vendredi 22 septembre 2023

LE LIVRE DES SOLUTIONS de Michel Gondry (2023) par Luc B.

Ce qui bien avec Michel Gondry, c’est que si son nom n’était pas au générique, on reconnaîtrait quand même son film. Le gars possède un style, sorte de monsieur bricolage du cinéma, un univers qui rejoint celui de Quentin Dupieux. Sauf que contrairement au stakhanoviste de la pellicule, Gondry s’est fait bien rare ces derniers temps, depuis MICROBE ET GASOIL en 2015.

LE LIVRE DES SOLUTIONS est une comédie, un peu amère, et très autobiographique. Le personnage de Marc, réalisateur de cinéma bipolaire, c’est évidemment un décalque de Gondry, qui s’est inspiré de son tournage difficile de L’ÉCUME DES JOURS (2013). Le personnage de tante Denise est inspirée de sa tante Suzette (le film lui est dédié) et le tournage s'est fait dans sa vraie maison.

La première scène est assez barge. Marc et son producteur Max montrent un premier montage de leur dernier film à une tablée de financiers. C’est la cata. Marc a beau se défendre « ce n’est pas fini, le vrai montage fera 4 heures ! » même son producteur le lâche. Prétextant de sortir fumer une clope, Marc s’enfuit en emportant ses rushes, son assistante de production et sa monteuse, et s’installe dans les Cévennes chez sa tante, pour finir son film. Qui sera forcément un chef d’œuvre, car Marc est génial, la preuve, il a tourné une pub avec George Clooney.

Materné par sa tante (l’incroyable et délicieuse Françoise Lebrun, actrice célèbre pour LA MAMAN ET LA PUTAIN d'Eustache et vue dans le dernier Gaspar Noé), Marc prend la décision d’arrêter d’un coup son traitement d’anxiolytiques. Il redouble de créativité, et note ses idées dans son Livre des Solutions, un manuel sensé régler à peu près tous les problèmes du monde. Mais son entourage va trinquer. Sans ses médocs, Marc est de plus en plus crispé, stressé, odieux, capricieux, violent. Il passe son temps à injurier tout le monde, puis à s’excuser, en s’excusant de s’être mal excusé !

Michel Gondry a réuni autour de lui une petite équipe, tout est tourné en décor réel, le plus souvent caméra à l’épaule. Le film parle d’un cinéaste au travail, un type qui a une très haute idée de lui-même. Si le départ s’apparente à une farce, le personnage de Marc devient réellement abjecte, ses angoisses créatives justifiant selon lui son comportement. Il est odieux avec sa monteuse Charlotte (Blanche Gardin, qui aurait mérité une partition plus ample) et plus encore avec son assistant Carlos, le pire merdeux qui soit, enguirlandé pour un rien à longueur de journée.

Par angoisse, superstition, ou panne d’inspiration, Marc ne cesse de remettre à plus tard le montage. Charlotte doit travailler seule, avec ce conseil : commencer par la fin ! Puis, sur une fulgurance d’esprit, Marc décide finalement de ne voir aucune image de son film avant la première. Il déborde d’idées, de projets (il devient maire !) sans cesse sur la brèche, à force ça fatigue, ça troue le cerveau. Il y a des situations marrantes, l’invention du camiontage, le tournage sur un nuage, mais Marc, lui, n’est pas drôle, il devient irritant, pathétique dans ses obsessions, quand il ne fond pas en larmes.

Sa grande qualité : la persévérance. Il noie son assistante Sylvia de demandes plus incongrues les unes que les autres, à toutes heures du jour ou de la nuit. Quand Sylvia se plaint, il rétorque : « et moi, tu crois que ça ne me fatigue pas d’aller te réveiller à deux heures du mat’ ! ». Il lui faut un studio d’enregistrement, là, tout de suite : « Dans chaque village y’a un gars qui est persuadé d’avoir un talent de chanteur, et qui a monté son studio ». Sans rien connaître en musique, Marc a décidé de composer la bande son de son film. La scène est géniale. 50 musiciens dans une grange. Il vire le chef d’orchestre, pas besoin, inutile, il fera des gestes, ça suffira.

Autre lubie, exiger la collaboration de Biiiippppp (Bip est anti-spoiler, le gars n'est pas inscrit sur l'affiche ni au générique) pour la musique. Sylvia est chargée d’obtenir un rendez-vous avec cette star. Running gag classique, surtout dans un petit film français, genre, ouais je peux avoir Bruce Springsteen pour la chanson de mon générique (c'est pas lui qu'on voit, hein, c'est un exemple).

On retrouve un peu le thème du dernier Michel Hazanavicius COUPEZ ! (2022), un hymne à la création, à la difficulté de créer, au cinéma fait avec trois bouts de ficelles, aux effets spéciaux bricolés et poétiques. Doublé ici d’un autoportrait peu flatteur, mais qui a le mérite de l’honnêteté, Gondry charge sa propre barque. Je parlais de Quentin Dupieux : le superbe dernier plan de LE LIVRE DES SOLUTIONS pourrait être tiré d’un de ses films, illustration du gouffre, au sens propre, d’un créateur face à son premier public.

Dans le rôle de Marc (ou de Gondry) Pierre Niney excelle dans tous les plans, un jeu tout en rupture, il passe de la nonchalance à la séduction, de la violence contenue à la brutalité en un clin d’œil. Le rôle de Sylvia est tenu par Frankie Wallach, elle est formidable (connue de moi par les pubs Engie à la télé !). Le clou de l’interprétation revient à Françoise Lebrun, adorable tantine d’une patience illimitée.


Couleur  -  1h40  -  format 1:1.85
 
       

1 commentaire:

  1. Rien que le casting fait sacrément envie...
    Je préfère ses clips ("Let forever be" notamment).

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