jeudi 14 septembre 2023

MOZART – Divertimento N°17 K 334 (1780) - Frigyes SÁNDOR (1979) – par Claude Toon


- Dis Claude, c'est chouette ces grands ouvrages de chambre de Mozart pour l'été mais tu es sûr de ne pas te mélanger les pinceaux avec les noms des chefs d'orchestre ?  Frigyes Sándor cette semaine, Sándor Végh en juillet pour la sérénade dite "cor de postillon"…

- Les chefs d'ensembles de chambres hongrois semblent avoir une affinité évidente pour magnifier ce répertoire. Les deux œuvres sont de la même époque. Il y a longtemps que je voulais présenter Frigyes Sándor, un maestro génial et discret à qui l'on doit un art de la fugue de Bach sidéral, récompensé par des prix divers, et absolument introuvable de nos jours en CD ! Bref

- Mais que tu as sur tes étagères I presume…

- Exact, ce qui a été bien utile pour trouver des informations sur le fondateur de l'orchestre de chambre Liszt de Budapest…

- En tout cas j'aime beaucoup la douceur de ce divertimento…

- Il est écrit pour un sextuor : un quatuor à cordes et deux cors. Il existe des versions avec une extension du groupe des cordes, peut-être une formule moins légère mais ça peut plaire.


Frigyes Sándor

Historiquement et musicalement parlant, ce billet complète celui consacré à la Sérénade K 350 dite "cor de postillon", billet publié en juillet de cette année (Clic).

Nous revoilà à la fin de la période salzbourgeoise de Mozart, en 1780, un an avant que le jeune virtuose et compositeur devenu un génie confirmé boucle ses valises pour la mythique Vienne, la Mecque de la musique en Europe. Dire que Mozart en a "ras le bol" de sa vie d'esclave d'un mécène peu novateur est un doux euphémisme (désolé pour l'expression argotique 😊). Son employeur, le prince-archevêque de Salzbourg Hieronymus von Colloredo-Mansfeld ne supporte plus l'insolence du prodige d'autant que Mozart a compris avec une pointe d'orgueil qu'il en est vraiment un (ben… oui) et la réciproque est vrai. Il est sur la voie du licenciement. Depuis 1773, Colloredo le traite tel un stakhanoviste de la production en chaîne de pièces liturgiques,

Mozart a 24 ans. Lui, pense symphonies, quatuors et concertos, en un mot toutes les formes instrumentales ambitieuses qui caractériseront l'apogée de l'époque classique puis, avec Beethoven, le romantisme.

Entre 1776 et 1778, Mozart avait déjà fait des infidélités à Colloredo en voyageant accompagné de sa mère à Munich, à Augsbourg, et enfin à Mannheim puis Paris. Sans poste rémunérateur, il devra rentrer à Salzbourg où le prince-archevêque accepte bon gré mal gré de le reprendre après les suppliques du père de Wolfgang, Leopold qui, dans la bataille, avait perdu son poste… Du Dumas vous dis-je, du Dumas…

De cette époque datent la plupart des messes brèves (une quinzaine). De vous à moi, voici des partitions utilitaires qui permettent néanmoins à Mozart de travailler ses techniques de composition. Une exception pour les fans : la belle Messe du Couronnement K 317 de 1779 répondant à une commande de l'irascible Prince-archevêque. Je possède un enregistrement de ces petites messes par Herbert Kegel… guère usé ! Ajoutons à ce corpus dix-sept sonates d'Église qui durent quelques minutes, pour orchestre et orgue (ou pas), à exécuter pendant les offices.

Ce travail plus quantitatif que qualitatif (Colloredo, un prélat très pressé, expédiait ses messes dit-on ; pas très catholique je trouve), offre du temps à Mozart pour se pencher plus assidument sur deux genres qu'il affectionne : les sérénades – présentées en juillet – et les divertimentos. Mozart fera évoluer ces deux genres galants destinés aux soirées princières vers l'univers des grandes œuvres symphoniques… Son destin musical viennois marqué par les symphonies, concertos pour clavier, quatuors, etc. se dessine pendant ses années conflictuelles avec son protecteur et son père…

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Musicologiquement la différence entre sérénade et divertimento doit être subtile… Dans les deux cas il s'agit de pièces pour ensemble d'instruments de natures variées et dont le nombre de mouvements évolue de trois à huit…

Salzbourg vers 1780

Dans l'article de juillet, on dénombrait un total de 13 sérénades, toutes écrites avant le départ pour Vienne, sauf la célébrissime petite de nuit plus tardive. On dénombre dix-sept divertimentos plus un ouvrage proche de 1787 la Plaisanterie musicale (Ein musikalischer Spass) K 522 destinée à brocarder les compositeurs de peu de talent… Un principe voudrait que les divertimentos possèdent deux menuets, ce n'est pas toujours le cas alors que nous avons vu que les grandes sérénades "cor de postillon" et "Haffner" renferment une suite de style concertant comportant cet héritage du baroque. Vous l'aurez compris, sérénade ou divertimento, la frontière est poreuse…

Les trois premiers divertimentos datent de 1772 l'année précédant l'entrée au service de Colloredo. Il s'agit des charmants K 136 à 138 pour ensemble de cordes copiant la forme tripartite du concerto grosso. Tiens, pas de menuets, ce qui laisse à penser que le titre de divertimento n'est pas de Mozart mais de l'éditeur. Quant à l'orchestration, on en a pour tous les goûts : un groupe de cordes (extension du quatuor), cinq sont composés pour six vents (hautbois, cors et bassons, tous par paires) et deux pour dix vents (hautbois, cors anglais, clarinettes, cors et bassons, tous par paires), soit la petite harmonie d'un orchestre conventionnel, même si la présence de deux cors anglais ne l'est guère ; ajoutons trios à cordes

Quatre divertimentos, dont celui écouté ce jour, le N°17 K 334 et la Plaisanterie musicale font appel à un quatuor de cordes et deux cors, les cordes étant souvent étendues à un petit orchestre chambriste. Enfin, le K 251 requiert un hautbois, deux cors, deux violons, alto et contrebasse. Heu, je crois avoir fait le tour 😊 !


Orchestre Franz Liszt de Budapest

Bien qu'écrit pour quatuor et deux cors, c'est souvent avec la formation de chambre que l'on joue ce divertimento N°17, le dernier de la main du compositeur et dont la durée de 45 minutes est équivalente à celle des trois grandes sérénades de la même période. L'ouvrage comporte six mouvements dont les deux menuets "réglementaires" placés en 2ème et 4ème position. À noter qu'inventif, Mozart inclut deux trios dans le second menuet.

Les gravures pour l'orchestration originelle sont rares, je cite celle des membres de l'Orchestre de chambre d'Ecosse jouant sur instruments d'époque et dirigé depuis le violon I solo par Alexander Janiczek pour le label Linn. Inversement, on pourra apprécier des interprétations avec de grands orchestres symphoniques, cela dit des cordes de haut niveau sont incontournables. Herbert von Karajan était un fervent défenseur de ce divertimento ; je reparlerai de ces adaptations en conclusion.

Vous ayant proposé en juillet la sérénade K 320, j'aurai eu tout loisir de poursuivre un cycle consacré aux grandes œuvres orchestrales salzbourgeoises avec de nouveau le Camerata de Salzbourg dirigé par le maestro Sandor Végh, puisque ce grand musicien inspiré a construit pas à pas une intégrale des sérénades et divertimentos vers la fin du XXème siècle… pour le label Capriccio.

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Hormis deux ou trois clichés en noir et blanc plutôt impersonnels du chef Hongrois Frigyes Sándor, l'iconographie concernant cet artiste hongrois est misérable. En 2016, le parc public qui entoure l'école de musique portant le nom du musicien se dote d'un buste souriant de Frigyes Sándor sculpté par Istvan Rohonczi.

Né à Budapest en 1905, Frigyes Sándor étudie le violon et la direction d'orchestre. Sa carrière commence brillamment dès 1926, mais un handicap au bras l'oblige à renoncer à son instrument. Dans les années 30, il fait partie des maestros renommés de son pays, ayant une prédilection pour les "classique" : Mozart, Haydn et Beethoven mais pas que. Il assure ainsi la première exécution en Hongrie du divertimento pour cordes de Béla Bartók, écrit à l'été 1939 suite à une commande du mécène suisse Paul Sacher (Clic).

Pendant la guerre, le régent de Hongrie Horty se fait complice d'Hitler. Frigyes Sándor de confession israélite doit se cacher avec son épouse, munis de faux papiers. Horty ne pratique pas un antisémitisme barbare suffisamment zélé. Le Parti des Croix fléchées, des extrémistes nazis, renversent Horty et le chef SS Eichmann organise en 1944 le génocide de la communauté juive hongroise à Auschwitz. Les Sándor échapperont à l'indicible, contrairement à 564 500 victimes.

Entre 1945 et 1979, Frigyes Sándor doit s'adapter à la botte stalinienne. Il partage ses activités entre la direction d'orchestre, principalement de l'orchestre Franz Liszt de Budapest et la pédagogie. Il intègre au programme de son enseignement les travaux sur la gamme pentatonique de Zoltan Kodaly. Voyageant peu, il ne connaîtra pas une renommée internationale.

Sa discographie ne comporte que des gravures dédiées aux grands baroqueux et pour des labels hongrois comme Hungaroton mal distribués en France. En 1969, l'Académie Charles Cros lui décerne un prix pour son adaptation et son interprétation de l'Art de la Fugue de Bach avec la mention "pour son émotion". Je parlerai de ce disque dans un article consacré à cette œuvre en version instrumentale lors d'un billet le confrontant à d'autres enregistrements mythiques de Hermann ScherchenFrigyes Sándor signait un disque à la spiritualité sidérale bénéficiant d'une qualité exceptionnelle de la captation et de l'usinage chez le label Hungaroton. Hélas la publication en 2 LPs reste difficile à dénicher… évidemment ! (Exemple : contrepoint 1 ; YouTube).

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Peu d'analyse cette semaine. Les divertimentos, si élaborés soient-ils avant le départ pour Vienne, demeurent des ouvrages galants, harmonieux et destinés à l'agrément. La tonalité dominante est celle de ré majeur… Ah… cette passion de Mozart pour les tonalités majeures plutôt brillantes et optimistes. Le rigoriste Bruckner avait lui une prédilection pour les tonalités mineures plus sobres et ténébreuses bien en accord avec son art mystique et sévère… Une exception dans le divertimento K 334, le recours au ré mineur pour les variations II et III du second mouvement andante. Laissons les professionnels disserter sur ce sujet. Mozart dédicace (a priori) le divertimento à Georg Sigismund Robinig qui fête la fin de ses études de droit.

Donc trois options orchestrales possibles : sextuor originel (violons I & II, alto, contrebasse et deux cors), ensemble de cordes (une douzaine) et le grand jeu (20 à 30 cordes), mais toujours les deux cors seuls.

Si mon choix de l'écoute se porte en premier sur l'option chambriste retenue par Frigyes Sándor, j'ai créé une seconde playlist en deux parties : la première, pour sextuor, précède la dernière mouture avec la Philharmonie de Berlin dirigée par Karajan… On ne pourra qu'admirer la capacité d'adaptation de la musique de Mozart à ces diverses instrumentations. (Partition)

Divertimento K 334

Frigyes Sándor

Alexander Janiczek

Karajan 1987

Playlist 1


Playlist 2 (1-12)


Playlist 2 (13-18)


1. Allegro

2.  Thema mit secs Variationen. Andante

a)        Variation I

b)        Variation II

c)        Variation III

d)        Variation IV

e)        Variation V

f)         Variation VI

3.  Menuetto

4.  Adagio

5.  Menuetto

6.  Rondo. Allegro

Vidéo 1

Vidéo 2

[1:15]

[2:25]

[3:38]

[4:51]

[6:07]

[7:22]

Vidéo 3

Vidéo 4

Vidéo 5

Vidéo 6

 

Vidéo 1

Vidéo 2

Vidéo 3

Vidéo 4

Vidéo 5

Vidéo 6

Vidéo 7

Vidéo 8

Vidéo 9

Vidéo 10

Vidéo 11

Vidéo 12

Vidéo 13

Vidéo 14

 

 

 

 

 

 

Vidéo 15

Vidéo 16

Vidéo 17

Vidéo 18

 

Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


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Dans la vaste discographie, de nombreux disques sont disponibles. Pour éviter toute répétition, et ma préférence pour les versions chambristes, j'ai donc favorisé celle de l'orchestre Franz Liszt de Budapest, sans doute ultime gravure de 1979 peu connue de Frigyes Sándor. Le label Capriccio a eu la bonne idée de publier en 2007 un double album CD initialement paru chez Hungaroton comportant les premiers divertimentos, des sérénades célèbres comme "la petite musique de nuit" et le divertimento K 334. Les cordes sont lumineuses, les cors agrestes, la prise de son un peu mat, mais l'interprétation reflète parfaitement la hardiesse du jeune prodige en devenir. Nombreux exemplaires à petit prix sur le web (Momox)…

 

Voici trois autres propositions, une par style interprétatif.

Dans la forme sextuor, je vous laisse apprécier le jeu vif-argent des six membres de l'orchestre de chambre écossais. (Linn Records2011 – 5/6). Un complément original : le quatuor pour hautbois K 370. (Vidéo disponible ci-dessus.)

Ayant très apprécié l'interprétation de la sérénade "Cor de postillon" par la Camerata de Salzbourg dirigé par Sandor Végh en juillet, je suggère d'éviter de faire l'impasse sur le disque réunissant dans la même collection les divertimentos K 334 et K138. Inutile de préciser que légèreté, joie de vivre, luminosité du timbre des cors, finesse de ceux des cordes, etc. sont au rendez-vous (Capriccio1987 – 5/6).

Même année, 1987. Karajan, grand mozartien, enregistre pour au moins la 3ème fois ce divertimento, mais à l'ère du numérique. Les amateurs de belles cordes seront aux anges… Bien entendu le soyeux et la puissance des cordes de la philharmonie de Berlin et le sens d'une articulation exacerbée font miracle. Cela dit, est-on à Salzbourg à l'âge classique ou en plein romantisme ? À chacun d'adhérer ou pas ! (DG1987 – 4/6). (Vidéo disponible ci-dessus.)




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