Ayron Jones fait partie de cette nouvelle génération de musiciens qui ont l'innocence de ne pas se créer de limites en matière de musique. Qui n'ont aucune réticence à laisser traîner leurs esgourdes là où ça leur chante. Pouvant alors, naïvement, abolir quelques frontières, en laissant leur musique couvrir - ou défraichir - de vastes étendues, brassant parfois des éléments qu'on aurait pu croire absolument antagonistes. L'auditeur, lui, est balloté sans ménagement par ces flots tumultueux, au risque d'y perdre pied. Ainsi, les disques de nombre de ces musiciens multifacettes peuvent laisser perplexe, voire carrément rebuter. Par exemple, l'ex jeune Gary Clark Jr avait fait polémique avec ses albums multicolores.
Ayron Jones est un musicien qui n'a pas eu la vie facile, et qui, jouet de la funeste et inflexible loterie de la vie, aurait pu définitivement mal tourner. On peut avancer, même si c'est éculé, souvent même monté de toutes pièces, que c'est la musique qui a sauvé le jeune Ayron. Ce qu'il affiche d'ailleurs sans ménagement dans le clip de "Filthy" où il met en image un jeune garçon perdu dans un taudis crasseux (filthy) et sombre ; un garçonnet triste et désemparé par l'absence d'un père, et la déliquescence d'une mère en proie à la drogue. Un enfant qui retrouve le sourire à la découverte de Jimi Hendrix. Etoile déchirant la noirceur de ses journées.
La vie a fait d'Ayron Jones un écorché vif. Ce qui se ressent tant dans son chant habité que dans son jeu de guitare explosif. Derrière les tatouages et les faux-airs de bad-boy, se terre une hyper sensibilité. Une sensibilité aigüe qui faillit avoir raison d'un équilibre précaire, lorsque l'inattendu succès de son précédent disque, "Child of State", enflamma son ego. Un succès tardif (à 35 ans), avec trois singles dans le top 5 dont un number 1, qui faillit lui griller le cerveau, le faire glisser dans les rangs fournis de connards imbus de leur personne. Son parcours tumultueux lui a forgé suffisamment de caractère pour parvenir à s'extraire d'illusions nécrophages et de tentations.
Après un troisième album qui le sortit de l'ombre en 2021, Ayron était attendu au tournant. Il prend son temps, accepte à l'occasion l'aide d'éléments extérieurs pour finaliser quelques pièces, tels que Marti Frederiksen (réputé pour faire de l'or à partir de démo - notamment avec Aerosmith, Buckcherry, The Struts, Ozzy, Mötley Crüe, KW Sheperd, Sheryl Crow, Brother Cane, Jeff Healey, et bien d'autres -) qui joue également de la basse, et injecte du kérosène dans sa musique qui s'engouffre pour le coup dans des sonorités franchement plus heavy.
Ainsi, pour ce dernier essai, Ayron ouvre le bal en envoyant du lourd, du très lourd, avec un premier morceau particulièrement cossu, fait d'un grunge pouvant presque faire passer Soundgarden pour un groupe Pop, et d'un heavy-rock les potards à onze ; le tout saupoudré de réminiscences de Rage Against the Machine et de Body Count, et supporté par une guitare à la saturation explosant telle une supernova, - et sans réelles nuances -. "Strawman" est un titre débordant de rage et de défi, aux intonations proche d'un Linkin' Park bluesy. "J'ai dansé avec le diable, esquivé une balle et appelé ma mère au paradis". Album de Nü-metal ? Non, car la seconde pièce, "Blood In the Water", s'engouffre avec classe dans la power-ballad poignante, où il dévoile ses profondes blessures. De celles que l'on traîne comme un boulet. L'intensité ne cesse de monter, jusqu'à une implosion orageuse, catharsis de douleurs trop longtemps retenues. Le court coda revenant à la sobriété du très bel arpège hendrixien initial. Superbe. "Je n'ai pas pleuré le jour de sa mort, elle ne pouvait supporter les larmes... Je ne pouvais pas prier le jour de sa mort pour un homme que je ne connaissais pas... Rien ne pourra me sauver, il y a du sang dans l'eau... Juste l'enfant d'un homme impitoyable. Que la vérité soit dite, tout le monde a sa croix à porter".
Tout au long de ce court (35 minutes et des poussières) mais intense album, Ayron ne cesse d'alterner entre déflagration sonique de Nü-metal-blouzy, brassant négligemment Audioslave (sans d'abominables soli à la Whammy, comme celui qui grève considérablement son précédent hit, "Take Me Way"), Hendrix (à savoir que ces deux derniers sont deux grosses influences qu'Ayron revendique avec fierté), Linkin' Park, Buckcherry, avec des moments plus intimes, en comparaison presque délicats.
"Otherside" joue même à marier la pop avec le r'n'b, toutefois sans jamais contenir longtemps sa Fender Stratocaster customisée qui a tendance à facilement envoyer du lourd. Faut dire que depuis qu'Ayron a apporté de sérieuses - et odieuses ? - transformations à sa Strat 50th Anniversary Gold, en la repeignant en noir et surtout en dégageant les micros simples pour les remplacer par deux humbuckers Lollar, c'est devenue une arme de destruction massive. Ayron a parfois tendance à se laisser emporter dans des excès de saturation et de décibels, cependant, les mains bien cramponnées, il parvient à rester maître de son bolide.
Pour revenir au genre relativement calmos, "Living for the Fall" s'impose comme l'instant éthéré, Ayron chuchotant presque derrière sa guitare tremblotante à travers un effet de chorus. Ce qui ne l'empêche pas de se fendre de quelques soli stratosphériques (où pointe l'aura de Prince). "The Sky is Crying" - qui n'a strictement rien à voir avec la scie d'Elmore James -, flirte avec John Mayer et le rock-FM de rockers-crooners tels Eddie Money et Richard Marx. Toutefois, les textes, comme tous ceux dans cet album, ne se contentent pas de banalités d'amour fantasmé à l'eau de rose. "Ils disent qu'il y a du réconfort dans la misère et la façon dont ça blesse. C'est tout ce dont j'ai besoin, plus il fait sombre plus je voie... je ne suis heureux que lorsque le ciel pleure, et je ne souris que quand je ressens la douleur". Tandis que "Get High" a le cul entre deux chaises, mixant adroitement la Pop de Bambi Jackson et celle nettement plus metôl de Linkin' Park, avec en sus d'excellents musiciens qui s'activent comme des combattants dans un octogone.
Dans le genre "grosses mandales" avec batterie rouleau compresseur et basse vrombissante de rigueur, "My America" développe un Nü-metal incisif parvenant à conjuguer chant quasi hurlé avec émotion, comme si ce n'était rien d'autre qu'une émanation d'un cœur blessé. "Est-ce mon Amérique ? Est-ce mon rêve ? Un champ de bataille d'hystérie, dans une scène de meurtre, comment cela pourrait-il être mon Amérique ? Parce que nous détestons et nous mentons... Nous tuons et nous nous battons... Le rêve auquel je crois est profondément enfoui dans mon Amérique. On dit que notre histoire se répète, même guerre, même misère, même appel à l'aide". Sur de vagues airs de Prodigy - époque "The Fat of the Land" - et de guitares hurlantes, dans une atmosphère suffocante, "Filthy" crache son venin, perce l'abcès d'un passé gangrénant. En final, "On Two Feet I Stand" se présente comme un succédané de tout ce qui le précède, envoyant un harderoque hargneux et belliqueux aux allures de cri déchirant, d'incompréhension de l'âme et d'appel à la rédemption.
Ayron Jones a un style bien à lui, fruit d'influences diverses bien digérées et d'un passé difficile et anxiogène. Un passé qui lui sert d'inspiration, lui permettant d'y puiser son énergie, jouant sa musique comme si c'était la voie de la rédemption. La musique d'Ayron portée par un flot de grosses guitares affamées, est temporisée par une sensibilité et une sincérité à fleur de peau. Pas nécessairement facile d'accès aux premières écoutes, car les petites excursions sur des voies pop-r'n'b ou carrément plus Metal peuvent être rédhibitoires. Même si une esgourde discrète a de grandes chances de dénicher rapidement dans la boutique de quoi la satisfaire. Avec "Chronicles of the Kid", il confirme qu'il est désormais un nom qui compte, fort d'une réputation accréditée par des concerts généreux et volcaniques - bien soutenus par une bande de desperados qui ne tiennent pas en place.
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