Voilà déjà treize ans que le desperado texan a abandonné pour toujours ses santiags et son galurin élimés. Le 3 avril 2011, à seulement 62 ans, mais avec une vie bien remplie malgré des années perdues derrière les barreaux, Calvin Russell quitte à jamais ce monde. Il laisse derrière lui une somme de belles chansons, naviguant entre country, blues et rock, avec parfois quelques échappées peu ou prou marquées "heavy".
Mais cet homme au visage sévèrement buriné fendu de deux yeux bleu glacier a aussi marqué des pairs musiciens. Comme Manu Lanvin, qui rencontre l'homme à un moment où tous deux sont dans une période de doutes. Calvin allant jusqu'à envisager l'arrêt de la musique. La rencontre est salutaire, en plus d'une nouvelle amitié, tous deux retrouvent l'inspiration et l'irrésistible envie de jouer. Un nouveau flot d'énergie, concrétisé par l'album "Dawg Eat Dawg". Celui qui relance la carrière du vieux troubadour, après une série d'albums inégaux. Manu produit l'album et co-compose une bonne poignée de (bonnes) chansons. Complétement absorbé par la musique du Texan, il part l'accompagner en tournée. De ces moments, deux pavés sont tirés. "Contrabendo", réunissant deux CD, un électrique (un concert de 2007) et une session unplugged de 2009 (avec Manu), plus un DVD. Et "The Last Call, In the Heat of the Night", qui sort à titre posthume... car Calvin est déjà malade, et ce "Dawn Eat Dawg" et les deux doubles live susmentionnés clôturent définitivement une discographie plutôt mince en regard de l'âge du bonhomme. Une carrière discographique tardive mais qui aurait pu l'être encore plus sans le nez creux de Patrick Mathé (patron de New Rose), qui fit d'une simple cassette de démo, un succès en France. Premier échelon d'un succès tout relatif dans les années quatre-vingt-dix.
L'idée d'un album hommage prend forme en 2022, lorsqu'on sollicite Manu Lanvin pour un concert dédié à la musique de Calvin Russell. Le public a largement répondu présent (les réservations affichent complet au bout de deux jours), et, d'après Manu, l'émotion sur scène et dans la salle était intense, palpable. Malheureusement, rien n'avait été prévu pour immortaliser la manifestation. D'où l'idée de réaliser un album studio, avec une pléiade d'invités pour faire revivre une petite partie du riche matériel de mister Calvert Russell Kosler. Avec des gens qui l'ont approché, aimé, respecté. Et puis d'autres, que l'on n'attendait pas forcément - ou carrément pas du tout - , apportant leur couleur, leur personnalité, sans violenter la mémoire de Calvin.
Sage décision de Manu de ne pas avoir fait un simple album "tribute" où tous s'obstineraient à coller aussi fidèlement que possible aux originaux. [un genre qui commence à pulluler]. D'un autre côté, probable que certains s'offusqueront qu'on ait osé modifier un tant soit peu ses chansons, ne pas les avoir respectées à la note près. Mais... de toute manière, est-ce que les intervenants auraient pu le faire sans tomber dans la caricature, la pâle imitation, tant la voix sombre, granitique et émotionnelle de Calvin est à elle seule, un instrument particulier ? Quelque chose de profond qui prend aux tripes ; comme si elle était chargée d'histoire et de sincérité.
"Crossroads" en est un parfait exemple. L'une des chansons les plus connues et appréciées du rebelle texan, dont le dépouillement laissait apparaître au grand jour son talent, prend ici une nouvelle forme avec Beverly Jo Scott. Si les premiers mouvements retranscrivent bien la même atmosphère de dépouillement, d'une nuit où les choses sont dites, sans fard, sans mensonges, la seconde partie s'en écarte. Elle prend des airs de chevauchée nocturne dans la Big Bend Country. Cependant, on n'a pas pour autant l'impression que le morceau soit dénaturé. Au contraire.
Ainsi, Manu n'a pas non plus voulu inviter des chanteurs - et chanteuses - dont le timbre serait impérativement proche de celui de Calvin. Même si certains s'en rapprochent.
Comme Manu Lanvin, forcément, qui embarque "Wild Wild West" dans une vieille locomotive toussant et crachotant de chaudes nuées crasseuses de boogie-rock et de heavy-blues, sur des terres proches de Foghat. Neal Black, forcément (bis), autre Texan qui a eu aussi quelques soucis avec les autorités texanes, également adopté par la France (où il s'est réfugié depuis de nombreuses années), qui est parfait sur "Time Flies". David Minster, forcément (double bis), qui mérite amplement l'invitation ; non seulement par respect envers la famille - puisqu'il est le beau-frère de Calvin (1) -, aussi parce qu'il s'attèle à reprendre régulièrement une partie du répertoire de Calvin, et tout simplement parce qu'il joue et chante comme s'il avait été un élève attentif de Calvin (l'ayant connu petiot, et l'ayant fréquenté régulièrement, il serait logique qu'une partie du mojo de Russell ait déteint sur lui). Sa version de "Behind the 8 Ball" ravive les versions live et tonitruantes de Calvin, qui pouvaient alors flirter avec le Southern-rock.
Dans une certaine mesure, le sympathique Irlandais Johnny Gallagher, qui délivre une version assez fidèle de "Trouble". Plus surprenant, Charlélie Couture s'avère parfait pour reprendre "Too Old to Grow Up Now", jouant lui-même, et fort bien, de l'harmonica, lui procurant, avec l'orchestre, un peu plus de rythme.
Et puis il y a la jeune révélation Théo Charaf, qui, bien qu'étant plus un croisement entre Leonard Cohen, Chris Stapleton et Calvin, parvient, seul à la guitare et au chant, avec juste en toile de fond une larmoyante pedal steel et des percussions fantomatiques, à offrir, en l'immergeant dans l'intime, une meilleure et saisissante version de "Nothin' Can Save Me".
D'autres voix masculines ont été aussi conviées à la cérémonie, qui, bien que moins dans la tonalité de Russell, n'en déméritent pas moins. A commencer par celle de Hugh Coltman. L'ex-chanteur du regretté The Hoax, qui ouvre l'album avec du lourd : un "Shadow of Doubt", sombre et percussif, primaire, fricotant avec le heavy-blues. Popa Chubby qui ne résiste pas aux plaisirs simples rock'n'rolliens de "All We Got is Rock and Roll". Un morceau parfait pour le New-Yorkais qui s'y sent comme un poisson dans l'eau. Fred Chapellier, pour un super, mais (hélas) concis duo avec Beverly Jo, sur un "Rat And Roachs" bien rauque et roulé. Evidemment, Gérard Lanvin, qui, avec le fiston, est venu reprendre le "5 m²", qu'il avait déjà chanté avec son pote, Calvin. Manu s'autorise un autre duo dans une ambiance cabaret cadien, avec Haylen, puissante et excellente chanteuse de Soul-blues, sur "Ain't Leaving Your Love".
Plus étonnant, la présence de l'Irlandais Graig Walker, (un autre réfugié en France), issu du rock-progressif et reconverti dans la pop, qui s'attaque à l'une des plus belles chansons de Calvin : "Baby I Love You". On n'attendait pas non plus Axel Bauer, qui clôture superbement ce "tribute" par un "Soldier" retravaillé, et surtout... chanté en français. Blasphème ? Non. Calvin - lui-même -, s'y était essayé, et faisait tout son possible pour baragouiner le français. Axel a surtout voulu que le public francophone saisisse la profondeur de certaines de ses chansons. Axel porte seul cette chanson sur ses épaules, jouant des guitares - acoustique et électrique -, des claviers et chantant. Magnifique tomber de rideau. On pourrait espérer que, grâce à sa "crédibilité médiatique", cette version soit reprise par les médias. Qui sait ?
Un bel album où l'émotion est souvent à fleur de peau ; admirable hommage à un musicien auteur-compositeur qui le mérite amplement. On ne refuserait pas un second.
On remarquera que bien que Manu Lanvin soit à la production et aux guitares, à l'exception d'une chanson il reste en retrait, préférant braquer les projecteurs sur ses invités. L'album lui-même ne porte que quelques représentations de Calvin Russell et est baptisé simplement "Tribute to Calvin Russell". Sans que le nom de Manu ou des invités y soient accolés (en fait, si, en surimpression - discrètement). Quand il y a tant d'artistes et de groupes (plus que jamais) qui tentent d'assurer leurs revenus avec des albums "hommage", généralement avec des classiques connus pratiquement de tous, il convient de saluer la démarche de Manu qui semble n'avoir été faite que dans le seul but de pérenniser la musique de Calvin - et non de se faire mousser à travers elle.
Avec les participations de Nicolas Bellanger à la basse (à L'Ouest, Paul Personne, Manu Lanvin & Devil Blues), de Niko Bonnière à la production et aux guitares (Dolly, Eiffel), de Mick Ravassat aux guitares et slide (Cotton's Belly, Reverend Blues Gang), de Karim Bouazza aux fûts (Manu Lanvin & Devil Blues), Mike Lattrell (Popa Chubby, Mason Casey, Marvellous Pig Noise, Big Ed Sullivan, Neal Black, Paul Personne, Christine Santelli, Manu Lanvin & Devil Blues), d'Eric Sauviat aux guitares (Niagara, Daran et les Chaises, Zachary Richard, B.Biolay, Willy DeVille), de Claude Langlois à la pedal steel (Rockin' Chairs avec Verbeke, Patrick Verbeke, The Duo), de Boney Fields (Lucky Peterson, Bootsy Collins, Buddy Guy, Luther et Bernard Allison, Boney Fields), de Bako Mikaelian au ruine-babines (Patrick Verbeke, Beverly Jo Scott, The Duo), et des Mary Reynaud, Pascal Manson, Michael Robinson et Bennett Holland aux chœurs.
(1) Et neveu de Vince Taylor.
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Bruno ! tu m'as coupé l'herbe sous le pied, j'avais commencé quelque chose sur ce super tribute. J'aurais du me remuer le c.l ! Mais sinon très bon papier !
RépondreSupprimerAïe, sincèrement désolé l'ami 🥴
SupprimerEt merci 😊