jeudi 21 septembre 2023

THE LEMON TWIGS "Everything harmony" (2023) par Benjamin

Tout est harmonie, voilà un titre original. De quelle harmonie parle-t-on ? Du miracle fragile et éphémère de deux êtres découvrant leurs similitudes avant d’être dégoutés par leurs différences ? Ce ne serait alors qu’une expression de notre narcissisme, tant il est vrai que l’homme ne sait aimer que ce qui lui ressemble. Schopenhauer disait que l’empathie n’existait pas, que ce que l’on détestait chez l’autre n’était que les défauts que nous avons sans oser nous l’avouer. Ce qui est vrai pour la haine l’est aussi pour l’amour, qui finalement s’achève lorsque les différences entre les amants leur deviennent plus flagrantes que leurs similitudes.

C’est pourquoi Oscar Wilde, qui fit une des plus belles descriptions des caractéristiques et conséquences du narcissisme dans « Portrait de Dorian Gray », dit un jour : « S’aimer soi-même est le début d’une grande histoire d’amour. » L’harmonie est donc également le fruit d’une volonté, celle de s’aimer suffisamment pour que l’environnement s’adapte à notre volonté. Ce ne sont que de petites choses, de petits services, de petites accolades. Mais, comme les petites pluies font les grands fleuves, les petites douceurs forment les grandes harmonies.

Oubliez tous ces Jean Foutres exhibant leurs grosses maisons, grosses voitures, grosses mises dans des jeux stupides. Tout cela n’est bon que pour les pornographes du plaisir futile, les exhibitionnistes de leurs petites joies artificielles. Rien n’est moins harmonieux que ces accros aux réseaux asociaux, tristes candaules incapables de jouir de leurs joies si personne ne les regarde. L’harmonie n’est pas une chose qui s’exhibe mais qui se ressent, elle n’est pas charnelle mais spirituelle. Elle n’est pas non plus affaire de richesse, il se trouve plus de vie harmonieuse chez les pères de familles épanouis que chez les célibataires réduits au rang de « cadres dynamiques ». Elle n’est pas non plus forcément positive, le caractère de l’acariâtre se révélant plus harmonieux que celui du lunatique, qui a pourtant le mérite de connaître quelques plaisirs éphémères. Le con peut vivre une vie plus harmonieuse que l’intellectuel, le vicieux peut trouver plus de béatitude que l’honnête homme, l’harmonie est un Graal que l’on peut atteindre par des chemins opposés.

Et en musique me diriez-vous ? Et bien, dans le rock, l’harmonie est une ile abandonnée que quelques aventuriers reviennent parfois visiter. Cette terre sortie des eaux dans les années 60, lorsque les Beatles sonnèrent la charge de l’invasion anglaise après que les pionniers yankees aient sonné la première charge. Il y’eut « Rubber soul », « Revolver » et « Sergent Pepper », éternelles tours de Babel rock dont on ne connaîtra jamais totalement toutes les subtilités architecturales. Il ne faut pas non plus oublier la brillante cavalerie formée par les Kinks, les Zombies, puis Big Star un peu plus tard. Il se forma régulièrement de nouveaux Big Star, courageux groupes pop soucieux de ressusciter une pop raffinée broyée par les sauvages seventies.

Nous y voilà donc enfin. « Everything harmony » n’est rien d’autre qu’un nouveau représentant de l’éternel retour de la grâce pop. Dès le début, la passion des Lemon Twigs pour les bijoux de la couronne rock fut palpable. Reprenant à leur compte cette phrase d’Oscar Wilde selon laquelle « rien n’est vrai que le beau », les frangins mixèrent l’inventivité mélodique des Beach Boys et la fougue lumineuse de Ziggy Stardust. C’est pourtant sur « Everything harmony » que leur génie mélodique atteint ses véritables sommets.

L’affaire s’ouvre sur les arpèges de « When winter comes around », leur « Norvegian wood » à eux. Les relents psychédéliques du classique Beatlesien sont ici remplacés par des notes cristallines introduisant une nostalgique oraison. « Everything harmony » est l’illustration de ce principe de Nietzsche selon lequel la peine et la joie ne sont pas des sentiments opposés mais liés. 
 
Ces refrains sont des hymnes de mouroir, le deuil et le regret brillent ici comme les flambeaux d’une cérémonie où la douleur accouche de la joie. Véritable tube en puissance « Every day is the worst day of my life » inspire des sentiments radicalement opposés à la noirceur de son titre. Il faut également citer « Any time a day » qui a au moins l’optimisme de nous inciter à vivre pour aujourd’hui. Le clavier crée un cocon ouaté que les harmonies vocales dotent d’une douce chaleur. L’auditeur peut ainsi, lorsque la vie revient vicieusement lui planter un couteau dans le dos, se réfugier dans ce temple rassurant comme les bras d’une mère. Si la folie glam pointe parfois le bout de son nez, comme sur le lumineux solo de « What you were doing », elle ne brise jamais cette sérénité rassurante qui est la marque des grandes symbioses musicales.

Je pourrais également citer des « Born to be lonely » et « New to me » dignes de Simon and Garfunkel, le classieux rock « When ghost run free », la mélodie baroque de « What happens to a heart ». Il se trouvera toujours des pisse-froid pour dire que tout cela n’est plus du rock, pour roter leur nihilisme rabat-joie au pied de ce si beau temple. La plume géniale mais élitiste de Lester Bangs en a traumatisé plus d’un, qui ne savent plus apprécier les joies simples d’une belle mélodie. L’auditeur admiratif de cet album, prenant la sauvagerie seventies pour le nez disgracieux du rock’n’roll, pourra alors leur répondre en réadaptant une célèbre phrase de Cyrano de Bergerac :

« Mais quel est donc ce chaos tonitruant qui de la mélodie rock a détruit l’harmonie. Il en rougit le traitre ! »

Nous avions déjà évoqué ces talentueux frangins lors de leur venue en FranceThe Lemon Twigs - concert


La seconde vidéo a été captée à Paris, en mai dernier.

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