Résumé ainsi : "un film tchèco-slovaquo-italien de 2h30
sur un compositeur post-baroque inconnu au bataillon", on ne va pas braver les
émeutes urbaines pour s’y précipiter. Et pourtant...
Le film s’appelle IL BOEMO, le bohème, l’homme né en Bohème, le compositeur natif de Prague Josef Myslivecek. La première scène montre un homme affublé d’un masque, qui échange son épée contre quelques pièces, puis regagne le taudis qui lui sert de domicile. A l’abri des regards, il retire son masque. On découvre un visage mutilé, une horrible cavité à la place du nez. Retour en arrière, qui est cet homme reclus contraint de vendre jusqu’au dernier de ses biens pour manger ?
Le film de Petr Vaclav va dérouler méthodiquement la vie de Josef Myslivecek, le musicien le plus célèbre d’Europe, avant qu’un certain Wolfgang Amadeus ne le détrône. Myslivecek a fait des études d’ingénieur (son père est meunier), il connaît tout des moulins, du vent, du mécanisme des engrenages, de l’agriculture. Mais son hobby est la musique, lui et son frère jumeau y sont initiés, Josef est un virtuose du violon. A 25 ans il se pique de devenir musicien professionnel. Son rêve, composer des opéras, et pour cela il doit déménager en Italie, lieu incontournable de la création musicale.
Les premières séquences se passent à Venise, Josef Myslivecek y donne des cours de musique, notamment à Cornella, qui est secrètement amoureuse de son professeur. Plus tard dans le film, elle le suppliera de lui demander sa main, contrainte par son père à un mariage arrangé. La déception et la jalousie de cette femme blessée donneront une des plus belles scènes du film, le coup d’éclat macabre de Cornella un soir à l’opéra.
Une autre belle scène montre le jeune Wolfgang Amadeus Mozart. Les deux compositeurs se connaissaient, correspondaient. La scène fait écho à celle de AMADEUS de Milos Forman (comment ne pas y penser !) où le petit Wolfgang reproduit à l’oreille, en l’embellissant, un air que Myslivecek venait tout juste de lui jouer au clavecin. Les scènes d’opéra sont merveilleusement reconstituées, la caméra n'hésite pas à s'inviter sur scène pour cadrer de près les chanteurs. Attention à la focale, certains plans finissent flous ! Petr Vaclav avoue un énorme travail de documentation, historique et musicale. Je le crois sur parole n'étant pas spécialiste de la période (et spécialiste de rien d'ailleurs, sauf les patates sautées que je réussis à merveille, croquantes et moelleuses).
Il n’y a rien de pompeux, d’emprunté ou de poussiéreux dans IL BOEMO (c'est aussi en cela que le film se réclame de celui de Milos Forman, sans en avoir l’ampleur). Ce qu'on voit et entend semble être contemporain, dans la manière d'être filmée. Pas de larges mouvements de caméra sur une foule de figurants costumés. Au contraire, Petr Vaclav privilégie la caméra épaule, ou simplement posée sur un trépied, quelques panoramiques. Peu de plans larges, juste quelques images de Prague et de la lagune de Venise. La photographie est très belle, élégante, mais encore une fois rien d’ostentatoire. J’ai lu quelque part que le film avait coûté moins de 4 millions, ce qui semble très peu pour un film en costume, un budget qui a dû être utilisé intelligemment. Petr Vaclav ne cherche pas à nous en mettre plein la vue, mais à capter l'attention du spectateur, de l'intéresser (c'est réussi, c'est un film populaire) conscient que son sujet n'a pas un potentiel commercial ahurissant.
Le film n’est jamais ennuyeux (bon, un peu longuet parfois), cette manière de filmer comme sur le vif dynamise le récit, et si le personnage principal est loin d’être sympathique ou charismatique (l'acteur accentue par son jeu ce côté fade, loin des pitreries de Tom Hulce chez Forman, est-ce exprès ?), son parcours vers les hautes sphères est passionnante. Le gars est le plus célèbre inconnu de la musique classique ! Le film rend bien ce paradoxe, un compositeur reconnu voire adulé des scènes européennes, mais qui ne gagne pas un rond à la fin du mois.
Tout se joue sur un coup de hasard, un soir de bal où Josef Myslivecek est escorté par erreur chez une riche marquise amatrice de parties fines (jolie scène encore), qui va lui présenter quelques grands noms, des critiques, des éditeurs, qui amèneront Myslivecek à composer pour La Gabrielli, cantatrice star de l’époque, puis recevoir des commandes de l’opéra de Naples, et du roi. Scène hallucinante où le souverain défèque devant Myslivecek avant de lui faire admirer son étron…
La vie de Josef Myslivecek croise quatre femmes (dans le film, car il y en a eu visiblement beaucoup d’autres, le pauvre en est mort, son visage troué est une des conséquences de la syphilis) : Cornella, la marquise, Anna Fracassati et la cantatrice Catarina Gabrielli. J’avoue qu’on s’y perd parfois, elles se ressemblent un peu sous leurs perruques poudrées, et le réalisateur ne nous mâche pas le travail. Il retire au montage les scènes d’introduction ou de transition, c'est pourquoi le film va vite, mais un personnage peut quitter l’histoire (et donc l’écran) sans prévenir pour revenir des années plus tard (donc une heure après !).
Le réalisateur laisse une grande place à la musique, les comédiens sont doublés par des chanteurs, et parmi les vraies voix, celle de Philippe Jaroussky, que j’ai reconnue car il fait une courte apparition à l’écran. IL BOEMO est aussi une description de l’époque, le pouvoir des puissants, les jeux d’influences, les mœurs (dissolues !). Le réalisateur montre que la création musicale, outre le talent individuel, est aussi affaire d’études, d’échanges, d’emprunts. Josef Myslivecek est mort à l’âge de 43 ans, laissant derrière lui 26 opéras et 85 symphonies…
J'ai cherché dans l'index musique classique pour voir si le Toon nous avait parlé de ce gars-là, rien, nada, peau d'zob ! Le plus célèbre inconnu du Classique !
couleur - 2h26 - format 1:1.85
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