- Petit détour par Mozart Claude avant les vacances… Une sérénade, ce n'est pas un peu chiche comme programme…
- Non Sonia quand ladite Sérénade dure trois-quarts d'heure, comporte sept mouvements et adopte une chouette variété dans l'écriture…
- Certes, une ambition digne de la sérénade Haffner commentée en 2019… c'est quoi un cor de postillon ; un rapport avec le vin du postillon de mon papi ? hihihihi….
- Mon dieu Sonia, tu as connu cet infâme et légendaire picrate… Du coup je ferai un petit aparté… Sinon il s'agit d'un petit cor sans piston utilisé par les facteurs à cheval dans l'ancien temps… Une sonorité insolite…
- Sándor Végh fait son entrée au Deblocnot comme chef d'orchestre… Heu… Claude, il a un rapport avec le quatuor Végh ?
- Oui Sonia, il en fut le fondateur et le premier violon pendant une quarantaine d'années. Un artiste un peu oublié comme chef… à tort !
Sándor Végh |
Le mot sérénade suggère une œuvrette, un divertissement écrit avec
raffinement certes, mais pour être joué dans une soirée de la "Haute" dans
laquelle le public entend sans guère écouter si ce n'est en somnolent. Une
confusion possible avec les divertimentos, des pièces courtes et sans
recherche excessive si tant est que cela existe chez
Mozart.
Certaines sérénades de Mozart sont parmi les œuvres orchestrales les plus ambitieuses en terme de développement. La plus connue reste indubitablement La petite musique de nuit composée vers 1787, une petite vingtaine de minutes, un bijou énergisant que le compositeur n'entendra pourtant jamais de son vivant. Une petite vingtaine de minutes que l'on devrait toujours jouer avec un effectif réduit de chambre (un quatuor plus une contrebasse doublant le violoncelle à l'octave). Certes avec l'océan des cordes de Berlin ou Vienne, ça jette mais ce n'était pas l'idée intimiste que s'en faisait Mozart.
On attribue à Mozart des genres nobles : symphonies, concertos pour piano, quatuors, sonates pour clavier et opéras. Quid des genres dits mineurs : divertimentos, sérénades, marches, etc. ? Des musiques de circonstance pour soirées mondaines, au risque de me répéter, je n'en suis pas certain… loin de là !
Brigitte et Jean Massin (1927-2002 et 1917-1986) |
Ne nions pas que la quasi-totalité de ce répertoire de divertissements
soit né pendant la période dite Salzbourgeoise, un
Mozart
de moins de 25 ans qui sera congédié en 1781 pour son insolence
vis-à-vis de son boss, le
prince-archevêque de Salzbourg Hieronymus von Colloredo-Mansfeld.
Il est vrai que ce noble-prélat lui imposait l'écriture quasi exclusive
d'ouvrages religieux. Or, l'écoute des
messes brèves
composées à l'époque témoigne du faible intérêt pour le genre dévot de la
part du futur Franc-Maçon ; cela dit, une méthode de travail disons…
hâtive lui permettra de commencer l'élaboration de son grand œuvre :
premier "vrai"
concerto
et
symphonie
par exemples. 1781 sera le départ pour Vienne chez
Mme Weber, la rencontre avec Constance, l'amour de sa vie
(le conflit avec son père à ce sujet), la complicité avec
Haydn, une période très romanesque et la création d'une liste sans fin de
chefs-d'œuvre.
Je me plonge toujours dans la bible de Brigitte et
Jean Massin avant d'écrire sur une œuvre de
Mozart
; pas du tout pour "pomper", leurs plumes étant passionnées et très
musicologiques, mais justement pour éviter des contresens tant dans les
informations sur la genèse d'une œuvre que l'interprétation à lui donner.
Grande surprise à propos de cette sérénade, les deux auteurs ne lui
consacrent pas moins de trois pages très denses, autant que pour les
grandes symphonies ou les concertos de la maturité. Et cette lecture
confirma une impression : comme pour la très imposante
sérénade Haffner
écoutée en
2019
(Clic),
Mozart
concentre dans cette
partition
de quarante-cinq minutes en sept mouvements un savoir-faire
stupéfiant : variété mélodique, orchestration riche, fantaisie… Un
premier testament musical sur un quart de siècle d'acquis et d'innovations
pour maitriser son art qu'il veut indépendant des académismes
post-baroques.
Mozart
ou le chantre de l'âge classique !
Cor de postillon |
D'après mes sources, un consensus se dessine sur la date de
1779 pour la composition de la Sérénade K 320. Les relations de
Mozart
avec son protecteur le prince-archevêque sont exécrables pendant les deux
dernières années qui précèdent son licenciement et son départ pour
Vienne en 1781 (Le mot existait déjà mais plutôt dans l'armée). Les
Massin parlent même "d'esclavagisme salzbourgeois", et pourtant cette sérénade imposante n'a pas été écrite en cachette,
mais dédiée aux étudiants de l'université et non à Colloredo. La
tonalité bonhomme de ré majeur était imposée de facto pour une sérénade, des
règles et traditions bien étranges et surtout étouffantes pour le jeune
prodige rêvant de nouveauté.
Mozart
élabore d'ailleurs une œuvre complexe et bougrement originale.
L'orchestration se révèle la plus riche en usage à l'époque, la formation
que
Haydn
et le jeune
Beethoven
utiliseront pour leurs symphonies. Ne manquent que les clarinettes encore en
cours de mise au point. (Il faut attendre la dernière décennie du siècle des
lumières pour les voir intégrées définitivement à la petite harmonie.) Donc,
nous avons :
2 flûtes, 2 hautbois, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, cor de postillon, timbales et cordes. Pour les musicologues, le cor de postillon serait un clin d'œil à la certitude pour Mozart que sa mission à Salzbourg s'achèvera rapidement. Cet instrument était utilisé par les conducteurs de diligence (postillon) pour annoncer à la population d'apporter ou de retirer leur courrier… Mahler utilisera ce petit cor dans les surprenants solos du 3ème mouvement de sa 3ème symphonie…
Salzbourg vers 1770 |
Pour conclure,
Mozart
a composé
13 sérénades, en comptant
la petite musique de nuit
plus tardive. La numérotation Köchel ne respecte pas la chronologie.
Officiellement, la
sérénade
"Posthorn" est la 12ème et la dernière composée durant la période
salzbourgeoise…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Les mélomanes connaissent bien le quatuor Végh créé en 1940 et actif jusqu'en 1978. On connait peut-être moins bien la carrière éclectique de son fondateur Sándor Végh. Violoniste et chef d'orchestre, Sándor Végh était né en 1912 en Hongrie, en Transylvanie pour être précis, dans une famille modeste qui relève les dons pour la musique de l'enfant mais faute d'un budget suffisant pour acquérir un piano, lui achète un violon pour ses six ans… À douze ans il entrera à l'Académie de musique Ferenc Liszt de Budapest, étudiera le violon avec Jenő Hubay et la composition avec Zoltán Kodály (Clic).
Entre 1935 et 1937, il est membre fondateur et 1er
violon du
Quatuor Hongrois
qui perdurera jusqu'en 1972, il assurera ensuite le poste de 2nd
violon jusqu'en 1940. Cet ensemble conservera une aura mondiale et
créera notamment le
5ème quatuor
de
Bartók. Il quitte cette formation pour créer le légendaire
Quatuor Végh
en 1940. En 1946, le quatuor quitte Budapest tombée dans les
mains staliniennes pour Paris. Son répertoire qui comportait les intégrales
des quatuors de
Beethoven
et de
Bartók (gravées plusieurs fois) et de larges incursions chez d'autres maîtres du
genre,
Schubert,
Brahms, restent des références de discographie.
En 1952, la rencontre du violoncelliste
Pablo Casals
marque le début d'une carrière au sein de formations chambristes que comme
soliste,
Sándor Végh
parcourt le monde et ses meilleurs festivals comme celui de
Marlboro
où il débute comme maestro en dirigeant le
Festival Orchestra.
De 1978 à 1997, il conduit le
Camerata Salzbourg, son décès mettant fin à cette fonction. Avec cette formation, il grave
entre autres les
sérénades de Mozart écoutées ce jour, l'album étant récompensé par un grand prix du
disque. Français depuis 1953,
Sándor Végh
a vécu en France et en Suisse. Il a légué, tant avec son Quatuor qu'avec des
orchestres de chambre, une discographie heureusement disponible…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Salzbourg vers 1820 |
La sérénade réserve maintes surprises. Le premier mouvement débute par un
court adagio maestoso. Ce concept de l'adagio initial se retrouvera dans
toutes les symphonies londoniennes de
Haydn
ou chez
Beethoven. Au-delà de ce trait d'union avec la forme symphonique de la fin du
XVIIIème siècle, la précision
maestoso et la solennité apportée
suggère une ironie visant le Prince-archevêque von Colloredo que
Mozart
ne supporte plus… Ce style emphatique s'écarte nettement de la poésie de la
tendre introduction de la
sérénade
N°4 "Colloredo K 203" composée cinq ans plus tôt… La gaité rythmée de l'allegro rompt nettement
ce climat.
Mozart
ne s'étend pas sur l'illustration de ces rapports conflictuels… Il pense
sans doute à Vienne. L'allegro sonne comme un mouvement de symphonie, très
orchestré, développé, passionnant d'autant que
Sandor Végh équilibre en magicien les foucades entre les cordes et la petite harmonie
trop souvent étouffée dans les interprétations concurrentes. Le final
dithyrambique assure une symétrie avec l'esprit taquin et goguenard entendu
en introduction 😊.
L'andante grazioso et ses huit minutes
enchante par ses dialogues poétiques entre les flûtes et les hautbois
(quatre portées). En complicité avec le basson et le cor, voici l'une des
plus belles pages jamais écrites par
Mozart. Merveilleux passage à [17:33]. Et que dire de la conclusion. À bien
réfléchir, nous n'écoutons rien d'autre qu'une symphonie concertante qui se
prolonge dans le rondeau plus festif
alors que l'onirisme dominait
l'andante.
À l'évidence,
Mozart a atteint une maturité qui prendra son essor à Vienne ; terminées les
œuvres de circonstance. En témoigne le douloureux
andantino à la présence pour le moins
insolite au centre d'une sérénade, musique festive par définition. Rien de
tragique encore comme dans les mouvements lents des ultimes concertos pour
piano, mais le thème élégiaque qui porte ce 5ème mouvement
traduit une inquiétude latente.
[38:57] Et voilà notre cor de postillon et sa justesse nasale approximative, l'instrument vedette d'un gouailleur Minuetto. Le véloce finale et ses trémolos de violons surexcités symbolise-t-il cette précipitation de Mozart à faire ses valises ?
Minutage |
Casting |
1. [00:00] - Adagio maestoso - Allegro con spirito
2. [08:02] - Minuetto
3. [12:08] - Concertante (Andante grazioso)
4. [20:22] - Rondeau (Allegro ma non troppo)
5. [26:16] - Andantino
6. [36:42] - Minuetto
7. [41:02] - Finale (Presto)
|
Aurèle Nicolet, flute
Bernhard Krabatsch, flute II & piccolo
Heinz Holliger, oboe
Louise Pellerin, oboe II
Klaus Thunemann, bassoon
Matthew Wilkie, bassoon II
Jonathan Williams, horn
Alan Jones, horn II
Gottfried Menth, trumpet & posthorn
Hofer Horst, trumpet II
Michael Vladar, timpani
Camerata de Salzbourg (Cordes) |
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée. Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…
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