mercredi 7 juin 2023

SCORPIONS " Tokyo Tapes " (1978), by Bruno



   Rhaaaa !!!! C'est beau ! C'est beau comme des éclairs ⚡ déchirant la nuit, illuminant brièvement le mont Fuji. C'est beau comme une coulée de lave, telle une fournaise dotée de vie nimbant l'obscurité de tons ocres et orangés. C'est beau comme un champs de cerisiers en fleurs, les pétales jonchant une pelouse domestiquée, où vaquent laconiquement des geishas ... qui ont brûlé leurs kimonos pour se parer de cuir et de clous. Ben oui, c'est comme ça. Parce que ces damoiselles, elles ont vu le loup, ou plutôt Okami. Le dieu-loup du pays du soleil levant qui leur a dit : "Allez donc voir à Yeure si j'y suis". Yeure désignant généralement une place où l'on pratique des festivités au Japon. Là, en l'occurrence, c'était à Tokyo, au Nakano Sun Plaza Hall. Et qui avait-il donc à ce moment là, à cet endroit précis ? Une bande de teutons chevelus, chaussés de talons de 10, les faisant passer pour des géants filiformes au milieu d'une population avoisinant les 170 cm. Même le chanteur avec son mètre soixante-huit, paraît plus grand que la moyenne avec ses bottes de sept-lieux.


   Ces Européens, en dépit d'un air avenant, affable, vêtus de tee-shirts félidés, sont bien décidés à conquérir cette île lointaine. Première étape pour aller au-delà et placer sous leur joug, ou plutôt leur dard venimeux, les Etats-Unis - pays ô combien confortables pour les rentrées financières. Depuis trois albums, ce groupe ne cesse de gagner en popularité, débordant désormais des frontières européennes. Et si ces derniers disques sont d'une indéniable qualité, pour peu que l'on apprécie le Hard-rock, ce sont leurs prestations scéniques qui remportent un franc succès. Au point où ils vont devenir une référence en la matière, servant d'exemple, de cas d'école pour de nombreux groupes (dont certains, dont Bon Jovi, deviendront à leur tour des stars). On ne peut plus professionnels, pas question d'avoir la tête dans le fion en montant sur scène, et même si c'était le cas, pas question de le faire ressortir sur scène. Qu'importe son état, on se donne à fond. 

     Ce que fait ressortir ce double live qui vous saisit littéralement dès les premières secondes de "All Night Long ", un inédit, probablement la dernière chanson à laquelle a participée le brillant Ulrich Roth, composée spécialement pour ouvrir les concerts sur un rythme trépignant de conquérant. Le son est énorme, en concordance avec leur production studio, quoiqu'un poil plus fort, comme poussé par des réacteurs de Boeing 747. Et dénué de tout lustrage. Bien que conçu pour servir de hors-d'œuvre, "All Night Long " possède déjà tous les attributs des classiques de la NWOBHM. La voix puissante et rageuse de Klaus Meine, la batterie de bûcheron d'Herman Rarebell, la basse massue d'Hans Buccholz, la rythmique des fonderies Völklingen de Rudolf Schenker et les soli lumineux, stratosphériques, d'Ulrich Roth - ce dernier devenant une référence absolue pour tous les apprentis shredders de la décennie suivante.  Même si  finalement, la chanson semble devoir pas mal au célèbre "Ride the Sky" de leurs compatriotes de Lucifer's Friend ; Klaus Meine lui-même doit beaucoup à leur chanteur, John Lawton

     "Pictured Life" suit le même chemin, mais sur un tempo des plus martial et basique ; un morceau sauvé par un chant engagé et une Stratocaster habillant incessamment de petites phrases gazouillantes l'ensemble de la pièce. Après un joyeux "Backstage Queen" - énième ode aux groupies - Ulrich Roth explose comme une comète dans le firmament avec un fabuleux " Polar Nights ". Œuvre exploitant jusqu'à plus soif tous les licks de Jimi Hendrix. Au point où nombreux sont ceux qui croiront à une reprise métallisée du gaucher de Seattle. Wah-wah directement reliée au cerveau, Maîtrise hors-norme du vibrato, toujours musical, même lors de tiré (de vibrato) d'assassin, défiant alors les lois d'accordage et de résistance de la Fender Stratocaster. Désormais, Ulrich s'impose définitivement comme un mage de la Stratocaster, digne héritier du Grand Jimi, pouvant tenir tête aux Robin Trower et Frank Marino. Son phénoménal talent à la guitare lui permet d'occulter la pauvreté de son chant, qu'on croirait presque être celui d'un vieillard éreinté et fumeur, la bouche rempli de coton. Mais ici, ça passe crème. Ce qui, étonnamment, sera bien moins le cas pour son aventure solo (excès de confiance ? Jusqu'à ce qu'il embauche un véritable chanteur). La première édition CD avait fait l'impasse sur cette chanson, un véritable sacrilège, un crime.


   On attribue souvent aux Scorpions germains la paternité de la power-ballad, notamment avec "In Trance" ; pourtant ce dernier alterne avec des mouvements foncièrement heavy-rock qui n'incite guère à entraîner un partenaire dans un pas chaloupé (à moins d'être un gros bourrin 😁). Tout comme le lumineux "We'll Burn the Sky". Une chanson écrite par Monika Dannemann, ancienne patineuse artistique allemande, qui fut la dernière girl-friend de Jimi Hendrix (les derniers clichés de Jimi sont d'elles), autrice du bouquin controversé "Le monde intérieur de Jimi Hendrix", et qui finit par fréquenter Ulrich Roth avant de l'épouser (tous deux sont natifs de Düsseldorf, ça rapproche, en plus d'une passion commune pour Hendrix... ). Excellente dessinatrice, elle illustrera les pochettes de l'Electric Sun de son mari, Uli Jon Roth. En plus de nombreux tableaux à la gloire d'Hendrix. 

      "Suspender Love" parvient à allier la dureté du riff en power chords avec un chant et une lead guitare lascifs, saturés de dopamine, comme des félins en chaleur. Lascivité encore avec " In the Search of the Peace of Mind ", pour la guitare de Roth, et carrément plaintive, implorante même avec " Fly to the Rainbow " où la six-cordes est bien plus expressive que la voix monocorde d'un Roth déjà gentiment un peu perché  "... Je vivais dans une solitude magique, avec des montagnes à l'aspect nuageux. Le lac fait de gouttes de cristal. Courir à travers l'espace, il y a 2000 ans  j'ai vu la cité d'Atlantis sombrer dans une éternelle vague de ténèbres. Chhuuut... ". La musique nous transporte dans son pays imaginaire, décor propice à l'heroïc-fantasy et contes arthuriens. Final en apocalypse, quasiment enchaîné à un trépidant et inquiétant "He's a Woman, She's a Man" - déboires d'une nuit parisienne du pauvre Rarebell - qui annonce à grand bruit la direction prise par Scorpions. Et qui va lui donner - -avec ses ballades - les clefs des lourdes portes du marché américain.

     Dans un fracas annonciateur de foudre et d'éclairs, Scorpions achève son public avec deux uppercuts : "Speedy's Coming" et "Top of the Bill". Ce dernier étant malheureusement grevé par un solo de batterie sans éclat. Etonnamment, car tout au long, Hermann Ze German est une force indestructible de la machine de guerre allemande. Véritable panzer. Solide, robuste, indéfectible mais faisant preuve de souplesse.

de G à D : Roth, Buccholz, R. Schenker, Meine et Rarebell

     Les deux reprises de rock'n'roll, "Hound Dog" et "Long Tall Sally", expédiées, déballées avec force et vigueur, ont de quoi rabattre le caquet aux punks d'alors qui pensaient avoir le monopole de l'énergie. Toutefois, elles paraissent plutôt incongrues, comme pour finir un set en mal de matériel. Et même relativement faiblardes en comparaison avec les missiles précédents. Pourtant, les venimeux ne sont par encore démunis, et finissent même le set en beauté, dans une débauche de puissance et de vitalité, sans faiblir. Avec " Steamrock Fever ", pièce née pour s'épanouir dans les stades. Suivie du sombre et sulfureux " Dark Lady ", où Roth joue au sorcier noir tandis que Meine vocalise telle une entité lumineuse luttant contre la nuit (le côté obscur  😊).

     Après un respectueux " Kojo No Tsuki ", chanson traditionnelle japonaise (André Rieu en fera une version bien pompeuse - mais on s'en bat les flancs) reprenant un poème de la fin du XIXème siècle, le concert prend fin sur un tonitruant " Robot Man ", un heavy-rock'n'roll frappé et entêtant illuminé d'un break fabuleux dans l'esprit du Mahogany Rush de Marino.


     Ce double live marque la fin d'une période, celle d'avec Ulrich Roth, qui insufflait à l'aide de sa Stratocaster blanche une touche éruptive de psychédélisme flamboyant, irradiant le métal lourd du duo Schenker-Meine de particules hendrixiennes. Roth ne voulait pas suivre la direction que prenait Shencker et Meine, vers un heavy-metal lustré et maîtrisé. Ainsi, cela faisait des mois qu'il parlait de son désir de partir pour voler de ses propres ailes, attiré vers des territoires plus mystiques et débridés. 

     La version remasterisée de 2015 - incontournable - réhabilite enfin " Polar Nights " (mieux vaut tard que jamais), et offre en sus trois inédits issus des deux concerts de Tokyo enregistrés les 24 et 27 avril 1978. "Hell Cats", d'abord sautillant et brûlant mais vandalisé par un Roth en perdition, égaré dans un délire stérile et barbant de feeadback et d'hédonisme masochiste au vibrato (une épreuve pour les nerfs), et l'abrasif et agressif " Catch Your Train ", et, pour finir l'hymne national japonais " Kim Ga Yo ", interprété par Ulrich qui ... quelle surprise ... se la joue "Hendrix à Woodstock".

     Cette édition anniversaire tant attendue, offre aussi une autre version - toujours tirée des deux concerts au Nakano Sun Plaza de Tokyo, des "Polar Nights", "He's a Man, She's a Man", "Top of the Bill" et "Robot Man". Aucune différence vraiment significative, si ce n'est que ces versions sont un peu plus longues, en particulier pour "Top of the Bill" qui avoisine les onze minutes avec Herman prenant ses aises en étirant son solo (et pour le coup, tout de même meilleur) et Meine jouant avec le public.

     L'hippie blond et moustachu apportait une touche particulière, contrastant avec la rigueur et le métal-lourd générés par ses comparses. Une touche de fantaisie hendrixienne, nimbée d'une sensibilité de doux mage allumé. Ainsi, quand Rudolf se montrait carré, dur et inflexible comme des poutres d'IPN, Ulrich compensait, contrastait par une fluidité et une liberté vertigineuse. Une douce folie élargissant les frontières de Scorpions aux confins du monde musical, faisant probablement de Scorpions le chaînon manquant entre le heavy-rock des 70's et le heavy-metal de la NWOBHM. Le départ aurait pu signer la fin du groupe, mais ce dernier sut rebondir pour devenir un groupe incontournable, dont le patronyme est connu même chez les plus réfractaires.

     A noter que la couverture de ce double-live, devenu emblématique avec un Rudolf Schenker élastique et rageur, le plaçant définitivement comme leader au détriment d'Ulrich Roth pourtant ici plus présent et mis en avant, sera la cause de bien de pétage de chevilles et de ménisques, de déplacement de vertèbres et d'élongations. On raconte qu'un collectif de mères d'apprentis guitaristes, devant l'importance des dommages corporels de leurs chérubins, - apprentis acrobates plus soucieux de leurs poses devant le miroir que de l'étude de leur instrument -, avait sollicité un recours en justice pour censurer la pochette. Responsable selon elles de dommages et de séquelles corporelles occasionnés en essayant de singer ce cher Rudolf. (info ou intox)

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5 commentaires:

  1. Ton information (à la fin) est tout à fait vraie. D'ailleurs, les mères des mères du collectif de mères, avaient 20 ans plus tôt, fait un recours à la cour suprême des Etats Unis, pour interdire les pochettes et photos d'Elvis le pelvis, à cause d'un nombre croissant et inquiétant de luxation des hanches.

    "Tokyo Tapes" je ne l'ai qu'en vinyle, avec une version K7 faite maison à l'époque... Cette édition de 2015 que tu vantes fait envie... C'est vrai que les reprises de "Hound Dog" et "Long Tall Sally" surprennent un peu, non pas l'exécution (m'enfin un peu bâclée quand même) mais la juxtaposition avec le reste. Sans doute pour dire d'où vient ce groupe allemand, rappeler les racines rock'n'roll, payer son tribu au King ou au Petit Richard. Personnellement je les aurais retirées du montage finale. Quand Deep Purple reprend "Lucille" de Little Richard (bonus de Made in Japan) ça a plus de sens.

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    1. Cette réédition n'a qu'un seul défaut notable : le dernier morceau du concert (compilé), "Robot Man", se retrouve isolé sur le second CD. La raison étant la même que pour la précédente édition CD, qui lui avait fait faire le choix malheureux de supprimer un titre, la limite de stockage garantissant une certaine qualité de définition. Auparavant, il ne fallait surtout pas atteindre les 77 minutes fatidiques au risque de se retrouver avec une musique trop fortement compressée ; présentement, le premier CD frôle d'un poil de ... ("face" in english) les 80 mn.

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    2. Bien d'accord avec toi : ces deux morceaux auraient pu être mis de côté. Et ce, dès la première édition de 1978.
      Et on se demande bien pourquoi ce n'est pas "Catch Your Train" qui n'a pas été sélectionné à la place. Largement plus dans l'esprit "Scorpions". D'autant que la durée est quasiment identique, à quelques secondes près. Peut-être trop dur, trop heavy pour l'époque ? Les voix du business sont impénétrables...

      Effectivement, très bonne remarque 👍🏼, quant au "Lucille" de Deep-Purple. Et là, cette dernière incite fortement à sortir le porte-feuilles pour acquérir une énième édition du fabuleux "Made In Japan" 😁
      Et d'ailleurs, en parlant de "Made In Japan", certains critiques avaient avancé que c'était justement cet emblématique double-live qui avait incité les Scorpions à enregistrer au Japon.

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  2. Premier album des teutons que j'acheterais et si cet il n'avait pas eu "Fly to the Rainbow" aurais-je eu le déclic ?

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    1. splendide morceau tout en feeling - avec ces beaux effets de violoning - , qui clôturait avec maestria le premier disque vinyle.

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