Tony Iommi est dans la panade. Depuis le départ de Ronnie James Dio, rien ne va plus. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir relevé ses manches, d'avoir pris le taureau (infernal) par les cornes. Mais, visiblement, dans les années 80, tout ce qu'il entreprend semble voué à l'échec.
En 1983, il fonde de grands espoirs sur sa collaboration avec Ian Gillan qui déjà fait couler beaucoup d'encre avant la moindre prestation (et qui aurait déjà fait couler beaucoup de boissons alcoolisées le soir où Tony, Geezer et Ian se rencontrent dans un pub pour parler affaires - le gérant les aurait foutu dehors et Ian avoue ne se souvenir de rien...). Hélas, la déception est brutale. « Born Again » - doté au passage de l'une des pochettes les plus laides du groupe (qui en a déjà pas mal à son actif ) imposée par le manager Don Arden - a des allures de fruit pourri. La production, indigne d'un groupe de cette envergure (Gillan dira qu'il vomit en voyant la pochette, puis de nouveau en écoutant le disque), entre la tronçonneuse et une rame de métro, ne fait qu'enfoncer un peu plus dans la boue certains morceaux qui manquent déjà de tomber dans la caricature. En partie par la faute d'un Gillan qui en fait des tonnes. Quant à la scène, c'est également le début d'une longue traversée du désert. Bien que les premiers concerts avec Gillan enthousiasment même les plus sceptiques, et notamment tous ceux refroidis par l'album, ça devient rapidement un calvaire. Bill Ward plonge à nouveau dans un profond alcoolisme, ce qui rend son remplacement impératif et pressant. Point de départ d'une valse de batteurs qui va grever le groupe pendant une quinzaine d'années. Tandis que Gillan oublie les paroles des chansons du Sab', compensant par des cris intempestifs (il aurait même séché sur "Smoke on the Water"). Finalement, Gillan se casse pour participer à la reformation du Mark II (il avouera plus tard qu'il n'était pas taillé pour ce registre) [1]. Puis, c'est au tour de Geezer Bulter de tirer sa révérence.
Désormais seul à bord, c'est l'occasion pour Iommi de s’atteler à la confection d'un album solo. Il souhaite inviter un chanteur différent à chaque chanson. Pour le premier essai, il invite une vieille connaissance (1), Glenn Hughes. Le résultat est si probant, que Iommi décide d'enregistrer l'intégralité de l'album avec lui (sur la liste initiale, il y aurait eu Robert Plant et Coverdale, tous deux alors indisponibles). Ragaillardi par la tournure que prend son album solo, le guitariste moustachu croit apercevoir le bout du tunnel. Ses vieux compagnons de route l'ont lâché ? Qu'importe, il va prendre sa revanche avec un formidable album solo. Cependant, le management, et en particulier Don Arden -le père de Sharon Osbourne -, n'en a strictement rien à faire d'un album solo. Ce qu'il veut, c'est un album de Black Sabbath. Et ce sera un album de Black Sabbath (!).
« Seventh Star » devient donc le douzième album du Sabbat Noir, et le premier avec un seul membre d'origine. Et aussi le premier avec, enfin, le claviériste Geoff Nicholls, officiellement intégré au groupe. C'est une réussite, même si les avis sont partagés. Certains critiques lui reprochant de lorgner vers le Hard-FM (??). Les mêmes qui ont reproché au précédent d'être trop brutal ? Paradoxalement, ce sont généralement les « gros » médias qui lui font une mauvaise presse, au contraire des revues plus spécialisées. Certains focalisant sur l' appropriation du patronyme « Black Sabbath » par Iommi, qu'ils jugent injuste., estimant qu'il n'y a pas suffisamment de membres d'origine au m² pour justifier l'appellation "Black Sabbath". On va même traiter Iommi de despote, alors que s'il peut indéniablement se montrer autoritaire (jusqu'à montrer les dents), c'est bien dans un travail de composition communautaire qu'il se révèle généralement le meilleur. Malheureusement, si Hughes est quasi impérial sur l'album, sur scène il est lamentable (un responsable du staff des tournées, excédé par son manque de professionnalisme, finit par craquer et lui envoie un beau crochet dans la face, lui ouvrant une arcade sourcilière). Dans ces conditions désastreuses, il n'y aurait eu que trois ou cinq concerts (les versions quantitatives diffèrent) effectués avec Hughes.
Dans l'urgence, le bassiste Dave Spitz (présenté à Iommi par Lita Ford, avant qu'elle ne lui claque la porte au nez, considérant que son amant est bien plus intéressé par son album solo que par elle) appelle un copain de New-York pour effectuer le remplacement au pied-levé. Ray Gillen, appelé à la rescousse, n'a guère le temps de se préparer et les prestations scéniques en pâtissent. Ce qui ne fait que renforcer la déconvenue d'un public qui s'attendait à retrouver Glenn Hughes. De plus, certains soupçonnent que la famille Osbourne - et en particulier Sharon - essaie de tout faire pour saboter sa tournée aux USA. C'est qu'une vilaine rivalité s'est installée entre Don Arden et sa fille. Depuis quelques années, cette dernière a décidé de se rebeller, refusant de suivre toutes les directives de son père. Papa Arden, courroucé, aurait même lancé ses chiens sur sa propre fille en visite, et enceinte. Charmante famille...
Les finances s'amenuisent. Le manager, Don Arden (encore lui), a des problèmes avec le fisc et son avocat demande à Iommi un peu d'aide financière pour assurer les frais de justice. Bonne poire, on parle d'un prêt d'environ 50000 £ qu'il ne reverra jamais (un bien beau pactole pour l'époque). Désemparé, le Brummy se retourne vers l'ancien manager, Patrick Meehan, celui-là même qui s'était fait lourder pour avoir détourner à son profit, une partie des revenus du Sab' (on parle de plusieurs centaines de milliers de livres sterling).
Malgré tout, Iommi, Nicholls et Ray Gillen rentrent en studio pour un nouvel album. Les séances se passent mal, entraînant le départ de Jeff Glixman, pourtant responsable du précédent. Dave Spitz ayant plus la tête dans les jupons de sa fiancée (restée à New-York) et Gillen ne s'investissant guère dans les paroles, on fait appel à Bob Daisley. Depuis sa collaboration avec Ozzy, l'Australien est autant connu pour ses talents de musicien que de compositeur et de parolier. Ainsi, en plus de jouer sur toutes les parties de basse, Daisley, en collaboration avec le discret Nicholls, signe toutes les paroles. Bien que crédité et ayant effectivement officié aux premiers sessions, Spitz n'est plus présent sur le produit fini ; toutes ses parties ont été refaites par Daisley. Après un second changement de producteur, Chris Tsangarides (l'un des producteurs les plus courus dans le milieu du Heavy-metal et du Hard-rock des années 80) finissant la tâche, la confection de l'album arrive à sa fin quand Gillen se barre.
Echaudé, Iommi ne veut pas renouveler l'expérience de partir en tournée avec un nouveau chanteur, qui n'aurait pas été présent sur aucun des disques de Sabbath. Et donc illégitime pour une frange conservatrice du public. C'est là qu'intervient Tony Martin. Un Brummy, pareil aux sabbathiens d'origine. Le nouveau venu enregistre donc toutes les parties vocales, en devant se caler autant que possible sur les lignes de chant de Gillen. Un album fait dans la douleur. Probablement le plus pénible à réaliser pour Iommi. Jusqu'à la pochette où il reçoit un refus catégorique des ayants droits du sculpteur Auguste Rodin, d'utiliser "L'Idole éternelle" (1899) pour illustrer la pochette du disque. Iommi se replie sur deux jeunes mannequins, peints de la tête aux pieds, prenant une pose similaire à l'illustre œuvre. Apparemment, aucun des participants et instigateurs ne savaient que la peau doit aussi respirer - personne n'avait même vu "Goldfinger" où, parce qu'elle est intégralement recouverte d'une peinture d'or, une jeune femme meurt par asphyxie -, et en conséquence, les deux jeunes gens, tombés malades, sont hospitalisés d'urgence.
Malgré tout, ce treizième album finit par atterrir dans les bacs. Hélas, il ne reçoit pas un bon accueil de la presse. L'Anglaise ne l'épargne pas et détruit le pauvre Tony Martin en le traitant de "sous-Dio". S'il est indéniable qu'il y a des similitudes surgissant de part et d'autre, il serait stupide de focaliser sur cet élément. D'autan que Martin (Anthony Martin Hardfold), possède suffisamment de beaux atouts vocaux pour rivaliser avec des mentors du genre. Et c'est bien un chanteur, et non un hurleur névrosé aux esgourdes encombrées.
On va aussi reprocher au disque de s'être trop écarté du style qui avait fait sa notoriété la décennie précédente. Drôle d'époque où on encense rapidement, avec emphase, des disques caricaturaux et bancals, sans réel relief, au feeling parfois aussi pauvre que la production. Et où, a contrario, on s'applique à démolir consciencieusement tout ce qui peut être affilié à l'ancienne garde (avec quelques exceptions).
Pourtant, "Eternal Idol" a aisément passé les ans. Sans prétendre être un classique du groupe emblématique, il demeure un (très) bon disque de heavy-metal. Du genre qui, malgré sa soumission à la gloire de la lourdeur et de la grosse saturation, ne grille pas les conduits auditifs ; du genre exempt de chanteur qui s'obstine à brailler comme une banshee, la peau coincée dans la braguette, hurlant de douleur. Un album peut être charnière, qui remet le pied à l'étrier dans le Sabbath d'antan, celui de "Sabbath Bloody Sabbath" et celui de "Heaven and Hell" (oui, avec Dio), le tout imprégné par le poids du mésestimé et pourtant brillant "Seventh Star". Omis de toutes les playlists dédiées à l'année 1987 (sauf celles de l'époque concernée), "Eternal Idol" semble avoir bien mieux vieilli que tant d'autres disques de cette cuvée (métalliques) portés aux nues.
Toutefois, s'il y a un reproche notable à lui faire, c'est la batterie d'Eric Singer, dépourvue de définition, qui résonne souvent ici plus comme une dégringolade de caissons qu'autre chose. Les cymbales sont noyées dans le mixage ou carrément absentes. Le swing de Bill Ward fait cruellement défaut. Néanmoins, il y a un certain souffle épique qui émane de ce disque. Un souffle libéré dès la première salve avec l'entêtant "The Shining". Magnifique pièce de heavy-rock, relativement pesante mais tempérée, presque lumineuse, alternant entre des arpèges saturés et des gros riff bien gras (Iommi's trademark) sur lesquels Martin tisse des filins de chants lyriques et habités.
La suite est nettement plus sombre avec le théâtrale "Ancient Warrior", nimbé de sulfureuses réminiscences orientales et proche d'une incantation invitant de sombres entités lovecraftiennes. Ou le bien nommé "Nightmare", un morceau de 1984 sorti du placard, composé à l'origine pour faire partie du nouveau film de Wes Craven : "A Nightmare on Elm Street" ("Les Griffes de la Nuit"). Ce morceau évolue comme un lourd golem éclopé et revêche, passant sa frustration de n'être qu'une imitation, dans la colère et le crime. Toutefois, tout comme un golem, le morceau rame, ne parvient pas à s'extraire de la terre, à prendre son envol. Au contraire du morceau éponyme, enfant légitime de "Black Sabbath" (la chanson). Inquiétant, empestant le souffre et la nuit froide et humide, la déviance de démoniaques cérémonies où l'officiant est déchiré entre une perverse extase et une terreur confinant à la folie.
Mais c'est bien des morceaux plus vigoureux, un tantinet épiques, qui sont en force. Même si la SG de Iommi est toujours aussi boueuse et assez pachydermique, le vif "Hard Life to Love" ferait presque concurrence aux groupes du Sunset Strip sur leur propre terrain (mais sans fanfreluches, Spandex et brushing), tandis que "Glory Ride" hésite à franchir le pas pour épouser un Heavy d'obédience FM. Il aurait suffit pour cela, de modérer la frappe de Singer (sans aucune nuance sur ce morceau, il se contente de frapper comme un sourd) et supprimer la Fuzz gargantuesque de Iommi.
"Born to Lose" (inspiré par toutes les embûches des dernières années ?) et encore plus "Lost Forever" décollent les tapisseries. Ce dernier marchant crânement sur les plates bandes de Judas Priest, histoire de lui rappeler qui est le patron.
Finalement, l'album se vend encore moins bien que le précédent. Le Black Sabbath millésimé 87 perd une bonne partie de son public d'outre-Atlantique et même à la maison, en Angleterre, où la presse a été particulièrement acerbe. Au contraire du reste de l'Europe, où son public ne cesse pas de grossir. Ce qui va permettre à Tony Iommi, et donc Black Sabbath, de persévérer et de survivre. Même si lui-même et ses nouveaux compagnons de route ne sont pas encore tirés d'affaires...
[1] Des années plus tard, Gillan et Iommi retentent l'expérience, avec l'aide de Nicko McBrain, de Jason Newsted et de Jon Lord, pour un simple Ep : "Who Cares". Bien plus naturel, Gillan y chante sans forcer. Les morceaux n'en sont que meilleurs et font regretter qu'il n'y ait pas eu de rab.
🎶🎃
Lita Ford avait mis les voiles parce que Iommi avait la facheuse tendance de calmer ses nerfs cocaïnés à coups de baffes dans sa tronche.
RépondreSupprimerVraiment ?? 🤨
SupprimerJe me souviens que miss Lita Ford lui avait un temps porté une sévère rancune, le traitant de gros misogyne ; de son côté, Iommi a avoué que ces années 80 ont été assez difficiles, et qu'en conséquence, il a un peu plongé le nez in the coke. Ce qui n'a rien arrangé, au contraire. Au point où certains de ses souvenirs seraient des plus flous. Mais de là à se transformer en distributeur de claques. Pas bien
Dans les années 80 ça faisait un bail qu'il avait le nez dans la coke, déjà Snowblind évoquait leur goût pour la chose. Rares sont ceux qui y ont échappé dès les années 70 et beaucoup y ont laissé plus que la santé. Selon les critères d'aujourd'hui, pas mal de nos idoles seraient considérés comme des gros cons inexcusables. Disons que c'était l'époque qui voulait ça.
SupprimerHélas oui. C'était initialement vendu pour tenir le coup, pour assurer la cadence des tournées et des diverses sessions d'enregistrement, (bien) généralement imposées par les managements et labels. Des pauvres gars pressés comme des citrons. Mais après, une fois l'infernale tempête franchie, impossible de se débarrasser des addictions. Surtout quand des nuées de fournisseurs restent perpétuellement collées à leurs basques. La raison pour laquelle certains ont préféré carrément quitter la musique, pour tenter de s'en libérer.
Supprimerj'avoue n'avoir jamais écouté ce Black sabbath ! Fan de la première heure , j'ai décroché au début des années 80 . Plus précisément après "Mob Rules" et le "LIve Evil" . Suis revenu au "bercail" avec le "10" et le "LIve/THE End" . Par curiosité je vais y jeter une oreille mais sans grande conviction!
RépondreSupprimerPS: au passage j'en profite pour recommander aux amateurs de blues-rock le dernier Mike Zito "Life is hard" (une belle réussite) et peut-être un poil en dessous mais hautement recommandable le Walter Trout "Broken" (malgré une ou deux facilités pop !)
Le "10" ? Le "13" ? Assez surestimé, il me semble.
Supprimer"Eternal Idol" n'est certainement pas un grand album de Sabbath. Toutefois, à mon sens, il a été largement sous-estimé. Peut-être parce qu'il n'a pas réellement eu de promotion. Entre les finances réduites, Don Arden en passe de faire un séjour à l'ombre, et la réhabilitation de Meehan (très, très mauvais choix dû à un cerveau embrumé par la coke), monter des grosses tournées était comme un chemin de croix.
Heureusement, l'Europe, à l'exception du Royaume-Uni (et de la France ?), avait répondu plus que présent avec de nouveaux adeptes plus nombreux encore.