil des ans que les compositeurs n'hésitaient guère à sortir du moule du solfège du scherzo au tempo à trois temps ou de sa composition, deux trios différents séparés par un scherzo bis, par exemple (Mendelssohn).

 

La sémantique du mot prélude étant par essence évasive, le style de la pièce de musique sera lui-aussi empreint de liberté de ton. Dans le titre prélude à l'après midi d'un faune, le mot prend le sens du dieu pan qui se réveille et s'étire avant d'aller batifoler😊. Aucun sens musical dans ce petit ballet à la construction onirique et aux allégories sensuelles. Wagner utilise le mot Ouverture pour débuter ses opéras mais prélude pour les poignées de mesures qui précèdent les actes, la différence : la brièveté et la thématique moins diversifiée.


Alexande Tharaud : discret, humaniste et virtuose

 

En 1722, Jean-Sébastien Bach, qui ne conçoit pas écrire de la musique pour entrainer des élèves besogneux ou tuer le temps, compose Le clavier bien tempéré, sans doute une œuvre majeure de l'histoire de la musique. L'ouvrage de 1722 sera suivi par une seconde mouture vers 1738… Pourquoi "tempéré", comprendre tempérament ? Depuis la Grèce antique les musiciens ont constaté que chaque tonalité influe sur l'émotion ressentie par les auditeurs. Ainsi les modes majeurs se révèlent plus optimistes que les mineurs. Bach désire objectiver cette impression et tant qu'à faire compléter son travail favori, l'écriture de la fugue, passion qui atteindra son aboutissement absolu dans l'art de la fugue.

Bach écrit ainsi 24 couples prélude + fugue suivant l'ordre usuel des 12 tonalités chromatiques et, pour chaque tonalité, Bach nous propose un couple en mode majeur suivi d'un second couple en mode mineur, ce qui donne :

Do majeur, Do mineur, Do # majeur, Do # mineur… et ainsi de suite jusqu'à Si b majeur, Si b mineur et enfin, Si majeur, Si mineurBach suit l'ordre strict !!! Miracle, le cycle qui pourrait être profondément ennuyeux si didactique devient grâce au maître une longue suite de pièces élaborées, poétiques et bien sûr relevant de la plus sincère spiritualité. (Clic) Le premier prélude est archi célèbre et préfigure à mon sens avec une tendresse inouïe la technique répétitive qui verra le jour 250 ans plus tard avec Philip Glass ou Steve Reich, grands admirateurs de Bach à coup sûr ! Sous les doigts de Richter en 1970 :

Par ses particularités, aucun compositeur avant le XXème siècle n'écrira une œuvre similaire avec des fugues. Schumann, Chopin, Beethoven et d'autres compositeurs et pianistes la joueront avec plaisir. Certes, le cycle originel a été composé pour clavecin mais s'adapte parfaitement à une interprétation sur piano ou orgue…


Camille Pleyel (dédicadaire)

Pendant l'obscurantisme stalinien, Bach se voit déconsidéré par le régime… Citons Sviatoslav Richter "En raison d'un vieux fonds de tradition romantique, Bach était très peu joué par les pianistes en Union soviétique." Dans les années 50 qui précèdent la mort du tyran et de son éminence grise Jdanov, Chostakovitch ne sait plus quoi composer entre un procès politique à son encontre et les autocritiques… Lui, adore Bach et, lors d'un concert à Leipzig consacré au Clavier bien Tempéré, lui vient l'idée d'écrire un ouvrage concurrent ou plutôt identique, Chostakovitch pratique l'humilité. Il compose de nouveau 24 préludes & fugues en parcourant toutes les tonalités dans les deux modes majeurs-mineurs. L'œuvre de caractère intimiste sera très mal accueillie par les caciques pour son formalisme occidental ringard (surtout les fugues frisant "la cacophonie"). On voit jusqu'où s'était effondrée la musique en URSS… Heureusement la création à Leningrad en décembre 1952 recevra un franc succès… Deux mois plus tard, Staline rend l'âme, ouf ! Une chronique est à envisager…

"Le pianiste Alexander Melnikov écrira en 2021 à propos de cet opus 87 "Il exprime la voix d'un homme tourmenté, qui trouve encore et encore, encore et toujours la force d'affronter la vie telle qu'elle est, dans toute sa diversité, sa laideur et parfois sa beauté".

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Chopin débute la composition de ces 24 préludes à 25 ans et les achève à 29 aux Baléares, fuyant le froid parisien en compagnie de George Sand, et tentant ainsi de soulager sa tuberculose… Leurs durées sont modestes, entre 30 secondes et 2 minutes 30 par prélude (exception, le N°15 de 6 minutes sous-titré "La goutte d'eau"). Chopin ne respecte pas l'ordre chromatique comme Bach mais la variété des émotions liées à l'alternance majeur/mineur est bien présente. L'exécution ne prend qu'une grande demi-heure. Le cycle est fort bien accueilli lors de sa publication en 1839. La création a eu lieu au fil du temps entre Majorque et Paris par Chopin. Le dernier prélude en ré mineur est élégiaque et bouleversant.

Le cycle a remis à la mode ce concept de variations sur les tonalités chromatiques. Des compositeurs s'en sont inspirés pour leurs créations : Alexandre Scriabine, Claude Debussy, Sergueï Rachmaninov… Certains pianistes de Monpou au Jazzman Bill Evans se sont inspirés de certains préludes.

 

Pour une brève biographie d'Alexandre Tharaud, relire la chronique dédiée à son merveilleux Album Couperin (Clic).

Chopin : 24 préludes

 

 

N°1 En Ut Majeur - Agitato

N°2 En La Mineur – Lento

N°3 En Sol Majeur – Vivace

N°4 En Mi Mineur - Largo

N°5 En Ré Majeur - Allegro Molto

N°6 En Si Mineur - Lento Assai

N°7 En La Majeur - Andantino

N°8 En Fa Dièse Mineur - Molto Agitato

 

N°9 En Mi Majeur - Largo

N°10 En Ut Dièse Mineur - Allegro Molto

N°11 En Si Majeur - Vivace

N°12 En Sol Dièse Mineur - Presto

N°13 En Fa Dièse Majeur - Lento

N°14 En Mi Bémol Mineur - Allegro

N°15 En Ré Bémol Majeur - Sostenuto

N°16 En Si Bémol Mineur - Presto Con Fuoco

        

N°17 En La Bémol Majeur - Allegretto

N°18 En Fa Mineur - Allegro Molto

N°19 En Mi Bémol Majeur- Vivace

N°20 En Ut Mineur- Largo

N°21 En Si Bémol Majeur - Cantabile

N°22 En Sol Mineur - Molto Agitato

N°23 En Fa Majeur - Moderato

N°24 En Ré Mineur - Allegro Appassionato

 

Complément

Frederic Mompou (1893-1987)

 

25 Música Callada N°15

(d'après le Prélude N°4 De Chopin)

Trois Nouvelles Études       

26      I. Fa Mineur

27      II. Ré Bémol Majeur - Allegretto

28      III. La Bémol Majeur - Allegro

29      Prélude N°9

30      Prélude En Ut Dièse Mineur

31      Petit Prélude En La Bémol Majeur

32      El Lago (Le Lac)

 


Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. 


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Discographie alternative : elle est pléthorique, on s'en doute : les anciens, Rubinstein (son moyen), Cortot (son atroce, il faut être objectif)… 

Et bien, entendu les trésors de l'époque stéréo, Maurizio Pollini le poète (1975), Martha Argerich, (1975) l'énergie et la cohésion créant une symbiose entre 24 préludes telle une œuvre unique. Signalons le jeune polonais Rafał Blechacz et sa version d'un grand lyrisme (2007), la nouvelle génération… Le choix est immense. C'est selon 😊.



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