- Oh, une musique qui fleure bon le style postromantique british
Claude… Superbe le timbre du violoncelle… Heu c'est quoi et qui ?
- Bien vu pour l'époque et le style Sonia… Le concerto pour violoncelle
de Frederik Delius et Jacqueline du Pré en 1965…
- 1965, le son du disque n'est en effet pas très bon, quoique… Une
musique idyllique dans notre monde de brutes…
- Ben oui ma belle, un concerto ou une rhapsodie, avec Delius on se
balade souvent à la limite de la musique de genre… pas de prise de tête
!
- Tu ne devais pas nous parler du concerto d'Elgar joué par cette
violoncelliste à la très courte carrière, M'sieur Luc m'a parlé de ça
lors de la publication de son billet sur le film Tár avec Cate Blanchett
?
- Chaque chose en son temps…
Pochette 1965 |
En 1965, EMI publia cet album réunissant les concertos pour
violoncelle de
Delius
et de
Elgar
interprétés par la jeune
Jacqueline du Pré. Deux orchestres différents et deux chefs de génie :
Malcolm Sargent
et
John Barbirolli, le second ayant déjà fait l'objet de quatre chroniques dans des registres
variés : de
Berlioz
à
Mahler
en passant par… Delius.
Si le
concerto
de
Elgar, très apprécié, est un hit du catalogue par sa virtuosité, celui de
Delius
qui joue plutôt sur un style impressionniste et poétique ne fait pas les
choux gras des labels ou des programmes de concert…
Les deux œuvres ont été rééditées en SACD dans une collection BCBG d'EMI
hors de prix avec d'autres pièces peu connues des deux compositeurs anglais.
On les trouve aussi dans diverses anthologies consacrées à la violoncelliste
anglaise. Le concerto atypique de
Delius
ne justifiant pas un commentaire très détaillé dont je suis parfois friand,
le destin de
Jacqueline du Pré, tragique, on peut le dire, sera plutôt le sujet principal de ce billet.
Jacqueline du Pré
assurera une carrière de dix ans en tout et pour tout. Elle voit le jour en
1945 à Oxford dans une famille cultivée dont la mère est pianiste. À
l'âge de quatre ans, l'écoute d'une pièce pour violoncelle à la radio
décidera de sa vocation. Elle commence son apprentissage en complicité avec
sa sœur
Hilary
de trois ans son aînée qui étudie la flûte, le violon et le piano. La
carrière d'Hilary
sera celle apparemment discrète et pourtant si importante d'accompagnatrice.
Elle sera à l'origine d'une polémique lors de l'écriture d'une biographie de
sa sœur, lui prêtant une fumeuse affaire de bagatelles avec son mari qui
profita de la jeunesse et de la fragilité de la violoncelliste…
Hilary
étale cela en 1996, soit quinze ans après la mort de sa sœur. Ce
n'est pas classe et, très franchement, le mélomane de base s'en tape ! (Clic
pour Rockin' amateur de people.)
Jacqueline du Pré et Daniel Barenboïm |
Jeunette,
Jacqueline
étudie à la
London Violoncello School puis avec
William Pleeth
(1916-1999, pédagogue réputé) à la
Guildhall School of Music and Drama
de Londres. Elle se perfectionnera auprès de trois géants de l'époque :
Paul Tortelier
à Paris,
Mstislav Rostropovitch
en Russie et
Pablo Casals
en Suisse lors d'une masterclass. Difficile de trouver mieux…
En 1961, elle commencera une carrière brillantissime, souvent
comme soliste accompagnée par les maestro légendaires des années 60 dont
John Barbirolli
avec qui elle enregistre une gravure mythique du
concerto
d'Elgar
avec l'orchestre symphonique de Londres. Un
concerto
qu'elle avait déjà donné en concert en 1962 avec
Malcolm Sargent
que l'on retrouve comme chef de l'orchestre philharmonique royal
sur le même vinyle de 1965 dans le
concerto
de
Delius. Elle jouera avec les plus grandes phalanges de la planète pendant les
dix années suivant ses débuts précoces à seize ans.
Jouant dès ses premiers concerts sur des
Stradivarius,
du Pré
possédait une précision d'exception dans le legato/staccato et une
justesse tonale sans faille, faisant d'elle une virtuose dosant à
merveille expressivité et force dans son jeu. C'est très net dans son
interprétation du concerto de
Delius.
Sir Malcolm Sargent |
En 1966, elle fait la connaissance de
Daniel Barenboïm
qu'elle épousera après sa conversion au judaïsme. Elle intègre ainsi un
groupe d'amis surnommé "la mafia musicale juive" et comprenant son pianiste de mari, mais aussi les violonistes Itzhak Perlman
et
Pinchas Zukerman,
et le contrebassiste et maestro d'origine indienne
Zubin Mehta
(qui était de religion pârsî soit dit
en passant 😊) Il existe un témoignage musical de cette amitié, un film de
l'interprétation du
quintette
"La truite" de
Schubert
dont l'extrait du célèbre andantino-allegretto est visible sur
YouTube. Le son n'est pas génial mais quel enthousiasme. Elle jouera aussi
fréquemment en complicité avec
Barenboïm et en duo les
sonates de
Beethoven
ou de
Brahms.
En 1971
Jacqueline
sent ses doigts se raidirent ! Le diagnostic des médecins est terrifiant :
sclérose en plaques ! Elle doit
abandonner tout espoir d'une belle carrière. Elle donnera encore quelques
masterclass, mais les conséquences plus générales de cette terrible maladie
la conduisent à la tombe en 1987 à l'âge de 42 ans après bien des
souffrances. Sa discographie composée essentiellement de références n'a
jamais été reléguée aux oubliettes, bien au contraire.
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Sir Malcom Sargent né en 1895 (anobli en 1947 la même année que Laurence Olivier) est un organiste, chef d'orchestre et compositeur anglais de la tradition "so british". Mal connu de nos jours sauf par quelques grands enregistrements notables dédiés aux compositeurs de son époque, il fut la vedette adulée des londoniens en animant chaque été les "proms", des séries de concerts donnés au Royal Albert Hall. Très respectueux de son fidèle public, il alla en 1967 (72 ans) jusqu'à sortir de l'hôpital, pourtant mourant d'un cancer, pour dire adieu à ses "prommeurs".
Comme nombre de chefs britanniques de sa génération,
Malcom Sargent
se distinguait dans les grandes fresques et oratorios tels
Le Messie
de
Haendel
ou
Elias
de
Mendelssohn… Sa discographie masterisée sur CD est quasi inexistante ; question de
mode sans doute. (Exemple : la grandeur spirituelle de son Messie de Haendel en 1959 -
You Tube)
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Frederik Delius |
Frederik Delius
n'est pas un nouveau venu dans le blog, et sa biographie relativement
détaillée est à lire dans un article de 2019 consacré à de poétiques
pièces symphoniques dont il avait le secret
(Clic). Des
poèmes symphoniques
dirigés par…
John Barbirolli… L'Angleterre et son petit univers musical si particulier.
Une conclusion s'imposait après la lecture et l'écoute,
Delius
était un original. Son concerto ne pouvait que l'être. Il ne respecte aucune
des règles formelles en usage dans le genre, à savoir trois mouvements :
vif-lent-vif, une symétrie rencontrée dans 99,99 % des concertos du
répertoire. Ici, cinq petits mouvements enchaînés avec des tempos retenus,
presque une série d'adagios. Une suite symphonique ? pas plus, le
violoncelle a un rôle soliste au sein d'un orchestre classique comportant :
2 flûtes, 1 hautbois, 1 cor anglais, 2 clarinettes, 2 bassons, 3 cors, 3
trompettes, 3 trombones, timbales, harpes, cordes et violoncelle solo.
En parcourant la
(Partition)
on notera que les pupitres des cordes sont systématiquement scindés en deux
groupes.
Delius
ne composait donc pas de manière simpliste !
On pourra penser dans les ouvrages concertants pour violoncelles hors
normes aux
variations Rococo
de
Tchaïkovski ou à Schelomo
d'Ernest Bloch. Mais dans ce concerto on ne rencontre aucune thématique très définie et
encore moins de variations… Parfois, on parle méchamment de musique de
genre, de style cinématographique (cinéma qui était encore muet en
1921) ; il faut juste se laisser bercer par cette ambiance d'élégie
aux accents dionysiaque (Debussy ? Elgar ? Bax ?).
Le concerto a été composé en 1920-1921 pour répondre à une commande de la violoncelliste anglaise Beatrice Harrison. Il est créé en 1923 à Vienne par Alexandre Barjansky, un ami du physicien Albert Einstein qui était un bon violoniste. Beatrice Harrison en était la soliste lors de la première britannique en juillet 1923. Le premier enregistrement n'eut lieu qu'en 1965 ! Nous l'écoutons aujourd'hui.
[00:05] 1. Lento : Tout l'art
de
Jacqueline du Pré
s'impose dans ce cours lento. Dans l'écrin offert par les bois sous le
contrôle de
Malcolm Sargent, le violoncelle fait son entrée avec une vigueur que l'on n'entendra plus
jamais (j'ai cherché). La jeune femme de vingt quatre ans fait jaillir un
chant articulé, puissant, sans aucun vibrato hédoniste, une sonorité de
velours.
[01:04]
2. Con moto tranquillo : musique
"postromantique" anglaise, nous voilà errant gaiement dans les herbages du
Kent (ou ailleurs). La harpe dialogue avec le violoncelle, deux types de
sonorités si différentes ; le legato du violoncelle affronte le staccato
cristallin de la harpe. Effet facile dirions-nous, mais le climat "pictural"
se révèle si bucolique et si ensoleillé…
[07:22] 3. Lento
[14:58] 4. Con moto tranquillo
[16:57]
5. Allegramente
Objectivement, je ne vois aucune interprétation concurrente et disponible à suggérer. Julian Lloyd Webber et The Philharmonia Orchestra dirigé par Vernon Handley sont attachants, mais le disque n'a pas été remastérisé à l'époque du numérique à en croire mes investigations… Le casting Paul Watkins · Sir Andrew Davis avec le BBC Symphony Orchestra semble s'ennuyer grave et nous avec.
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée. Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…
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