vendredi 23 juin 2023

ET TOUT LE MONDE RIAIT de Peter Bogdanovich (1981) par Luc B.

 

C’est une comédie, mais la vraie histoire du film n’est pas drôle du tout. C’est un film maudit, qui défraya la chronique en son temps, et dont son réalisateur ne s’est jamais remis.

On a déjà évoqué Peter Bogdanovich, décédé l’année dernière, son parcours d’auteur, critique, acteur, cinéaste…  [ clic vers le film LA BARBE A PAPA ]. Côté vie privée, l’homme est marié, et prend pour maîtresse une jeune mannequin que sa femme (sic) lui présente pour un rôle : Cybill Shepherd. Une des plus belles paires de gambettes d'Hollywood, qui fera une carrière honorable, depuis LA DERNIÈRE SÉANCE (1971), à TAXI DRIVER (1976), et la série télé CLAIR DE LUNE. Puis Bogdanovich s’entiche d’une nouvelle starlette, Dorothy Stratten, à qui il offre un rôle dans ET TOUT LE MONDE RIAIT. Son titre de gloire était d’avoir été élue playmate de l’année 1980 dans Playboy. Sur le tournage, elle entame une liaison avec Bogdanovich. L'ex de Stratten, d’une jalousie maladive, la tue avant de se suicider, alors que le film est à peine finalisé (il sortira pile poil un an après, tu parles d'un anniversaire...).

Un fait divers qui sera adapté au cinéma dans STAR 80 de Bob Fosse avec Mariel Hemingway

Donc ce n'est pas la joie, d'autant que les projections test ne sont pas bonnes. La Fox renonce à sortir le film. Peter Bogdanovich rachète son film au studio, et le distribue sur ses propres deniers, ce qui l’a mis sur la paille pendant un bon bout de temps. Une star a pourtant aidé à ce que le budget ne soit pas alourdi : Frank Sinatra, dont on entend les chansons dans la bande son, a autorisé Bogdanovich à utiliser ses titres gratuitement, affecté par le drame de Dorothy Stratten. 

ET TOUT LE MONDE RIAIT est aussi le dernier (vrai) film d’Audrey Hepburn, à part une apparition chez Spielberg en 89. Son personnage à l’écran est calqué sur les relations qu’elle avait à l’époque avec son mari, extrêmement jaloux.

Voilà, voilà… et pourtant, comme son titre l’indique, ET TOUT LE MONDE RIAIT est une comédie !

Peter Bogdanovich s’amuse à mélanger deux genres, la comédie romantique et le film de détective. L’intrigue tient sur un post-it : l’agence de détectives privés newyorkaise Odyssey est sollicitée par deux maris jaloux pour surveiller leurs femmes. John Russo se chargera de filer Angela Niotes (Audrey Hepburn) pendant que son mari se rend à un congrès, et le tandem Charles / Arthur devra filocher la jeune et jolie Dolores Martin. Le problème est : les privés tombent amoureux de celles qu’ils doivent surveiller.

Cette idée de départ renvoie à la comédie classique, on pense à Howard Hawks, George Cukor, l’omniprésence de la ville de New York rappelle parfois le Woody Allen de ANNIE HALL. Il n’y a pas franchement de développement de l’histoire, le départ apparaît même confus, une fois que l’on comprend que l’intérêt viendra des chassés croisés. Il règne une atmosphère légère, d’autant que le film est tourné en décor réel, dans les rues de New York, en toute liberté. Bogdanovich filme ses privés qui s’interpellent par signes d’un trottoir à l’autre, par-dessus la circulation, comme John Wayne et Dean Martin descendaient la rue centrale dans RIO BRAVO.

Le ton est paradoxalement assez français, on pense à des films de la Nouvelle Vague, LES BONNES FEMMES de Chabrol. Chaque personnage est en quête du partenaire qui lui correspondrait. La dernière scène rassemble tout le monde, les couples se sont formés, pas forcément ce que l’on pensait. John Russo (dont Ben Gazzara prête tout son charme) papillonne de filles en filles, Amy Lester la chanteuse country ou Sam, la chauffeuse de taxi, jouée par la très belle Patti Hansen, madame Keith Richard à la ville. John n’en revient pas lui-même d’avoir « couché avec une fille de 23 ans », qui lui demande le lendemain « est-ce que j’ai ronflé ? ». 

L’humour vient des situations presque vaudevillesques, comme la scène dans le magasin de vêtements où Dolores demande l’approbation d’un client avant de choisir un modèle, ce client étant Charles en pleine filature. Ou les scènes à la patinoire, plus burlesques. Les dialogues sont aussi inspirés, lorsque Angela Niotes se fait ouvertement draguée par le détective John Russo, elle le met en garde sur le caractère éruptif de son mari : « faites attention, mon mari a chargé un homme de me suivre ». A quoi l’autre répond : « je le sais, c’est moi ! ».          

Quand la secrétaire de l’agence Odyssey reçoit un appel de la femme du patron, avec qui elle entretient une relation extra-conjugale, il lui fait dire « Dites à ma femme que je ne suis pas là ». « Dites-lui vous-même » répond la secrétaire exaspérée. Il prend le combiné et dit à sa femme « je ne suis pas là » !

Le tandem Charles (John Ritter, revu souvent à la télé) et Arthur (Blaine Novak, aussi producteur du film) est assez savoureux, le premier très propre sur lui, très années 80, le second tout droit sortir des Doobie Brothers, fumeur de pétard invétéré, qui porte des lunettes noires en plein jour (« j’ouvre les volets après minuit ») et cache une tignasse démesurée sous sa casquette de laine. Lui aussi à maille à partir avec sa fiancée, running gag à chaque fois qu’il doit passer sous les fenêtres de restau où elle travaille pour ne pas être alpaguée. Avec ces deux-là, le film semble avoir un pied dans les années 70, un autre dans les années 80.

Des années où la musique country revenait à la mode, d’où le personnage d’Amy, la chanteuse, qui dans la première version du scénario devait chanter du jazz. Bogdanovich filme plusieurs prestations de son groupe, en continu. L’ensemble de la bande son est formidable, qui passe de Sinatra, Johnny Cash, Mozart ou Benny Goodman.

ET TOUT LE MONDE RIAIT est un film rare, peu diffusé, dont il n’existe pas d’édition dvd en France, pas sûr qu’il soit déjà passé à la télé. La copie que j’ai vue à la Cinémathèque était abominablement rayée, aux couleurs délavées, avec un son comme sorti d'un phonographe. Mais c'est un tel bonheur, il y a une liberté de ton qui fait plaisir à voir, le rythme ne faiblit pas, on a la banane pendant deux heures. On pense à certains films de Robert Altman, qui aimait aussi les films choraux, cet aspect faussement improvisé alors que scénario et mise en scène sont évidement extrêmement élaborés.

Et puis c’est l’occasion de revoir une dernière fois la divine Audrey Hepburn*, cachée pendant trente minutes derrière des lunettes de soleil XXL qui tiennent plus du parebrise.

* Audrey Hepburn avait déjà partagé l’affiche avec Ben Gazzara l’année précédente dans (le pas très bon) LIES PAR LE SANG de Terrence Young.


couleur  -  1h55  -  format 1:1.66

 Ce n'est pas la bande annonce d'origine, mais ça a le grand mérite d'être de meilleur qualité que la copie visionnée... 

 

2 commentaires:

  1. Shuffle Master26/6/23 08:52

    J'ai dû voir What's up, Doc à la télé il y a longtemps et je crois que c'est tout. Je connais plus le bonhomme par le nombre de fois où est cité dans les bouquins sur le Nouvel Hollywood. En feuilletant les souvenirs de Tarantino, j'ai appris qu'il s'était fait virer de Guet-Apens à la demande de McQueen et/ou de la société de production.

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  2. Bogdanovich était en haut de la liste des réalisateurs bankable, à qui on propose les bonnes histoires. Pas sûr que Guet-Apens fût un projet pour lui, et McQueen (qui n'était pas loin d'être le vrai patron de ses films) préférait sans doute Peckinpah avec qui il venait de tourner.

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