jeudi 16 mars 2023

DELIUS – Concerto pour violoncelle (1921) – Jacqueline du PRÉ – Malcolm SARGENT (1965) - par Claude Toon


- Oh, une musique qui fleure bon le style postromantique british Claude… Superbe le timbre du violoncelle… Heu c'est quoi et qui ?

- Bien vu pour l'époque et le style Sonia… Le concerto pour violoncelle de Frederik Delius et Jacqueline du Pré en 1965…

- 1965, le son du disque n'est en effet pas très bon, quoique… Une musique idyllique dans notre monde de brutes…

- Ben oui ma belle, un concerto ou une rhapsodie, avec Delius on se balade souvent à la limite de la musique de genre… pas de prise de tête !

- Tu ne devais pas nous parler du concerto d'Elgar joué par cette violoncelliste à la très courte carrière, M'sieur Luc m'a parlé de ça lors de la publication de son billet sur le film Tár avec Cate Blanchett ?

- Chaque chose en son temps… 


Pochette 1965

En 1965, EMI publia cet album réunissant les concertos pour violoncelle de Delius et de Elgar interprétés par la jeune Jacqueline du Pré. Deux orchestres différents et deux chefs de génie : Malcolm Sargent et John Barbirolli, le second ayant déjà fait l'objet de quatre chroniques dans des registres variés : de Berlioz à Mahler en passant par… Delius.

Si le concerto de Elgar, très apprécié, est un hit du catalogue par sa virtuosité, celui de Delius qui joue plutôt sur un style impressionniste et poétique ne fait pas les choux gras des labels ou des programmes de concert…

Les deux œuvres ont été rééditées en SACD dans une collection BCBG d'EMI hors de prix avec d'autres pièces peu connues des deux compositeurs anglais. On les trouve aussi dans diverses anthologies consacrées à la violoncelliste anglaise. Le concerto atypique de Delius ne justifiant pas un commentaire très détaillé dont je suis parfois friand, le destin de Jacqueline du Pré, tragique, on peut le dire, sera plutôt le sujet principal de ce billet.

 

Jacqueline du Pré assurera une carrière de dix ans en tout et pour tout. Elle voit le jour en 1945 à Oxford dans une famille cultivée dont la mère est pianiste. À l'âge de quatre ans, l'écoute d'une pièce pour violoncelle à la radio décidera de sa vocation. Elle commence son apprentissage en complicité avec sa sœur Hilary de trois ans son aînée qui étudie la flûte, le violon et le piano. La carrière d'Hilary sera celle apparemment discrète et pourtant si importante d'accompagnatrice. Elle sera à l'origine d'une polémique lors de l'écriture d'une biographie de sa sœur, lui prêtant une fumeuse affaire de bagatelles avec son mari qui profita de la jeunesse et de la fragilité de la violoncelliste… Hilary étale cela en 1996, soit quinze ans après la mort de sa sœur. Ce n'est pas classe et, très franchement, le mélomane de base s'en tape ! (Clic pour Rockin' amateur de people.)


Jacqueline du Pré et Daniel Barenboïm

Jeunette, Jacqueline étudie à la London Violoncello School puis avec William Pleeth (1916-1999, pédagogue réputé) à la Guildhall School of Music and Drama de Londres. Elle se perfectionnera auprès de trois géants de l'époque : Paul Tortelier à Paris, Mstislav Rostropovitch en Russie et Pablo Casals en Suisse lors d'une masterclass. Difficile de trouver mieux…

En 1961, elle commencera une carrière brillantissime, souvent comme soliste accompagnée par les maestro légendaires des années 60 dont John Barbirolli avec qui elle enregistre une gravure mythique du concerto d'Elgar avec l'orchestre symphonique de Londres. Un concerto qu'elle avait déjà donné en concert en 1962 avec Malcolm Sargent que l'on retrouve comme chef de l'orchestre philharmonique royal sur le même vinyle de 1965 dans le concerto de Delius. Elle jouera avec les plus grandes phalanges de la planète pendant les dix années suivant ses débuts précoces à seize ans.

Jouant dès ses premiers concerts sur des Stradivarius, du Pré possédait une précision d'exception dans le legato/staccato et une justesse tonale sans faille, faisant d'elle une virtuose dosant à merveille expressivité et force dans son jeu. C'est très net dans son interprétation du concerto de Delius


Sir Malcolm Sargent

En 1966, elle fait la connaissance de Daniel Barenboïm qu'elle épousera après sa conversion au judaïsme. Elle intègre ainsi un groupe d'amis surnommé "la mafia musicale juive" et comprenant son pianiste de mari, mais aussi les violonistes Itzhak Perlman et Pinchas Zukerman, et le contrebassiste et maestro d'origine indienne Zubin Mehta (qui était de religion pârsî soit dit en passant 😊) Il existe un témoignage musical de cette amitié, un film de l'interprétation du quintette "La truite" de Schubert dont l'extrait du célèbre andantino-allegretto est visible sur YouTube. Le son n'est pas génial mais quel enthousiasme. Elle jouera aussi fréquemment en complicité avec Barenboïm et en duo les sonates de Beethoven ou de Brahms.

En 1971 Jacqueline sent ses doigts se raidirent ! Le diagnostic des médecins est terrifiant : sclérose en plaques ! Elle doit abandonner tout espoir d'une belle carrière. Elle donnera encore quelques masterclass, mais les conséquences plus générales de cette terrible maladie la conduisent à la tombe en 1987 à l'âge de 42 ans après bien des souffrances. Sa discographie composée essentiellement de références n'a jamais été reléguée aux oubliettes, bien au contraire.

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Sir Malcom Sargent né en 1895 (anobli en 1947 la même année que Laurence Olivier) est un organiste, chef d'orchestre et compositeur anglais de la tradition "so british". Mal connu de nos jours sauf par quelques grands enregistrements notables dédiés aux compositeurs de son époque, il fut la vedette adulée des londoniens en animant chaque été les "proms", des séries de concerts donnés au Royal Albert Hall. Très respectueux de son fidèle public, il alla en 1967 (72 ans) jusqu'à sortir de l'hôpital, pourtant mourant d'un cancer, pour dire adieu à ses "prommeurs".

Comme nombre de chefs britanniques de sa génération, Malcom Sargent se distinguait dans les grandes fresques et oratorios tels Le Messie de Haendel ou Elias de Mendelssohn… Sa discographie masterisée sur CD est quasi inexistante ; question de mode sans doute. (Exemple : la grandeur spirituelle de son Messie de Haendel en 1959 - You Tube)

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Frederik Delius

Frederik Delius n'est pas un nouveau venu dans le blog, et sa biographie relativement détaillée est à lire dans un article de 2019 consacré à de poétiques pièces symphoniques dont il avait le secret (Clic). Des poèmes symphoniques dirigés par… John Barbirolli… L'Angleterre et son petit univers musical si particulier.

Une conclusion s'imposait après la lecture et l'écoute, Delius était un original. Son concerto ne pouvait que l'être. Il ne respecte aucune des règles formelles en usage dans le genre, à savoir trois mouvements : vif-lent-vif, une symétrie rencontrée dans 99,99 % des concertos du répertoire. Ici, cinq petits mouvements enchaînés avec des tempos retenus, presque une série d'adagios. Une suite symphonique ? pas plus, le violoncelle a un rôle soliste au sein d'un orchestre classique comportant : 2 flûtes, 1 hautbois, 1 cor anglais, 2 clarinettes, 2 bassons, 3 cors, 3 trompettes, 3 trombones, timbales, harpes, cordes et violoncelle solo.

En parcourant la (Partition) on notera que les pupitres des cordes sont systématiquement scindés en deux groupes. Delius ne composait donc pas de manière simpliste !

On pourra penser dans les ouvrages concertants pour violoncelles hors normes aux variations Rococo de Tchaïkovski ou à Schelomo d'Ernest Bloch. Mais dans ce concerto on ne rencontre aucune thématique très définie et encore moins de variations… Parfois, on parle méchamment de musique de genre, de style cinématographique (cinéma qui était encore muet en 1921) ; il faut juste se laisser bercer par cette ambiance d'élégie aux accents dionysiaque (Debussy ? Elgar ?  Bax ?). 

Le concerto a été composé en 1920-1921 pour répondre à une commande de la violoncelliste anglaise Beatrice Harrison. Il est créé en 1923 à Vienne par Alexandre Barjansky, un ami du physicien Albert Einstein qui était un bon violoniste. Beatrice Harrison en était la soliste lors de la première britannique en juillet 1923. Le premier enregistrement n'eut lieu qu'en 1965 ! Nous l'écoutons aujourd'hui.

 

[00:05] 1. Lento : Tout l'art de Jacqueline du Pré s'impose dans ce cours lento. Dans l'écrin offert par les bois sous le contrôle de Malcolm Sargent, le violoncelle fait son entrée avec une vigueur que l'on n'entendra plus jamais (j'ai cherché). La jeune femme de vingt quatre ans fait jaillir un chant articulé, puissant, sans aucun vibrato hédoniste, une sonorité de velours.

[01:04] 2. Con moto tranquillo : musique "postromantique" anglaise, nous voilà errant gaiement dans les herbages du Kent (ou ailleurs). La harpe dialogue avec le violoncelle, deux types de sonorités si différentes ; le legato du violoncelle affronte le staccato cristallin de la harpe. Effet facile dirions-nous, mais le climat "pictural" se révèle si bucolique et si ensoleillé…

[07:22] 3. Lento

[14:58] 4. Con moto tranquillo

[16:57] 5. Allegramente

Objectivement, je ne vois aucune interprétation concurrente et disponible à suggérer. Julian Lloyd Webber et The Philharmonia Orchestra dirigé par Vernon Handley sont attachants, mais le disque n'a pas été remastérisé à l'époque du numérique à en croire mes investigations… Le casting Paul Watkins · Sir Andrew Davis avec le BBC Symphony Orchestra semble s'ennuyer grave et nous avec.

Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…





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