jeudi 12 octobre 2023

WAGNER - Parsifal (1882) James LEVINE & Suite symphonique d'Andrew GOURLAY (2022) – par Claude Toon


- Heu Claude ne me dispute pas si je me prends les pieds dans le tapis culturel… Mais Wagner dans son opéra Parsifal met-il en scène le crétin de Perceval de la série poilante Kaamelott ?  

- Sacrée Sonia. Non pas vraiment ! Perceval alias Parsifal est l'un des chevaliers de la table ronde dans les légendes arthuriennes. Dans ces récits chevaleresques, tout comme dans l'opéra, il a pour rôle essentiel la quête du Graal… Et ne me dit pas que Indiana Jones a pris la succession, hihihi… Ne t'en vante pas auprès de Luc, il a parlé brièvement de Perceval dans sa chronique sur le film Excalibur… Il va se vexer en pensant que tu as zappé son billet…

- Tu chroniques rarement des opéras pour ne pas imposer des chroniques fleuves aux lecteurs du Deblocnot. Renseignements pris, Parsifal dure plus de quatre heures et c'est, je cite, un testament métaphysique et musicologique de M'sieur Wagner ; il a même fait construire le théâtre de Bayreuth pour cette œuvre… On s'embarque dans quoi, là, Claude, 50 000 mots, pfff…

- Heu, oui et non, d'autant que les ouvrages, sites web, rempliraient une librairie spécialisée. Je propose deux choses Sonia. D'abord écrire un commentaire sur l'histoire de cet opéra hors norme… puis parler du disque du jour qui est une suite symphonique d'extraits, un arrangement du maestro Andrew Gourlay. Tu sais Sonia, franchement, je ne sais pas trop par quel bout commencer (désolé pour la trivialité). Tu prépares une chronique en mode interview, une liste de questions abordant le sujet suivant une logique que tu souhaiterais…

- Ah oui, pas bête, déjà rien que la scène II de Tristan était l'un des plus longs papiers du blog… Je prépare ça, j'enregistre tes réponses puis tape une synthèse et on fignole de concert…

Notre petite Sonia a acquis une belle expérience, prend des initiatives… Je ne comprends pas pourquoi Luc la voit encore telle une quiche ; parfois, enfin sur ce sujet, il me fait penser aux zozos qui entourent Alexandre Astier dans Kammelott…

Quelques jours plus tard la magicienne Sonia arrive avec son grimoire de questions…



Codex de Parzival
de Wolfram von Eschenbach
Bibliothèque universitaire de Heidelberg

Question 1 : Qui est ce Perceval alias Parsifal ?

Remontons à la fin du Vème siècle (vers 470 pour la naissance du supposé roi Arthur) où l'histoire romanesque met en scène le monarque qui défendit les pays celtes et gallois contre les envahisseurs bretons et saxons. L'existence de ce roi fait toujours débat et n'est pas établie. A-t-il réellement existé ? Autre hypothèse, s'agissait-il d'un chef de guerre charismatique portant le nom de Arzur, Arzul', Arthus, Artus ou Arthur 😊 qui aurait nourri de ses exploits supposés la culture chrétienne en expansion à travers le récit d'épopées qui fleurissent à partir du XIIème siècle ? Arthur combattait la barbarie païenne principalement sous la plume du français Chrétien de Troyes ou de l'allemand Wolfram von Eschenbach, auteur du Roman de Parzival (XIIIème siècle) qui inspirera Wagner. Le compositeur, comme à son habitude, rédigera lui-même le livret de son opéra, d'où sa qualité rédactionnelle superlative. Pour Arthur on a aussi évoqué la vie d'un riche propriétaire gallois qui protégeait ses biens à l'aide d'une milice. Sept siècles séparent ces faits invérifiables des premiers écrits épiques… 

Petit détail en passant, Wagner avait déjà été attiré par ces sources littéraires du Moyen-Âge dans son opéra Lohengrin de 1850, Lohengrin n'étant autre que le propre fils de Perceval. Un opéra au succès immédiat qui conduira à l'amitié avec Louis II de Bavière  qui financera la construction du Festspielhaus de Bayreuth On voit ça plus loin…

Dans la littérature médiévale, on ne peut dissocier Perceval du mythe des chevaliers de la table ronde, une assemblée de preux qui se réunissent en cercle pour éviter toute préséance. L'existence de ce conseil de chevaliers apparaît vers 1155 dans Roman de Brut du poète normand Wace. L'histoire est reprise abondamment par Chrétien de Troyes ; le nombre de membres varie suivant les textes, mais certains chevaliers sont restés célèbres : Le roi Arthur lui-même, Lancelot du Lac, Mordred, Gauvain, Tristan (amant d'Isolde) et Perceval. Lancelot et Perceval se partagent la paternité de la redécouverte du Graal. D'autres personnages côtoient ces chevaliers, la fée Morgane, Merlin l'enchanteur, etc. Dans Roman de Parzival, Wolfram von Eschenbach au XIIIème siècle s'inspire pour son récit en allemand du conte de Chrétien de Troyes, Perceval ou le Conte du Graal, le chevalier devenant ainsi le héros principal du poème. Camelot disparait au bénéfice du Monastère de Montserrat en Catalogne… Tu vois Sonia, nous sommes face à une culture littéraire occidentale chrétienne européenne plutôt qu'à une bibliographie romanesque au sens académique du terme. D'autres écrits compléteront les ouvrages principaux cités.

- Voilà un résumé sommaire, tu t'y retrouves mieux Sonia ?  

- Oui, tes précisions sur le texte de Wolfram von Eschenbach en regard du cycle arthurien complet que l'on connaît bien, avec Parsifal en premier rôle, explique les choix de Wagner pour son livret, enfin je pense… 


Arrivée de Perceval au château du Graal
et Cortège du Graal 

© BNF

Question 2 : hormis l'opéra de Wagner, les adaptations de ces récits anciens sont-elles légion ?

Oh que oui Sonia et avec plus ou moins de bonheur : des livres, des films, d'autres opéras… Côté littérature, on dénombre des centaines voire plus de publications depuis le Moyen-Âge, dans toutes les langues européennes.

Pour le cinéma, les productions encombrent les archives depuis 1909 dirait Lino Ventura. Dans les grands crus, citons Lancelot du Lac de Bresson, Les Chevaliers de la Table ronde de Richard Thorpe, Excalibur de Boorman, surement d'autres comme le délirant et iconoclaste Monty Python sacré Graal… 

Coté nanars, la liste est longue, je ne cafte pas, sauf Eric Rohmer et son mollasson Perceval le Gallois avec le préado Lucchini et son brushing cucul qui essaye de ne pas tomber du cheval, des décors grotesques dans le style Playmobil… Ok, je ne suis pas gentil mais l'expérimental dans des récits de fureur, de sang, de sexe et de mysticisme méritent un traitement, disons… plus couillu. 

Ah ! James Bond (Sean Connery) en roi Arthur et son château de Camelot modèle Chambord revu par Lego et Disney sont pour le moins rigolos ; Richard Gere anime au mieux la cata titrée Lancelot, le premier chevalier et mise en scène par Jerry Zucker (plutôt un habitué des comédies loufoques, Y-a-t-il un pilote dans l'avion et les suites) …

On avance, on avance et on termine avec la musique. Parsifal est LE chef-d'œuvre philosophique et mystique certes ! Mais d'autres opéras ont connu un succès d'estime : l'enchanteur King Arthur de Purcell, le roi Arthus d'Ernest chausson (un peu longuet). Et puis on pourra ajouter : séries TV, jeux vidéo, Bd et patati et patata ; le roi Arthur et ses potes ne touchent aucun droit d'auteur, dommage 😊.

Eh bien Claude, impossible de s'intéresser à tout cela…  

Quant au Graal Sonia, le Saint Calice en tant que relique magique est devenu un thème récurrent de Thrillers occultes depuis son retour en force dans le roman Da Vinci Code  : Dan Brown, Glenn Cooper, Steve Berry…


Sainte Lance supposée
(Trésor de Vienne)
datée du VIIIème siècle

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Question 3 : Peux-tu résumer l'intrigue et présenter les personnages ?

Impossible de raconter une épopée aussi complexe qui s'étend sur vingt ans sans cerner d'abord les psychologies des personnages aux profils atypiques dans l'art lyrique. Contrairement à la plupart des opéras qui mettent en scène des comédies ou des conflits amoureux (en général : le baryton s'évertue à empêcher le ténor de courtiser et plus si affinité la soprano qui meurt ou survit 😊), Wagner innove complètement. Voici le casting :

Gurnemanz : Doyen des chevaliers du Graal, il est aussi l'ami du vieux roi Titurel. Il fait fonction de narrateur pour expliquer comment Amfortas, fils et héritier spirituel de Titurel, a été blessé par le magicien Klingsor. Le trépas d'Amfortas mettrait fin à l'existence de Montsalvat et de la communauté… (Baryton)

Titurel : Ancien roi de Montsalvat chargé de la garde du Graal et de la Sainte Lance de Longinus1 il a atteint la limite d'âge et se meurt lentement. Son fils Amfortas doit lui succéder comme prêtre-roi, s'il survit car il est blessé sévèrement… (Basse, éventuellement profonde)

Amfortas : fils de Titurel, il lui succède comme gardien du Graal et de la Sainte Lance. Mais une terrible blessure au flanc que lui infligea le chevalier renégat Klingsor avec ladite Lance ne guérit jamais, même lors de la cérémonie d'exposition du Graal2. Seul un cœur pur utilisant la Lance perdue par la faute d'Amfortas pourrait le guérir…  (Baryton)

Perceval : un jeune homme sorti de nulle part mais en qui Gurnemanz croit reconnaître l'élu au cœur pur. Il devra retrouver la Lance pour sauver si possible Amfortas sans périr, si vraiment il a ces qualités d'intégrité spirituelle…  (Ténor héroïque)

Klingsor : Un ancien prétendant au titre de chevalier du Graal qui devait, comme tous ses compagnons, faire vœu de chasteté… Ne pouvant résister à ses désirs charnels, il a préféré se châtrer et par conséquent fut chassé par Titurel de Montsalvat. Il pratique la magie noire et la nécromancie dans son château maudit et tente de séduire les chevaliers avec ses nymphes (filles-fleurs) pour les inciter eux-aussi à commettre le péché mortel. Il détient la Sainte Lance. Kundry l'aide dans ses buts maléfiques… (Baryton-basse)

Kundry : unique personnage féminin d'importance et un rôle unique dans le répertoire féminin lyrique car la chanteuse doit jouer double jeu. Selon la légende Kundry se moqua du Christ martyrisé lors de sa montée au Golgotha pour y être crucifié ! Comme Christina Ricci dans une série B sympa, Les témoins. Kundry fut maudite, condamnée à l'errance éternelle, son âme passant de créatures en créatures diaboliques. Elle incarne le maléfice tant comme servante indisciplinée et fourbe des nobles chevaliers du Graal que comme complice du magicien félon Klingsor, ne pouvant refouler là aussi sa nature démoniaque. (Soprano ou mezzo-soprano). (Lien vers une étude approfondie)

Filles-fleurs : au nombre de six pour les rôles chantés (plus des figurantes), vivant dans les jardins de Klingsor. Leur beauté et leur lubricité constituent les armes favorites du sorcier pour séduire les chevaliers du Graal et les entraîner à rompre leur vœu de chasteté. (Sopranos de tessitures variées).

Ecuyers et Servantes : chœurs masculins et féminins.

1- Longinus était le légionnaire qui perça le cœur de Jésus avec sa lance pour précipiter sa mort sur la croix selon l'Évangile de Jean [19, 33-35]. V'là que j'écris comme les témoins de Jéhovah 😊. La blessure d'Amfortas est évidement un rappel de ce geste lors de la Passion…

2 - Dans la tradition chrétienne, le graal est le calice dans lequel Jésus partagea avec ses apôtres le vin. Le vin devenant par transsubstantiation son propre sang. Joseph d'Arimathie, un juif proche du Christ recueillit son sang dans ce même calice en aidant à la descente de la croix. Historicité contestée… (Ok je fais aussi le catéchisme, mais sinon on comprend que dalle).

- Waouh… Ils ont bien des problèmes ces gens-là Claude. Dis donc, après l'héroic-fantasy du Ring, Wagner bascule dans la religion chrétienne tendance dure…  

- Oui, mais ces détails vont faciliter le résumé du livret… je suis assez d'accord avec le terme héroïc-fantasy à propos du Ring Sonia ; des géants, des nains perfides, des dieux, des dragons, etc… 


Wagner vers 1880

Question 4 : alors ? Il se passe quoi ? À tous les coups comme dans Tristan ou Le Ring, ça finit mal

Ben justement pas. Découvrons la trame du drame, acte par acte. Que les experts me pardonnent une possible simplification du récit qui ne trahit pas fondamentalement l'essence de l'argument, du moins je l'espère… Notons que les actes ne sont pas scindés en scènes à la manière des pièces classiques et même des opéras précédents de Wagner. Cette continuité, une innovation et un cas unique avant l'ère moderne, s'applique aussi au discours musical, j'y reviendrai… Sont indiquées les durées moyennes des actes suivant les tempos. 

Acte I : (2H) au château de Montsalvat.

Gurnemanz est omniprésent, il raconte les évènements anciens qui ont conduit à la perte de la Lance et aux tourments d'Amfortas. Par ailleurs, en parallèle de ce témoignage, le vieux sage veille à renforcer l'engagement des Chevaliers : respecter leurs serments et leur fidélité à la doctrine de la miséricorde, fondement des Évangiles. Kundry gémit sur son malheureux destin, sa condamnation pour l'éternité, et les Chevaliers écoutent son récit. Gurnemanz insiste pour que la communauté respecte Kundry la pécheresse, suivant ainsi la tolérance et le pardon, dogmes fondamentaux du Nouveau Testament.

Saut dans le passé : le jeune et fougueux Amfortas voulant tuer Klingsor dont les sortilèges mettent en péril la communauté des chevaliers du Graal décida de se rendre à son château armé de la Sainte Lance afin de trucider le magicien. Hélas, il succomba aux charmes d'une des beautés fatales1 de Klingsor et, même si simplement enlacé par cette femme, il y perdit sa pureté…  Klingsor parvint alors à s'emparer de la Lance et blessa au flanc Amfortas. Ce dernier dut revenir à Montsalvat sans la Lance, le seul talisman sacré qui, appliqué sur la blessure, permettrait de le guérir et de le laisser devenir gardien des deux saintes reliques de nouveau réunies.

Dans les jardins de Montsalvat, on découvre un cygne mort, transpercé par une flèche ! Tuer cet animal est criminel dans la culture de Montsalvat ! Le coupable est un jeune homme, un adolescent qui ignore son propre nom. Il ne voulait pas commettre un sacrilège mais se nourrir. Kundry connait cet adolescent qui erre pour retrouver sa famille, lui apprenant ainsi sans ménagement, voire avec ironie, la mort de sa mère. Furieux, l'adolescent veut molester Kundry mais Gurnemanz s'interpose… Les cloches de Montsalvat sonnent pour appeler la communauté au complet à assister à la première scène de transformation. Heu… là, j'explique :

Titurel survit grâce à la contemplation régulière du Graal que doit présenter Amfortas à l'assemblée. Amfortas bien qu'épuisé à force de perdre son sang exige de procéder à ce rituel. Remis de son altercation avec Kundryl'adolescent invité à assister au rituel ne comprend pas l'intérêt de ce cérémonial qui, de toute façon, une fois de plus, ne guérit en rien AmfortasGurnemanz quitte les lieux tristement, n'ayant pas reconnu dans le jeune homme l'élu tant attendu (l'innocent au cœur pur). Il le chasse sèchement de Montsalvat mais une voix céleste lui ordonne "la patience"…

1 - on apprendra plus tard que la femme fatale n'était autre que Kundry alors escort-girl sous contrat avec Klingsor… Elle fuira à Montsalvat.


Filles-fleurs - Bayreuth 2023
Mise en scène Jay Scheib
Décors Mimi Lien. Costumes Meentje Nielsen

Acte II : (1H) au château enchanté de Klingsor.

Le 1er acte baignait dans l'affliction et les rancœurs. Le 2ème s'anime : luxure, manigance, occultisme, anéantissement ! Klingsor surveille les alentours de son château situé vers l'Andalousie et gère son petit personnel : d'anciens chevaliers du Graal déchus n'ayant pas pu ou su résister à l'érotisme des filles-fleurs qui batifolent dans les jardins où Kundry, qui, curieux hasard est revenue de Montsalvat après le départ de Parsifal.

Wagner raffole des brigades de femmes pittoresques, souvent aguichantes, entre autres : les nymphes du Venusberg dans Tannhäuser, les filles du Rhin lascives au début du Ring, les douze Valkyries, des guerrières dont l'une, Brunehilde, s'éprendra de Siegfried dans le Crépuscule des Dieux et enfin les séductrices Filles-Fleurs du sorcier Klingsor. Rien de surprenant en regard de la passion du compositeur pour la gent féminine, collectionnant épouses, amies très chères, égéries et sans doute maîtresses dans sa jeunesse (Blog pour en savoir plus) ; et surtout des héroïnes sublimes. Pas de misogynie dans ces ligues de pin-up affriolantes ou bagarreuses souvent inspirées des légendes qui déterminent les livrets. 

Wagner a offert les rôles pour cantatrices parmi les plus fascinants de l'art lyrique : Brunehilde la combative, Isolde l'amoureuse à la folie, Kundry la démoniaque qui trouvera la rédemption… Richard Strauss admiratif poursuivra dans cette voie : Elektra, Salomé, le trio féminin du Chevalier à la rose (La maréchale, Octavian, Sophie). Et de plus, des rôles très riches psychologiquement, éprouvant par leurs exigences vocales et par leurs durées… Revenons à Klingsor … 


Parsifal et Kundry ; Met 2013
Jonas Kaufman et Katarina Dalayman
Photo: François Pesant

Le sorcier inquiet guette sur les remparts puis réveille Kundry qui somnole… Ils ont le pressentiment que l'élu annoncé par les chroniques approche du château et qu'il pourrait s'avérer dangereux. Ils ourdissent un plan pour déposséder le jeune héros de sa supposée pureté. (Gurnemanz a douté de celle-ci, mais on n'est jamais trop prudent.) Kundry aidée des filles-fleurs devront le séduire.

Rien ne se passe comme prévu ! Les ex-chevaliers maudits et amants des nymphes ne peuvent s'opposer à la fougue du jeune homme devenu un guerrier habile et qui terrasse ainsi la garde de Klingsor. Les filles-fleurs assaillent ce gaillard inconnu qui reste indifférent à leurs charmes !

Kundry l'appelle alors par son nom originel, Parsifal. Il se rappelle soudain que sa mère l'appelait ainsi. Bouleversé, convaincu que Kundry a réellement connu sa mère, Herzeleide, il semble prêt de tomber dans les bras de Kundry. Mais seul un chaste baiser est échangé car Parsifal a pris conscience de la manipulation en se remémorant le supplice d'Amfortas, lucidité qui rend folle de rage Kundry. Elle en appelle à Klingsor pour en finir. Exaspéré et furieux, celui-ci surgit armé de la Sainte Lance et la fait jaillir vers Parsifal pour l'assassiner. La relique s'immobilise miraculeusement dans l'air ! Parsifal est bien l'élu, sa sainteté l'a protégé, il se saisit de la lance et l'utilise pour esquisser un signe de croix, signe rompant ainsi tous les maléfices : Klingsor, son château et ses créatures damnées tombent en poussière pour l'éternité.

Kundry seule survit, gisante et épuisée… En s'éloignant des ruines maudites, Parsifal lui confit "Maintenant tu sauras où me trouver…"


Un beau graal parmi des milliers de faux


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Acte III : (1H15) au château de Montsalvat.

Vingt années se sont écoulées. À Montsalvat, Titurel et les plus vieux Chevaliers du Graal sont morts. Amfortas agonise lentement, le rituel de transformation par exposition du Graal n'est même plus pratiqué. Les bâtiments mal entretenus ne voient plus les derniers chevaliers partirent en mission… Ambiance lugubre malgré le printemps qui fleurit les alentours ! Gurnemanz attend sa fin relégué en ermite dans les jardins extérieurs…

Le vieil homme entend un gémissement. C'est Kundry qui arrive, have pâle et défaite (merci Voltaire pour la formule très appropriée) et est reconnue par Gurnemanz. Quasi mutique, son rôle de manipulatrice s'achève ici, elle désire seulement "servir" la communauté…

Un chevalier la suivait, noble, vêtu d'une armure noire et le visage couvert d'un heaume… et bien peu bavard. Gurnemanz l'interroge en vain. Agacé il lui demande au moins de déposer ses armes en ce jour sacré de Vendredi Saint où la liturgie prévoit de revivre la Cène et la Passion du Christ. L'inconnu obtempère et Gurnemanz reconnait… la Sainte Lance puis Parsifal qui ôte son heaume. Il n'est pourtant plus un adolescent.

Parsifal regrette de n'avoir pu revenir plus tôt pour éviter le désastre à Montsalvat. Gurnemanz ondoie Parsifal et le sacre prêtre. Kundry, silencieuse, a baptisé le chevalier avec l'eau pure d'une source… Parsifal apprend qu'Amfortas vit ses dernières heures et se précipitent pour organiser le rituel appelé "Enchantement du Vendredi Saint".

En présence du Graal qui s'illumine, et touchée par la Sainte Lance, la plaie se referme enfin. Amfortas a demandé à Parsifal de prendre sa place de prêtre du Graal. Kundry se laisse choir doucement et meurt, l'âme enfin libérée… Une colombe descend vers l'assemblées de héros survivants et des chevaliers et servants… L'opéra s'achève dans une extase mystique un chouias grandiloquente 😇 mais musicalement enivrante…

- Waouh Claude… et dire que c'est un résumé… Il y a des scènes de transition géniales, je pense aux filles-fleurs qui chantent et batifolent à l'acte II… Une musique qui rappelle les murmures de la forêt, un passage plein d'espièglerie…

- Oui un résumé Sonia… la partition couvre 600 pages… Un spectacle de 6 heures avec les entractes. L'acte III n'est chanté que pendant un bon tiers du temps, laissant une large place à la fantasmagorie orchestrale… Je n'exclus pas quelques raccourcis ou inversions dans ce texte… 


Hermann Levi (1839-1900)

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Question 5 : Comment s'est déroulé la composition de Parsifal ? En préparant mes questions, j'ai lu que "le racisme s’est élargi dans Parsifal". T'en penses quoi ?

Tu poses deux questions dans une Sonia. La seconde fait référence aux complotistes antiwagnériens, du moins ceux qui raffolent des idées préconçues. Le musicologue canadien Jean-Jacques Nattiez, spécialiste mondial et admirateur de l'art de Wagner a écrit un ouvrage de référence sur cette problématique. L'expression que tu as lue est de sa plume.

Récemment, un proche a priori cultivé me téléphone pour l'aider à chercher le nom "du grand compositeur d'opéras nazi"… Je reste sec car "grand compositeur", à savoir intellectuel et nazi, voilà deux adjectifs qui ne vont guère ensemble et, très franchement, à par quelques rares sympathisants comme Carl Orff, et encore, je ne voyais aucun nom jusqu'à comprendre stupéfait que la réponse attendue était WagnerWagner mort en 1883 alors que l'abject Adolf était né en 1889. Anecdote qui résume la méconnaissance jusqu'au galimatias d'un sujet ambiguë et caractéristique des interrogations concernant les conflits entre l'art et la pensée politique sous toutes ses facettes.

Comme la plupart des allemands, Wagner professait un antisémitisme, disons… intellectuel, écrivant en substance que la "culture juive était incompatible avec les fondements de la musique occidentale". Sympa pour Mendelssohn. Il est vrai qu'au XIXème siècle il y a très peu de compositeurs israélites d'envergure mais à l'opposé beaucoup d'instrumentistes et de maestros de talent. Le thème de l'intégration des diasporas était déjà un sujet de discorde (il l'est depuis la nuit des temps). Les juifs aimaient vivre dans des ghettos (du nom d'une ile vénitienne où résidaient les juifs chassés d'Espagne).

Depuis Luther, les juifs étaient à peine tolérés en Allemagne. Mais au début du XIXème siècle, un mouvement contestataire réclame la fin de cette ostracisation, l'égalité pour tous… Et cela marchera puisque l'on considère que l'Allemagne est le pays européen où les juifs disposent de la plus grande tolérance vers 1900. Mais évidemment comme toute réforme, il y a des mécontents obtus qui connaîtront la plus immondes revanches, plus tard. L'arrivée de Mahler, Schoenberg et Berg de la Nouvelle École de Vienne prouvera l'erreur de jugement de Wagner.

Pour Wagner, ces écrits antisémites, reflet de ses opinions, ne peuvent être ignorés. Pourtant, pour créer Parsifal, œuvre fondamentalement chrétienne, il fera appel à l'un des plus grands chefs de son temps, Hermann Levi, maestro juif qui avait déjà assuré la première de Tristan. Après la mort du maître qu'il admirait tant, Levi donnera tous ses opéras à Munich. De grands chefs obligés de fuir le régime hitlérien car juifs serviront brillamment Wagner citons : Otto Klemperer, Bruno Walter, George Szell.

Louis II de Bavière

Quant au racisme suspecté à propos du personnage de Klingsor, une idée surement étayée de Nattiez, il semble lié au fait que le sorcier vit en Andalousie alors sous domination arabo-musulmane au XIIIème siècle. L'Andalousie est bien loin de Montsalvat situé dans les Pyrénées, et inspiré par les forteresses comme Montségur. Les décors s'inspirent donc en toute logique de l'art arabo-andalou. Étrange raccourci dans le raisonnement du musicologue à mon avis ! Si Klingsor échoue pour des raisons de libido incontrôlée à devenir Chevalier du Graal, pour candidater il ne peut être que caucasien, chrétien et baptisé, donc ni "basané", ni musulman, ni juif… Et le principe "on ne prête qu'aux riches" me paraît audacieux sur des sujets aussi sensibles… Cela n'engage que moi, je ne suis pas l'avocat de Wagner, surtout sur ce point

À noter un argument conclusif et primordial que je partage totalement, et je cite Nattiez de nouveau : "Ce n’est pas parce que Hitler était fasciné par Wagner que Wagner est une source ou une cause de la montée du nazisme et de ses pires atrocités." Exact, on choisit ses amis, mais ni sa famille et encore moins son public. (Certains descendants de Wagner seront des laquais opportunistes du Führer et d'autres de farouches opposants voire résistants.)

Wagner était un créateur génial, mais un homme complexe, vaniteux, ambitieux, sans doute intolérant et pas toujours sympathique, mais son œuvre ne reflète pas d'opinions aussi nauséeuses que celles du national-socialisme. Si Hitler et ses caciques avaient mieux compris la philosophie du Crépuscule des Dieux, à savoir l'inévitable anéantissement dans les flammes du Walhalla, de ses Dieux et ses courtisans infâmes et corrompus par l'or et le pouvoir, ils auraient su ce qui les attendait. 

Alfred Rosenberg, idéologue de la Shoah et, de même très hostile au christianisme, voulait même interdire Parsifal jugé trop catholique. Ce théoricien psychopathe pendu à Nuremberg faisait partie des fanatiques qui avec Himmler programmaient des expéditions ethnologiques et occultes insensées dont la quête du Graal. Où ça ? et bien à Montségur en 1933 puis au château de Montsalvat le 23 octobre 1940 ou le Reichfürher questionna des moines bénédictin effarés. 

- Et bien Claude… Tu connais ton sujet ! Bigre je n'en demandais pas tant…  

Tu as bien fait de poser la question… J'étudie l'histoire effroyable du nazisme depuis longtemps pour trouver des réponses à cette folie, en vain… Mais on clôt le dossier et on revient à la musique.

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Copie du manuscrit de Parzifal (1260)

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Parsifal ou le travail d'une vie… pourrais-je répondre à ta première question. Dès sa prime jeunesse comme compositeur, Wagner montre son intérêt pour le Moyen-Âge, les légendes nordiques, les contes surnaturels. Même si philosophiquement Tristan devient un ouvrage intemporel tout comme le Ring, le compositeur n'a jamais situé son univers lyrique dans le monde contemporain. Ce n'est pas le style de l'époque de toute façon.

Né en 1813, il est un compositeur imprégné des thèmes du romantisme, se rapprochant en cela d'un Meyerbeer ou d'un Weber auteur du célèbre, fantastique, diabolique et passionnant Freischütz (1821). Entre 1833 et 1842 il achève trois opéras sur quatre. Seuls Les fées et le boursouflé et interminable Rienzi (règlements de compte dans la Rome médiévale) sont parfois joués. Dans Les fées, l'occulte et la rédemption, piliers de l'inspiration de Wagner sont déjà à l'ordre du jour.

On évoque parfois un premier projet de composition à partir des légendes arthuriennes vers 1843, et notamment de Parzival. Ceci est définitivement contesté faute de disposer de traces épistolaires ou d'ébauches l'attestant. Néanmoins, son intérêt pour ces sagas est évident. La graine a germé et le troisième opéra de la maturité, Lohengrin, est créé en 1850. Il rencontre un triomphe. Un premier livret en prose de Parsifal est ébauché vers 1857, mais le manuscrit a été perdu. En mai 1859, Mathilde Wesendonk, sa muse lui fait parvenir une nouvelle édition de Parzival de Wolfram von Eschenbach. Wagner modifie le récit peu en accord avec sa conception personnelle, on ne le changeait pas. 😊

Impossible de faire l'impasse sur la rencontre de Wagner et du roi Louis II de Bavière qui accède au trône en 1864. Le jeune roi est un illuminé passionné par l'œuvre de Wagner, notamment Lohengrin. Il invite en résidence Wagner à Munich et lui propose des budgets sans limites pour travailler pour lui.

C'est en 1865 que l'excentrique monarque lui commande un opéra mettant en scène Parsifal. Une première esquisse du livret parvient à Louis II. Wagner va profiter de cette admiration et de l'enthousiasme de Louis pour dépenser sans compter (dixit John Hammond dans Jurassic Park) – certaines sources parlent d'amour envers, RichardLouis II ayant des penchants homosexuels, mais le compositeur est un homme à femmes, l'attirance ne sera pas réciproque. 


Plan en coupe du Festspielhaus de Bayreuth

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Wagner obtient ainsi le financement pour la construction sur la colline de Bayreuth du Festspielhaus. Le théâtre sera réservé exclusivement aux représentation des ouvrages monumentaux de Wagner. Mes amis mélomanes qui ont pu s'y rendre ont tous été bluffés par l'acoustique fabuleuse. Wagner a l'idée entre autres de prolonger la fosse d'orchestre sous la scène pour y loger des ensembles instrumentaux pléthoriques sans que le chef perde de vue l'action scénique. (Voir schéma dans la chronique consacrée à Tristan.)

Tout ce projet participe en partie à aggraver la folie qui emportera Louis II. Il se compare de plus en plus à Parsifal, il devient Parsifal ! Les écrits intimes de cet homme très pieux le montrent plongeant dans un ascétisme maladif, évitant de pécher pour rester pur. Le syndrome de Don Quichotte existe-t-il en psychiatrie ? Il mourra interné en 1886. Encore un mystère, la mort de Louis II par noyade dès le lendemain (en compagnie de son psy en plus😵) L'étrange roi dépensait en toute démesure pour faire bâtir des théâtres et des châteaux dont le féérique château de Neuschwanstein qui inspirera Disney. Les argentiers auraient-ils ??? 

Seize années sont nécessaires pour achever le livret en prose versifiée et la partition. Entre temps, Wagner a composé les quatre opéras du Ring et, Tristan et Isolde dédié à Mathilde Wesendonk a été créé en 1865. Le cinq novembre 1881, l'ouvrage renommé "festival scénique sacré" et non opéra est achevé et la première représentation a lieu le 26 juillet 1882 à Bayreuth.

- Claude… j'angoigoigoisse… déjà 5000 mots et il reste l'analyse, le timing (tu sais les [2:24:53]), les indications en tout genre, ff, pp, sf etc.… Ça tourne à la folie ce billet… Le serveur du Blog va exploser…  

- Houlà du calme Sonia. Pas question d'analyser 600 pages de portées… Je ne sais pas qu'elle sera ta question mais on va essayer de conclure sur quelques commentaires sur le mode de composition novateur et sur le disque d'extraits symphoniques…


Décor pour Montsalvat en 1882

Question 6 : alors ? Donc pas d'analyse. Un mot sur la composition et quel accueil Parsifal a reçu ?

La première de Parsifal fit l'effet d'une bombe dans le monde musical européen. Inutile de préciser que l'on joua à guichet fermé. L'élite de l''occident musical est présente, les germaniques : Franz Liszt, Anton Bruckner, Richard Strauss. Les français Léo Delibes et Camille Saint-Saëns ont fait le déplacement… L'œuvre est interprétée seize fois ! Les compositeurs amateurs de nouveautés en cette fin du romantisme originel exultent, nous parlons ici de révolution à propos : du traitement orchestral, du style de composition au sens solfégique, de l'ambition métaphysique, antithèse absolue de l'opéra de divertissement…

Wagner recourt à une écriture dite dans la continuité. Le découpage en scènes, structurant les actes, encore présent dans Tristan ou le Ring, disparait radicalement. Le flot musical hormis après l'ouverture ne s'interrompt jamais. On ne distingue aucun thème musical identifiable au sens classique, mais des leitmotive (36) associés aux personnages, sentiments et symboles qui constituent la charpente mélodique1. La partition est saturée de chromatisme et la tonalité connaît d'incessants changements. La pléthore d'altérations , ♮ rend la partition presque indéchiffrable pour un amateur même éclairé. Schoenberg résoudra la problématique du solfège traditionnel en voie d'obsolescence par rapport aux objectifs avant-gardistes de Wagner en inventant le dodécaphonisme et les règles du sérialisme. Les couleurs et les timbres féériques dus à l'usage de telles dissonances sont magnifiés par un orchestre luxuriant :

Hans Knappertsbusch Grand-prêtre
de Parsifal entre 1951 et 1964

3 flûtes + piccolo, 3 hautbois, cor anglais, 3 clarinettes, 2 clarinettes basses, 3 bassons et contrebasson, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, tuba basse, timbales, caisse claire, 2 harpes, cordes. (107 musiciens lors de la création). 135 choristes. On remarque immédiatement l'absence de percussions métalliques bruyantes : grosse caisse, cymbales, triangle. Wagner auréole les temps lyriques ou les transitions orchestrales d'une musique plutôt diaphane, une brume de timbres sublimés    par l'acoustique englobante de Bayreuth, sans climax outranciers, des mélodies cherchant à souligner la spiritualité omniprésente ; les dialogues conflictuels sont rares…

Précision : derrière la scène, au lointain : 6 trompettes, 6 trombones, caisse claire, machine à tonnerre et des cloches tubulaires qui simulent une cloche d'église pour appeler les chevaliers.

1 – Pour répondre à l'inquiétude de Sonia… Une analyse déjà riche dans une seule scène (Acte II scène 2) de Tristan und Isolde fut un défi rédactionnel pour votre serviteur… alors là… no comment 😊 !

Un tel succès est vécu par Wagner comme un sacre. Depuis des années, on peut dire avec trivialité et ironie qu'il a pris le melon 😊. Influencé par Louis II, qui n'assistera pas à la première (😳), il décide les règles strictes suivantes : aucune représentation de Parsifal ne devra avoir lieu en dehors de Bayreuth pendant une durée de 20 ans2. Il est interdit d'applaudir à la fin du 3ème acte pour ne pas troubler la sacralité de la scène dite "enchantement du vendredi Saint", une tradition qui perdure de nos jours. Wagner se brouille ainsi avec l’anticlérical tendance dure Nietzche qui publiera en 1896 L'Antéchrist, un brûlot anti Vatican épinglant les abus de violence et de haine de l'Eglise qui a ainsi trahi le message évangélique. Admiratif de l’ouvrage sur la forme, le philosophe assistait pourtant rageur à la "chute vers la bondieuserie" de son ami.

2 – Wagner meurt un an plus tard. Son épouse Cosima s'érige comme gardienne du temple et imposera la mise en scène originelle pendant cinquante ans ! La fratrie Wagner utilise ses droits comme revenus. Ils autorisent néanmoins des exécutions en dehors de la colline sacrée : Londres en 1884, New-York en 1886 et Amsterdam en 1896. Il y aura des spectacles pirates avant 1913, date de la fin de l'exclusivité. 



Andrew Gourlay

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Question 7 : Tu nous proposes un CD d'extraits et l'opéra, pardon, le "festival scénique sacré" dans son intégralité dans une version de James Levine. Pourquoi ces choix ?

J’ai pris le parti de proposer à l’écoute une interprétation de l’opéra complet en général bien appréciée des discophiles et une nouveauté, à savoir une anthologie symphonique titrée Parsifal Suite publiée en 2022.

Les albums d’extraits d’un opéra wagnérien précis n'existent pas. J’ai parlé plus haut du principe de la continuité tant dans la ligne de chant des dialogues et des chœurs que dans le flot musical. Associer des ouvertures, danses, et airs de bravoure dans La damnation de Faust de Berlioz en un seul album "découverte" est facile : la marche Hongroise, la chanson de la puce, la danse des esprits, etc... Ce fractionnement dans les opéras est hérité de Haendel et de Mozart… et perdure parfois de nos jours (Messiaen concilie actes, scènes et continuité mélodique dans Saint-François d'Assise, voir plus haut le principe wagnérien d'écriture) …

On dispose de belles anthologies réunissant les Ouvertures et quelques interludes comme La marche funèbre de Siegfried ou Les murmures de la forêt. Je pense au florilège remarquable réalisé par Otto Klemperer avec le Philharmonia dans les années 60 pour EMI.

Philippe Jordan a eu en 2013 l'idée géniale et sans précédent de réunir en plus des morceaux traditionnels, de larges passages du Ring sans la voix. Une chronique Der Ring des Nibelungen sur cette magnifique initiative est à lire, écoute à l'appui (Clic).

Le jeune chef anglais d'origine russe Andrew Gourlay, né en Jamaïque en 1982, ayant étudié en Angleterre où il exerce son talent de maestro a eu la même idée que son confrère suisse. Pianiste et trombone, il a choisi la voie de la direction et a assisté, voire remplacé, Bernard Haitink, Sir Roger Norrington, Kurt Masur, Valery Gergiev, Esa-Pekka Salonen et Sir Colin Davis, rien que cela.

En 2019, le célèbre éditeur Schott Music lui commande cette suite symphonique. On y retrouve deux passages classiques : L'ouverture et l'enchantement du vendredi Saint et Andrew Gourlay a ajouté des extraits mythiques, joués naturellement en continu sur une scène lyrique, mais en supprimant voix et chœurs. Le choix du Philharmonique de Londres et de ses instrumentistes virtuoses, d'un orchestre bénéficiant d'un jeu clair, conduit à un résultat éloquent par la transparence donnée à l'orchestration wagnérienne. Un album qui peut séduire pour les mélomanes qui souhaitent découvrir Parsifal par une approche purement symphonique. Il est établi que l'orchestre est un personnage à part entière dans Parsifal et non un simple accompagnateur pour ne pas dire un faire-valoir des chanteurs.

Les titres donnés aux sept morceaux définissent parfaitement à quels passages ces derniers font référence dans le résumé ci-dessus.

Pour les lecteurs qui souhaiteraient par curiosité écouter Parsifal dans son intégralité ou quelques extraits histoire de… j'ajoute la playlist de la version de James Levine de 1991. Notons qu'à moins d'être un germanophone expert, il est indispensable de suivre le déroulement en suivant à l'aide d'un livret bilingue. Il est parfois disponible dans le coffret vendu garni de 3 ou 4 disques ou dans des ouvrages de poche très complets, mais pas dans les rééditions économiques. En vidéo DVD et depuis une quinzaine d'années, sur des écran plasma dans les salles d'opéras, les sous-titres sont une aide précieuse pour le public. Je vais y revenir en parlant de la discographie.

Programme de Parsifal Suite

 

 

1.  Ouverture

2.  Enchantement du Vendredi Saint

3.  Scène de transformation* de l'acte III

4.  Prélude de l'acte III


* Rituel d'exposition du Graal

5.  Prélude de l'acte II

6.  Scène de transformation de l'acte II

7.  Scène d'extase finale


Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…



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Question 8 : Mon cher Claude, tu nous glisses une petite paupiette dans ce menu léger, hihi, à savoir une discographie alternative, hihi ?

Que Sonia "glisse" une blagounette inspirée des Barbouzes dans une chronique sur Parsifal ne me choque en rien, même si le festival scénique sacré (appellation contrôlée) du très sérieux Wagner ne prête pas à la rigolade… 😊 Les conflits presque puérils entre le compositeur, le maestro et même le roi préparant la création prêtent à rire et encore je n'ai pas tout raconté…

En ce qui concerne la suite symphonique imaginée par Andrew Gourlay le problème est réglé. Il s'agit d'une réalisation discographique sans concurrente pour le moment. Ce chef est le premier à oser une telle démarche. Son interprétation s'attache en priorité à mettre en valeur la plastique ondoyante de la mélodie et de l'orchestration wagnérienne si caractéristique, l'osmose entre les timbres des groupes instrumentaux (cordes et vents) d'où émergent des solos de bois. Andrew Gourlay réduit l'impression mystique parfois excessive car inhérente à la partition, émouvante en version scénique mais sulpicienne quand les instruments jouent à découvert. La prise de son est exemplaire, les tempos équilibrés, bref une réussite.


On s'étonne souvent que les tempos influent peu sur l'intérêt d'une interprétation. Ils présentent des écarts de durée ahurissants : 5H pour Toscanini à la baguette pourtant alerte, 3H40 pour Pierre Boulez et Clemens Krauss et, pour la petite histoire, 4H04 par Hermann Levi lors de la création. Environ 4H30 pour James Levine et les représentations historiques de Hans Knappertsbusch à Bayreuth. La religiosité de l'œuvre permet cette lenteur ou l'inverse sous réserve que le chef soit inspiré et que sa direction soit vivante, trèèèès nuancée, chaque détail de l'instrumentation étant mis en avant dans les deux options. Dans le cas contraire, quelle que soit le tempo, guider un orchestre vers un jeu embrouillé et aux intonations ternes rend éprouvant et soporifique le spectacle, je n'emploierai pas un mot très vulgaire, mais il m'est arrivé de "lâcher" l'affaire dès la fin l'ouverture.

 

Vous connaissez mon aversion pour l'expression "gravure de référence", surtout pour les œuvres majeures du répertoire bénéficiant d'une discographie abondante. À respect de l'esprit de la partition et à maîtrise interprétative égales, la sensibilité de chacun déterminera un palmarès subjectif pertinent et personnel. Pour Parsifal et, sans jeu de mots, la messe est dite. Réunir pour une telle "référence" les meilleurs chanteuses et chanteurs du remps pour chacun des rôles, un chœur somptueux, un orchestre virtuose et LE maestro génial n'est pas idéaliste mais carrément chimérique … Affirmer que tel disque est sans rival sera grotesque !


Bien entendu, quelques versions se détachent du lot, mais toutes auront un talon d'Achille : un chanteur un peu âgé, un hautbois peu chaleureux, un chef qui abuse un tantinet du legato à certains moments… sans compter une prise de son médiocre ou ancienne…

Bref. Je suggère trois enregistrements marquants avec, justement des défauts bien minimes. À la réouverture du festival de Bayreuth en 1951, après la période de dénazification, Wieland Wagner pour des nouvelles mises en scène modernes et épurées et Hans Knappertsbusch chef wagnérien incontesté sont aux manettes. Les deux hommes ne se sont en aucune manière compromis avec le régime, bien au contraire.

Hans Knappertsbusch dirigera pendant 13 saisons Parsifal à Bayreuth entre 1951 et 1964. La première de chaque saison étant retransmise par la Radiodiffusion Bavaroise, 12 captations ont été éditées chez divers labels. Toutes sont incandescentes car à cette époque sont présents sur le plateau les grands chanteurs historiques : en 1951 le casting comprend Wolfgang Windgassen, Martha Mödl, Ludwig Weber, George London (les amateurs apprécieront). À la version stéréo officielle de 1962, les spécialistes préfèrent celle de 1964 (Jon Vickers, Barbro Ericson, Hans Hotter, Thomas Stewart). La spécialité du vieux chef allemand ; suspendre le temps. Les dernières mesures d'un mysticisme exacerbé donnent le frisson… Certes malgré des remastérisations raffinées, nous écoutons des live en monophonie avant les sessions de 1961. (YoutubeKnappertsbusch le conservateur (qui refuse tout cachet) s'oppose pourtant à l'avant-gardiste Wieland Wagner, mais quand la fidélité entre les hommes conduit à un tel sommet artistique… 


Autre époque, autre style. En 1970, Pierre Boulez met son art de la précision absolue au service du "monstre". Les principaux rôles sont tenus par une nouvelle génération aux voix moins spectaculaires mais très humaines : James King, Gwyneth Jones, Thomas Stewart, Donald McIntyre. La stéréo définitivement adulte sert parfaitement cette conception au rythme soutenu. (Youtube)

 

De nos jours, le DVD, grâce à la finesse de l'image et du son par rapport à la VHS permet de se plonger complètement dans l'œuvre. Le catalogue désormais pléthorique est inégal. Il semble qu'un consensus se dessine autour de la réalisation filmée au Metropolitan en 2014. Sur le plateau : Jonas Kaufmann est le ténor wagnérien du XXIème siècle. Dans la fosse, The Metropolitan Opera Orchestra dirigé par Daniele Gatti montre que la relève des grands anciens est assurée avec brio.

Je me suis inspiré entre autres d'un site d'écoutes comparées très documenté auquel je vous renvoie (Clic). Heu only for fans !!

 

Bibliographie : Wagner – Parsifal – Introduction et traduction de Marcel Beaufils – Flammarion.

Filmographie : Ludwig, le crépuscule des dieux de Visconti (1972) est à voir même pour les opéraphobes. Trevor Howard et son visage sévère est un choix parfait pour incarner Wagner.



4 commentaires:

  1. Crénom !! C'est encyclopédique. Et dire qu'un proche m'a dit que ma dernière bafouille était longue...

    Au sujet des (re)découvreurs du Graal, Lancelot fut par la suite écarté, car pas assez vertueux aux yeux de la morale chrétienne. Il trompe tout de même son meilleur pote, de plus monarque du petit royaume (ou chef guerrier de bande). Il sera remplacé par son fils Galaad - tout propre, tout blanc, version 3.00 de Lancelot - qui, seul, sera accueilli (abducté ?) en un ailleurs.

    Je ne suis pas sûr qu'Arthur et ses potos se battaient contre les Bretons. Il y avait bien quelques affrontements entre roitelets et autres orgueilleux (y'a un gros méchant dont le nom m'échappe), mais sinon c'était plutôt contre les Saxons. Lancelot serait d'ailleurs un Breton.

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  2. Merci Bruno pour ces compléments.....
    La rigueur n'est pas le point fort des sagas arthuriennes et autres épopées chevaleresques. J'ai une belle-sœur, professeur d'université spécialiste de Robert le Diable... Je ne sais pas ce qu'elle penserait de ce billet fleuve....
    Wagner n'avait peur de rien puisque il changea tout ce qui lui déplaisait dans le roman de Wolfram von Eschenbach. Du coup, si je puis me permettre si Lohengrin est son fils, je me demande bien quand ce gamin a été conçu ? D'abord Ado puis vingt ans a priori accompagnée de Kundry qui ayant connu sa mère ne doist pas être très partant pour.... etc. puis grand-prêtre du Graal donc soumis à la chasteté....Si tu as une idée.... 😊
    Bon dimanche

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    1. Lohengrin ? Ce n'est pas dans Lagaffe ?
      Sinon, Perceval le Gallois a eu quelques aventures. Pas très heureuses et encore moins délicates au début, car surprotégé par sa maman, Perceval ne connait rien aux mœurs, aux choses de la vie (même pas la télé ou un portable). C'est un benêt épais mais un furieux guerrier qui, au début, ne se sépare jamais de ses trois javelots (tradition galloise). Sa mère, craignant de perdre son fils comme son mari et ses deux premiers fils, à la guerre, s'isole avec son seul fils restant, et ses gens, dans un château perdu au milieu d'une vaste forêt (sachant qu'à l'époque, les forêts, ce n'était pas ce qui manquait - il était d'ailleurs admis que le royaume de France était quasiment une unique et immense forêt percluse de petites agglomérations).
      Cependant, s'il est totalement naïf, son extrême isolement l'a prémuni de toute corruption. Et donc, bien que ne cessant pas de faire pendant un temps de belles bévues, il a un cœur pur. C'est pourquoi le Graal se présente maintes fois à lui. Avant même que ce soit l'objet d'une quête.
      Cependant, il est généralement admis que dans les versions initiales, Perceval était chaste. Ce qui, effectivement, lui permet de devenir gardien du Graal. Personnellement, je pencherai plutôt pour une version édulcorée, christianisée, qui a gommé les batifolages du Gallois. D'autant qu'il est évident que les récits où quelques damoiselles lui offre la chaleur de leurs cuisses, sont empreints de mythologie (de superstitions) ou de vieux contes antiques (celtiques).
      La lance de Longinus pourrait être aussi, à l'origine, celle de Lug, assoiffée de sang, et le Graal, le chaudron d'abondance. Et Excalibur, bien sûr, a été repêchée par Chrétien De Troyes des légendes Irlandaises et Galloises. On la retrouve sous le nom de Caledfwlch (en gallois). Sans oublier que cette épée fabuleuse (présent des dieux), qui doit désigner le Roi, est dans le Cycle Arthurien, plantée dans une pierre. Ce qui évoque la Pierre du Destin (ou la Pierre qui crie - en présence du vrai Roi) sur la colline de Tara.

      Euh, sinon, Longtarin, je l'avais oublié celui-là. C'est un apport postérieur, qu'on ne retrouve que chez un auteur Allemand (Eschenbach) - de mémoire, le seul Germain ayant mis sa pièce à un édifice qui manque parfois de s'écrouler sous quelques contradictions... 😉

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  3. Du coup, je relis Perceval...

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