Qui a dit qu’il n’y a pas de bonnes comédies au cinéma, en France ? A peu près tous les grincheux, mais pas moi. Quand elles sont bonnes, je vais les voir, et je vous en parle. Les autres, je passe aux voisins. Je n’ai rien contre les franchises bien calibrées comme QU’EST CE QU’ON A FAIT AUX TUCHES, ça marche bien, tant mieux, ça remplit les caisses pour permettre aux autres de tourner.
Car foulons de la semelle
une bonne fois pour toute cette idée persistante. Non, le cinéma français
n’est pas financé avec vos impôts (ni les miens), comme on le lit souvent dans les gazettes
populistes. Mais par un pourcentage pris sur les recettes, c’est pourquoi les
14 millions d’entrées d’AVATAR 2 vont faire beaucoup d’heureux.
Avec MON CRIME, le très éclectique François Ozon retrouve la veine (et la verve) d’un de ses grands succès, HUIT FEMMES (2001), et je le prouve : film d’époque + intrigue criminelle + adaptation d’une pièce de théâtre + casting royal. Et clin d’œil appuyé à une actrice de HUIT FEMMES, Danielle Darrieux, dont on entend deux chansons, car la grande dame était aussi musicienne (violoncelliste) et chanteuse.
MON CRIME est un hommage assumé aux comédies d’avant-guerre, l’action se passe en 1935. Comme celles tournées justement par le duo Henri Decoin / Danielle Darrieux. Il y est question d’une jeune actrice, Madeleine Verdier, accusée du meurtre d’un producteur libidineux. Elle était venue chez lui pour espérer un rôle, et s’est faite culbuter sur la moquette. Elle raconte sa mésaventure à son amie et colocataire Pauline Mauléon, une jeune avocate. Qui a cette idée géniale : Madeleine va avouer un meurtre qu’elle n’a pas commis uniquement pour passer aux assises, y être reconnue innocente grâce au talent de Pauline, ce qui lui fera une publicité pour lancer sa carrière.
Toute la séquence chez le juge Gustave Rabusset est excellente. C’est Fabrice Luchini qui s’y colle, et s’amuse à reprendre le ton guttural et autoritaire de Louis Jouvet. Il suspecte d’abord l’architecte Palmarède (Dany Boon jouant un marseillais, fallait y penser !), un de ses amis, et lorsqu’il lui demande un alibi, l’autre répond : « Ben, j’étais chez toi, tu nous avais invités à déjeuner ! ». Puis il interroge Madeleine Verdier, et grâce aux indices recueillis par l’inspecteur Brun (Régis Laspalès mielleux à souhait) il l’inculpe pour meurtre.
Grand moment au tribunal. Le président est joué par Daniel Prévost, du velours. Brillantes joutes oratoires avec le procureur Maurice Vrai (sic !) joué par Michel Fau, agacé de voir tant de femmes trucider des hommes : « elles nous égorgent avec un sans gêne ! ». Nous sommes juste après l’affaire Violette Nozière, condamnée en 1934 puis graciée.
Le réalisateur recrée une époque, par les décors bien sûr (c’est tourné en studio, ça se voit, tant mieux, jolie scène sur les toits de Paris) mais aussi par le ton. Les comédiens ont tous tendance à surjouer, théâtraliser leur diction, ça sonne même parfois délicieusement faux. Le rythme de la mise en scène ne faiblit pas, il accélère même lorsqu’entre en scène l’actrice Odette Chaumette, que s’amuse à composer une Isabelle Huppert survoltée, avec un débit de parole proche d’une mitraillette Thompson. Elle est géniale en vieille comédienne du muet (« je vous adore, j’ai vu tous vos films, ça fait drôle d’entendre votre voix ! » lui déclare un fan transi) qui elle aussi veut s’accuser du meurtre pour retrouver la une des journaux.
La mécanique comique est proche du vaudeville, avec des histoires de mariage, de dot, de futur beau père industriel ruiné, génialement joué par André Dussolier. François Ozon joue aussi constamment entre l’univers du cinéma et du théâtre. Génial plan à la fin qui montre Odette Chaumette dans les jardins de la villa, y pénétrer à l'intérieur et se retrouver sur... la scène d'un théâtre où elle triomphe avec Madeleine Verdier. Tous les protagonistes du film sont d'ailleurs dans la salle, pour les acclamer. Ozon joue aussi avec les changements de formats, écran 4/3 noir et blanc ou scope couleur, flash-back en mode muet, reconstitution de tournage d’époque (Madeleine joue Marie Antoinette allant à l'échafaud !).
Mon seul petit souci, c'est avec le montage, que j'ai trouvé parfois un peu surfait... François Ozon est le cadreur de ses films, et à la fin de la journée de tournage, il commence à monter les rushes au fur et à mesure. Et y'a des raccords qui font grincer un peu les dents. Notamment lorsqu'il monte une réplique "off" sur l'image d'un
personnage que l’on voit de trois-quarts arrière. Procédé classique (puisque sous cet angle on ne voit pas les lèvres bouger) sauf que cela ne fonctionne pas toujours, et on le ressent immédiatement. Autre gaffe, lorsque Isabelle Huppert croque dans une saucisse face caméra, dans le
contre champ, la saucisse est entière…
MON CRIME est tiré d’une pièce de théâtre (l'héroïne y était écrivain, pas actrice) que Ozon a souhaité aérer, avec un rendu cinématographique. Ce qui est une bonne chose. Mais il a tendance à trop découper ses scènes (ça dynamise le récit) là où un bon vieux plan d'ensemble, ce qu’on appelle un master**, aurait été la solution la plus simple.
Le plus beau faux raccord vient de Belgique. La première scène chez le producteur se passe dans une superbe villa art déco : la villa Empain, du nom du baron Empain. Qui se situe à Bruxelles. Dans le film, on voit Madeleine Verdier en sortir, traverser la rue pour se retrouver à... Paris ! Hummmm…
Okay, je sais, je chipote. En tous cas, MON CRIME est un François Ozon virevoltant et plus léger dans sa forme (mais très actuel et cruel dans le fond), la mécanique y est précise, parfaitement huilée, on a la banane pendant une heure et demie, les acteurs s’amusent visiblement comme des fous (on remarque que les stars sont reléguées aux seconds rôles), les répliques font mouche, alors pourquoi boudez son plaisir ?
**un master est un plan
général où les comédiens jouent tous ensemble une scène, en une fois (un plan
séquence), avant de tourner les inserts, les contre-champs. Ce qui permettait,
au temps de la pellicule, de sécuriser la prise en cas de problème de
développement au laboratoire.
couleur et N&B - 1h40 - formats scope et 1:1.37
Moi je ne suis pas imposable mais je n'y vais plus quand même car je dois être "populiste"... Et surtout, j'ai mieux à faire de mon peu d'argent. Ces grands bourgeois déconnectés qui ne s'investissent que dans des causes bateaux et sans risque ("sauver la planète", "la paix dans le monde", les femmes...) et donnent des leçons à ceux qui les font vivre (si pas par les impôts - et les subventions, c'est quoi ? - par les entrées), très peu pour moi.
RépondreSupprimerBonjour Anonyme, dans les salles que je fréquente (dites municipales, donc subventionnées) la place me coûte selon les cas 3.60 ou 4.50 euros. Donc bon... ce n'est pas ruineux. Claquer 20 euros mensuels en cinéma, revient moins cher qu'un forfait téléphonique avec plein de gigas pour mater des vidéos sur un écran de 5 centimètres ! Chacun son truc. Mais dans les grands circuits, payer une place à 14 ou 15 euros est tout à fait scandaleux (et à c'prix là ils vous collent des pubs en plus !) quand le film est une déception, je comprends que les gens n'y retournent pas.
RépondreSupprimerLe mécanisme du cinéma français est comme une dynamo qui produit sa propre énergie, plus on y va, plus on permet aux films de se faire. Ce qui n'est pas le cas ailleurs, comme aux USA, où seules les franchises Marvel et autres Mission Impossible trouvent du financement, car ce sont des produits conçus pour être rentables.
Merci du passage.
(je ne suis pas certain que François Ozon soit l'archétype du grand bourgeois donneur de leçon)
"...plus on y va, plus on permet aux films de se faire"
SupprimerDu coup, mon choix de ne plus y aller (quel que soit le prix, finalement) est parfaitement cohérent avec mes souhaits... :-) Par ailleurs, je n'ai pas de smartphone et autre tablette (l'un des fléaux de ce siècle pourrissant).
Je comprend néanmoins votre "romantisme" militant, tant mieux si vous y trouvez votre compte.
Je n'ai pas particulièrement étudié le cas Ozon (je n'ai dû voir que "8 femmes", pas mal) mais ma vindicte s'adressait plutôt aux Kassovitz, Sy, Boon, Cluzet, Cotillard, Lellouche et consorts et sans doute la pire de tous (bon, pas actrice mais chanteuse OK), Hardy (je lui souhaite quand même la rémission de son cancer... grâce à la médecine financée par les impôts qu'elle rechigne à payer).
Avec votre permission, je reprends à mon compte le "romantisme militant" pour mon attrait des salles obscures. C'est très juste !
RépondreSupprimerVous l'avez :-) C'est également le mien concernant mon refus (et ma non nécessité) d'acheter un smartphone.
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