jeudi 6 juillet 2023

MOZART – Sérénade K 320 "Cor de Postillon" (1779) – Sándor VÉGH (1990) - par Claude Toon


- Petit détour par Mozart Claude avant les vacances… Une sérénade, ce n'est pas un peu chiche comme programme…

- Non Sonia quand ladite Sérénade dure trois-quarts d'heure, comporte sept mouvements et adopte une chouette variété dans l'écriture…

- Certes, une ambition digne de la sérénade Haffner commentée en 2019… c'est quoi un cor de postillon ; un rapport avec le vin du postillon de mon papi ? hihihihi….

- Mon dieu Sonia, tu as connu cet infâme et légendaire picrate… Du coup je ferai un petit aparté… Sinon il s'agit d'un petit cor sans piston utilisé par les facteurs à cheval dans l'ancien temps… Une sonorité insolite…

- Sándor Végh fait son entrée au Deblocnot comme chef d'orchestre… Heu… Claude, il a un rapport avec le quatuor Végh ?

- Oui Sonia, il en fut le fondateur et le premier violon pendant une quarantaine d'années. Un artiste un peu oublié comme chef… à tort !


Sándor Végh

Le mot sérénade suggère une œuvrette, un divertissement écrit avec raffinement certes, mais pour être joué dans une soirée de la "Haute" dans laquelle le public entend sans guère écouter si ce n'est en somnolent. Une confusion possible avec les divertimentos, des pièces courtes et sans recherche excessive si tant est que cela existe chez Mozart.

Certaines sérénades de Mozart sont parmi les œuvres orchestrales les plus ambitieuses en terme de développement. La plus connue reste indubitablement La petite musique de nuit composée vers 1787, une petite vingtaine de minutes, un bijou énergisant que le compositeur n'entendra pourtant jamais de son vivant. Une petite vingtaine de minutes que l'on devrait toujours jouer avec un effectif réduit de chambre (un quatuor plus une contrebasse doublant le violoncelle à l'octave). Certes avec l'océan des cordes de Berlin ou Vienne, ça jette mais ce n'était pas l'idée intimiste que s'en faisait Mozart.

On attribue à Mozart des genres nobles : symphonies, concertos pour piano, quatuors, sonates pour clavier et opéras. Quid des genres dits mineurs : divertimentos, sérénades, marches, etc. ? Des musiques de circonstance pour soirées mondaines, au risque de me répéter, je n'en suis pas certain… loin de là !


Brigitte et Jean Massin (1927-2002 et 1917-1986)

Ne nions pas que la quasi-totalité de ce répertoire de divertissements soit  né pendant la période dite Salzbourgeoise, un Mozart de moins de 25 ans qui sera congédié en 1781 pour son insolence vis-à-vis de son boss, le prince-archevêque de Salzbourg Hieronymus von Colloredo-Mansfeld. Il est vrai que ce noble-prélat lui imposait l'écriture quasi exclusive d'ouvrages religieux. Or, l'écoute des messes brèves composées à l'époque témoigne du faible intérêt pour le genre dévot de la part du futur Franc-Maçon ; cela dit, une méthode de travail disons… hâtive lui permettra de commencer l'élaboration de son grand œuvre : premier "vrai" concerto et symphonie par exemples. 1781 sera le départ pour Vienne chez Mme Weber, la rencontre avec Constance, l'amour de sa vie (le conflit avec son père à ce sujet), la complicité avec Haydn, une période très romanesque et la création d'une liste sans fin de chefs-d'œuvre.

Je me plonge toujours dans la bible de Brigitte et Jean Massin avant d'écrire sur une œuvre de Mozart ; pas du tout pour "pomper", leurs plumes étant passionnées et très musicologiques, mais justement pour éviter des contresens tant dans les informations sur la genèse d'une œuvre que l'interprétation à lui donner. Grande surprise à propos de cette sérénade, les deux auteurs ne lui consacrent pas moins de trois pages très denses, autant que pour les grandes symphonies ou les concertos de la maturité. Et cette lecture confirma une impression : comme pour la très imposante sérénade Haffner écoutée en 2019 (Clic), Mozart concentre dans cette partition de quarante-cinq minutes en sept mouvements un savoir-faire stupéfiant : variété mélodique, orchestration riche, fantaisie… Un premier testament musical sur un quart de siècle d'acquis et d'innovations pour maitriser son art qu'il veut indépendant des académismes post-baroques. Mozart ou le chantre de l'âge classique !


Cor de postillon

D'après mes sources, un consensus se dessine sur la date de 1779 pour la composition de la Sérénade K 320. Les relations de Mozart avec son protecteur le prince-archevêque sont exécrables pendant les deux dernières années qui précèdent son licenciement et son départ pour Vienne en 1781 (Le mot existait déjà mais plutôt dans l'armée). Les Massin parlent même "d'esclavagisme salzbourgeois", et pourtant cette sérénade imposante n'a pas été écrite en cachette, mais dédiée aux étudiants de l'université et non à Colloredo. La tonalité bonhomme de ré majeur était imposée de facto pour une sérénade, des règles et traditions bien étranges et surtout étouffantes pour le jeune prodige rêvant de nouveauté. Mozart élabore d'ailleurs une œuvre complexe et bougrement originale. L'orchestration se révèle la plus riche en usage à l'époque, la formation que Haydn et le jeune Beethoven utiliseront pour leurs symphonies. Ne manquent que les clarinettes encore en cours de mise au point. (Il faut attendre la dernière décennie du siècle des lumières pour les voir intégrées définitivement à la petite harmonie.) Donc, nous avons :

2 flûtes, 2 hautbois, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, cor de postillon, timbales et cordes. Pour les musicologues, le cor de postillon serait un clin d'œil à la certitude pour Mozart que sa mission à Salzbourg s'achèvera rapidement. Cet instrument était utilisé par les conducteurs de diligence (postillon) pour annoncer à la population d'apporter ou de retirer leur courrier… Mahler utilisera ce petit cor dans les surprenants solos du 3ème mouvement de sa 3ème symphonie


Salzbourg vers 1770

Pour conclure, Mozart a composé 13 sérénades, en comptant la petite musique de nuit plus tardive. La numérotation Köchel ne respecte pas la chronologie. Officiellement, la sérénade "Posthorn" est la 12ème et la dernière composée durant la période salzbourgeoise…

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Les mélomanes connaissent bien le quatuor Végh créé en 1940 et actif jusqu'en 1978. On connait peut-être moins bien la carrière éclectique de son fondateur Sándor Végh. Violoniste et chef d'orchestre, Sándor Végh était né en 1912 en Hongrie, en Transylvanie pour être précis, dans une famille modeste qui relève les dons pour la musique de l'enfant mais faute d'un budget suffisant pour acquérir un piano, lui achète un violon pour ses six ans… À douze ans il entrera à l'Académie de musique Ferenc Liszt de Budapest, étudiera le violon avec Jenő Hubay et la composition avec Zoltán Kodály (Clic).

Entre 1935 et 1937, il est membre fondateur et 1er violon du Quatuor Hongrois qui perdurera jusqu'en 1972, il assurera ensuite le poste de 2nd violon jusqu'en 1940. Cet ensemble conservera une aura mondiale et créera notamment le 5ème quatuor de Bartók. Il quitte cette formation pour créer le légendaire Quatuor Végh en 1940. En 1946, le quatuor quitte Budapest tombée dans les mains staliniennes pour Paris. Son répertoire qui comportait les intégrales des quatuors de Beethoven et de Bartók (gravées plusieurs fois) et de larges incursions chez d'autres maîtres du genre, Schubert, Brahms, restent des références de discographie.

En 1952, la rencontre du violoncelliste Pablo Casals marque le début d'une carrière au sein de formations chambristes que comme soliste, Sándor Végh parcourt le monde et ses meilleurs festivals comme celui de Marlboro où il débute comme maestro en dirigeant le Festival Orchestra. De 1978 à 1997, il conduit le Camerata Salzbourg, son décès mettant fin à cette fonction. Avec cette formation, il grave entre autres les sérénades de Mozart écoutées ce jour, l'album étant récompensé par un grand prix du disque. Français depuis 1953, Sándor Végh a vécu en France et en Suisse. Il a légué, tant avec son Quatuor qu'avec des orchestres de chambre, une discographie heureusement disponible…

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Salzbourg vers 1820

La sérénade réserve maintes surprises. Le premier mouvement débute par un court adagio maestoso. Ce concept de l'adagio initial se retrouvera dans toutes les symphonies londoniennes de Haydn ou chez Beethoven. Au-delà de ce trait d'union avec la forme symphonique de la fin du XVIIIème siècle, la précision maestoso et la solennité apportée suggère une ironie visant le Prince-archevêque von Colloredo que Mozart ne supporte plus… Ce style emphatique s'écarte nettement de la poésie de la tendre introduction de la sérénade N°4 "Colloredo K 203" composée cinq ans plus tôt… La gaité rythmée de l'allegro rompt nettement ce climat. Mozart ne s'étend pas sur l'illustration de ces rapports conflictuels… Il pense sans doute à Vienne. L'allegro sonne comme un mouvement de symphonie, très orchestré, développé, passionnant d'autant que Sandor Végh équilibre en magicien les foucades entre les cordes et la petite harmonie trop souvent étouffée dans les interprétations concurrentes.  Le final dithyrambique assure une symétrie avec l'esprit taquin et goguenard entendu en introduction 😊.

L'andante grazioso et ses huit minutes enchante par ses dialogues poétiques entre les flûtes et les hautbois (quatre portées). En complicité avec le basson et le cor, voici l'une des plus belles pages jamais écrites par Mozart. Merveilleux passage à [17:33]. Et que dire de la conclusion. À bien réfléchir, nous n'écoutons rien d'autre qu'une symphonie concertante qui se prolonge dans le rondeau plus festif alors que l'onirisme dominait l'andante.  

À l'évidence, Mozart a atteint une maturité qui prendra son essor à Vienne ; terminées les œuvres de circonstance. En témoigne le douloureux andantino à la présence pour le moins insolite au centre d'une sérénade, musique festive par définition. Rien de tragique encore comme dans les mouvements lents des ultimes concertos pour piano, mais le thème élégiaque qui porte ce 5ème mouvement traduit une inquiétude latente.

[38:57] Et voilà notre cor de postillon et sa justesse nasale approximative, l'instrument vedette d'un gouailleur Minuetto. Le véloce finale et ses trémolos de violons surexcités symbolise-t-il cette précipitation de Mozart à faire ses valises ?

Minutage

Casting

1. [00:00] - Adagio maestoso - Allegro con spirito

2. [08:02] - Minuetto

3. [12:08] - Concertante (Andante grazioso)

4. [20:22] - Rondeau (Allegro ma non troppo)

5. [26:16] - Andantino

6. [36:42] - Minuetto

7. [41:02] - Finale (Presto)

 

Partition

Aurèle Nicolet, flute

Bernhard Krabatsch, flute II & piccolo

Heinz Holliger, oboe

Louise Pellerin, oboe II

Klaus Thunemann, bassoon

Matthew Wilkie, bassoon II

Jonathan Williams, horn

Alan Jones, horn II

Gottfried Menth, trumpet & posthorn

Hofer Horst, trumpet II

Michael Vladar, timpani

Camerata de Salzbourg (Cordes)

Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…



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